Texte intégral
M. CAVADA : Mesdames, Messieurs, vous attendez le face à face ; il démarre dans un instant. Auparavant, je voudrais inviter les deux grands élus de la Nation que sont Messieurs Rocard et Sarkozy à dire ce qu'ils veulent faire connaître au pays après l'attentat du RER, hier soir, à Paris, Port-Royal. Monsieur Rocard ?
M. ROCARD : Que dire ? L'horreur est à nouveau tombée sur notre pays. Un certain nombre de familles sont touchées dans leurs affections, une vingtaine de grands blessés… Je voudrais leur dire à tous mon émotion et l'indignation que tous les responsables de la Nation ressentent.
Je voudrais dire cependant une chose de plus : il y a une intention derrière cela, et ces hommes, je ne sais pas en quel étrange dieu ils croient d'ailleurs puisqu'on tue au nom d'un dieu en l'espèce, semble-t-il, mais cela les regarde… Ces hommes en tout cas ont une intention sur la France qui est de la déstabiliser ou de la mettre en déséquilibre ou en difficulté. Nous avons connu déjà depuis quelques années deux grandes vagues de terrorisme et le peuple français a réagi de manière magnifique, avec un superbe sang-froid. Ce soir, je veux redire que le sang-froid dont les Français savent faire preuve quand les choses sont très graves, je suis sûr qu'il se renouvellera.
Donc, si je suis très inquiet pour des familles et des vies en danger, je ne le suis pas pour la stabilité et la capacité de notre pays à tenir, résister. En outre, nos forces de police avaient été admirables dans la découverte et le traitement des précédents coupables. J'espère qu'elles le seront aussi cette fois-ci.
M. CAVADA : Je vous remercie. Monsieur Sarkozy ?
M. SARKOZY : Naturellement, je partage les sentiments exprimés par Michel Rocard. Comment pourrait-il en être autrement ? On peut se demander si les mots ont un sens devant des situations de cette nature. Mais si nous ne parlions pas, le silence, lui, en aurait : ce serait celui de la lâcheté. Et les mots, j'ai envie de dire d'abord de la compassion, bien sûr, pour les victimes et leurs familles, mais un peu plus que cela. J'ai envie qu'ils croient sincèrement qu'on se sent tous solidaires de ce qui leur est arrivé, parce que cela aurait pu arriver à nos proches.
J'ai envie de dire également ma révolte, mais ma révolte devant la lâcheté et la bêtise organisées en système à ce point, car ceux qui ont fait cela sont des lâches et des sots.
J'ai envie également de dire ma demande de fermeté pour trouver et pour punir les coupables et, de ce point de vue, j'ai apprécié que le Président de la République parle tout de suite comme il l'a fait. La fermeté doit tous nous réunir, il n'y a pas d'autre choix.
M. CAVADA : Je vous remercie. À présent, la marche commence.
JOURNALISTE : En 1997, la France comptera 3,5 millions de chômeurs, 3,5 millions d'hommes et de femmes victimes de la crise, menaces d'exclusion, condamnés au désespoir. Existe-t-il des solutions pour lutter efficacement contre le chômage : réduction du temps de travail, baisse de la pression fiscale, et à quel prix ?
Michel Rocard, ancien Premier ministre socialiste, et Nicolas Sarkozy, ancien ministre RPR du budget, confrontent leurs propositions et dialoguent dans la Marche du Siècle, avec 8 lecteurs de l'Express invités à trouver, eux aussi, des solutions à la crise de l'emploi.
M. CAVADA : Cette Marche du Siècle spéciale comporte en effet deux parties : d'abord le face à face entre messieurs Rocard et Sarkozy, puis celui des lecteurs de l'Express, notre partenaire, avec les deux leaders politiques de la vie publique française qui sont sur ce plateau. Voici donc le cadre de cette émission qui a un caractère spécial.
Comment la présenter ? D'abord surtout, sans doute, ne pas se résigner, c'est-à-dire ne pas se laisser glisser sur la pente de la banalisation. Banalisation dans notre pays, et c'est un risque, du débat d'idées selon lequel au fond tout ressemblerait à tout et nous, spectateurs, serions finalement tentes de nous dire : « On a tout essayé, rien ne marche, à quoi bon ? ». Danger...
Banalisation du chômage lui-même : malgré des chiffres mensuels chaotiques : tantôt c'est mauvais, tantôt c'est un peu meilleur, la ligne de pente du chômage ne cesse d'augmenter. Or le chômage, il faut ce soir, en écoutant ceux qui vont vous parler, se rappeler qu'il ne s'agit pas d'une fatalité, ne serait-ce que parce que le chômage non pas endommage, mais détraque la société. Souvenez-vous comment autour de nous, en Europe, les sociétés ont été brisées, y compris politiquement, quand on ne savait pas maîtriser l'emploi et, a contrario, le chômage que les dirigeants avaient sur les bras.
Je voudrais d'abord, pour raviver l'importance de l'interrogation, vous proposer cet éditorial, tiré d'un livre, qui n'est pas un livre forcement objectif – je n'en sais rien, vous en jugerez ; c'est en tout cas un livre d'indignation. II est sans doute en tout cas plus décapant que « pensée dominante ». Écoutez Madame Viviane Forrester.
Mme FORRESTER : On nous fait vivre dans un leurre, dans une imposture magistrale, en prétendant que nous traversons une crise qui serait temporaire, alors que nous sommes en plein dans une mutation non seulement de société, mais de civilisation. En fait, c'est la première fois, dans l'histoire planétaire, que l'ensemble des hommes n'est plus indispensable, indispensable entre autres au petit nombre qui gère l'économie et qui donc a la puissance. Et nous découvrons qu'il y avait pire que d'être exploité : c'est de n'être même plus exploitable.
Nous sommes dans une société qui est de plus en plus purement économique et on nous cache à peine que de cette économie nous sommes la dépense superflue. On tient absolument à nous faire rafistoler pourtant une ère industrielle qui est complètement révolue. On voit bien que dans les pays du G7 les plus riches du monde, mais riche ne signifie pas prospère, le chômage a doublé en 15 ans, de 1979 à 1994.
Même si les promesses de priorité à l'emploi étaient tenues, il faudrait des décennies pour retrouver une situation à peu près décente quant au travail et on sait que dans 10 ans, il y aura un milliard de plus d'individus sur terre et moins d'emplois. On sait par exemple qu'au mois de mars dernier, en 96, tous les marchés boursiers ont baissé à l'annonce du fait que le chômage baissait aux États-Unis, ce qui est discutable. Mais devant cette information, toutes les bourses ont chuté spectaculairement, et les journaux ont dit que c'était la panique face à la mauvaise nouvelle. Et pendant ce temps, en manchette, priorité à l'emploi
C'est de cette façon qu'on maintient la honte aberrante, qui ne devrait pas exister, qu'ont les chômeurs d'être au chômage, et la peur de ceux qui ont un travail de le perdre. Cette honte et cette peur font qu'ils sont exploitables, que c'est toute une population exploitable et qui est à merci. Et cette honte et cette peur devraient être cotées en bourse, parce qu'elles sont un élément important du profit, du profit dont il est toujours question, qui est au centre des préoccupations économiques et politiques, et dont on ne parle jamais.
Aux États-Unis, la première puissance économique mondiale, le Président a pu demander : « Préférez-vous du travail mal payé ou du chômage bien indemnisé ? ». Dans un pays où son ministre du travail lui-même disait que la répartition des revenus était si injuste, l'absence de protection sociale si totale, que ce ne serait pas toléré en Europe.
Je pense que la répartition autre des richesses est plus importante qu'une autre répartition du travail, et je pense aussi que les Français ne sont pas moroses. Ils sont indignés, et plutôt que la liberté des marchés, je crois qu'ils tiendraient à la liberté des hommes, à leur liberté, de ne pas seulement pouvoir survivre encore en se débattant pour le faire, mais avec la liberté de vivre et, qui sait, de demander beaucoup à la vie.
M. CAVADA : Éditorial de Madame Viviane Forrester, extrait d'un livre dont je signalerai la référence, comme tous les livres sur lesquels nous nous sommes appuyés pour faire cette émission, en fin d'émission.
Monsieur Sarkozy, une réaction ?
M. SARKOZY : J'en aurai plusieurs… C'est un pamphlet, une épopée lyrique, des formules brillantes et un peu à l'emporte-pièce, mais une fois qu'on a dit qu'il fallait réinventer la vie, qu'il fallait attendre plus de la vie, que le travail avait changé, que la société était à rebâtir, que propose-t-on ? Moi, je ne partage pas ce pessimisme, je ne partage pas ce constat. Il y a des problèmes, des problèmes graves et difficiles. Il y a des solutions pour s'en sortir ; la preuve : nombreux sont les pays du monde où ils s'en sortent. Il n'y a aucune raison pour que la France ne s'en sorte pas.
J'ajoute un mot : il y a en France environ 25 à 26 millions d'actifs qui ont un travail, plus de 3 millions de chômeurs. J'aimerais qu'on ne casse pas le système qui permet à 25 ou 26 millions de Français d'avoir un emploi parce que, dans le même temps, il faut qu'on trouve un emploi aux 3 millions qui n'en ont pas. Aujourd'hui, on a plus besoin de propositions que de descriptions épiques de ce que sont l'économie, les marchés et la vie en général.
M. CAVADA : Monsieur Rocard, une réaction à ce qu'a dit Madame Forrester ?
M. ROCARD : Je commencerai par dire que je suis d'accord avec Nicolas Sarkozy en disant qu'on a surtout besoin de solutions ; c'est vrai. Cela n'enlève rien au fait que tout ce qu'a dit Madame Forrester est exact. Les formules sont peut-être lyriques, mais elles sont tragiquement vraies, .et nous sommes en effet dans une situation ou 3,5 millions d'hommes ont honte, beaucoup d'autres ont peur. Nous allons revenir sur l'ensemble du problème, parce que malheureusement le mot de chômage ne décrit que la moitié du problème que nous avons à traiter. Il y a des gens que l'on appelle les travailleurs précaires, qu'on appelle les précaires, les RMistes par exemple, qui en font partie. Mais nous viendrons à quantifier.
En tout cas, il est clair que nous n'avons pas le droit de laisser ces choses se faire. Je suis moi aussi un optimiste, c'est même pour cela que je me bats sur une idée précise, et nous allons voir si vous allez jusqu'à l'accueillir, mais en tout cas, effectivement, ce n'est plus tolérable.
Un dernier mot : dès l'instant où l'on ne regarde pas seulement le pourcentage des chômeurs reconnus par l'administration et indemnisés comme tels, mais tous ceux qui sont les largués, les perdus de l'appareil économique, les pauvres – les statiques américaines elles-mêmes nous disent qu'il y en a 30 millions sur le territoire américain et nous avons entendu avec émotion le Président Clinton rappeler le fait qu'un enfant sur six aux États-Unis vit dans la misère –, dès l'instant où l'on regarde d'un peu plus près, on s'aperçoit qu'entre les petits boulots très mal rémunérés, au-dessous des standings sociaux, et les chômeurs, Europe, Japon et États-Unis ont fait des paris différents.
En Europe, on a un précaire pour un chômeur, et aux États-Unis il y a cinq précaires pour un chômeur. Mais il faut bien se battre contre l'ensemble et c'est le même combat.
Je rappelle les chiffres pour la France tout de même, il faut peut-être le faire : 3,5 millions de chômeurs, c'est vrai, enfin 3 100 000 dans un des dénombrements et 3 500 000 dans l'autre, vous connaissez, on n'aura pas de controverse de chiffres. Mais il faut ajouter tous les RMistes, tous les contrats emploi-solidarité, tous les SIVP, stages d'insertion à la vie professionnelle, tous les contrats d'initiative-emploi qui sont les anciens contrats de retour à l'emploi, plus quelques autres, et tout cela vous fait 4 autres millions. Nous sommes à 8 millions de Françaises et de Français, enfin d'habitants de notre territoire, qui ont décroché d'un niveau de revenus normal et d'une sécurité normale dans le travail.
Ce sont ces chiffres là qu'il faut avoir dans la tête pour savoir le problème que nous traitons.
M. CAVADA : Avant de commencer véritablement le face à face des solutions que vous préconisez l'un et l'autre, laissez-moi vous poser une petite question. Pendant des siècles, et surtout dans ce siècle industriel, des valeurs pourrait-on dire, des repères ont guidé le comportement humain dans la société économique et dans la société politique. Je pense à des choses comme le travail, la richesse, le partage, bref Puis-je vous demander de me citer 4 ou 5 de ces valeurs et surtout de me dire ce qu'elles signifient pour vous aujourd'hui ? Qu'est-ce que cela veut dire aujourd'hui quand on pense par exemple travail, pour vous ?
M. SARKOZY : Si vous me permettez, Jean-Marie Cavada, juste un mot : ce que je ne conteste pas, c'est la réalité du constat douloureux humainement. Ce que je dis, c'est que les kilomètres de pages et de livres que nous avons pour décrire ce phénomène, qui plongent un peu plus notre société et nos concitoyens dans la déprime, n'amènent rien à la solution du problème. En tout cas, nous les hommes politiques, si nous voulons être à la hauteur du mandat qui nous est confié, il faut qu'on passe à un autre système, à un autre niveau, celui de construire et pas de décrire complaisamment et en permanence les raisons d'être morose.
M. CAVADA : Mes 4 ou 5 références ?
M. SARKOZY : Je vais essayer ... Bien sur l'enjeu est difficile. Pardon, Michel Rocard, peut-être de la caricature, mais je crois profondément, moi, en la responsabilité individuelle. Je suis de ceux qui sont persuadés que la collectivité, la société n'est pas responsable de tout et que l'homme n'est responsable de rien. Je crois à la responsabilité de chacun, je crois profondément en la capacité des forces créatrices de la liberté. J'aime la liberté, je crois que la liberté est plus féconde en création de richesses que toutes les empilations de réglementations qu'on peut inventer.
Je crois au mérite ; est-ce qu'on a le droit de le dire aujourd'hui ? Je crois au travail, je crois à la récompense, je crois à l'initiative, je crois à la nécessité dans sa vie de la prise de risques et à la réhabilitation de cette prise de risques. Je crois même à la promotion individuelle et personnelle. Enfin, si j'avais à résumer cela, je crois beaucoup en ce beau mot qu'est l'équité : à chacun selon son mérite plutôt qu'en ce mot, qui a été si souvent galvaudé, celui de, l'égalité, illusoire, et qui nivelle.
Et si je pouvais faire en trente secondes le chemin inverse, je ne crois pas que l'Etat puisse faire notre bonheur, je ne crois pas que la règle et la fatalité soient l'augmentation du domaine public ou l'intervention publique, je ne crois pas au nivellement, je ne crois même pas au consensus parce que le consensus fait naître la confusion des genres. Je pense au devoir de débat, je pense qu'une démocratie mérite qu'on présente une alternance différente.
Bref, je ne suis pas socialiste et je n'ai pas l'intention de le devenir…
M. CAVADA : Ce qui n'était pas réellement une information dès votre arrivée sur le plateau ... Monsieur Rocard, quelles sont les valeurs de référence que vous avez envie de citer et que signifient-elles au jour d'aujourd'hui, tant pour la société que, pour vous-même, leader politique ?
M. ROCARD : L'ennui, quand on parle de valeurs, c'est qu'on a peu de chances de se trouver en conflit. Je suis un défenseur éperdu de la liberté. Il faut aller jusqu'au bout dans ces cas-là : j'ai été pour la liberté des Algériens devant l'occupation coloniale française. Il y a des façons de penser où on va jusqu'au bout de ces choses. J'ai été pour le droit à l'identité du peuple canaque plus que d'autres. Mais tout cela me met en plein accord avec le vocabulaire et la liste des thèmes que vient d'employer à l'instant Monsieur Sarkozy, nous nous comprenons très bien.
J'en ajouterai juste un : la règle, quand même. Le monde économique différé du monde du droit civil en ce sens que ce que nous avons de plus précieux, qu'on appelle la liberté, inventée par les Grecs et dont nous sommes tous les défenseurs, le mouvement socialiste, Monsieur Sarkozy, s'est quand même beaucoup battu. Nous avons été les combattants du suffrage universel, de la démocratie représentative, parmi les tous premiers. Nous n'allons pas regarder dans nos ancêtres respectifs, mais on ne va pas se renvoyer des choses comme ça…
M. SARKOZY : Je ne conteste pas, Michel Rocard, que dans le passé vous avez été formidable.
M. ROCARD : Le choix de 1920 entre les Socialistes et les Communistes, il était aussi un choix ferme en faveur de la liberté. Il faudrait en finir avec ces petites facilités.
Ce que je veux dire, c'est qu'il y a quelque part une escroquerie intellectuelle, pas chez vous, rassurez-vous, mais dans la société qui nous régit. Elle est la suivante : on appelle liberté le droit de faire ce que nous voulons, et c'est fondamentalement un droit de parler, de s'exprimer, de se déplacer, de ne pas avoir de passeport de travail, de se syndiquer, de participer à une association, de publier, d'écrire, de dire ou de penser. Ces libertés sont admirables, nous en sommes les défenseurs, notre pays les garantit, elles sont dans notre Constitution.
Mais tout le monde a dans la tête, cela va de soi, personne ne discute que cela ne va pas jusqu'à la liberté de cambrioler, de brutaliser, de tuer. Il y a donc des lois, des règles, une police et une justice ; c'est la moindre des choses et tout le monde en est d'accord.
Curieusement, quand on passe dans le champ économique, on nous explique que le marché n'a pas besoin de règles, que toute règle posée par la puissance publique est ipso facto non pertinente, que moins il y a de règles, et Sarkozy n'était pas loin de le dire à l'instant, et mieux le marché se porte. Cela donne les 8 millions de précaires, chômeurs compris, ou les 3,5 millions de chômeurs que nous avons en France. Je dis moi, maintenant, qu'il n'y a pas de liberté qui ne soit organisée, que l'absence de règle sur le plan de la volatilité des finances internationales, cela commence à nous fatiguer, on comprend ce que cela veut dire… Madame Forrester parlait vrai quand elle disait que la bourse baisse quand le chômage baisse, que c'est une mauvaise nouvelle pour les boursicoteurs ; c'est tout de même un comble ... On a vu cela deux ou trois fois, et peut-être dans toutes ces affaires, l'idée que nos libertés, notre responsabilité, nos capacités d'initiative, et Dieu sait si moi aussi je me suis battu pour cela, ont besoin d'être placées dans un cadre de règles collectives.
Je rassurerai Nicolas Sarkozy : le mouvement socialiste mondial fait dans la peine une révolution culturelle pour sortir de l'économie administrée. D'accord, on le sait, on aura mis du temps, mais c'est fini. Nous nous battons pour une société solidaire en économie de marché nous insistons sur l'initiative et sur la responsabilité, y compris personnelle, mais aussi collective ; l'État aussi à ses responsabilités.
J'ajoute donc à toutes les magnifiques valeurs citées à l'instant avec talent par Nicolas Sarkozy celle de la règle.
M. SARKOZY : Juste un mot...
M. CAVADA : Je vous en prie, vous êtes là pour ça. Moins j'interviens, mieux fonctionne le débat.
M. SARKOZY : D'abord une bonne nouvelle : c'est que le mouvement socialiste a fini par comprendre que l'initiative, la récompense, le mérite étaient des valeurs essentielles pour la création de richesses.
M. ROCARD : Ce n'est pas tout à fait de l'an dernier
M. SARKOZY : Presque ... Bien sûr que nous avons des valeurs communes, et heureusement encore ! Mais si j'avais d'une formule, dont j'admets qu'elle est peut-être un peu rapide, à résumer nos désaccords, est-ce que vous accepteriez cette idée selon laquelle moi je souhaite que nous nous battions pour que nos enfants, sur la ligne de départ de la vie, partent à la même heure, avec les mêmes chances ?
M. ROCARD : D'accord.
M. SARKOZY : Et je ne veux pas – attendez la fin, vous risquez d'être moins d'accord…
M. ROCARD : J'espère bien, remarquez
M. SARKOZY : Et je ne veux pas que, sur la ligne d'arrivée de la vie, on arrive tous à la même heure et dans les mêmes conditions. Autant je suis prêt à me battre de toutes mes forces pour que chacun puisse avoir les mêmes atouts pour construire sa vie, autant on doit accepter cette idée forte qui a permis la construction de nos sociétés, que nous n'arriverons pas tous dans les mêmes conditions, avec le même statut, au bout de notre vie, parce que certains se seront battus, auront pris des initiatives, auront pris des risques, auront pris des responsabilités, auront tout simplement plus travaillé que les autres.
Et je veux pour nos enfants qu'on leur garde cette part de liberté. Permettez-moi de dire que je souhaite dans les années qui viennent qu'on mette l'accent là-dessus. Je n'ai jamais été un ultra-libéral : bien sûr qu'il faut des règles, qui pourrait dire l'inverse ?
Michel Rocard, juste un mot parce que je vous demande, au début de ce débat, de faire attention : quand vous êtes d'accord avec moi, vous dites Monsieur Sarkozy ; quand vous caricaturez un peu mes positions, vous dites Sarkozy tout court. C'est un indicateur…
M. ROCARD : Absolument… Alors ce sera Nicolas Sarkozy.
M. CAVADA : Je voudrais rappeler deux points : il y a près de 3,2 millions chômeurs recensés administrativement dans notre pays, c'est-à-dire quand même 5 % de plus en un an ; 15 % des femmes sont au chômage, un quart des moins de 25 ans le sont aussi ; 37 % des chômeurs, c'est-à-dire plus du tiers, sont au chômage depuis plus d'un an et il y a dans ce pays, actuellement, environ 950 000 personnes au RMI, Revenu minimum d'insertion. Cela fait 40 % de plus qu'en 1992.
La première question que je me dois de poser à chacun d'entre vous est celle-là : est-ce qu'on peut croire encore sérieusement qu'avant un horizon de 20 à 25 ans le chômage va être sensiblement diminué, pour ne pas dire aboli ?
Et d'autre part, allons-y tout de suite, que proposez-vous pour réduire le chômage ? Monsieur Rocard ?
M. ROCARD : Alors on y va…
M. CAVADA : On y va.
M. SARKOZY : D'abord un mot sur le constat, Michel Rocard, parce que si vous rentrez tout de suite dans les solutions... Je crois qu'il est important de se demander si le chômage est une fatalité. Je souhaite que Michel Rocard s'exprime là-dessus et je souhaite pouvoir dire un mot sur ce sujet-là.
M. ROCARD : Commencez donc…
M. SARKOZY : Je ne veux pas être discourtois…
M. ROCARD : Cher Nicolas, puisque vous ne voulez pas qu'on vous appelle Sarkozy…
M. SARKOZY : Cela va se terminer mal.
M. CAVADA : Vous n'allez pas faire le coup du cher Nicolas... Je vais dîner si c'est cela… Je vous en prie, Monsieur Rocard.
M. ROCARD : Gardons le sourire… Je ne sais pas comment nous pouvons différer sur les diagnostics. D'abord un détail sur les chiffres que l'on publie aujourd'hui : vous avez été prudent, Jean-Marie Cavada, en les présentant. La France a maintenant préservé son ancien mode d'évaluation administrative à elle qui était différent de celui du Bureau international du travail, mais a décidé de procéder aux deux ; nous avons donc chaque mois les deux statistiques. Elles nous donnent en ce moment 3 100 000 chômeurs au titre des statistiques du Bureau international du travail façon Genève, et 3 500 000 dans les nôtres propres. C'est un traitement différent de l'information. Mais comme les types qui sont en formation et qui ne sont pas chômeurs devant le BIT vont s'y retrouver dans moins de 6 mois, on peut considérer que c'est le chiffre de 3,5 millions qui est le chiffre lourd.
J'ajoute pour ma part que, au-delà même des RMIstes que vous avez ajoutés, vous avez raison, et ils frisent le million, vous avez 900 000 contrats emploi-solidarité et vous avez toutes les autres situations de travail aidées par la puissance publique pour une durée courte et à des salaires de quasi misère. Cela fait 4 millions. Les gens qui n'ont pas trouvé en France une rémunération convenable dans un métier convenable sont 8 millions. C'est cela le problème.
Par rapport à ce diagnostic-là, bien sûr il faut s'occuper des chômeurs patentés, mais nous avons à prendre toute cette capacité de notre appareil productif à chasser des travailleurs ou à ne les accepter que très, très mal payés, c'est-à-dire restant rentables par rapport à la mécanisation qui se produit partout.
M. CAVADA : Je reviens donc sur ma question, Monsieur Rocard : peut-on croire qu'on connaît la solution, ou les solutions, pour que le chômage, pour ne parler que de lui, diminue, alors qu'on a essayé alternativement toutes formes de politiques et que finalement, après quelques chiffres chaotiques la courbe générale n'a cessé de croître, ce qui est quand même profondément alarmant, désespérant ? Et quelles sont vos solutions, Monsieur Rocard ?
M. SARKOZY : Je n'ai pas répondu sur le constat.
M. CAVADA : Je vous en prie…
M. SARKOZY : Je veux dire, parce que cela me semble important, à ceux qui nous écoutent, aux lecteurs de l'Express qui sont ici, que je ne crois pas à la fatalité du chômage…
M. ROCARD : Moi non plus.
M. SARKOZY : … et je voudrais essayer, dans le courant de cette émission, de ce débat, de le démontrer. Mais il y a une preuve dont on ne parle pas suffisamment : c'est que si on regarde les pays développés dans le monde, je ne parle pas des pays en voie de développement qui ont une structure sociale si différente de la nôtre, ces pays développés, dont les civilisations sont voisines de la nôtre, dont le chômage régresse sont en nombre plus important que les pays développés ou le chômage augmente.
Que vous alliez aux États-Unis, en Australie, au Canada – petit pays, le Canada, qui l'an passé a créé plus d'emplois que l'Allemagne, la France, l'Italie et l'Angleterre réunis, 30 millions d'habitants que vous alliez même en Europe, en Angleterre, j'aurai l'occasion et nous aurons l'occasion de débattre des systèmes, dans toutes les zones développées du monde, le chômage régresse et parfois de façon spectaculaire. Parlons de la Hollande, parlons même du Danemark. Il n'y a donc pas de fatalité qui fait que les Français soient condamnés à un niveau si élevé de chômeurs.
Deuxième élément : est-ce qu'il restera toujours des chômeurs ou est-ce qu'on pourra arriver à un niveau de chômage 0 ? Je ne crois pas qu'on arrivera jamais à un niveau de chômage 0. Mais plus important que le nombre de chômeurs, et j'aimerais essayer de faire passer cette idée même si elle peut paraître choquante à première analyse, c'est la durée moyenne du chômage. J'affirme qu'il est plus grave pour notre pays d'avoir un million de nos concitoyens au chômage depuis plus d'un an que d'avoir trois millions de nos concitoyens au chômage qui ne resteraient au chômage que quelques mois ou quelques semaines. Nous devrions nous préoccuper beaucoup plus de la durée moyenne du temps où l'on reste au chômage que du nombre de chômeurs. Cet indicateur de la durée moyenne est un indicateur d'exclusion, qui bouleverse les réalités humaines.
M. CAVADA : Monsieur Rocard, entrons dès que vous le souhaitez, c'est-à-dire le plus vite possible, dans les solutions.
M. ROCARD : Sur le diagnostic, très vite, je ne peux pas accepter une conversation dans laquelle on ne parle que des chômeurs en oubliant les précaires. Le sixième des salaires offerts sur le territoire américain est offert en-dessous, bien en-dessous : 20 ou 30 %, de ce que chaque État américain définit comme le niveau légal de la pauvreté. 35 millions d'Américains n'ont pas de couverture maladie et 30 millions d'Américains sont définis comme dans la pauvreté. Autrement dit, ils ont déverrouillé vers le bas, si vous voulez, toutes les sécurités du travail en termes de salaires. Le salaire moyen aux États-Unis a baissé de 20 % depuis 20 ans.
M. SARKOZY : Non, non.
M. ROCARD : Si, si, ces statistiques sont publiques et le ministre américain du travail en a été le meilleur commentateur.
M. SARKOZY : Sur ce point, vous avez partiellement raison, c'est vrai…
M. ROCARD : Alors laissez-moi continuer.
M. SARKOZY : Juste un point très important : je ne suis pas un admirateur de la société américaine par principe…
M. ROCARD : Moi, j'en suis un parfois.
M. SARKOZY : Il est vrai que les Américains ont fait le choix d'une hausse modérée des salaires ; les salaires aux États-Unis ont augmenté sur les 15 dernières années de 6 %, de 36 % en France ; mais dans le même temps, le nombre d'emplois mis à la disposition de la population américaine a augmenté de 20 %, alors que malheureusement il a diminué en France. Ils ont fait un choix, qui n'est pas celui que j'aurais fait complètement, mais qui n'est pas sans signification quand même. On ne peut pas se contenter de dire qu'en France ceux qui ont un emploi ont des salaires qui sont sensés augmenter et dans le même temps accepter qu'il y ait de plus en plus de nos compatriotes qui n'aient pas d'emploi.
M. ROCARD : Il faut que nos amis téléspectateurs y comprennent quelque chose. Vous venez de reprendre mes chiffres, sauf que vous les avez pris en nominal au jour le jour : 36 % de hausse des salaires en Europe sur 15 ans, 6 % aux États-Unis. Défalquez de la hausse du dollar et vous êtes sur ce que je disais Donc nous sommes d'accord... Si, parce qu'il y a de l'inflation quelque part ; les gens savent que les prix montent.
M. SARKOZY : La, c'est Polytechnique tendance Mines.
M. ROCARD : Non.
M. SARKOZY : Pour quelqu'un qui est payé en dollars et qui fait ses courses aux États-Unis…
M. ROCARD : Nicolas Sarkozy, je vous en prie, il faut quand même être un peu sérieux
M. SARKOZY : ... le yoyo du cours du dollar ne gêne rien.
M. ROCARD : Ce n'est pas une affaire de yoyo, tous les ans les prix montent. Quel est le téléspectateur qui douterait que tous les ans les prix montent ? Il y a donc deux manières de comparer les prix sur la longue durée : ou bien vous les comparez comme ils évoluent, cela s'appelle en nominal ; ou bien vous faites chaque année la différence de l'indice et vous avez le chiffre : 36 % en Europe, 6 % aux États-Unis sur 15 ans, vous enlevez la hausse des prix et vous retombez sur le fait que le salaire moyen aux États-Unis – je vous l'ai donné sur 20 ans, vous le prenez sur 15 – a baissé de 20 %. C'est un choix de société.
Je dis tout net que de ce choix de société je ne veux pas parce qu'il laisse 20 % de la société dans la précarité. Et c'est là le problème : nous nous battons contre les deux. Donc il faut en sortir.
M. CAVADA : Vous travaillez depuis un certain nombre de mois, si ce n'est d'années, sur la réduction du temps de travail. Beaucoup d'expériences sont faites, notamment depuis la loi Robien qui leur a fourni un cadre légal dans le pays. Certaines avortent, d'autres au contraire fonctionnent bien. Je voudrais que vous nous expliquiez vos propositions puisqu'au fond c'est la base de votre raisonnement pour faire baisser le chômage.
M. ROCARD : Tout à fait. Une phrase encore avant ...
M. CAVADA : On y va après, c'est promis ?
M. ROCARD : Oui, tout à fait, je n'attends que cela. Mais un détail de plus quand même : France par rapport au reste de l'Europe. Toute l'Europe a fait le choix de protéger plutôt le statut du travail : le salaire ne baisse pas, la protection sociale reste là, et le contrat principal demeure le contrat à durée indéterminée. Je trouve que c'est un choix de société meilleur : cela fait plus de chômeurs et moins de précaires.
Mais il y a des différences entre nous, qui sont pour l'essentiel dues à la démographie. Depuis 35 ans, nous avons beaucoup plus d'enfants, même si nous ne renouvelons pas tout à fait nos générations, que tous les autres pays d'Europe. Chaque année en Allemagne, la génération de jeunes qui arrive et qui cherche du travail est moins nombreuse que celle qui s'en va ; le chômage des jeunes n'augmente pas même s'il n'y a pas un emploi nouveau. Pour garder le même pourcentage de chômage parmi les jeunes, il nous faudrait 300 000 emplois nouveaux par an.
Même chose avec la Grande-Bretagne : lors d'une visite du Président Chirac, l'an dernier, Monsieur Major se permet d'ironiser auprès du Président Chirac en lui disant : « Mon pauvre ami, comme cela doit être désagréable d'avoir 12 % de chômeurs ! Faites comme nous : baissez vos impôts, on n'a que 7 % de chômeurs ». Oui, mais il comparait sur 5 ans, 90-95 : en France, plus d'un demi-million de personnes d'âge actif et en Angleterre moins 400 000. En plus, vous avez 22 % de temps partiel en Angleterre contre 15 % seulement en France. Et les deux vous donnent la différence.
Donc nous sommes plus chargés en chômage parce que nous avons plus de jeunes, y compris par rapport à la Hollande que je connais bien, que j'admire beaucoup et qui se débrouille d'ailleurs un peu mieux que nous là-dessus, mais qui a tout de même une démographie moins dangereuse à cet égard, si c'est moins porteuse d'avenir.
L'essentiel est d'en sortir. Je pense que dans l'état actuel de nos économies, à 3 % de croissance par an, or nous ne les avons pas, le chômage se stabilise à peine, il augmente un peu. Il ne diminuerait que si nous atteignions une croissance à 4 % miracle, on a vu cela il y a 7 ans…
M. CAVADA : Il faudrait combien de temps pour en venir à bout ?
M. ROCARD : 30 ans. Par conséquent, il faut faire autre chose et l'autre chose est chirurgicale : il faut bien sûr traiter la fiscalité qui est toujours incitatrice à mécaniser, à chasser les gens ; il faut améliorer la formation professionnelle bien sûr. Personne ne croit qu'une seule mesure pourrait suffire, ce serait stupide, mais il en faut une plus grosse que les autres, et elle consiste à pousser à une réduction massive de la durée du travail.
Curieusement, cette idée, sur laquelle nous nous battons depuis 4 ou 5 ans maintenant fermement, qui enfin est passée dans le mouvement syndical français qui a beaucoup hésité avant de la retenir, cette idée est retenue par une partie de la majorité à laquelle vous appartenez, Nicolas Sarkozy, et qui a voté, un peu contre le gré du Gouvernement, il faut dire les choses comme elles sont, la Loi Robien il y a peu de temps.
Cette loi ne joue pas pour toute l'économie, il faut aller la chercher, elle ne fait pas une pénalisation à ceux qui maintiennent un horaire trop fort, ce n'est pas mon système. Mais au moins elle a crevé le tabou et elle montre que les accords qu'on passe créent de l'emploi. Moi je dis qu'il faut un système généralisé à toute l'économie française et je suggère qu'on abaisse beaucoup le taux des cotisations sociales, en dessous des 30 premières heures, ou de 32, l'étude le dira, qu'on l'augmente beaucoup au-dessus, avec deux idées dans la tête : ne pas mettre la sécurité sociale en déficit, que les entreprises qui ne changeraient ni leur durée ni leur effectif continuent à payer la même cotisation sociale, et que…
M. CAVADA : Encore plus clairement, encore plus simplement exprime pour nous qui n'avons pas tout ce temps d'étude que vous avez réalisé là-dessus, cela veut dire que vous réduisez autoritairement la durée du temps de travail ?
M. ROCARD : Non, il faut changer un barème.
M. CAVADA : D'autre part, de combien ?
M. ROCARD : Vous changez un barème, point. Au lieu d'avoir un seul taux de cotisation sur le salaire, le mien, le vôtre, il y en a deux : un taux sur les heures en-dessous de 30 et un taux très élevé sur les heures au-dessus de 30. Et c'est tout. La loi annonce que dans deux ans on va baisser la durée maximale hebdomadaire de 39 heures ou elle est maintenant à 35. Mais avant on regarde ce qui se passe, et toute entreprise qui baisse sa durée du travail de la durée qu'elle choisit en négociation avec son personnel, et non pas d'une durée obligée, et qui le fait à son rythme et pas comme tout le monde, gagne des sous puisqu'elle va payer moins, et elle les met à la disposition de la négociation pour dire de combien on compense les pertes de salaires : 85, 90, 95, 100 % pour les petits salaires, on peut le faire.
M. CAVADA : Alors que vous suggère cette proposition, Monsieur Sarkozy ?
M. SARKOZY : Vous avez vu comme c'est simple et comment il faut s'accrocher pour comprendre le mécanisme…
Je dis à Michel Rocard que le principe de la réduction du temps de travail, je suis comme les autres, je trouve cela plutôt sympa : si c'est pour aller à la pêche, partir en vacances, se cultiver, aller au cinéma, avoir plus de temps pour sa famille, qui pourrait être contre ? Mais moi, je ne participerai pas à ce débat qui ferait croire aux Français que, parce qu'une mesure généralisée de diminution du temps de travail serait retenue, on créera des emplois.
Vous m'avez bien compris : ce n'est pas le principe de la réduction du temps de travail pour lequel je milite, puisque c'est inscrit dans le progrès de la technique ; c'est l'idée selon laquelle on aurait trouvé l'oeuf de Christophe Colomb, la mesure magique. Finalement, il y a deux tendances : il y a ceux qui vous expliquent qu'il suffit de dévaluer la monnaie et on n'a plus besoin de faire d'efforts, et il y a les autres, pas Michel Rocard mais ses amis socialistes, qui vous expliquent qu'il suffit de baisser le temps de travail et on pourra créer des emplois.
Mais bon sang ! Souvenons-nous de ce qui s'est passé en 1982 ! Ce n'est pas loin, 1982, c'est hier... Vous vous souvenez, les 39 heures payées 40 : dans l'instant, on a pris 200 000 chômeurs de plus. J'ajoute que sur les pays de l'OCDE qui appartiennent au G7, nous sommes avec l'Allemagne le pays ou la durée annuelle du temps de travail est la plus faible. Comment se fait-il que nous soyons dans le même temps celui où le nombre de chômeurs est le plus important ?
J'ajoute encore qu'il faut faire très attention à ce qu'on dit. On a tellement raconté de bêtises aux Français sur le sujet du chômage qu'attention : les jeunes rentrent sur le marché du travail de plus en plus tard, et c'est heureux car ils font des études, et les moins jeunes sortent de plus en plus tôt, parfois à 50 ou a 55 ans, du marché du travail puisque les pré-retraites se généralisent ; elles sont justifiées pour certains métiers pénibles, elles ne sont pas justifiées pour tout le monde. En plus, nous autres Français, nous gagnons une année d'espérance de vie tous les 4 ans.
Alors je pose une question : si les jeunes se mettent à travailler de plus en plus tard, et cela ne s'améliorera pas puisque, tant mieux, ils peuvent faire des études et seront mieux formés, si les moins jeunes s'arrêtent de travailler de plus en plus tôt, si nous, en moyenne, nous vivons de plus en plus vieux, si en fin de compte à l'intérieur de l'omelette on travaille de moins en moins longtemps, qui paiera nos retraites ? Qui paiera notre protection sociale ? Qui paiera les frais médicaux pour nous assurer une bonne santé ?
Je dis tout de suite que dans cette affaire je ne pourrais l'accepter que si on avait le courage de dire aux Français : « Mes chers amis, vous pourrez peut-être travailler moins dans l'année, peut-être même la semaine de 4 jours, mais il faudra poser la question la question de l'âge du départ à la retraite ». On ne peut pas avoir le beurre, l'argent du beurre et le sourire de la crémière, surtout dans une affaire, j'espère qu'on en parlera plus tard, oui il y a bien d'autres solutions pour trouver les voies et les moyens de faire autre chose, Michel Rocard, que le partage de la pénurie.
J'aimerais tellement qu'on se pose la question de la création d'emplois et non pas du partage d'un nombre donné, administrativement fixé, d'emplois.
M. CAVADA : Allez jusqu'au bout de ce que vous semblez suggérer, Monsieur Sarkozy. On a l'impression que vous pensez que la réduction du temps de travail, telle que la propose Monsieur Michel Rocard, c'est au fond un partage, les bras ballants, de la pénurie de travail. Est-ce que c'est cela que vous pensez ?
M. SARKOZY : Enfin, c'est pire et mieux, parce que Michel Rocard a un système qui est beaucoup plus astucieux que cela, mais je le laisse l'expliquer lui-même. Mais pire en même temps, parce que ce n'est pas Michel Rocard qui le dit, mais imaginez ceux qui nous écoutent ! Bref, son système consiste à dire : « à moins de 32 heures, je vous réduis vos cotisations sociales et à plus, je les augmente ». C'est un peu cela.
Mais cela me laisse à penser que ceux qui travailleraient plus de 32 heures, je pense notamment aux cadres dans les PME, ça bosse ! et ce n'est pas les 32 heures, les 39 ou 40, quand il faut satisfaire les clients... ça laisse à penser qu'on aurait trouvé les responsables du chômage : ce sont ceux qui travaillent trop.
Vous imaginez les ravages que cela pourrait poser !
J'ajoute que, de tous les pays qui créent des emplois, il n'y a aucun qui a ce débat qui consiste à dire : « Travaillons moins, on gagnera plus ». Mais aucun. En revanche, cela les fait bien rire.
M. CAVADA : Michel Rocard.
M. ROCARD : C'est fou ce que Nicolas Sarkozy est convaincant dans l'idée que l'on ne peut rien faire. Et je ne suis absolument pas prêt à me contenter de cela, vous vous en doutez !
Cela fait 4 ans que votre Majorité gouverne, 4 ans pendant lesquels le chômage a augmenté d'un bon 18 ou 20 %... Il va falloir passer à une chirurgie plus vigoureuse.
Vous avez dit tout à l'heure une ÉNORMITÉ par rapport à ce sur quoi nous travaillons, et moi notamment…
M. SARKOZY : ... vous êtes resté bien calmement…
M. ROCARD : ... qui est administrativement déterminé : il s'agit précisément, leçon de la maladresse de 1982 apprise, de créer un système dans lequel la réduction du travail se fait par négociation dans chaque entreprise, à son rythme, pour arriver à la durée qu'elle choisit. Il y a juste un barème, c'est comme l'impôt, mais vous êtes au-dessous, en-dessous, peu importe ! C'est votre commodité dans la négociation.
Le système n'oblige en rien les entreprises à adhérer toutes au même niveau, sauf à respecter un plafond d'horaire maximal qui va, dans 2 ou 3 ans, passer à 35 heures – de toute façon on ira – et qui n'oblige pas non plus à mettre tout le monde au même horaire.
De tout temps des cadres, des responsables ont travaillé plus que le personnel d'exécution. De tout temps. Je suppose d'ailleurs, si on se regardait vivre, cela doit être votre cas comme le mien par rapport aux horaires normaux du salarié de l'industrie ou du commerce d'aujourd'hui. De tout temps. Ce n'est pas un argument et ce, n'est pas de là que vient le chômage.
Ce qui est bizarre, c'est qu'on n'arrive pas – c'est la difficulté culturelle que je rencontre pour faire passer le problème – à obtenir que les gens réfléchissent en heures de travail par an et pas en homme/année. Il faut que l'on travaille plus, on a besoin de croissance.
Comment pouvez-vous vous permettre de penser que j'aurais dans l'idée que je propose : que, si dans les 33 milliards d'heures de travail qui sont offertes chaque année en France, on se débrouillait pour les partager mieux en les donnant à tout le monde, cela impliquerait l'idée que ces 33 milliards d'heures de travail doivent rester stagnantes ! Je vous prie ! Fausse est logique et stupidité profonde, excusez-moi !
L'histoire du monde est à la fois celle de la croissance et celle de la baisse de la durée du travail.
Il faut tout de même se souvenir un peu. Quand on a inventé la machine à vapeur, la courroie de transmission, la société anonyme, bref, le capitalisme. Cela a commencé sauvagement et nos arrière arrière-grands-parents travaillaient 4 000 heures par an en 1830, 15 heures et demie, 16 heures par jour, 6 jours par semaine, sans congés payés. Naturellement, on s'est battus. Bataille syndicale, le 1er mai est la Fête du combat ouvrier pour la réduction de la durée du travail.
On n'était plus, les lois, les batailles, les succès, les victoires des conventions collectives dans beaucoup de pays, la loi chez nous, qu'à 3 000 heures au tournant du siècle.
On est à 2 000 heures à la fin de la guerre, en gros, 48 à 65. Ça descend doucement jusqu'à 1 600 heures où nous sommes maintenant, mais cela a cessé de baisser depuis 15 ans. Et depuis que la durée du travail a cessé de baisser, eh bien le chômage a doublé !
Pourquoi je dis cela ? Je dis cela parce que, pendant ce mouvement de baisse, les salaires ont été multipliés par 7 depuis le début du siècle.
Autrement dit, tout au long de l'histoire, Nicolas Sarkozy, on a baissé la durée du travail et affecté les gains de productivité à la compensation des salaires et même à leur augmentation.
Alors, Jean-Marie Cavada, c'est un secret qu'on a perdu. Il faut le retrouver.
Je pense d'ailleurs que si cela devient une préoccupation dominante dans tous les esprits, cela se fera petit à petit tellement le mécanisme est naturel, – la preuve, on l'a vu depuis 150 ans ! – simplement trop lentement, et puis maintenant on met le paquet : 8 millions de précaires, moitié chômeurs, moitié vrais précaires devant le travail. On est donc obligé à une marche d'escalier.
Pourquoi est-ce que je propose cela et d'où vient l'argent ? Simplement il ne faut pas oublier que les chômeurs, on les aide… mal, mais on les aide. Et on paie chaque année 120 à 130 milliards d'allocations de chômage. Ils restent bénéficiaires de la sécurité sociale, c'est bien le moins d'ailleurs ! Mais ils ne paient plus de cotisations, ce qui est aussi bien le moins ! Mais cela coûte 150 milliards. Nous voilà à 270. Toute la formation que l'on fait en plus pour eux, c'est une cinquantaine de milliards, nous voilà à 320, et vous ajoutez les pré-retraites, nous voilà à 350 milliards de francs pour, au fond, rien du point de vue du travail.
Qu'est-ce que je me borne à dire et à vous proposer que, d'ailleurs, Monsieur de Robien a compris, simplement il n'en a pas fait un mécanisme général, il n'en a fait qu'un petit mécanisme partiel dans un coin, écoutez bien, petit miracle : si le chômage baisse, la sécu et l'ASSEDIC, bref l'État, paient moins. Si le chômage baisse, l'État paie moins. Cet argent-là – on ne va pas augmenter le déficit mais on ne va pas non plus le combler sur ce problème-là –, on le met dans les entreprises pour compenser la perte de salaire et rendre possible le mécanisme d'un meilleur partage du travail.
Et c'est tout sauf malthusien, parce que je vais vous dire autre chose : vous aimez l'initiative et la responsabilité, moi aussi. Qu'est-ce que je découvre ? Une économie française dans laquelle personne ne bouge. Tout ouvrier qualifie, tout cadre a peur du licenciement et d'être à la porte. Vous avez une inhibition générale. Et si le chômage baissait fortement d'un coup, vous retrouveriez une renaissance.
Pourquoi les Brioches Pasquier ? Yves Rocher, 240 emplois, accord signé la semaine dernière sur la base de la loi de Robien. Pourquoi croyez-vous qu'ils font cela ? Ils arrivent à 32 heures. Ça les fait les emplois, ils y sont. Ça marche !
M. SARKOZY : On peut dire un mot ?
M. ROCARD : Bien sûr ! Pour cela !
M. SARKOZY : Parce que dans le genre « fresque », 20 sur 20. Impeccable. Et j'ai bien noté que vous vous inscriviez dans la longue tradition du mouvement révolutionnaire français et que vous étiez contre les « 100 familles », etc.
Qu'est-ce que cela amène à ceux qui nous écoutent pour ce qui va se passer dans les 10 ou 20 ans qui viennent ? Je ne me tourne pas dans les 50 ans passes, peu importe ! L'histoire de notre pays…
M. ROCARD : ... Il faut défendre des valeurs. Il faut comprendre des mécanismes pour jouer maintenant…
M. SARKOZY : Honnêtement, si l'on pouvait raccourcir la partie « exposé » et venir à la partie « conclusion », ce serait mieux ! Je ne crois pas que la réduction généralisée du temps de travail pourra amener une création d'emplois.
Sur la loi de Robien, ce qui me gêne dans cette affaire – il faut avoir le courage de le dire –, c'est qu'on prend de l'argent public, de l'argent du contribuable, pour subventionner artificiellement des emplois, ce qui amène à décourager d'un autre côté des emplois qui auraient pu être créés.
J'aimerais tellement qu'en France on comprenne que le principal frein à l'emploi, pas le seul, mais le principal, c'est le niveau des charges, le niveau des impôts, le niveau des complexités administratives, le niveau des réglementations qui fait que, quand on veut créer une petite entreprise, on ne peut pas.
Quel sera le gisement d'emplois demain ? C'est dans la création des petites et moyennes entreprises. Or, toute notre démarche consiste à sauver artificiellement des emplois, que nous n'arriverons pas à sauver car dans 2 ou 3 ans ils disparaîtront. On aura, en attendant, augmenté les impôts et les charges et découragé la création d'emplois de l'autre côté.
La réduction du temps de travail comme amélioration de la condition générale de vie, mais bien sûr ! Mais la réduction généralisée du temps de travail comme possibilité de création d'emplois, cela ne marchera pas, cela n'a jamais marché en France et cela n'a marché dans aucun autre pays.
Et si vous me permettez, Jean-Marie Cavada, de terminer là-dessus…
M. ROCARD : Ce n'est pas vrai ce que vous dites…
M. SARKOZY : Si vous me permettez juste un mot : j'aimerais qu'on n'utilise pas, ce que nous adorons, nous autres Français, la spécificité française comme un prétexte pour nous exonérer des efforts que font les autres, en général plus tôt, plus et mieux que nous, et qui leur amènent des succès considérables.
Je ne peux pas me résoudre à ce que la France soit, en Europe, l'un des pays où le chômage est le plus élevé.
M. CAVADA : À ce jour, Monsieur Sarkozy, que préconisez-vous comme solution pour faire baisser le chômage dans notre pays ?
M. SARKOZY : Deux solutions, me semble-t-il, sont incontournables : la première, c'est la fiscalité, la baisse des impôts…
M. CAVADA : La baisse des impôts, des particuliers, des sociétés ?
M. SARKOZY : La baisse des impôts à la fois de l'impôt sur le revenu, parce que c'est peut-être là où je différerai avec Michel Rocard, c'est qu'il n'y a pas historiquement d'économie prospère sur une classe moyenne désespérée. Lorsqu'une classe moyenne, ceux qui sont trop riches pour être pauvres et trop pauvres pour être riches, n'a pas le sentiment de disposer de la juste part de ce qu'ils ont gagné et de ce qu'ils ont bâti, eh bien l'économie déprime : vous n'avez plus personne pour acheter des appartements ; vous n'avez plus personne pour dépenser ; vous n'avez plus personne pour faire tourner l'industrie du textile et l'industrie de l'automobile.
J'ajoute que, dans mon esprit, c'est également la T.V.A. : je ne vois pas la fatalité qui ferait, qu'alors qu'on ne cesse de nous parler de la nécessité de faire converger les politiques allemandes et les politiques françaises, que nous ayons plus de 5 points de TVA de plus que nos partenaires allemands. C'est le premier dossier.
Mais il y en a un deuxième, et j'ai bien conscience qu'il est difficile, parce que c'est plus difficile de venir ici pour dire : « Écoutez, je suis désolé, si vous voulez du boulot pour vos enfants, il faudra travailler. Et si vos enfants veulent réussir, il faudra qu'ils se retroussent les manches ». Là, j'ai bien conscience de ne pas être dans l'air du temps, et pourtant je le dis. Et je le dis pour une raison très simple, c'est que je le crois.
Mais il y a autre chose : je veux poser le problème dit de la flexibilité.
Oh ! que n'a-t-on dit sur le sujet ! Je vois déjà les rangées d'idéologies, les absurdes défilés en régiment pour dire : « Mais comment ? Mais quoi ? Mais qu'est-ce ? La précarité, vous n'y pensez pas ! ». Ceux qui disent cela, ne sont en général pas ceux qui sont au chômage. Je ne me résous pas à l'idée que nos compatriotes préfèrent une indemnité du chômage, dont je rappelle qu'elle est parfaitement précaire, a un contrat de travail lui-même à durée déterminée.
Et je ne vois pas pourquoi cela ferait partie des grands acquis sociaux qu'il ne faudrait pas bouger, qu'un chef d'entreprise n'aurait pas le droit de faire un contrat de travail à durée déterminée supérieur à 18 mois, au nom de quoi ?
Moyennant quoi, tout un tas d'artisans ou types qui commencent leur entreprise, qui ont quelques employés, vont se dire : « Ça va pas ! Je ne vais pas embaucher parce que, sinon, quand mon carnet de commandes va reculer, je ne pourrai pas m'en sortir. »
Je dis que le problème de la flexibilité doit être traitée en France sans idéologie, avec pragmatisme, et permettez-moi de le dire, avec le souci d'expérimenter. Et c'est peut-être, d'ailleurs, un point ou je rejoindrais Michel Rocard…
M. CAVADA : Jusqu'où va votre souci de faire changer les règles du travail et donc d'avoir une « meilleure » flexibilité ? Cela touche quoi ? Cela touche les contrats, cela touche les licenciements ? Cela touche quoi ?
M. SARKOZY : Cela touche essentiellement tout ce qui fait que l'on pourrait créer beaucoup plus d'emplois dans notre pays et qu'on ne le fait pas.
Je ne milite pas pour que les gens puissent sortir plus vite et plus rapidement de leur entreprise ; je milite pour qu'ils puissent y rentrer mieux et plus vite. C'est cela l'enjeu !
Permettez-moi de dire : « Qu'est-ce que ça fait si dans telle branche, si dans telle région, simplement on essayait de voir si ça marche ? ».
Pourquoi cela marche-t-il partout ailleurs et cela ne marcherait pas chez nous ?
Pourquoi serait-on condamnés à avoir un arsenal législatif qui nous enserre dans des règles d'ailleurs que plus personne ne comprend… parce que amusez-vous à regarder le code de l'urbanisme, le code du travail, le code pénal… vous savez en France on a résolu le problème : on a mis une grande phrase au démarrage de tous nos codes : nul n'est censé ignorer la loi. Je mets au défi qui que ce soit de la comprendre et de la connaître ! À force de vouloir protéger tout le monde, on finit par pénaliser tout le monde.
Alors, on me dit : « Tu sais, Nicolas, il ne faut pas trop en parler parce que cela effraie les gens », oui, à force d'effrayer les gens, eux, ils sont effrayés vraiment, mais par quoi ? Pas le fait que le chômage, par vague successive, continue à augmenter et que, nous, nous tournons le dos à des solutions qui sont expérimentées partout ailleurs. Et s'il n'y pas des hommes politiques qui sont capables d'assurer leurs convictions, de les assumer, et de dire cela avec un minimum de colonne vertébrale, comment voulez-vous que ce problème soit résolu !
M. CAVADA : On a affaire, là, a deux conceptions vraiment radicalement différentes de la relance de l'emploi, quel est votre sentiment sur ce que vient de dire Monsieur Sarkozy, Monsieur Rocard ?
M. ROCARD : Après la formidable tirade que nous venons d'entendre...
M. CAVADA : Cher Michel Rocard, il ne dépend qu'à vous de l'abréger. Je vous en supplie, ne me laissez pas faire votre travail !
M. ROCARD : Non, non, c'est à vous de couper…
M. CAVADA : Non, non, je n'aime pas cela.
M. ROCARD : Nicolas Sarkozy vient de dire : « baisse artificielle », c'est fou !
À Lille, une entreprise de bâtiment qui s'appelle Rameau-Dutilleul, avait 650 emplois et des difficultés. Elle devait en licencier 10. On tombe sur la loi de Robien – je regrette simplement qu'elle ne soit pas assez générale, je vous l'ai dit, mais elle marche dans le même sens on passe à 32 heures, les salaires sont préservés. On s'aperçoit que, passant à 32 heures, la gestion des chantiers est plus souple, donc on économise plus qu'on ne croyait sur les chantiers : 70 embauches.
La Redoute : on est passés à 32 heures pour tous les travailleurs. Chacun travaille 4 jours. Mais, au total, ces 4 jours sont répartis sur 5 jours et demi pour la durée de temps de l'entreprise. On n'a embauché que 5 % de travailleurs en plus, ai-je lu, donc on n'est pas tout à fait dans toute la loi de Robien. Mais grâce à ce passage à 4 jours, la vitesse de réponse aux clients est passé de 48 heures à 24 heures. Donc l'entreprise a gagné en performance, en rapidité.
J'en ai comme cela une quinzaine... artificielle ! Je vous en supplie, regardez !
Prenons la grosse teinturerie d'à côté : Dicomi. Je suggère qu'on lui facilite la vie avec une tarification : vous voulez baisser les charges ? Je lui propose qu'on les baisse. On commence par les charges. Pourquoi ne pas commencer par-là ! Je suis aussi pour la baisse de tout ce que l'on peut baisser. En matière de prélèvements obligatoires, commençons par ceux qui pénalisent l'emploi.
Les charges, vous l'avez dit, je propose de le faire. Et puis pour vérifier que cela va à la baisse, on surcharge dans le haut de la gamme pour avoir des tarifs de cotisations…
M. SARKOZY : ... ils sont payés combien ceux qui travaillent moins ? Si je passe de 39 à 32, je suis payé 32 heures ?
M. ROCARD : Vous gardez le même salaire.
M. SARKOZY : Je garde le 39 ou je garde le 32 ?
M. ROCARD : Vous gardez le salaire à 39.
M. SARKOZY : Ah ! très bien. Donc je travaille 32 heures, je suis payé 39 heures.
M. ROCARD : Oui.
M. SARKOZY : Et en plus on baisse mes charges ?
M. ROCARD : Il n'est pas sûr que vous y alliez d'un seul coup, encore que…
M. SARKOZY : ... j'aimerais comprendre !
M. ROCARD : ... si vous me coupez tout le temps… encore que les deux entreprises, que je viens de vous citer, viennent de le faire.
J'imagine Il teinturerie d'à côté, Dicomi…
M. SARKOZY : D'accord. 39 heures… 32…
CAVADA : Je peux faire une petite observation : il n'y a vraiment aucune teinturerie dans le quartier à un kilomètre à la ronde.
M. ROCARD : Ce n'est pas grave.
M. CAVADA : C'était pour détendre.
M. ROCARD : Mais il y en a dans le mien.
M. SARKOZY : Ce que je veux comprendre, c'est : est-on payé 39 ou 32 ?
M. ROCARD : J'y viens.
Ils ont des charges sociales importantes sur le dos. Vous baissez les charges sociales de moitié en-dessous de 30 heures. Vous les multipliez par 2,5 au-dessus de 30 heures. L'entreprise passe – j'ai fait le calcul – à 34 heures, pour bien montrer qu'il n'y a pas d'automaticité, qu'elle choisit la durée qui est commode pour son aménagement. Vous préservez les payes. C'est le sens de l'histoire de préserver les payes, puisqu'elles ont augmenté tout au long de l'histoire, comme on l'a observé. Mais les charges de l'entreprise baissent et l'économie qu'elle fait, qui est de 18 % – le calcul est là-dedans, vous pourrez aller le vérifier –, cela lui paie un 11e commis.
Bilan…
M. SARKOZY. : Je ne comprends pas ! Je suis incurable, je ne comprends pas !
M. ROCARD : Vous faites semblant ?
M. SARKOZY : Non ! Je vous assure, c'est plus grave que vous ne le croyez. Je ne comprends pas !
M. ROCARD : Vous baissez les charges de l'entreprise
M. SARKOZY : Ça, j'ai compris. Monsieur Dupond travaille dans la teinturerie d'à côté. Il travaillait 39 heures...
M. ROCARD : Il passe à 32...
M. SARKOZY : … Il était payé 7 000...
M. ROCARD : ... on lui garde sa paye.
M. SARKOZY : ... on lui garde sa paye.
M. ROCARD : Il y a beaucoup moins de cotisations sociales sur son dos…
M. SARKOZY : Oui.
M. ROCARD : ... La dépense de cotisations sociales en moins, comme on l'a fait pour 10 et pas seulement pour lui, va représenter le salaire d'un 11e gars. Voilà comment ça marche.
M. SARKOZY : Mais qu'est-ce qui vous oblige ? Où est-il marqué qu'il est obligé d'engager un 11e gars ? Où cela est-il marqué ?
M. ROCARD : Ah ! Ça, c'est formidable…
M. SARKOZY : ... et qui vous fait croire que l'on va embaucher ?
M. ROCARD : … je n'avais pas pensé à cela !
M. SARKOZY : ... Vous voyez, je peux vous servir !
M. ROCARD : Mais non, je n'ai jamais fait l'hypothèse que le patron était un imbécile !
Nicolas Sarkozy, pourquoi voulez-vous que, dans une pareille opération, le patron ait perdu des commandes ou des clients ? Il a besoin du même volume de boulot. Et s'il s'aperçoit … – … ah ! oui, ça marque le point … – que ses types souhaitent travailler moins pour le même salaire, qu'il peut le faire, puisque tout cela passe par les charges, on lui fait faire l'économie sur les charges dès qu'il passe à 32 heures, qu'elles paient le 11e.
Je vais même vous dire ce que donne le calcul exact. Le calcul exact est que le 11e salaire, dans le calcul que j'ai fait, est : moins de 50 % des charges en-dessous de 30 heures et multiplication par 2,5 au-dessus. J'ai pris 34 heures pour bien montrer que le 32 n'est pas une obligation…
M. SARKOZY : Je vais vous dire, Michel Rocard, c'est incompréhensible votre histoire.
La preuve que c'est incompréhensible, c'est qu'un homme intelligent comme vous…
M. ROCARD : … vous vous amusez…
M. SARKOZY : … à l'esprit clair comme vous, passe un quart d'heure à expliquer – je .ne suis pas le meilleur de la classe, d'accord ! mais, enfin, quand même, je ne suis pas non plus le plus mauvais – mais c'est vrai, c'est totalement incompréhensible. Qui paie cette affaire ? Vous ne pouvez pas maintenir les salaires, diminuer les charges, sans augmenter les impôts. Ce n'est pas possible !
M. ROCARD : II se trouve que tout le mouvement historique l'a fait.
Deuxièmement, c'est vrai que c'est un peu compliqué, mais c'est vrai que, quand vous allez chez votre garagiste, vous lui demandez de régler vos soupapes ou votre carburateur sans lui demander exactement comment il fait, et les grands chirurgiens cardiaques d'aujourd'hui, si on les mettait en situation de devoir expliquer comment ils font, se prendraient probablement les pieds dans le tapis, tout ce qu'on leur demande, c'est de savoir le faire.
Je demande à tous nos téléspectateurs de comprendre, mais d'abord ils ont compris plus vite que vous ne l'avez fait parce que vous vous amusez à ce petit jeu-à que l'économie soit compliquée, d'accepter le fait que de ne pas la brutaliser suppose qu'on ne fasse pas n'importe quoi.
Et je redis : vous changez votre tarification de cotisations sociales… ne faites pas cette tête ravagée, parce que c'est assez simple…
M. SARKOZY : Vous avez une violente sympathie pour moi !
M. ROCARD : Pourtant évidente.
Quand la durée du travail de l'entreprise baisse, elle paie moins de charges, elle laisse les mêmes salaires. Cette économie peut lui amener un salarié de plus, puisque j'étais parti de 10 gars, à ce niveau-là l'entreprise est neutre, l'économie de charges lui fait son 11e salarié et pas plus, et elle a perdu l'équivalent d'un demi-emploi en volume d'heures de travail.
Mais que va-t-il se passer en plus ? Elle va gagner en productivité parce que, probablement, il va distribuer ses postes autour d'un horaire plus large pour mieux servir les clients, que les postes seront un peu moins longs, donc moins fatiguant, et les types se battront plus, et puis il y aura moins d'absentéisme... on fait ses courses... et, à ce moment-là, cela vous paie le 12e salarié.
Voilà pourquoi les brioches Pasquier ont fait le coup avec une cinquantaine de salariés en plus...
M. SARKOZY : … et puis La Redoute aussi.
M. ROCARD : 75 accords signés depuis que la loi de Robien est sortie. Ce qui est ultra-rapide. Ce qui montre qu'elle marche !
M. SARKOZY : Mais forcément ! La loi de Robien – j'ai beaucoup d'amitié pour de Robien –…
M. CAVADA : C'est un mauvais début pour lui, ça, à mon avis ?
M. SARKOZY : ... prévoit des exonérations pendant 7 ans et des obligations d'embauche pendant 2 ans, pourquoi voulez-vous que le chef d'entreprise concerne ne le fasse pas ?
Je serais chef d'entreprise, je me précipite sur le truc. Simplement qui paiera là encore ?
On vous dit : « Vous embauchez pendant 2 ans, je vous fais des exonérations de cotisations sociales pendant 7 ans », et vous me dites : « C'est formidable, cela a marché »…
M. ROCARD : … ceux qui paient, c'est la dépense qu'on économise sur les chômeurs. Quand vous embauchez un chômeur, vous faites une économie d'une allocation de 60 000 F par an et il rentre des cotisations sociales pour 3 000 F par an qu'il ne payait pas.
M. SARKOZY : Non, Michel Rocard.
M. ROCARD : Si. Tout chômeur embauché économise 96 000 F.
M. SARKOZY : Non, je vais vous expliquer pourquoi.
Votre raisonnement serait impeccable et je n'y trouverais rien à dire s'il n'y avait un petit détail, c'est que l'économie française naturellement chaque année crée environ 2 millions d'emplois, et la difficulté – elle en détruit d'autres –, c'est qu'on ne sait pas faire la différence, que personne n'a su la faire, parce qu'elle est impossible, entre les emplois qui sont créés grâce à votre dispositif qui le dope en donnant une subvention sur nos impôts et les emplois qui sont créés sans subvention et sans dispositif. Ce qui fait qu'avant même d'avoir créé un emploi de plus par rapport à une situation donnée de l'économie française, vous avez subventionne X centaines de milliers d'emplois qui, de toute façon, se seraient créés.
Et avec ce système-là, Jean-Marie Cavada, je termine sur ce point, nous sommes le pays qui a les prélèvements obligatoires les plus lourds, le chômage le plus élevé et la durée annuelle du temps de travail, pardon, la plus faible.
M. CAVADA : Et puisque nous arrivons à…
M. ROCARD : Oh ! Je ne peux pas laisser passer cela !
M. CAVADA : Je vous donne la parole. Puisque nous arrivons au bout de cette première partie d'émission, je voudrais vous prier, Monsieur Sarkozy, de résumer votre solution pour relancer l'économie de ce pays et particulièrement diminuer le chômage.
Après quoi, nous écouterons le résumé de Monsieur Rocard.
Cette première partie sera achevée et nous écouterons les lecteurs de l'EXPRESS dans leurs expériences et solutions.
M. ROCARD : Excusez-moi, un point très précis et pointu à faire remarquer : c'est dommage que Nicolas Sarkozy n'ait pas regarde un peu ce que je racontais dans mon bouquin...
M. SARKOZY : Dites-moi la page, je verrai !
M. ROCARD : … parce qu'il y en a quand même 5, 6 sur le sujet : le drame du chômage en France, c'est en plus qu'au-delà des 2 millions d'emplois qui se créent chaque année, vous avez raison, le chiffre est juste, nous avons 600 000 licenciements économiques. Le fait de les éviter, ce que l'on peut obtenir par le soulagement des charges sociales lie à la baisse de la durée du travail, vous ferait tout cela en moins aussi.
Autrement dit, du point de vue du combat contre le chômage, Nicolas Sarkozy, avoir un licencie en moins ou un chômeur embauché, c'est identique.
D'accord, du point de vue de l'économie de la puissance publique, cela fait la moitié. C'est pour cela d'ailleurs que ma tarification coûte un peu moins cher à la puissance publique, enfin, pèse un peu moins sur les finances sociales que celle de monsieur de Robien, que j'ai trouvé en effet très forte, c'est vrai.
Mais nous ne sortirons du chômage que si nous ne faisons cela d'une manière générale, et depuis le temps que je vous entends, je sais bien que vous voulez réformer la fiscalité, l'enseignement, la flexibilité, casser les rigidités, mais je ne vois pas ce que vous faites, vous ?
Moi, j'ai une idée simple et précise, parce qu'il y a un autre point : il est très difficile de réformer l'État. Et je crois de moins en moins à la réforme fiscale. Dès que ces mots sont employés, ils font peur a tout le monde. Tous les combats s'organisent. J'ai été Premier ministre trois ans, j'ai sorti le tiers de ce sur quoi je me battais, mon propre camp m'a fait renoncer à une partie, d'autres sont devenus impossibles. L'idée d'attendre de réforme fiscale – que l'on ne fait jamais en moins d'un an, dont l'ampleur est telle qu'elle est effroyablement difficile à faire – la solution au chômage, vous ne passerez jamais.
Je vous propose une mesure beaucoup plus simple que tout cela, qui part du principe sur lequel nous étions tous les deux d'accord : il faut baisser les charges. On le fait en une modulation de la tarification de la sécurité sociale, très vigoureuse, très forte, et on s'arrête là. Et ça marche.
M. CAVADA : Conclusion de votre position. Conclusion ensuite de Monsieur Rocard sur sa position.
M. SARKOZY : Jean-Marie Cavada, vous avez raison, il faut rassembler ces idées pour qu'on essaie d'y comprendre quelque chose.
Je suis de ceux qui pensent que si l'on ne retrouve pas très rapidement un chemin de la croissance, il n'y a aucune chance qu'on résolve le problème du chômage.
M. ROCARD : Chiche !
M. SARKOZY : Écoutez, c'est bien beau de dire que la croissance ne résoudra pas tous les problèmes, en tout cas, sans la croissance, aucun problème n'est résolu. Aucun.
M. ROCARD : D'accord.
M. SARKOZY : Oui, mais ce n'est déjà pas si mal !
J'ajoute que l'on peut faire le glorieux – ce n'est pas de vous... en général – et le difficile en disant : « Pouh ! 300 ou 400 000 emplois de plus par an ! »... Mais, enfin, 300 ou 400 000 emplois de plus par an, j'aime mieux vous dire que cela vous change le contexte psychologique de votre pays. Et l'économie, ce n'est pas compliqué, c'est d'abord de la psychologie.
Alors, que faut-il faire ? Nous sommes sur les 15 dernières années le seul des pays du G7 à avoir augmenté la dépense publique et l'emploi public. Nous devons réduire la dépense publique et l'emploi public pour pouvoir réduire la fiscalité dans un même mouvement.
Nous ne pouvons pas faire l'économie de cette réforme, nous sommes ceux ou la situation est la pire. Cela empêche l'initiative, cela empêche l'investissement, cela empêche qu'aujourd'hui les gens puissent consommer et investir.
Deuxième élément, nous devons poser frontalement mais calmement, pragmatiquement, expérimentalement, le problème de ce que nous appelons la flexibilité.
J'en ai assez que, dans un pays qui a 3 500 000 chômeurs, on se batte sur des mesures dont on refuserait l'abandon et dont on ferait une nouvelle guerre de 100 ans, alors que je sais que, derrière elles, il y aurait des dizaines de milliers d'emplois à la clé.
Je dis que la réduction de la dépense publique, la réduction de la fiscalité et l'adaptation, la flexibilité de notre législation sociale permettra, comme partout ailleurs dans le monde, il n'est pas d'exemple ou cela n'a pas marché de créer des emplois par centaine de milliers. Et cela ne veut pas dire pour autant que nous adhérerons alors à un modèle anglo-saxon qui ne correspond ni à notre histoire, ni à notre culture.
Mais, mes chers amis, et ce sera ma conclusion, il y a un gap tellement grand entre ce que je dis et ce que nous faisons, il y a un gap tellement grand du retard que nous avons pris, en termes de baisse des impôts et de flexibilité, que nous ne prenons aucun risque en allant dans cette direction.
Finalement d'un mot, pour moi le pire risque, c'est celui qui consiste ne pas en prendre.
M. CAVADA : Résumé de votre proposition, Monsieur Rocard, puis nous passerons au dialogue…
M. ROCARD : Il y a au moins une phrase sur laquelle je peux être d'accord : le pire risque, c'est celui qui consiste à ne pas en prendre.
Je persiste à ne pas voir très bien ce que vous commencez par faire, les choses précises que vous faites.
Je vous en propose un tout de suite : j'entame comme vous l'hymne à la croissance. À la limite, peut-être plus que vous, je suis, moi, ce qu'on appelle un keynesien, c'est-à-dire que je crois que, dans l'incitation à la croissance, la puissance publique a tout son rôle. Mais j'ai cessé de penser que la France avait une marge de liberté telle qu'elle pouvait faire sensiblement plus de croissance chez elle qu'il n'y en a chez ses voisins, et de toute façon un point de croissance de plus nous fait gagner 5 ans sur une résorption du chômage qu'il nous faudra 25 ans pour faire. Folie !
M. SARKOZY : Je ne comprends pas ce raisonnement …
M. CAVADA : Si vous pouvez laisser Monsieur Rocard conclure …
M. SARKOZY : Michel Rocard, juste un mot. Parce que ce raisonnement laisse à penser qu'entre la totalité des chômeurs et aucun chômeur, il n'y aura rien à faire ?
Je dis qu'en 1994 avec 2,5 % de croissance, on a eu 275 000 chômeurs de moins. Je dis que cela compte !
M. ROCARD : Naturellement cela compte 275 000 chômeurs, simplement il nous en faudrait 3 500 000 de moins !
M. SARKOZY : Raison de plus pour commencer ! Si l'on en avait déjà 300 000 de moins chaque année !
M. ROCARD : Qu'est-ce que cela veut dire : raison de plus pour commencer ?
La clé de l'affaire, c'est en effet la réduction des charges. Pourquoi vous prenez de tels grands airs et généralisez la chose à toute la fiscalité, quand je vous propose de commencer par les charges de la protection sociale et de le faire dans des conditions telles que les sommes économisées soient directement affectées à la création d'emplois. Car, au fond, je ne vous en dis pas beaucoup plus !
Un mot, enfin, sur la fameuse flexibilité : il faut faire attention à l'emploi de ce mot, on va le rendre odieux à tous les salariés de France.
Il y a trois formes de flexibilité :
– la première et la plus utile, c'est celle qu'on oublie en général et qui n'est jamais exploitée complètement quand on ouvre les discussions à ce sujet, c'est la flexibilité interne à l'entreprise : meilleure organisation du processus de production, baisse des horaires, amélioration de la chaîne de commandement, ouverture des horaires, etc., etc.
En général, il y a beaucoup à faire, et c'est pour cette raison, d'ailleurs, que beaucoup d'entreprises passent dans la direction, même avant la loi de Robien cela a commencé, d'une baisse de la durée du travail pour trouver cette flexibilité interne qui devrait être la condition que tout patron, digne de ce nom, devrait avoir remplie, avant de parler du droit de licencier, qui est l'autre, qui est la flexibilité externe.
Je dois mettre une distinction : bien sûr qu'on ne peut pas obliger une entreprise d'avoir toujours une commande, bien sûr qu'il y a des caractères saisonniers, on a des métiers qui disparaissent, et tout ce que vous voudrez, et, bien sûr, en effet, qu'on ne peut pas rigidifier tout, j'en suis le premier d'accord.
Mais j'admets la flexibilité externe sous la condition qu'en interne on ait fait tout le travail, et d'abord la baisse de la durée du travail, mais, ensuite, si la flexibilité externe consiste à renvoyer les charges à la perte des deux tiers de leurs revenus, à une précarité définitive, à une marginalisation totale devant le marché du travail, alors, là, je dis NON. Et derrière ce mot se cache, en fait, le modèle de société anglo-américain dont je pense qu'il ne faut pas le proposer à la France.
Et c'est pour cela que je me bats sur l'autre idée qui est d'affecter les économies qu'on ferait, si le chômage baissait, au financement des compensations de perte de salaires et de jouer massivement la réduction de la durée du travail. Je n'ai pas trouvé autre chose.
Vous savez, j'ai été Premier ministre pendant trois ans, j'ai tout essayé : je vous ai baissé les impôts, vous le savez sans doute, la TVA et l'impôt sur les sociétés…
M. SARKOZY : Je me souvenais de la création de la CSG, moi !
M. ROCARD : La CSG, nombre pour nombre…
M. CAVADA : On conclut s'il vous plaît parce que 8 personnes nous attendent…
M. ROCARD : ... la déduction de cotisations salariales sur le salaire que j'ai fait adopter dans le même texte, vous avez voté contre, les deux à la fois : on augmentait la CSG pour supprimer (...) concurrence de la cotisation sociale. C'était le début de ce mouvement de soulagement des charges qui pèsent directement sur le travail et créent du chômage.
Mais tout cela ne suffit pas, c'est tout !
M. CAVADA : Alors, 8 personnes, 8 lecteurs de l'EXPRESS ont maintenant le souhait de témoigner de leur propre expérience, puisque beaucoup d'entre eux ont été au chômage, et ont un certain nombre ou de questions ou de solutions à proposer.
D'abord, le procédé que vous avez employé, Élisabeth SCHEMLA ?
Mme SCHEMLA : Nous avons décidé, précisément un peu à cause de tout ce que nous avons entendu ce soir, c'est-à-dire devant la difficulté des Français au chômage, en état de précarité, à trouver des emplois, nous avons compris, à travers un certain nombre d'exemples que nous avons eus au Journal, qu'il y avait en fait énormément d'initiatives personnelles qui étaient prises par des chômeurs, par des gens dans une situation de précarité, pour essayer de répondre directement à ce et a quoi nos hommes politiques ne répondent pas tout à fait ou répondent avec, peut-être, trop de complexité.
Et, donc, nous nous sommes dits que le rôle d'un hebdomadaire comme L'EXPRESS n'était pas seulement de parler de ces difficultés mais de donner la parole à ses lecteurs, et pour cela nous avons fait appel et au courrier postal et au courrier électronique, de façon à instaurer une sorte d'interactivité qui leur permettrait d'exprimer, dans nos colonnes et avec votre collaboration, les différentes expériences qu'ils ont eux-mêmes décidé d'engager sur le terrain pour, à leur tour, démontrer, ce qui est très important, qu'existe dans ce pays un véritable réservoir d'initiatives.
M. CAVADA : La première personne dont on va écouter le témoignage, c'est Monsieur René Cuisse.
M. CUISSE : Je suis le président de la Chambre de Commerce Béthune…
M. CAVADA : On va d'abord dire quelques mots pour photographier votre expérience, après vous direz que vous avez fait.
Mme SCHEMLA : Je voulais dire que Monsieur Cuisse est un homme très important dans l'histoire de ce dossier de l'EXPRESS puisque c'est en fait grâce et à cause de lui que nous en avons eu l'idée puisque cet été vous nous avez fait part d'une proposition dont vous nous parlerez dans quelques instants.
Monsieur Cuisse, vous avez 64 ans. Vous êtes le patron d'une PME de 75 salariés à Béthune dans le Pas-de-Calais, et vous avez donc une proposition à faire qui, selon vous et qui est sérieuse d'ailleurs, permettrait de résoudre quelques difficultés.
M. CUISSE : Pour revenir à la proposition… mais je vais dire tout de suite aussi que je me pose une question en permanence parce que je n'ai jamais été chômeur et que je travaille depuis 50 ans : pourquoi on trouve toujours des solutions, dans ce cher pays, qui consiste à demander à l'État, c'est-à-dire à nous, les contribuables, de payer. C'est une chose que je trouve anormale pour trouver des solutions.
Je suis patron d'une entreprise de 75 personnes et j'ai l'habitude depuis un quart de siècle de remplir moi-même le bordereau ASSEDIC que j'adresse à l'ASSEDIC pour payer mes cotisations.
Je me suis laissé avoir comme tout le monde, c'est-à-dire qu'en 1970 j'avais un taux de 0,024 % sur l'ensemble de la masse salariale pour participer à l'assurance chômage des chômeurs, il n'y en avait pas beaucoup en ce temps-là, il y en avait 300 000 certainement, et puis j'ai vu, petit à petit, ce chiffre grandir, et comme je suis patron et responsable, j'ai été amené à faire le chèque.
Je me suis réveillé, il y a 3 ans, en m'apercevant que ce chèque que j'envoyais aux ASSEDIC correspondait à la possibilité pour ma petite entreprise d'embaucher 7 personnes sans avoir à payer.
Je me suis posé la question : à ce moment-là je payais des chômeurs en dehors de mon entreprise alors que, pour la même dépense, j'aurais pu les avoir chez moi.
Donc, c'est une constatation peut-être simpliste et j'insiste : ce n'est pas le projet que je défends avec Monsieur Maurice Jourdain, sénateur du Jura, puisque nous faisons notre petit chemin ensemble, pour convaincre les partenaires sociaux – ce n'est pas notre chose facile…
M. CAVADA : Quelle est votre participation, Monsieur Cuisse ?
M. CUISSE : La proposition, c'est, aujourd'hui, de ne plus payer l'ASSEDIC mais d'embaucher à concurrence de cette somme un nombre de chômeurs.
Cela apporte énormément de bienfaits :
1°) Cela rapporte des sous dans nos caisses de protection sociale, quelque chose comme à peu près 60 milliards ;
2°) Quelque chose comme 3 milliards de TVA en plus, parce qu'on redémarre sur une possibilité de payer mieux les chômeurs ;
3°) Pour le pays, c'est un nombre de choses très importantes qui améliorent la situation du pays.
Cette solution, c'est tout simplement : quand on a un bordereau d'ASSEDIC à remplir, quand on a embauché une certaine quantité d'employés, on déduit jusqu'au montant total de la cotisation le nombre de personnes que l'on a embauché.
M. CAVADA : Alors, deuxième témoignage, et c'est dans un champ d'action tout à fait différent, Madame Christine Paradis.
Mme SCHEMLA : Madame Christine Paradis a 38 ans et elle est fondatrice d'une association « Domicile Action » à Brest dans le Finistère, qui a déjà 100 salariés.
Pouvez-vous nous expliquer quel est l'objet de cette association et comment l'idée vous en est venue ?
Mme PARADIS : Je vais déjà rectifier : je ne suis pas fondatrice de l'association puisque nous sommes une association loi 1901 et que l'association est gérée par un conseil d'administration.
M. CAVADA : Oui, à part cela ?
Mme PARADIS : « Domicile Action » est une association qui est ancrée en fait dans le secteur de l'aide à domicile depuis 1947. Notre antériorité dépasse bien 1989.
M. CAVADA : Madame Paradis, que faites-vous et comment cela fonctionne-t-il ? Quels résultats avez-vous ?
Mme PARADIS : Je suis directrice de l'association, et nous nous sommes engagés…
M. CAVADA : Oui, ça va, vous suivez ou je reviens à vous dans un instant ? Ce n'est pas un problème, tout le monde a le droit d'avoir le trac ou d'être un peu émue.
Je vous laisse 5 secondes tranquille pour récupérer…
Mme PARADIS : Non, je vais pouvoir reprendre parce que nous sommes dans un secteur qui est relativement complexe.
M. CAVADA : Nous n'avons pas compris, Madame, ce que vous faites. Que faites-vous ?
Mme PARADIS : Oui, je suis directrice d'une association d'aide à domicile.
M. CAVADA : J'ai compris cela, mais cela veut dire quoi ? Vers qui vous tournez-vous ? Que faites-vous ?
Voulez-vous que je vous laisse quelques instants ? Je vais y revenir. Cela va être plus pratique.
Monsieur Bossu est votre voisin : quels sont votre témoignage et votre expérience ?
M. BOSSU : Notre expérience est de s'être appuyé sur un dispositif qui a été initié par les partenaires sociaux de l'UNEDIC, qui est actuellement en discussion et qui s'appelle « les conventions de coopération ».
Le principe, pour le résumer, c'est de penser qu'il est préférable de donner des indemnités chômage à des personnes pour travailler plutôt que de les indemniser à chercher du travail.
Donc, si vous voulez, c'est à partir de cela qu'aujourd'hui, dans l'expérience que nous avons conduite, nous avons créé 600 emplois pour notre expérience personnelle, à travers des cadres essentiellement, à travers trois associations qui se sont réunies dans une Union fédérale pour l'emploi et la réinsertion – l'UFER –.
Il faut savoir que ce dispositif, qui part de l'idée de l'activation des dépenses passives, dont on a souvent parlé dans le débat politique…
M. CAVADA : ... et dont il a été question ce soir, oui.
M. BOSSU : … dans le débat politique, a aujourd'hui créé en France, sur un dispositif expérimental, 12 000 emplois.
M. CAVADA : Au total.
M. BOSSU : Chose importante également : ce dispositif a créé des emplois non précaires. Aujourd'hui tous les contrats qui sont signés, sont, en règle générale, le plus souvent des CDD de 3 mois, au meilleur des cas, 6 mois.
Là, ce dispositif, à 75 %, en tous les cas pour les 600 emplois que nous avons créés, ce sont des CD, donc non plus des emplois précaires mais des emplois certainement durables.
Chose intéressante également, les personnes qui ont, bien souvent comme moi quelques cheveux blancs et qu'on a du mal à reclasser, grâce à ce dispositif : 40 % d'entre elles ont plus de 45 ans, 19 % d'entre elles ont plus de 50 ans.
Voilà, si vous voulez, le témoignage que je voulais rapidement vous apporter, pour vous dire qu'aujourd'hui il y a des solutions, il y a un espoir en matière de reprise du travail quand on veut appliquer des choses intéressantes.
Mme SCHEMLA : Est-ce que votre méthode vous paraît généralisable, telle que vous l'avez expérimentée jusqu'à présent ?
M. BOSSU : Tout à fait. Les chefs d'entreprise que nous rencontrons nous disent : « Enfin, quelque chose d'intelligent est fait dans ce pays ». Je peux vous dire qu'il y a une chose dont nous sommes certains, c'est que lorsqu'ils ont connaissance de cette mesure, très rapidement ils prennent la décision d'embaucher.
La plupart des contrats que, nous, nous avons signés, les 600 emplois que nous avons créés ont été faits dans des petites entreprises, des toutes petites entreprises. On nous parle souvent lorsque nous sommes au chômage, et j'ai été un chômeur de longue durée, c'est la raison pour laquelle je me suis engagé dans cette action, on nous dit : cherchez les projets dormants ». Ce dispositif a trouvé, me semble-t-il, les projets dormants car 40 % des entreprises qui ont signé ces conventions de coopération sont des entreprises de moins de 10 personnes.
On voit très bien que ces entreprises sont confrontées à des difficultés de développement. Elles ne peuvent pas s'offrir la main d'oeuvre qualifiée pour faire ces développements et, grâce à cette aide de l'UNEDIC, initiée par les partenaires sociaux de l'UNEDIC, elles peuvent le faire.
M. CAVADA : 12 000 emplois créés en combien de temps ?
M. BOSSU : Le dispositif a commencé à fonctionner en septembre 1995, donc en 14 mois.
M. CAVADA : Je reviens à Madame Paradis. Pour vous, c'est un autre champ d'activité, c'est la fameuse association « Domicile-Action », cela se passe à Brest dans le Finistère. Comment votre action se passe-t-elle et quel est le résultat ?
Mme PARADIS : Nous nous situons en fait dans le secteur des emplois proximité. Dans ce secteur, nous distinguons quatre grandes familles :
1. Les services de l'aide à la vie quotidienne.
2. Les services de loisirs et culturels.
3. L'aménagement du cadre de vie.
4. L'environnement.
Notre association se situe au niveau du premier des services qui est l'aide à la vie quotidienne et plus particulièrement l'aide aux personnes. Nous avons une longue expérience au niveau de notre association...
M. CAVADA : ... Les résultats de votre initiative sont intéressants ce soir. C'est pourquoi je vous ai demandé d'aller plus rapidement.
Mme SCHEMLA : Surtout dans une commune qui s'appelle Carantec.
Mme PARADIS : Je vais vous expliquer le projet. Le projet est effectivement la mise en place d'un partenariat avec les municipalités, les 140 municipalités du Nord Finistère leur proposant de créer chacune un emploi. La base du projet est, en fait, une expérience que nous avons menée à Carantec qui est une commune de 2 600 habitants et sur laquelle, grâce à un partenariat très étroit entre les élus de la commune et nos services pour la partie technique et gestion du personnel, nous avons abouti à la création de 5 emplois/temps plein, ce qui correspond à la mise au travail de 12 salariés.
M. CAVADA : Au total, votre association a créé combien d'emplois dans la région où vous opérez ?
Mme PARADIS : Nous utilisons les nouveaux dispositifs qui ont été mis en l'état par rapport à la réduction d'impôt dont les particuliers peuvent bénéficier.
M. CAVADA : Résultat, combien ?
Mme PARADIS : Entre 30 et 40 salariés à l'heure actuelle qui travaillent tous à mi-temps.
Mme SCHEMLA : Trouvez-vous facilement des gens qui veulent occuper ces emplois dans la mesure où, étant couverts par ailleurs, beaucoup de Français préfèrent travailler au noir.
Mme PARADIS : Selon les régions, les mesures qui ont été mises en place ont permis de réduire le travail au noir dans ce secteur. Michel Rocard connaît bien le secteur puisqu'il en parle à trois reprises dans son ouvrage. C'est un secteur qui est porteur. Il y a des gisements d'emplois. La réduction d'emploi, effectivement, est incitative à l'emploi d'une personne à domicile. Ce qui me semble important de souligner, c'est le professionnalisme dont nous avons besoin au niveau de ce secteur.
M. CAVADA : Merci Madame.
Une autre expérience qui est celle de Monsieur Sébastien Ancel.
Mme SCHEMLA : Sébastien Ansel a 24 ans. Il est titulaire d'un DES de finances. Il habite à Auxerre dans l'Yonne. Il a eu une expérience américaine et ce qui le caractérise, c'est qu'il cherche désespérément un emploi. Donc, je suppose qu'il a été particulièrement sensible aux thèmes de la flexibilité.
Pouvez-vous nous dire à quelles difficultés vous vous heurtez concrètement ? Et ce que cela suscite en vous comme réflexion ?
M. ANSEL : Je vais vous en parler, mais d'abord je voudrais faire une première réflexion. Je crois que beaucoup de choses ont changé. Nous sommes arrivés à une époque où le libre-échange domine entre les pays. Nous avons une libre concurrence qui augmente dans tous les domaines et une fin des monopoles publics, avec France Télécom. Je crois que, aujourd'hui, on n'en a pas véritablement conscience, principalement au niveau des politiques.
Il y a une libéralisation importante, il faut diminuer les réglementations afin que chacun puisse s'adapter et que toutes les entreprises puissent s'adapter.
M. CAVADA : Vous êtes donc plutôt de l'opinion de Monsieur Sarkozy dans cette affaire ?
M. ANSEL : Ce n'est pas que je veux être de son côté...
M. SARKOZY : ... Vous avez le droit.
M. CAVADA : II n'y a pas de prosélytisme pour qui que ce soit...
M. SARKOZY : Ce n'est pas interdit.
M. CAVADA : … Mais je veux comprendre ce que vous voulez dire.
M. ANSEL : Son constat rejoint le mien.
M. CAVADA : C'est plus clair.
M. ANSEL : Le succès des États-Unis, je crois qu'on peut parler de succès si on regarde au niveau des entreprises, les succès commerciaux comme Microsoft ou Wintes, on ne peut pas les remettre en cause.
M. CAVADA : À quoi vous heurtez-vous dans la recherche de votre emploi ? Parce que vous êtes encore aujourd'hui sans travail. À quoi vous heurtez-vous ?
M. ANSEL : Je crois qu'il y a une peur des employeurs parce que les réglementations sont très importantes et que cela peut leur faire peur d'embaucher quelqu'un...
M. CAVADA : ... La réglementation en termes de quoi ? De possibilités de licenciement si jamais ils n'ont plus besoin de vous, c'est cela ? De quoi parlez-vous exactement ? C'est cela ?
M. ANSEL : Si on ne convient pas à l'employeur, il est très difficile pour lui de modifier son cahier des charges au niveau de son personnel et il y a un manque de flexibilité au niveau des heures de travail où il est très difficile de passer de 32 heures à 40 heures. Je crois qu'il y a un manque de flexibilité à ce niveau-là.
M. CAVADA : Dans votre état de réflexion, c'est cela qui, aujourd'hui, à vos yeux, empêche qu'on vous emploie, ne serait-ce que pour essayer vos compétences ?
M. ANSEL : Oui, il y a un frein de ce côté-là parce qu'il y a trop de règles.
M. CAVADA : Merci Monsieur.
Je voudrais qu'on écoute l'expérience de Madame Odile Milcamps.
Mme SCHEMLA : Madame Odile Milcamps a 26 ans. Elle est titulaire d'un DES de communication et sa particularité, c'est presque du chômage de longue durée pour une jeune. Cela fait 10 mois qu'elle cherche du travail. Pourquoi n'arrivez-vous pas à en trouver, Madame Milcamps ?
Mme MILCAMPS : Je vais compléter les propos de mon voisin en précisant que le problème d'un jeune diplômé, plus qu'un problème, c'est une aberration parce que, pour un problème, on trouve toujours des solutions, une aberration, il faut comprendre. Et, moi, je suis assez contente d'être en face de Monsieur Sarkozy et de Monsieur Rocard parce qu'au bout de 11 mois, je n'ai toujours pas compris l'aberration. Donc, ce serait bien que vous soyez en mesure de me l'expliquer.
Le problème, à l'heure actuelle, est qu'une entreprise, quand elle recrute un jeune diplômé, demande le package. Le package, c'est le JD + 2, c'est-à-dire le jeune diplômé plus deux ans d'expérience. Or, c'est parfaitement impossible parce que le jeune diplômé, par définition, vient d'obtenir son diplôme. II ne peut pas avoir eu les deux ans d'expérience. L'expérience qu'il a est constituée de tous les stages qu'il a faits, quand il a pu les faire. Parce que, Monsieur Sarkozy, je suis relativement sensible à votre discours concernant le niveau d'études, mais j'aimerais bien discuter avec vous des problèmes de formation d'université car, croyez-moi, il y a des solutions. Une fois que vous avez un DESS et que vous vous pointez à l'ANPE, les solutions sont avant.
Et nous, – je dis « nous » parce que nous sommes trois – nous nous sommes rendues compte – nous cherchons toutes du travail dans la communication – que des cibles n'étaient pas exploités. Ces cibles sont en priorité les PME-PMI. Nous nous sommes rendues compte que, de toute façon, l'expérience n'était pas garante d'intelligence et nous nous sommes dits : « Puisque nous avons de l'expérience, nous sommes capables de proposer quelque chose de concret à des PME et des PMI ».
Nous travaillons à l'heure actuelle sur le projet. Nous n'avons pas de statut tout à fait défini actuellement. Nous avons des tuteurs, je tiens à le dire parce que c'est une mesure intéressante...
M. CAVADA : Oui, puisque c'est un guide au niveau de l'entrée dans la vie professionnelle.
Concrètement, Madame, qu'attendez-vous, vos amies et vous, de la décision publique, des hommes politiques publics qui sont ceux du Parlement-Gouvernement compris et Opposition qui contribuent et attendent leur tour, quelles décisions attendez-vous d'eux pour faciliter cette affaire ?
Mme MILCAMPS : En tant que jeune diplômée, les solutions, pour moi, sont en amont et les solutions sont dans les universités. Je crois qu'à l'heure actuelle vous avez l'État, le monde du travail, ce qu'on appelle les entreprises, les chômeurs et, très loin derrière, l'université.
Comme le disait Monsieur Sarkozy, je pense que le problème du chômage ne peut pas être résolu par un seul acteur, ce n'est pas l'État qui peut toujours tout résoudre. C'est une synergie de tous ces acteurs. Ce que je constate – en lisant la réforme de Monsieur Bayrou, il a au moins l'intelligence de s'y frotter – c'est que Monsieur Bayrou se préoccupe davantage des problèmes sociaux des étudiants, ce que je comprends parfaitement parce que plus on fait d'études, plus cela coûte cher, plus cela entraîne des frais. Ce que je veux dire, c'est une fois que vous avez vos bourses, vos allocations, etc. pour faire vos études, à la sortie, le diplôme n'est pas garant d'emploi.
Cela fait 5 ans que l'on répète que ce n'est pas parce que vous avez un diplôme que vous trouverez un emploi. Je crois que le problème de l'université est de se poser la question de savoir dans quelle mesure leur formation est adaptée au monde du travail.
M. CAVADA : Vous attendez de l'université qu'elle prépare à un métier ayant des débouchés ?
Mme MILCAMPS : J'attends de l'université qu'elle consulte les chefs d'entreprise et qu'ensemble ils arrivent à partir d'audits de formation, à trouver des solutions et à aider tous ces jeunes qui font des études à trouver un emploi.
M. CAVADA : Très rapidement, Messieurs Rocard et Sarkozy, quatre expériences-témoignages, dans des formes très diverses, viennent de vous être proposées. Je dis « très rapidement » pourquoi ? Parce qu'il y en a trois autres derrière.
Monsieur Rocard.
M. ROCARD : Ce que Monsieur Cuisse fait, c'est très exactement une application locale mais sans que la tarification nationale ait changé. Vous anticipez sur ce que je propose, en gros, et vous activez les dépenses.
M. CUISSE : C'est activer les dépenses de l'ASSEDIC de façon à l'utiliser pour créer des emplois, mais sans réduction du temps de travail. De toute façon, cela permet d'apporter des solutions très intéressantes aux entreprises et de ne pas laisser les gens en dehors.
M. ROCARD : Tout à fait.
Quant à Madame Paradis, elle travaille sur tous les secteurs porteurs d'emplois nouveaux. Là, c'est tout bon mais, probablement, ce sont des emplois qu'on a du mal à solvabiliser, à rendre rentables et cela coûte cher à la puissance publique sauf si vos gens acceptent des salaires relativement limités. Il y a une indemnité derrière. Vous êtes certainement subventionnée ?
Mme PARADIS : Ah ! non, pas du tout.
M. SARKOZY : Non, c'est une défiscalisation.
Mme PARADIS : Exactement. Ce sont les particuliers qui bénéficient directement de la réduction d'impôt.
M. SARKOZY : Chacun à son tour pas comprendre.
M. ROCARD : Tout à fait.
Mme PARADIS : Ce sont des services qui sont autofinances à 100 % sans financement public.
M. CAVADA : Financés par ceux qui bénéficient de vos services ?
Mme PARADIS : Oui.
M. CAVADA : C'est donc un vrai marché.
Mme PARADIS : C'est effectivement un vrai marché.
M. ROCARD : Je suis pour la diffusion de ce marché pour ce qu'on appelle « le chèque-services », c'est-à-dire les aides aux personnes âgées dépendantes, aux handicapés et je constate que cela fait partie de ces politiques dans lesquelles... Quand on sait ce qu'on veut avec une baisse de charges ou d'impôts, on obtient des résultats.
Mme PARADIS : Tout à fait.
M. ROCARD : Là, vous avez une défiscalisation liée à une activité. Je propose une baisse des charges sociales qui découle d'une création d'emploi. C'est comme cela qu'il faut fonctionner. Nous sommes tout à fait dans l'esprit de ces choses.
M. CAVADA : Votre commentaire, Monsieur Sarkozy.
M. SARKOZY : Monsieur Cuisse se rattache à un débat national qui est très intéressant : que fait-on aujourd'hui des excédents de l'UNEDIC ? Ce débat n'est pas facile et il faut y réagir sans démagogie. L'UNEDIC est en excédent. Il y a deux thèses :
1. La thèse de Madame Notat qui dit : « Il faut augmenter les allocations chômage ».
2. Une autre thèse qui dit, dont la mienne : « Il faut baisser les cotisations car ce sont les cotisations sur les emplois non qualifiés qui empêchent l'embauche ».
Ce problème est très important, c'est un débat très fort. Que va-t-on faire de l'excédent de l'UNEDIC ?
M. CUISSE : Je ne parle pas de l'excédent. La totalité peut faire 1 400 000 emplois.
M. SARKOZY : J'ai bien compris, Monsieur Cuisse, qu'on pouvait déduire le salaire brut des cotisations UNEDIC quand on embauchait. Mais si on veut être tout à fait logique, le jour où vous licenciez, qui paie les cotisations ?
M. CUISSE : On repaie les cotisations. Le projet prévoit de repayer les cotisations. C'est une convention qui, de toute façon sera signée avec les partenaires sociaux et la plupart des partenaires sociaux sont d'accord.
M. SARKOZY : En tout cas, sur l'activation, je suis d'accord.
Un mot sur Madame Paradis. Quelque chose m'a choqué – pas elle, bien sûr, mais la situation – on considère comme parfaitement normal, en France, que le statut du chef d'entreprise soit, en tant que personne morale, beaucoup plus favorable que le statut du chef de famille en tant qu'employeur. On trouve tout à fait normal qu'un chef d'entreprise ne paie pas l'impôt sur les sociétés, sur la masse salariale quand il embauche et on trouverait normal que le chef de famille, employeur à titre personnel, paie l'impôt sur le revenu, sur les salaires et sur les cotisations qu'il verse pour un emploi à domicile quelle que soit l'utilité de cet emploi. C'est extraordinaire ! C'est-à-dire que le chef d'entreprise, capitalistique en quelque sorte, est mieux traité que le chef de famille.
J'ai, avec l'autorisation de Monsieur Balladur, considérablement augmenté la défiscalisation, ce qui n'a rien coûté, en vérité, à l'État et ce qui a permis de créer 140 000 emplois et ce qui a permis de sortir du noir. Car, naturellement, quand il y a un avantage fiscal à la clé, on ne fait plus de travail au noir.
Je me suis dit que, finalement, le problème est un problème très difficile en France : il faut que les Français aient le droit à l'échec et à l'essai. Ce qui me choque dans notre société telle qu'elle est : quelqu'un crée une entreprise, il met en faillite, eh bien celui-ci est marqué à vie par cet échec et on ne lui redonne pas une deuxième chance. Le jeune qui sort de l'université, qui a un diplôme, on ne lui donne pas cette chance.
Je reviens à la flexibilité. C'est cette flexibilité que je veux. Je souhaite que chacun d'entre nous ait le droit à l'échec parce que, dans notre vie, l'échec existera comme le succès. Et qu'on ait le droit, en même temps que l'échec, à l'essai. Et, finalement, ce qu'il faut, c'est ouvrir les portes des entreprises aux jeunes. Rappelez-vous, quand on a voulu faire le CIP, on n'a pas été compris.
Ce que je voudrais que vous compreniez, c'est que les chefs d'entreprise doivent vous donner votre chance, mais que celui qui sort avec un diplôme en poche doit accepter l'idée que l'important, c'est de rentrer dans l'entreprise avant d'affirmer des exigences au-delà de la valeur qu'il reste à prouver.
Je ne voudrais pas qu'on sanctifie trop les diplômes en France. Quand on sort d'une grande école...
M. CAVADA : ... Court, s'il vous plaît.
M. SARKOZY : Oui, mais c'est important. Quand on sort d'une grande école, on a l'habitude de dire qu'on fait toute sa carrière professionnelle entre 18 et 20 ans. Quand on a eu son diplôme, on a fait une partie de sa carrière mais il faut, après, justifier de son utilité pour l'entreprise et de la force de travail qu'on est amené et en droit d'amener pour cette entreprise.
M. CAVADA : Merci.
Voici trois autres témoignages à qui je demanderai de proposer leur solution, fut-ce leur exemple.
Tout d'abord, celui de Madame Sylvie Delarousse-Lefebvre.
Mme SCHEMLA : Vous avez 39 ans et vous avez été licenciée en 1994 d'un grand groupe industriel français. Vous avez eu du mal à retrouver du travail et vous offrez la particularité aujourd'hui d'avoir toujours le statut de chômeur et, en même temps, d'être consultante en communication.
Vous avez beaucoup réfléchi au problème de la création d'emploi et d'entreprise surtout pour les chômeurs. Quelles sont les solutions que vous proposez sur ce terrain ?
Mme DELAROUSSE-LEFEBVRE : C'est justement le droit à l'essai pour la création d'entreprise. C'est le type de proposition que je veux mettre en place. C'est évidemment tiré de mon expérience professionnelle. Ce que je propose, c'est que, aujourd'hui, il est possible pour un chômeur de travailler en même temps qu'il est au chômage.
Pour mon cas, j'effectue des missions de conseils qui sont payées sous forme d'honoraires et j'ai la possibilité de les toucher sous forme de salaire, c'est-à-dire que je vais perdre 50 % de ce que j'ai gagné au passage, qui sont les charges patronales, plus les charges salariales.
Ce que je propose, c'est plutôt que de travailler pour commencer à trouver soit une création d'entreprise, soit un autre emploi, c'est que tout ce travail qu'on peut faire pour un chômeur, c'est de pouvoir initier son activité économique. Lorsqu'il a décidé de créer une entreprise, il va commencer son activité économique tout en restant au chômage et l'argent qu'il va facturer aux entreprises pour lesquelles il va travailler est mis sur un compte bloqué. C'est-à-dire que je propose de passer une convention avec l'assurance-chômage pour qu'en fait tout cet argent soit mis sur un compte bloqué et serve de cagnotte de guerre le jour où ils créeront réellement leur entreprise.
Pour les gens qui créent une entreprise, il y a deux choses :
1. C'est difficile de changer de statut. Quand on a travaillé longtemps comme salarié, se lancer dans la création d'entreprise, ce n'est pas si facile.
2. Le problème des petites entreprises qui viennent de naître concerne le fonds de roulement. On leur permet de mettre au point ce fonds de roulement tout en initiant leur activité et en se rendant compte du décalage entre leurs idées et la façon dont ça marche.
Ces comptes bloqués peuvent être négociés pour 12 mois, 15 mois et 18 mois et, à la fin de ce délai, je propose qu'ils soient revus avec l'assurance-chômage soit pour une création d'entreprise, soit pas pour une création d'entreprise parce que, justement, c'est le droit à l'essai.
S'il y a création d'entreprise, on reçoit l'argent qu'on a gagné. C'est bien le chômeur qui l'a gagné, ce n'est pas l'État qui lui a donné.
Si on ne crée pas l'entreprise, on reverse une bonne partie de ce qu'on a gagné à l'État.
Dernière petite chose : je propose que ces comptes bloqués ne soient pas forcément gérés directement par l'assurance chômage, mais que l'assurance chômage propose aux réseaux bancaires de gérer, de façon à en faire des plans d'épargne-création d'entreprises.
M. CAVADA : C'est une initiative vraiment intéressante.
Mme DELAROUSSE-LEFEBVRE : De façon à ce que, éventuellement, les réseaux bancaires se mouillent aussi sur le sujet...
M. SCHEMLA : Ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.
M. CAVADA : C'est-à-dire que l'argent pourrait aller à ceux qui n'en ont pas encore assez ?
Mme DELAROUSSE-LEFEBVRE : Entre autre.
M. CAVADA : Changement de température. Je vous en prie, Madame.
Mme DELAROUSSE-LEFEBVRE : Et donc de permettre à celui qui a mis de l'argent de côté, en travaillant durement pour commencer à initier sa petite entreprise, de toucher cet argent lorsqu'il a décidé de créer son entreprise, que le réseau bancaire lui offre éventuellement un taux d'intérêt intéressant pour un emprunt. Et, dernière chose, je propose que ces comptes bloqués soient gérés de manière régionale et non pas centrale de façon à permettre une grande flexibilité.
M. CAVADA : C'est-à-dire d'avoir une sorte de caisse de compensation au niveau régional.
L'autre expérience concerne Jean-Paul Staub.
Mme SCHEMLA : Jean-Paul Staub a 41 ans, c'est un commerçant et plus particulièrement un poissonnier en Seine-et-Marne. Avec d'autres chefs d'entreprise, avec lesquels vous vous êtes associé, vous avez décidé de consacrer tout votre temps et toute votre énergie aux jeunes pour leur trouver des emplois.
M. CAVADA : Monsieur Staub, la chose est assez simple : que faites-vous ? Mais surtout comment et avez-vous des résultats ?
M. STAUB : C'est une petite histoire à raconter qui va être très courte : c'est la rencontre, il y a 18 mois, avec Monsieur Fabrice Mallet qui est PDG d'AES-Traider qui est spécialisé en informatique, qui est passionné de formation et moi-même qui suis président d'une association humanitaire.
Je suis confronté à des demandes d'emploi auxquelles je ne peux pas satisfaire. J'en reçois environ 141 mensuelles. D'un côté, on a Monsieur Fabrice Mallet qui est vice-président d'une association de chefs d'entreprise, qui regroupe 400 entreprises, lesquelles ont des difficultés pour défricher des commerciaux afin d'augmenter leur chiffre d'affaires.
M. CAVADA : Autrement dit, manque de personnel qualifié.
M. STAUB : Manque de personnel qualifié et manque de développeurs. De rendez-vous en rendez-vous, d'heures de travail et de week-ends, Monsieur Mallet et moi-même, avons pensé à une formation originale, innovante et basés principalement sur l'énergie, avec des techniques de vente évidemment.
M. CAVADA : Environ combien de temps la formation ?
M. STAUB : La formation dure neuf mois. Six jours de cours mensuels et trois semaines en entreprise, donc c'est un contrat en alternance.
M. CAVADA : Avez-vous des résultats ? C'est-à-dire avez-vous commence à trouver des gens qui commençaient à manquer à des entreprises ?
M. STAUB : II a fallu trouver une entreprise d'abord...
M. CAVADA : Je comprends bien. Avez-vous des résultats et combien à peu près ?
M. STAUB : 100 % de réussite parce que, à la date d'aujourd'hui, 80 % des jeunes vont rester dans l'entreprise, 20 % ont au moins deux propositions : Rank Xerox, Virgin Megastore et j'en passe.
Mme SCHEMLA : Et les salaires sont conséquents ?
M. STAUB : Oui, les premiers salaires vont atteindre 20.000 francs. Ils étaient tous à l'ANPE et il y a un courage qu'il faut souligner, ce soir, Monsieur Cavada, si vous le permettez...
M. CAVADA : ... Bien sûr.
M. STAUB : Ces jeunes gagnaient plus de 4 000 ou 5 000 francs aux Assedic et ils ont accepté, en alternance, de gagner 3 000 francs. Cela doit être salué encore une fois.
M. CAVADA : Comme rampe de lancement pour démarrer.
M. STAUB : Comme rampe de lancement dans les entreprises.
M. CAVADA : La dernière expérience est, elle aussi, très intéressante. C'est celle de Monsieur Jean-Louis Roux.
Mme SCHEMLA : Monsieur Jean-Louis Roux à 42 ans. Comme il est au chômage depuis 6 ans, cela veut donc dire que, depuis l'âge de 36 ans, il n'a pas trouvé de travail. Il est RMIste. Il habite au Mans dans la Sarthe. C'est une situation extrêmement grave, celle dont nous avons parlé tout à l'heure. Comment avez-vous vécu vos années de chômage car six années de chômage, c'est trop long ? Et quelle est l'idée commerciale à la base de votre initiative ?
M. ROUX : J'ai effectivement six années de chômage derrière moi qui se terminent.
M. CAVADA : Vous avez trouvé quelque chose ?
M. ROUX : J'ai créé une société.
M. CAVADA : Qui va faire quoi ?
M. ROUX : Qui vend et qui met en place du matériel informatique avec tout un ensemble d'assistance et de maintenance.
M. CAVADA : Vous avez déjà des premiers résultats ?
M. ROUX : J'ai des premiers résultats, on a fait un petit chiffre d'affaires en septembre, qui a été doublé en octobre.
M. CAVADA : « On », c'est-à-dire combien de personnes êtes-vous ?
M. ROUX : 9. Et ce chiffre d'affaires en décembre va être de plus de 200 000 francs. Donc, ce sont des résultats concrets.
J'ai vécu ces six années de chômage très difficilement, avec un déficit physique et psychologique très important. J'ai ensuite stagné, trouvé des petits boulots, arrêté, vécu d'expédients. Et puis, un beau jour, je me suis regardé dans la glace et je me suis dit : « Est-ce que j'arrête ou est-ce que je continue ? ». Et continuer, c'était passer à un autre espace, commencer une autre vie. Il y a des gens, ici, qui m'ont aidé à cela et que je remercie.
J'ai décidé de prendre le taureau par les cornes et d'acquérir des compétences que je n'avais pas. J'étais intéressé par le progrès, par la technologie, par certaines technologies de pointe. Je me suis intéressé beaucoup plus à ces technologies de pointe en allant voir ce que c'était, c'est-à-dire en manipulant l'informatique, en utilisant l'informatique...
M. CAVADA : … Ce n'était pas votre métier précédemment ?
M. ROUX : Pas du tout. Au départ, j'ai vécu dans le commerce. J'ai appris à vendre, j'ai vendu et j'ai fait vendre.
Apprenant de plus en plus ce qu'était l'informatique, comment ça marche, ce qu'on fait avec et ce qu'on peut faire avec, notamment prévoir un attentat, je me suis dit : « lI faut que je fasse quelque chose », c'est-à-dire que je ne vais pas m'arrêter là à me dire : « Je peux faire cela, je vais le faire ».
Mme SCHEMLA : Vous vous êtes intéressé à fabriquer, à proposer, par exemple, un ordinateur ?
M. ROUX : Tout à fait.
Mme SCHEMLA : Je crois qu'il est intéressant de dire à quel prix vous le proposez, avec quels services, par rapport au prix normal et à ce qui se passe pour le commun des mortels ?
M. ROUX : Je ne suis pas venu forcément pour vendre des ordinateurs...
Mme SCHEMLA : C'est très intéressant.
M. CAVADA : Étant donné, Monsieur, ce que vous avez traversé, personne ne sera choqué par une petite page de publicité. Vous êtes une entreprise du Mans, dans la Sarthe ?
M. ROUX : Oui, qui s'appelle « A.B.C. », j'espère que vous aurez les coordonnées, nous sommes sur Internet. Il faut tout de même savoir que des marques, dont certaines marques françaises, font faire leurs ordinateurs dans les pays qu'on appelle « triangle d'or » où il est possible de multiplier par 200, 300 le profit. Ceci est la première chose. Je ne parle pas du tout de marques comme nous, assembleurs-concepteurs, je parle de marques avec enseigne.
Ces disparités m'ont amené à dire : « Un ordinateur représente 11 composants dans une boîte, avec un moniteur à côté, je dois certainement pouvoir faire, puisque ce n'est que de l'assemblage et du vissage, la même chose ». J'ai rencontré quelques personnes, on a commencé à faire un premier, puis d'autres ordinateurs et, maintenant, nous avons des ordinateurs.
Lorsque vous achetez un ordinateur avec une de ces marques, vous le payez environ 2,5 fois à 3 fois ce que, nous, nous le vendons. C'est-à-dire que si vous achetez un ordinateur chez X, 21 000 francs, nous le vendons, nous, 7 000 francs TTC et nous faisons encore de la marge, nous gagnons encore de l'argent, sinon je ne serais pas là.
M. CAVADA : Vous avez créé des emplois...
M. ROUX : ... Non, je n'ai pas créé d'emplois, je stimule des gens qui créent leur propre emploi, qui se distinguent par leurs compétences et leur passion et qui souhaitent travailler avec moi. Ils continuent maintenant à travailler avec et ils m'ont aidé à structurer cette entreprise qui, aujourd'hui, travaille avec 8 personnes. À la fin de l'année 1996, nous devrions travailler avec 25 à 30 personnes. À la fin de l'année 1997, nous devrions travailler avec un peu plus d'un millier de personnes. C'est dans ces conditions-là que cela va se passer.
M. CAVADA : Je vous remercie de votre explication, Monsieur, et tout le monde aura remarqué combien votre visage appuie vos déclarations derrière lesquelles on peut lire évidemment les six années, visiblement détestables, que vous avez vécues.
Nous avons un petit peu dépassé le temps de cette émission. Personne ne m'en voudra de l'avoir fait, notamment en vous écoutant Monsieur. Je vais demander à Monsieur Rocard et à Monsieur Sarkozy de conclure. Nous allons commencer par Monsieur Sarkozy.
M. SARKOZY : En écoutant les derniers interlocuteurs, je me suis dit : « C'est formidable. Vous l'avez fait exprès, c'est un message d'espoir ». Que demandent-ils ? Qu'est-ce qui fait qu'ils ont réussi les uns et les autres ? C'est qu'à un moment donné ils ont une volonté personnelle féroce pour s'en sortir. L'un pour créer son entreprise, l'autre pour rencontrer un autre chef d'entreprise et faire de la place aux jeunes. La troisième pour nous dire : « Arrêtez de nous parler d'indemnisation, je veux un fonds qui me permette de créer moi-même. Je ne veux pas qu'on me fasse l'aumône, je veux qu'on puisse travailler.
En eux-mêmes, ils ont, par des témoignages vivants, réhabilité la notion de travail et ils nous ont montré la voie qu'il faut suivre, celle de la confiance, de l'optimisme, du dynamisme. Ainsi, dans notre pays, on peut faire confiance à nos concitoyens pour utiliser, susciter et libérer toutes les formes de dynamisme. Je crois que c'est l'une des réponses vivantes, modernes et d'avenir pour le problème du chômage.
M. CAVADA : Je vous remercie.
Votre conclusion, Monsieur Rocard.
M. ROCARD : Curieusement, je m'écarterai moins de Monsieur Sarkozy, cela nous est arrivé pendant la soirée, de Nicolas Sarkozy, excusez-moi ! Si nous avons une chance de sortir de l'extrême difficulté au nous sommes, c'est tout de même parce que la France est pleine de gens tenaces, actifs, inventifs, dégourdis, bravo !
Il y a à regarder, derrière tout, cela un des points les plus majeurs, c'est-à-dire la découverte des services de proximité. Ce grand gisement passe par une défiscalisation adaptée, l'autre passe par le fait qu'on dégage des charges sociales pour les activer. Ma proposition n'est qu'une généralisation de tout cela. Mais je pense surtout à ceux qui ont du mal. Je suis convaincu que vous avez raison d'insister sur le droit à l'essai et le droit à l'échec et je dis simplement qu'il faut absolument soulager le problème général de la gravité statistique du chômage parce que, aujourd'hui, quand on est à 12 %, il n'y a pas deux fois la chance, on tombe dans le chômage et on à toutes les peines du monde à en sortir, cela demande trop. C'est pour cela que je me bats pour une mesure rapide, assez simple à faire, qui consiste à activer massivement la dépense pour vous soulager tous et donner tout cela. Ce n'est pas de l'administration, c'est au contraire une tarification qui accentuera la liberté de négociation de tous les acteurs pour aller dans ce sens. Mais j'insiste, c'est vraiment nécessaire et vraiment urgent.
M. CAVADA : Je vous en remercie, Monsieur Rocard.
Je vous donne les références de ceux qui nous ont aidés à travailler dans cette émission. D'abord, je vous renvoie à notre partenaire « L'Express » qui, avec sa Rédaction, a consacré un dossier spécial de 10 pages, avec des exemples concrets dont vous avez eu 8 exemples rapides, pardonnez-moi, Mesdames et Messieurs, tout à l'heure devant vous. Ces lecteurs proposent des solutions pour créer des emplois en témoignant de leur propre expérience. Ce dossier a été conduit par Corinne Laïc et Sabine de Langlade. Je voudrais vous dire que, en dehors des idéologies, extraordinairement instructif.
Ensuite, je vous renvoie au livre de Michel Rocard : « Les moyens d'en sortir », Éditions du Seuil, Essais. C'est un livre de cette année.
Je vous renvoie au livre de Nicolas Sarkozy qui s'appelle « Au bout de la passion, l'équilibre... ». Ce n'est pas vraiment le même sujet, c'est une carrière plutôt.
M. SARKOZY : C'est gentil et inattendu.
M. CAVADA : C'est une balance égale, n'est-ce pas ! Entretien avec Michel Denisot. C'est un livre qui a maintenant presque deux ans-un an et demi.
Je vous renvoie également à « L'horreur économique » de Viviane Forrester que vous avez vue en début de cette émission, Fayard 1996.
Et je vous renvoie à un livre qui fait beaucoup parler de lui et qui soulève des controverses énormes. Les uns disent que « c'est un tissu d'inepties » et les autres disent que « c'est un tissu de catastrophes prévisibles » – en tout cas, moi, je n'ai pas d'idée bien que l'ayant lu – de Jeremy Rifkin, « La fin du travail », préface de Michel Rocard d'ailleurs, c'est aux éditions « La découverte ».
(Rires dans la salle)
Pourquoi riez-vous ? S'il fait un livre, il peut bien faire une préface, où est le problème ? Vous êtes d'accord.
Je vous signale que, la semaine prochaine, « La Marche du Siècle » portera sur un thème tout à fait humain et tout à fait intéressant. Nous avons, il y a trois ans, consacré une émission au monde des sourds. Nous avons été assaillis de demandes légitimes et nous avons décidé de les accepter avec grand plaisir. L'émission de la semaine prochaine sera consacrée au monde intérieur des aveugles. Vous en aurez des surprises sur tout ce que ces personnes non seulement font comme efforts, mais ont comme beauté intérieure personnelle à vous dire. Voilà comment sera faite cette émission.
Dans un instant, les actualités, le Soir 3. Puis, ensuite, « un siècle d'écrivains », le portrait de Monsieur François Nourrissier qui est un romancier dont vous connaissez le visage, vu qu'il est nourri d'un grand front et aussi d'une grande barbe blanche. Il est le patron de l'Académie Goncourt depuis quelques années, il en est membre depuis 1977.
Merci de nous avoir suivis, merci, Monsieur Sarkozy et à vous, Monsieur Rocard, ainsi qu'à nos autres invités, dans cette salle ou vous avez pu reconnaître une foule importante de visages connus. Je suis désolé, il a fait un peu chaud.
Bonne fin de soirée. Merci.