Interview de M. François Bayrou, président de l'UDF, à Europe 1 le 21 décembre 1999, sur son choix de siéger au Parlement européen, la réforme du Conseil supérieur de la magistrature et sur les relations de l'UDF et du RPR.

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Média : Europe 1

Texte intégral

Jean-Pierre Elkabbach : Ce matin, François Bayrou, est-ce que vous êtes député à Paris ou à Strasbourg ?

François Bayrou : Je suis député européen et j’ai fait le choix de rester au Parlement européen.

Jean-Pierre Elkabbach : Et ça ne changera plus ?

François Bayrou : Attendez, ça ne peut pas changer ! Mais, au nom de quelle bravade les politiques feraient-ils croire qu’ils n’ont pas d’hésitations, pas de doutes, pas d’interrogations sur leurs choix, surtout quand le choix est aussi difficile que celui qu’il y avait à faire.

Jean-Pierre Elkabbach : Vous avez hésité, ça a été douloureux !

François Bayrou : J’ai même été près de faire un autre choix. Et maintenant que mon choix de rester au Parlement européen est fait, je vais vous expliquer pourquoi. Je n’ai pas pu le faire entendre pendant cette période. Ce qui m’a fait hésiter, ce qui m’a rendu près de faire un autre choix, c’est qu’il y a une injustice qui est en train de se préparer contre les députés européens, qui risquent d’être les seuls Français, les seuls citoyens français – 87 députés européens – les seuls citoyens français à ne pas pouvoir être un élu local. Or, pour moi, l’enracinement des élus dans la réalité locale, c’est indispensable, surtout en Europe. Le drame de l’Europe, c’est qu’elle est loin. Moi, je plaide pour une Europe enracinée et voilà que la décision que le Gouvernement va prendre, totalement injuste – et j’espère qu’il peut changer d’avis sur ce point…

Jean-Pierre Elkabbach : Vous lui demandez de changer d’avis !

François Bayrou : Je demande aux parlementaires de réfléchir aux choix qu’ils font faire et, derrière, au Conseil constitutionnel de réfléchir à ce choix. Les élus qui auraient le plus besoin d’être enracinés, de connaître la réalité du terrain, de savoir ce qui se passe pour bâtir une Europe proche, ceux-là risquent d’être interdits de mandats locaux. Et c’est pour moi une grande injustice ! Ça m’a fait hésiter.

Jean-Pierre Elkabbach : Vous êtes président du Conseil général des Pyrénées-Atlantiques, vous pourriez perdre avec une loi anti-cumul ce même mandat.

François Bayrou : Absolument. C’est pourquoi, c’était un très grand risque à prendre et je l’ai pris. Mais je l’ai pris, pourquoi ? Maintenant vous me demandez pourquoi vous avez fait ce choix final ? Je l’ai pris parce qu’au moment du choix, je me suis dit : " Il n’est pas possible que je ne respecte pas la parole que j’ai engagée. "

Jean-Pierre Elkabbach : Mais l’argument au dernier moment, quand vous vous êtes regardé dans la glace et avant de décider, c’était quoi ?

François Bayrou : C’était : « J’ai promis, je tiendrai », même si la règle du jeu a changé, même si les circonstances sont plus difficiles aujourd’hui qu’au moment où je faisais 1a promesse. Les Français sont tellement à la recherche de comportements politiques nouveaux, plus lisibles et transparents ! Ils acceptent, je crois vraiment qu’ils acceptent qu’on doute, ils acceptent qu’on s’interroge…

Jean-Pierre Elkabbach : Qu’on se trompe !

François Bayrou : Ils acceptent qu’on corrige ses erreurs ! Mais au bout du compte, ils attendent que le lien de confiance puisse se renouer. Et pour ce lien de confiance, il faut que nous, les politiques, nous allions, jusqu’au bout des choix que nous avons promis.

Jean-Pierre Elkabbach : Ça veut dire que le choix éthique, c’est difficile à réaliser ?

François Bayrou : C’est très difficile à réaliser. Vous savez, c’est un choix cornélien : c’est-à-dire un conflit de devoirs. Vous avez des devoirs dans un sens – fidélité à vos racines –, vous avez des devoirs dans un autre sens – fidélité à la parole que vous avez engagée. Et ça crée naturellement un débat intérieur, un conflit intérieur. Moi, je ne le nie pas, parce que les hommes politiques, s’ils veulent être authentiques, ils doivent aussi accepter le côté humain de leurs choix.

Jean-Pierre Elkabbach : Est-ce qu’aux autres têtes de liste qui rentrent à Paris, vous avez un message ?

François Bayrou : Non, je ne donne pas de leçon de morale !

Jean-Pierre Elkabbach : Mais vous savez bien que votre décision noircit leurs choix, parce qu’ils ont peut-être, à travers ce que vous dites, trompé l’électeur ou peut-être déserté !

François Bayrou : Ce n’est pas pour cela que je l’ai fait. Je sais que mon choix a été suffisamment difficile à faire et quel débat intérieur il a provoqué pour que je ne donne pas de leçon de morale.

Jean-Pierre Elkabbach : Est-ce que ça veut dire que, désormais, le Parlement européen est plus important que l’Assemblée nationale ?

François Bayrou : En tout cas, le Parlement européen est si important pour l’avenir de la France qu’il faudrait que des responsables politiques majeurs acceptent d’y être des acteurs de premier plan et de ne pas le déserter. Les responsables politiques français doivent être là où l’avenir de la France se joue, c’est-à-dire en Europe.

Jean-Pierre Elkabbach : Est-ce que vous voulez rester à la tête de l’UDF ?

François Bayrou : C’est pour moi plus important que tout, vous entendez ! Construire…

Jean-Pierre Elkabbach : Avis aux amateurs, mesdames et messieurs, l’UDF n’est pas à prendre !

François Bayrou : Construire une formation politique, c’est plus important que tout ! Vous sentez bien, vous voyez bien : besoin de nouveau.

Jean-Pierre Elkabbach : Vous disiez dimanche, je vous cite : « En 1995, Jospin n’était pas à l’Assemblée au moment de la présidentielle et ça ne l’a pas empêché de se présenter. » Est-ce que ça veut dire que c’est la méthode et le calendrier Bayrou ?

François Bayrou : C’était une remarque historique et uniquement à l’usage des historiens naturellement.

Jean-Pierre Elkabbach : Bien sûr… Si la réforme du Conseil supérieur de la magistrature n’est pas votée à Versailles, à qui la faute ? Jospin, Guigou, Chirac ?

François Bayrou : La faute à la méthode ! Si elle n’est pas votée, la faute à la méthode ! Vous savez, je suis plutôt pour cet aspect-là des choses. Mais cette loi, ce changement de la Constitution, devrait être la clé de voûte d’une réforme, le point final de la réforme. Et au lieu de mettre ce point final à la fin, on met le point final au début. Et un très grand nombre d’élus et de parlementaires disent : " Nous ne voyons pas ce que va être l’architecture générale de la réforme, pourquoi voulez-vous que nous acceptions la clé de voûte avant de savoir ce que va être la réforme ? "

Jean-Pierre Elkabbach : Vous dites, François Bayrou : « Je suis pour. » Ça veut dire que l’UDF va voter ou pas ?

François Bayrou : Ça veut dire que si j’étais au Gouvernement, comme on dit au café du commerce, si j’étais Mme Guigou et le Président de la République, je m’interrogerais vraiment pour savoir si c’est le bon moment et s’il ne serait pas plus courageux, là aussi, de corriger une erreur qu’on voit venir, en disant : « Cette réforme, qui est bonne, nous acceptons de la voter à la fin, lorsque toute la réforme de la justice sera faite.

Jean-Pierre Elkabbach : Donc, ce matin, vous demandez que Versailles vienne plus tard ?

François Bayrou : Oui ! Et si jamais ce choix était fait, je suis sûr que l’UDF dans sa grande majorité voterait le texte de la réforme.

Jean-Pierre Elkabbach : Michèle Alliot-Marie, votre voisine dans les Pyrénées-Atlantiques…

François Bayrou : C’est mon amie ! Non, mais c’est vrai. Quelquefois on n’est pas amis, mais là on l’est. Alors on le dit.

Jean-Pierre Elkabbach : Michèle Alliot-Marie a proposé à l’automne une réunion des états-généraux de l’opposition. Vous êtes d’accord ou pas ?

François Bayrou : On va pouvoir dire des choses sérieuses. Des états-généraux, ça peut être une excellente idée à une condition : c’est que tout le monde y soit. La condition nécessaire pour que l’opposition se réunisse en états-généraux, en grande messe, c’est que tous les partis de l’opposition, les quatre principaux, y soient. RPR [Rassemblement pour la République], jusqu’à UDF naturellement, et puis RPF [Rassemblement pour la France] et Démocratie libérale.

Jean-Pierre Elkabbach : Donc que Mme Alliot-Marie amène, si elle peut, Charles Pasqua, et à ce moment-là vous êtes là !

François Bayrou : Il ne peut y avoir des états-généraux que si tout le monde est là.

Jean-Pierre Elkabbach : Le RPR va créer un contre-gouvernement à Lionel Jospin, un contre-gouvernement de toute l’opposition. Est-ce que c’est une bonne idée ?

François Bayrou : Je ne suis pas sûr que le moment soit à se partager les places. Un contre-gouvernement, ça veut dire : « Voilà le gouvernement que nous ferons dans le futur. » Je pense que la priorité aujourd’hui c’est un projet : qu’on sache de nouveau ce que l’opposition veut faire. Et, à mon avis, pour que les idées nouvelles se fassent entendre, il faut que chacun propose la cohérence de son propre projet. Et puis nous les rendrons compatibles au moment des élections dans deux ans.

Jean-Pierre Elkabbach : La presse est remplie des confidences de Lionel Jospin faites dans l’avion du retour de Tokyo : c’est l’autoportrait de Jospin. « Un dogmatique qui évolue », « un austère qui se marre », « un protestant athée ».

François Bayrou : Ça veut dire si je comprends bien : tout le contraire de tout. Je ne sais pas très bien là-dedans où est le vrai Lionel Jospin.

Jean-Pierre Elkabbach : Et vous, vous feriez votre autoportrait comment ?

François Bayrou : A huit heures et demi et en trente secondes ! Je suis un homme des racines qui cherche des voies nouvelles. Voyez que, moi aussi, j’ai deux aspects.

Jean-Pierre Elkabbach : Oui, c’est la même chose quoi !

François Bayrou : Pas tout à fait !

Jean-Pierre Elkabbach : Un décidé qui avance à coups d’hésitations.

François Bayrou : Avec moins d’hésitations qu’on ne croit.

Jean-Pierre Elkabbach : Et un gentil qui fait le dur ou un dur qui fait le tendre ?

François Bayrou : Eh bien ça, je vous laisse le choix entre les deux formules.

Jean-Pierre Elkabbach : Mais c’est pas mal, on vous a vu rougir ce matin. C’est déjà pas mal.