Déclarations de M. Hervé Gaymard, secrétaire d'Etat à la santé et à la Sécurité sociale chargé de la famille, sur l'accueil d'enfants en pouponnière et la prévention de la maltraitance à Nantes le 18 novembre 1996, et sur les actions de partenariat avec le COFRADE (Conseil français des associations pour les droits de l'enfant), au Sénat le 20 novembre 1996.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Journées techniques de "l'opération pouponnières". "Les enjeux (de la maltraitance à la "bien-traitance")" à Nantes du 18 au 20 novembre 1996. Journée nationale des droits de l'enfant au Sénat le 20.

Texte intégral

Les enjeux (de la maltraitance à la « bien-traitance »)

I. – En ouvrant en septembre dernier la journée nationale de prévention de la maltraitance, je rappelais que « la protection de l'enfant, et plus globalement des personnes vulnérables au sein de la société, a toujours été une préoccupation majeure des pouvoirs publics, et plus particulièrement des ministres chargés de la famille ». Aussi suis-je très heureux d'ouvrir aujourd'hui, à vos côtés Madame la vice-présidente, des journées consacrées aux très jeunes enfants, à ceux qui sont privés, au quotidien, de la sollicitude d'une mère et de la protection d'un père, et qui sont de ce fait terriblement vulnérables.

Séparés de leurs parents, parfois dès leur naissance, et pour la plupart d'entre eux avant un an, ils sont même doublement vulnérables, du fait des raisons majeures qui ont conduit à leur accueil en pouponnière, liées en général à des séparations ou des hospitalisations.

Chacun d'entre nous, à la place qui est la sienne, chaque professionnel chargé d'aider enfants et parents dans ce parcours difficile, assume une part de responsabilité à leur égard.

C'est pourquoi je me félicite tout particulièrement du caractère partenarial de ces journées. C'est la première fois depuis leur mise en place en 1987, que ces journées nationales, qui viennent ponctuer tous les deux ans la réflexion engagée dans le cadre de « l'opération pouponnières », sont co-organisées avec un conseil général.

Je voudrais d'ailleurs rendre hommage à l'action du conseil général de Loire Atlantique – en bien des points exemplaires qui, au-delà de « l'opération pouponnières », a mené en partenariat des actions novatrices dans le domaine de l'aide sociale à l'enfance et de la protection maternelle et infantile.

Lancée en 1978 par Simone Veil comme un élément essentiel du dispositif de l'aide sociale à l'enfance, « l'opération pouponnières », qui consistait à structurer la réflexion autour de l'enfant accueilli et de ses parents, s'est avéré un révélateur de la complexité des questions qui se posent tout au long d'un parcours familial dont la séparation n'est bien souvent que l'un des aléas. Car l'accueil d'un jeune enfant en pouponnière n'est jamais un événement isolé. II s'inscrit dans une succession de « phases » qui mettent en jeu nombre de professionnels des services sociaux, des services de protection maternelle et infantile, de maternité, de pédiatrie, de pédopsychiatrie, et bien évidemment les services d'aide sociale à l'enfance et de la justice.

Je salue leur présence aujourd'hui aux côtés des équipes de pouponnières, qui témoigne de ce partenariat actif que j'évoquais tout à l'heure. La pouponnière s'inscrit bien dans un réseau institutionnel qui accompagne enfants et parents.

II. – Si j'ai tenu, en qualité de secrétaire d'État à la santé, chargé de la famille, à venir ouvrir aujourd'hui ces journées, à Nantes, c'est que je mesure bien les enjeux qui s'attachent à ce type de structure : enjeu de santé publique, mais aussi enjeu de société lié à la conception que l'on a de l'être humain.

1. Il existe indiscutablement un enjeu de santé publique. L'éradication des facteurs de carences dont on constatait les effets chez les jeunes enfants dans leur dimension psychique et somatique, a constitué un réel enjeu de santé publique des années 1950 à 1970. L'opération pouponnières a proposé aux professionnels des actions de formation, leur permettant de mieux aider l'enfant à se construire, à structurer son psychisme, et donc à être, d'une certaine manière, plus acteur de son développement. Elle a restitué par ailleurs leur place aux parents, et proposait aux équipes volontaires un objectif ambitieux.

2. Enjeu de société ensuite. La manière dont seront traités ces petits enfants et leurs parents préfigure la société de demain qui sera constituée de ces mêmes enfants qui sont des adultes en devenir...

3. Enfin, et ce n'est pas le moindre, enjeu lié à la dignité de l'être humain qu'est le petit enfant, en le traitant comme un sujet en devenir, en confortant la place, le rôle et l'image des parents auprès de l'enfant autrefois « placé », aujourd'hui « confié ». Il s'agit d'une profonde modification culturelle, qui n'a été possible que parce que vos prédécesseurs et vous-mêmes avez été les acteurs engagés de cette évolution. Vous avez accepté de remettre en cause des pratiques, des façons de faire et des conceptions personnelles, et accompagné résolument la politique menée dans ce domaine par les pouvoirs publics. Cette volonté collective a porté ses fruits. Elle est à l'origine des remarquables avancées constatées dans les institutions qui accueillent ces jeunes enfants. Je voudrais rendre hommage à cette action.

Je voudrais tout particulièrement rendre hommage à Janine Lévy (absente pour des raisons de santé) et Danielle Rapoport – qui va tenir le « fil rouge » de ces journées – ainsi qu'à l'équipe de la pouponnière de Saint-Vincent-de-Paul qui se sont engagées dès 1972 dans une recherche tendant à faire évoluer la situation des enfants accueillis, en misant sur la relation entre l'enfant et l'adulte qui prend soin de lui au quotidien. Ces pionniers – et surtout pionnières – de la première heure sont également à l'origine de l'opération pouponnières et du comité de pilotage dont je salue l'action continue. Elles ont repris le flambeau des méthodes mises en œuvre à la pouponnière de Loczy en Hongrie par Geneviève Appell (ici présente) et Myriam David (absente, qui joue un rôle irremplaçable concernant le placement familial), après avoir œuvré pour « éradiquer les facteurs de carence dans les pouponnières ». Grâce à elles, l'accent a enfin été mis sur l'indispensable soutien à apporter au travail des auxiliaires de puériculture, travail éprouvant au plan émotionnel puisqu'il s'agit de nouer une relation affective avec un enfant qui n'est pas le sien.

Je souhaite également rendre hommage à Michel Soulé (absent) qui poursuit l'œuvre qu'il a engagée pour tisser des liens entre l'aide sociale à l'enfance et l'hygiène mentale infantile, et tous ceux qui œuvrent ou ont œuvré pour une conception « humanisante » du travail réalisé auprès des enfants par des adultes qui ne sont pas leurs parents. Ils nous rappellent la nécessité de les relier à leur histoire, et de prendre en compte les souffrances des parents souvent liées à leur propre enfance.

Je voudrais enfin rendre hommage aux professionnels qui ont suivi ces traces et fait entrer la vie et l'espoir pour les enfants accueillis en pouponnière, auparavant trop souvent considérés comme débiles. Merci pour leur action à l'égard des parents, trop souvent ignorés ou jugés, et pour leur force de caractère et leur grand professionnalisme qui les a amenés à assumer, le plus souvent sans aide, des situations à haute teneur émotionnelle.

La conjugaison de tous ces apports a donné naissance à « l'opération pouponnières » qui est un maillon essentiel des dispositifs d'aide à la famille en difficulté. C'est toute la cohérence du dispositif de prévention et de protection qui est en jeu, et que représentent ici les professionnels de la santé, de l'action sociale et du champ éducatif réunis.

III. – Ma présence aujourd'hui parmi vous témoigne de la continuité de l'engagement pris depuis 1978 par tous les pouvoirs publics pour « la cause des enfants », en soutenant les actions menées en faveur des plus fragiles d'entre eux.

Dépassant les frontières de tous ordres, cette « cause des enfants » réunit aujourd'hui ceux qui dans leur propre pays poursuivent cette même voie. Il y a d'ailleurs dans cette salle de nombreux participants étrangers qui œuvrent dans le même sens.

Ma présence témoigne aussi de mon souhait de vous entendre. Vous constituez l'univers quotidien des enfants – qui s'expriment à cet âge bien souvent dans un langage que seules les personnes très proches de lui peuvent comprendre : langage de gestes, de mots, de regards. Vous êtes aussi les interlocuteurs privilégiés des parents que vous accueillez de plus en plus, de mieux en mieux, et pour lesquels vos institutions représentent parfois une chance dans un parcours d'exclusion.

Je sais gré à ceux qui sont présents de faire part de leur expérience et de poursuivre leur action, malgré les difficultés de tous ordres qu'ils rencontrent et dont il sera question tout au long de vos travaux.

La direction de l'action sociale sera présente tout au long de ces journées. Je serai tenu informé de leur teneur et de vos suggestions.

IV. – Ces journées s'inscrivent tout naturellement dans la perspective de la journée des droits de l'enfant, c'est-à-dire du « droit de l'enfant au respect », qui ne va pas sans le respect porté à ses parents ainsi qu'à tout adulte appelé à prendre leur relais.

La disparition des solidarités familiales, le déracinement et l'absence de solidarités de voisinage, l'extrême isolement, peuvent conduire à des manifestations qui sont le plus souvent la marque de la solitude et d'une grande détresse. Mais ils peuvent aussi conduire à la maltraitance, à une séparation brutale ou trop tardive, très traumatisante et lourde de conséquences.

Nous savons, grâce à de nombreux travaux, en particulier ceux de Myriam David, que la séparation entre l'enfant et ses parents ne suffit pas à traiter le problème originel, et que si rien n'est fait avec la famille, avec l'enfant, avec le milieu d'accueil, les causes qui ont amené à la séparation demeurent.

Chacun sait que les familles sont le meilleur des remparts dans la lutte contre l'exclusion, qu'elles sont le lien privilégié des solidarités, qu'elles constituent un recours pour les jeunes en voie de désinsertion.

Faisons-en sorte collectivement que l'enfant, même s'il n'est pas élevé par ses parents, se sente appartenir à une famille, à sa famille. Aidons les parents à surmonter la culpabilité qu'ils ressentent et qui ne peut que rejaillir négativement sur l'enfant.

Agir ainsi constitue la seule prévention efficace. Elle n'est possible qu'en développant des synergies, en travaillant en lien avec les différentes institutions et professionnels de l'action sociale, de la santé, de l'éducation, en créant des réseaux de tous les professionnels concernés permettant d'assurer une réelle continuité de la prise en charge. La pluridisciplinarité que vous représentez ici est à cet égard un atout considérable.

Seule cette approche en réseau est de nature à assurer le droit de l'enfant à être respecté et celui de ses parents à être reconnu comme tels et aidés à exercer leurs responsabilités, y compris dans la séparation.

C'est à cette condition et à cette condition seule, que la notion de « droits de l'enfant » deviendra une réalité pour tous les enfants.


Je vous remercie.


Sixième rencontre annuelle pour les droits de l'enfant, le 20 novembre 1996

Monsieur le président du Sénat,
Monsieur le secrétaire général du COFRADE,
Madame DORLHAC (qui est dans la salle, Mme DORLHAC a été secrétaire d'État à la condition pénitentiaire auprès du garde des Sceaux du 8 juin 1974 au 25 août 1976 (gouvernement CHIRAC) puis secrétaire d'État à la Famille et aux personnes âgées, auprès du ministre de la Solidarité, de la Santé et de la Protection sociale (Gouvernement ROCARD 88-91)
Mesdames, Messieurs,

I. – Je me réjouis de pouvoir m'adresser à vous pour l'ouverture de cette 6e rencontre annuelle entre les pouvoirs publics et le conseil français des Associations pour les droits de l'enfant.

Comme vous le savez, cette rencontre prend cette année un relief particulier. La loi du 9 avril 1996, d'initiative parlementaire, a consacré la date du 20 novembre « journée nationale des droits de l'enfant ».

En soutenant cette initiative parlementaire, le Gouvernement a voulu ainsi honorer la date anniversaire de l'adoption, le 20 novembre 1989, de la convention internationale des droits de l'enfant par l'Assemblée générale des Nations unies. J'ai une bonne raison de m'en souvenir, puisque j'ai représenté le Gouvernement lors de la discussion de ce texte et que je l'ai soutenu en son nom.

Cette date du 20 novembre 1989 revêt une très grande importance puisque, pour la première fois en effet, un texte juridique fort était adopté au plan international en faveur de l'enfance.

Proposé par la Pologne, soutenu très activement par la France, adopté à l'unanimité, ce texte est aujourd'hui une référence qui témoigne de la prise de conscience universelle que l'enfant constitue l'avenir de l'humanité, et qu'en tant que tel, ses droits doivent être respectés.

C'est pourquoi la France a fait de la journée du 20 novembre une journée nationale qui sera célébrée cette année sur l'ensemble du territoire à l'initiative des collectivités locales et des associations.

C'est aussi pourquoi la France a proposé à l'Organisation des Nations unies que le 20 novembre devienne une « journée universelle des droits de l'enfant », proposition qui semble avoir été accueillie favorablement.

II. – La situation des enfants dans le monde, vous la connaissez. Elle est trop souvent tragique.

Au cours des dix dernières années, on estime que 2 millions d'enfants sont morts de conflits armés, que 4 à 5 millions sont restés infirmes et que 10 millions resteront traumatisés psychologiquement.

C'est pourquoi le Gouvernement français s'est engagé fortement contre l'utilisation des mines terrestres qui mutilent les enfants.

C'est pourquoi, aujourd'hui au Zaïre, comme hier en Bosnie, la France s'est toujours efforcé de mettre en œuvre les moyens de répondre aux situations conflictuelles dans lesquelles les enfants sont, nous le savons, toujours les premières victimes des catastrophes humanitaires.

Premières victimes des conflits politiques, les enfants dans le monde sont aussi les premières victimes du sous-développement.

Dans ce domaine aussi la France entend prendre des initiatives comme la Convention Internationale nous y invite.

III. – En France, vieille nation démocratique, la situation des enfants ne se pose évidemment pas dans les mêmes termes. L'accès à l'éducation, l'accès aux soins, la protection vis-à-vis des carences ou des indisponibilités familiales sont assurés.

L'actualité nous rappelle pourtant périodiquement les failles ou les insuffisances de nos dispositifs de protection.

Les difficultés économiques actuelles alimentent aussi le développement de situations d'exclusion. Nous voyons ressurgir des pathologies que l'on croyait éradiquées, comme la tuberculose, ou des phénomènes de malnutrition et de carences alimentaires, dont les enfants sont victimes au premier chef.

Les profondes mutations sociales et familiales que connaît notre pays ne sont pas sans incidence sur l'espace privé des familles. Les enfants peuvent, là encore, en subir les conséquences.

IV. – En tant que secrétaire d'État à la Santé, et à la Sécurité sociale, en charge, avec Jacques BARROT de la famille, ces questions sont quotidiennement au cœur de mes préoccupations.

Les évolutions que nous avons connues ces dernières années ont constitué un progrès incontestable. Elles ont visé à développer certains droits propres des enfants, notamment un droit à une expression autonome par rapport aux enjeux importants les concernant.

Il ne faudrait pas pour autant que les droits de l'enfant portent atteinte à un certain « droit à l'enfance » et à la part « d'irresponsabilité » qui doit continuer à caractériser aussi les premiers âges de la vie.

En d'autres termes, je ne souhaite pas opposer l'enfant à la famille, qui constitue le milieu naturel le plus propice au bien-être et à l'épanouissement de l'enfant.

Nous vivons, par ailleurs une certaine « crise de la parentalité ».

Des parents débordés, lassés, culpabilisés sont tentés de démissionner, avec toutes les conséquences dramatiques qui peuvent en résulter pour la construction de l'identité de leurs enfants.

Je forme donc le vœu que la journée des droits de l'enfant soit aussi l'occasion de conforter ces parents dans leur rôle, sans opposition des droits respectifs.

Il faut enfin protéger les enfants des violences qu'ils peuvent subir au sein de leurs familles. Mais il faut aussi aider les familles à jouer leur rôle éducatif.

Il faut dans un domaine aussi lourd de conséquence, se garder d'hypertrophier les droits des uns contre les droits des autres. S'agissant des droits de l'enfant, une telle attitude irait à l'encontre de ce que souhaite d'ailleurs la majorité des jeunes quand on les interroge.

Les enquêtes les plus sérieuses le montrent : les jeunes d'aujourd'hui ont besoin d'adultes capables d'assurer leurs responsabilités à leur égard.

V. – Je souhaitais vous faire part de ces quelques réflexions car cette journée, Monsieur le secrétaire général est bien centrée autour de l'idée de rencontre entre les pouvoirs publics et les 81 associations qui, depuis 1992, se sont regroupées pour défendre les droits de l'enfant.

Ce partenariat entre pouvoirs publics et associations doit être transparent pour être fructueux.

Le programme qui été arrêté pour cette 6e rencontre est riche. Je souhaite que, comme les années précédentes, il soit l'occasion d'améliorer la connaissance réciproque des problèmes et la coordination des différents acteurs intervenants dans le champ de l'enfance.

Les associations ont vocation à informer les pouvoirs publics des situations concrètes observées sur le terrain. Je me félicite que, cette année, de nombreuses manifestations locales aient été programmées, elles associeront plus étroitement encore nos concitoyens à la mise en œuvre effective des droits de l'enfant.

Le Gouvernement a déjà annoncé un plan d'action à l'égard de la maltraitance il y a quelques semaines. Le Premier ministre, tout à l'heure va rendre public le programme d'action du Gouvernement contre les abus sexuels et l'exploitation sexuelle des enfants.

Pour la mise en œuvre de ces actions, le rôle des associations est irremplaçable.

Vos travaux ne pourront que contribuer à nourrir notre réflexion et à conforter notre détermination.

Sachez que je serai, pour ma part, très attentif à vos propositions et à vos suggestions.


Je vous remercie.