Texte intégral
Mesdames et Messieurs,
C’est devenu un lieu commun d’évoquer la nouvelle donne de l’agriculture française et pourtant nous sommes bien en face d’un profond bouleversement de la situation, tant sur le plan national que sur le plan européen et sur le plan mondial.
Sur le plan national d’abord, nous voyons les comportements des consommateurs évoluer et se transformer avec une très grande rapidité.
Ces évolutions reposent sur une demande toujours croissante de qualité, de sécurité et d’identité.
À l’évidence, ce sont là de nouveaux défis pour l’agriculture, pour le métier d’agriculteur et pour l’organisation économique de la production alimentaire.
Toujours sur le plan intérieur, le très grave problème de l’emploi et du difficile accès au travail dans notre société devient, dans toutes les familles, une préoccupation obsédante. Chacun, personnellement, est confronté pour soi-même ou pour les siens à ces difficultés et nous savons, à terme, de quel risque le délabrement social est porteur : le chômage.
L’agriculture qui, depuis maintenant 130 ans, a réduit d’année en année ses effectifs, doit se demander non seulement si elle n’a pas déjà franchi le point limite en la matière, mais aussi comment désormais elle peut contribuer directement à la résolution de cette question. Il en va de la place du monde agricole dans la société, comme du renforcement de notre cohésion sociale.
Enfin, troisième donnée, la question des territoires.
Cette question présente au moins deux grandes caractéristiques : la première tient au fait que nous constatons aujourd’hui que le développement de l’agriculture ne va pas toujours de pair avec le développement de tous les territoires.
Nous assistons en effet à une concentration territoriale de l’agriculture qui conduit à une surexploitation de certains espaces agricoles et à un risque de déprise de certains autres espaces.
Ce déséquilibre territorial est d’autant moins acceptable qu’il n’est pas seulement le fruit des logiques économiques, mais qu’il est aussi amplifié par la logique actuelle des politiques publiques.
Le prolongement de ce déséquilibre se trouve dans ces nouvelles questions relatives à l’environnement et qui sont maintenant posées à l’agriculture. Voilà une série de trois grandes questions :
– autour des produits ;
– autour de l’emploi ;
– autour du territoire,
que nos concitoyens adressent au monde agricole.
À ces questions internes et quotidiennes, s’ajoutent les interrogations liées à la construction européenne.
J’ai déjà eu l’occasion de le dire. Nous avons à veiller à ce que la politique agricole commune, qui a été pendant une bonne trentaine d’années le fer de lance de la construction européenne, ne devienne pas le talon d’Achille de l’Union.
Ceci veut dire que nous avons à construire et à proposer une politique agricole commune compréhensible et justifiée, autant aux yeux des producteurs qu’aux yeux de tous les Européens, et nous savons bien que ces justifications sont d’ordre économique, mais ne se réduisent pas à cette seule dimension économique.
Les questions que se posent les Français sont aussi les questions que se posent les Européens, mais comprenons bien que dans la mesure où l’agriculture représente la moitié du budget de l’Union, les réponses que nous serons capables d’apporter aujourd’hui, conditionnent à long terme la crédibilité même de la construction européenne, de la construction de son territoire, de la construction de sa culture commune.
Enfin, le troisième grand élément de cette nouvelle donne réside dans le traité de Marrakech que la France a signé en 1994. Comme vous le savez, ce traité est destiné à favoriser le développement des échanges par l’abaissement des barrières douanières et la réduction des soutiens à l’exportation.
La France est, au premier chef, concernée par les conséquences de ce traité. Elle est un grand pays exportateur de produits agricoles et agro-alimentaires, très sensible aux modifications qui interviennent dans les règles qui président aux échanges internationaux. Les dernières négociations, conclues à Marrakech, ont porté essentiellement sur les droits de douanes et les subventions à l’exportation. On peut craindre que celles qui sont devant nous portent sur les aides directes au revenu des agriculteurs qui constituent l’essentiel des soutiens à l’agriculture dans la PAC réformée en 1992. Nous devons donc inventer pour l’Europe une forme de découplage des aides aux agriculteurs qui permettent de les mettre à l’abri d’attaques éventuelles. Celles-ci ne devront plus être rigoureusement liées à la production ; elles devront trouver d’autres justifications, et notamment la rétribution des services que les agriculteurs rendent à la société et que le marché ne sait pas rétribuer :
– c’est une nouvelle donne ;
– c’est une nouvelle approche.
Elle est pour nous le moyen de reconstruire ce fameux contrat entre les agriculteurs et la Nation, que le monde agricole appelle de ses vœux depuis plusieurs années déjà.
Elle est le moyen non pas de réduire ou de diminuer le sens et les missions du métier d’agriculteur, mais au contraire de les enrichir et de les complexifier.
Elle est à mes yeux, en résumé, l’occasion que nous devons saisir pour prendre pleinement en compte la multifonctionnalité de l’agriculture que nos concitoyens souhaitent voir s’épanouir.
Cette multifonctionnalité est porteuse de création de richesse en plus grande abondance que ne l’est la logique de spécialisation qui s’est imposée et qui nous appauvrit. Elle est aussi le moyen de passer d’une politique agricole opaque et incompréhensible, à une politique agricole moderne et transparente, ce qui veut dire dans nos démocraties, à une politique contractuelle.
Pour amorcer un renouvellement de nos politiques publiques agricoles, les mettre en conformité autant avec les attentes de la société, qu’avec les exigences internationales que nous nous sommes donnés, le projet de loi d’orientation agricole, actuellement soumis à l’examen interministériel, propose la mise d’un contrat territorial d’exploitation.
Ce contrat a bien l’ambition de relier les produits, les territoires et les hommes. Je m’explique en revenant sur chacun des termes.
Contrat :
Voilà plusieurs années déjà que les organisations professionnelles en appellent à un nouveau contrat entre l’agriculture et la Nation.
Allons jusqu’au bout de l’intuition en permettant à l’agriculteur, responsable économique de son exploitation, de signer concrètement avec les pouvoirs publics ce document qui consigne les droits et les devoirs de chacun.
Ceci ne veut pas dire que le contrat n’est qu’une formalité individuelle, n’intègrent pas les préoccupations collectives nécessaires au développement de l’agriculture.
Pour être un contrat avec la Nation que représente l’État, il faut bien sûr que soit mise en place une règle du jeu commune à tous.
Cette règle du jeu, sera fixée dans les cahiers des charges nationaux qui seront élaborés.
Pour préciser comment les choses pourraient être mises en œuvre, je dirai que le contrat territorial d’exploitation pourrait être une sorte de menu comportant plusieurs plats, quatre au maximum.
Les deux premiers pourraient être choisis parmi les objectifs généraux fixés au plan national. Je veux parler d’objectifs en matière de pratiques agronomiques, de la gestion de la ressource en eau, d’évolution des processus de production, de la gestion des paysages, etc.
Le troisième volet devrait s’élaborer localement au sein d’une petite région agricole. Il correspondrait à une orientation définie collectivement par un groupe d’agriculteurs, décidé à rentrer dans cette démarche.
Et les groupes locaux de développement auront un rôle à jouer, c’est évident.
Enfin un quatrième plat pourrait avoir une dimension individuelle et relever plus directement d’un projet personnel de reconversion de certaines productions, de diversification ou d’élargissement du projet d’exploitation.
Ainsi donc, le contrat symboliserait la triple dimension nationale, locale et individuelle, d’une exploitation agricole et, en même temps, sa dimension économique et territoriale.
Il est un autre symbole auquel je suis attaché, c’est celui du contrat lui-même. En effet, arrimer la politique agricole à un contrat entre l’agriculteur et les pouvoirs publics, c’est non seulement fortifier la politique agricole, mais c’est aussi et surtout ouvrir une perspective enthousiasmante de modernisation de nos politiques publiques.
Je voudrais faire en sorte que les politiques agricoles ne soient pas seulement enviées pour leur budget, mais qu’elles soient copiées dans leurs modalités de mise en œuvre.
Faire des producteurs des partenaires tout à la fois économiques et politiques de la société, c’est ouvrir le chemin d’une démocratie aussi soucieuse de cohésion sociale que de développement économique.
Territorial :
L’objet de ce contrat ne saurait être la seule fonction marchande de l’agriculture. En effet, à travers ce contrat territorial nous poursuivrons deux objectifs :
Le premier, je l’ai déjà évoqué, vise à maintenir des exploitations agricoles viables sur tout le territoire national et pour cela il faut une politique volontariste puisque la seule logique économique conduirait inéluctablement à concentrer la production sur une part de plus en plus restreinte du territoire.
Cette politique de territorialisation de l’agriculture n’est pas nouvelle. Elle a été inaugurée notamment par la politique de la montagne, consacrée par la fameuse loi montagne du 9 janvier 1985, à laquelle beaucoup d’entre vous sont attachés à juste titre puisque, effectivement, cette approche a permis de maintenir des exploitations nombreuses dans nos montagnes, d’y enregistrer un taux d’installation double de celui que l’on enregistre au plan national, et d’avoir des massifs montagneux qui sont habités, entretenus et gérés.
Le deuxième objectif de ce contrat territorial consiste à faire prendre en compte à travers l’activité de production marchande, la production de richesses qui, elles, ne sont pas marchandes.
Ces richesses non marchandes, je veux bien sûr parler de la ressource naturelle, des paysages, de l’eau, sont par construction non-délocalisables. Ce sont des richesses irremplaçables.
La nouveauté est que nous avons compris que pour les conserver, il fallait en quelque sorte les produire. Cette production-là doit être reconnue, elle doit être rétribuée.
Exploitation :
Le contrat territorial concerne l’ensemble de l’exploitation et de son activité, à commencer par sa dimension économique.
Il s’agit bien de contracter avec un agent économique et de l’encourager dans son développement. Ceci de deux façons :
– la première en reconnaissant que c’est à travers son activité économique que s’élaborent les richesses non-marchandes dont j’ai parlé – et non-marchandes ne signifie pas en dehors de la sphère économique ;
– la deuxième tient au fait que le contrat doit prendre en compte la dimension d’innovation que l’exploitant veut mettre en œuvre. Cette innovation peut consister à chercher de nouveaux créneaux, à s’associer à d’autres pour promouvoir un produit. L’innovation, c’est aussi trouver des moyens pour maintenir ou créer de l’emploi.
Au total, ce contrat proposé à chacun doit être un facteur de dynamisme, un facteur d’innovation et aussi un facteur de cohésion.
En m’expliquant sur le contrat territorial d’exploitation, en m’expliquant sur mon souci de cohérence des politiques agricoles entre elles, je crois avoir en même temps traité le thème de ce colloque, et illustré ce qu’était l’orientation du projet de loi d’orientation que je prépare.
Ce tournant, si nous le prenons progressivement, permettra non seulement de moderniser et de donner une nouvelle légitimité aux politiques agricoles, mais aussi de redonner davantage de dignité et d’attrait au métier d’agriculture. Il permettra enfin de faire de l’agriculture véritablement un enjeu de société.