Interview de M. Charles Pasqua, président du RPF, dans "Le Journal du dimanche" du 7 novembre 1999, sur l'affaire Strauss-Kahn, la cohabitation, la réforme du Conseil supérieur de la magistrature, les objectifs du RPF et la reprise des négociations sur le commerce international dans le cadre de l'OMC.

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Média : Le Journal du Dimanche

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Le Journal du Dimanche : La démission de DSK ouvre-t-elle une nouvelle page ?

Charles Pasqua : Oui. Il y a clairement nouvelle donne politique, un « avant » et un « après » l’affaire de la MNEF. Les gouvernements vivent des cycles. L’un deux s’achève. Lionel Jospin avait un boulevard devant lui. Et patatras, les choses sont beaucoup plus difficiles pour lui ! Mais l’opposition se tromperait lourdement en croyant que les déboires des autres suffiront à lui redonner la santé.


Le Journal du Dimanche : L’opposition doit-elle continuer à harceler Jospin, au risque d’un effet boomerang sur ses propres « affaires » ?

Charles Pasqua : Une opposition doit s’opposer. Elle n'a pas à se montrer prudente. Sans vouloir donner de leçons, je rappellerai à la gauche et à la droite qu’on n'entre pas en politique pour faire carrière mais pour défendre des convictions, avec un minimum d'éthique. Le RPF n'est pas concerné par toute ces combines.


Le Journal du Dimanche : Jureriez-vous que le conseil général des Hauts-de-Seine n'abrite aucun emploi fictif ?

Charles Pasqua : On ne peut jurer de rien. Mais je veille à ce qu'il n'y en ait pas.


Le Journal du Dimanche : Comme ministre de l'intérieur vous avez affronté vous-même une question de « vrai-faux » passeport !

Charles Pasqua : Cela n'avait rien avoir avec l'enrichissement personnel ou les emplois fictifs. C'était, comme on disait à l’époque, « une affaire d’État », si compliquée, si difficile à saisir qu’elle ne fut jamais saisie. Mais du passé faisons table rase !


Le Journal du Dimanche : Reste que la cohabitation vient de se tendre sur les affaires, qu'en pensez-vous ?

Charles Pasqua : À l'approche de l'élection présidentielle, chacun marque son territoire. Mais que la cohabitation se déglingue sur ce genre d'histoire ne peut que nuire à l'image de notre pays, en France et à l’étranger.


Le Journal du Dimanche : La cohabitation peut-elle être écourtée ?

Charles Pasqua : Je ne vois pas comment. Sauf à ce que Chirac, un spécialiste, dissolve à nouveau l'Assemblée ou à ce que cette dernière se fassent hara-kiri. Les deux sont impensables. Ni Chirac ni Jospin n’ont intérêt à ce que ces affrontements durent trop longtemps. Après ce feu de paille, ils devraient calmer le jeu. Si le Président de la République en a remis une louche vendredi sur le PACS, c'est d'abord pour revenir sur un terrain plus noble et moins risqué pour lui que celui des « affaires ».


Le Journal du Dimanche : Une partie de la classe politique déplore « le gouvernement des juges ». Qu'en pensez-vous ?

Charles Pasqua : Il faut aborder cette question a froid et non lorsque l’un ou l'autre parti est concerné. Par quelle dérive, quelle fuite en avant, l'État a-t-il abandonné ses responsabilités, multiplié les autorités indépendantes, tels le Conseil constitutionnel, la commission informatique et libertés, le Conseil supérieur de la magistrature, etc.


Le Journal du Dimanche : La garde des sceaux s’enorgueillit aujourd'hui d'une totale indépendance entre la Chancellerie et le Parquet.

Charles Pasqua : Les mines angéliques, les protestations vertueuses et hypocrites de Madame Guigou ne doivent pas faire illusion ; il n'y a jamais eu autant d’interventions individuelles de la Chancellerie, donc du gouvernement, sur le Parquet !


Le Journal du Dimanche : Reste, à la lumière de l'affaire DSK, qu'elles ne semblent guère efficaces. Croyez-vous qu'il y ait chez les juges des « trotskistes », par exemple, qui règlent des comptes à gauche ?

Charles Pasqua : Non, les juges sont divers, comme la société française. Mais dans la dérive générale de l'autorité de l’État, ils ont tendance, pour prouver leur indépendance, à s'en prendre au pouvoir. Ceux qui veulent aujourd'hui réformer le Conseil de la magistrature oublient que les juges rendent la justice au nom d'un peuple souverain. C'est donc aux gouvernements, censés représenter le peuple, d'assumer leurs responsabilités. Dès lors qu'ils ne le font plus, les juges le font à leur place. C'est une conquête du pouvoir par une corporation, comme il y eut dans l'histoire celle des clercs, des soldats, etc.


Le Journal du Dimanche : Voterez-vous le 24 janvier la révision de la Constitution, préalable à la réforme du Conseil supérieur de la magistrature ?

Charles Pasqua : Le 24 janvier, soit je n'irai pas à Versailles, soit j'irai voter contre. Comme les parlementaires RPF. Comme beaucoup de RPR et d'autres encore. La majorité des trois cinquièmes nécessaires à la révision sera difficile à atteindre ! Connaissant le pragmatisme naturel de Jacques Chirac, il s'accommodera très bien de ce refus.


Le Journal du Dimanche : Des élections en Autriche et en Suisse viennent de marquer une poussée de la droite dure, est-ce le créneau du RPF ?

Charles Pasqua : J’ai suivi ces élections avec intérêt. La volonté des peuples de se réapproprier leurs affaires ira croissante. Mais chaque pays a son histoire : nous nous situons dans le droit fil du gaullisme qui n'était pas seulement la droite.


Le Journal du Dimanche : Le RPF est-il prêt pour l'élection présidentielle ? Vous-même, à 72 ans, serez-vous candidat ?

Charles Pasqua : On a l'âge de ses convictions. Le programme du RPF, qui n'a que trois mois d'existence, se met en place. Vous l'avez constaté jeudi avec notre colloque sur la mondialisation. Mon combat ne fait que commencer !


Le Journal du Dimanche : Justement, vous venez d'exiger de Chirac et de Jospin qu’ils refusent l'ouverture à Seattle de nouvelles négociations sur l'Organisation mondiale du commerce (OMC).

Charles Pasqua : S'ils avaient deux sous de respect pour le suffrage universel, ils auraient répondu ! Mais nous serons à Seattle pour alerter l'opinion engourdie, qui ignore que l’Europe se prépare - par le biais de l'OMC et sur injonctions des Américains - à tous les abandons, notamment à celui de la politique agricole commune. Le nouveau ministre des finances a cru bon de nous traiter de « pétainiste », de « parti du repli ». Je lui dis : « M. Sautter, vous trompez sciemment les Français. La défense des intérêts de la France est le contraire du repli sur soi ! »


Le Journal du Dimanche : Mais le commissaire européen, Pascal Lamy, est français, n'est-ce pas une garantie ?

Charles Pasqua : À ce poste-là, on est apatride.


Le Journal du Dimanche : Allez-vous faire combat commun avec José Bové qui sera à Seattle ?

Charles Pasqua : Nous nous verrons certainement. José Bové est un souverainiste qui s'ignore, comme tous ceux qui se battent, par exemple sous le drapeau d’Attac, pour que les marchés ne broient pas les peuples. L'important est que, progressivement, nos idées de souveraineté nationale pénètrent la société française. Et cela trouvera un aboutissement aux élections. À toutes les élections.