Texte intégral
Les Échos : 2 décembre 1996
Les Échos : Giscard, inquiet des conséquences de la sous-évaluation du dollar, a-t-il raison de réclamer un décrochage du franc par rapport au mark, avec ou sans l’assentiment de Bonn ?
Jean Arthuis : Les propos de Valéry Giscard d’Estaing m’ont étonné. La parité entre le franc et le mark doit être maintenue à son niveau actuel. Comme gage de cette conviction, je relève que les taux d’intérêt à dix ans sont aujourd’hui autour de 5,58 % en France contre 5,63 % en Allemagne. Le Président Giscard d’Estaing m’a étonné sur un autre point, en préconisant un euro à 7 francs. Son souci de simplification est louable. Mais doit-il conduire à ne pas rendre la monnaie ? Je me mets à la place des épargnants. Demain, ils devront échanger leurs francs en euros. Si l’on suit M. Giscard d’Estaing, ils vont payer 7 francs pour avoir 1 euro, alors qu’aujourd’hui, ils pourraient l’avoir pour 6,50 francs. En ne rendant pas la monnaie, on spolie les épargnants de 8 %. Je récuse cette proposition. Nous approchons de l’échéance de 1999 et nous avons à maintenir le cap. Quant à la parité entre le dollar et le franc, j’ai toujours dit qu’il avait une marge d’appréciation pour le dollar.
Les Échos : Mais, comment pousser à la réappréciation du dollar ?
Jean Arthuis : On ne peut le faire que collectivement, avec la monnaie unique. Donc, l’urgence c’est l’euro et la convergence de nos politiques sur la base de parités stables au sein de l’Union européenne.
Les Échos : Pourquoi attendre 1999 et la création de l’euro pour agir ?
Jean Arthuis : Je n’ai pas dit cela. Mais nous ne devons pas prendre nos désirs pour des réalités. Il s’agit d’action conjointe, au sein du G7 notamment, et non d’initiatives individuelles. On donne d’ailleurs sans doute trop d’importance aux phénomènes monétaires. La monnaie n’est que le reflet de notre économie. Je préférerais qu’on passe moins de temps en recommandations martiales mais sans effet et qu’on s’occupe davantage de problèmes structurels qui altèrent la compétitivité. Ce qui rend l’investisseur hésitant, c’est la perspective d’avoir à gérer des risques de fluctuation monétaire. En ce sens, la rentrée de l’Italie dans le SME est une bonne nouvelle. Le cercle de la stabilité en Europe s’est élargi pour la première fois à douze monnaies nationales.
Les Échos : Les milieux d’affaires français se plaignent pourtant de la surévaluation de la monnaie ?
Jean Arthuis : La compétitivité française me paraît bonne. L’excédent du commerce extérieur atteindra sans doute en 1996 un niveau record. Or, le commerce extérieur représente le quart de notre PIB marchand et les deux tiers de ce commerce extérieur correspondent à des échanges intracommunautaires. Donc, lorsque l’euro sera institué, nous aurons mis 92 % du PIB à l’abri des risques de fluctuations monétaires. De plus, les entreprises qui exportent pourront enfin libeller leurs ventes dans la même unité monétaire que celle qu’elles utilisent pour payer leurs salaires et l’ensemble de leurs coûts de production. Cela nous donnera une toute autre vision des parités monétaires. Le véritable enjeu, c’est de faire de notre future monnaie, l’euro, une grande monnaie de réserve internationale.
Les Échos : La gestion de la zone euro passe par la mise en place d’un Pacte de stabilité pour l’avenir. N’y a-t-il pas divergence d’approche entre la France et l’Allemagne ?
Jean Arthuis : J’ai été le premier à répondre positivement au projet de Pacte de stabilité présenté par Theo Waigel, il y a un an. Pourquoi ? Parce que c’est l’intérêt de tous. L’Europe, c’est d’abord un pacte de confiance, un accord sur les objectifs. Et s’il y a un désaccord, on recherche ensemble une solution. Soyons nous-mêmes avec ce que cela implique d’exigence, de détermination et de respect des autres.
Les Échos : Les socialistes estiment inacceptable que ce pacte de stabilité ne tienne pas compte de la croissance et de l’emploi.
Jean Arthuis : Ils sont restés dans la politique incantatoire. La démonstration a été faite que les déficits publics tuaient l’emploi en asphyxiant l’économie.
Les Échos : N’est-ce pas une vision comptable de l’économie alors que les Français s’inquiètent d’une course-poursuite vers de moindres déficits alors que le chômage s’accroît ?
Jean Arthuis : L’assainissement des finances publiques n’est en aucune façon un projet politique. Mais je ne connais pas de projet politique crédible qui fasse abstraction d’un assainissement des finances publiques. La démocratie ne s’accommode pas de déficits. Il faut sortir des projets virtuels, des gesticulations. On a tort de vouloir opposer assainissement des finances publiques et emploi. La réduction des déficits et des dépenses liée à la baisse de l’impôt permet de recréer les conditions d’une croissance saine et durable.
Les Échos : Selon quelles règles ce Pacte de stabilité peut-il être instauré ?
Jean Arthuis : Je me bats pour qu’il y ait un « conseil de stabilité » chargé de la coordination économique, de faire vivre le Pacte, de réunir les conditions de la croissance et de l’emploi. Un conseil informel, comme le Groupe de sept, dont seuls les pays de l’euro seraient membres.
Les Échos : comment faire admettre un tel conseil, qui n’est pas prévu par le traité ?
Jean Arthuis : Pour l’instant, je n’ai pas de consensus. Mais je compte bien élargir le cercle des adhérents. C’est l’intérêt de tous que le premier cercle de l’euro soit particulièrement dynamique. Il ne s’agit en aucune façon d’exprimer une défiance envers ceux qui ne seront pas encore dans l’euro. La BCE au plan institutionnel aura, en toute indépendance, les mêmes prérogatives que notre actuelle Banque de France : veiller à la stabilité des prix. En revanche, que la politique de change reste de la responsabilité des États. Cette prérogative devra être exercée par le Conseil Écofin, mais sera débattue entre pays membres de l’euro, au préalable, au sein du Conseil de stabilité. On aurait pu l’appeler Conseil de stabilité et de croissance. Mais ne nous payons pas de mots. Si on fait l’euro, c’est pour la croissance et l’emploi.
Les Échos : En cas de crise monétaire face au dollar ou au yen, il faut agir vite. Exiger l’accord préalable de quinze ministres de l’Economie et des Finances avant que la BCE ne puisse intervenir ne constitue-t-il pas un risque ?
Jean Arthuis : Il faut apprendre à vivre collectivement. Ce n’est pas une difficulté en soi. Les banques fédérales qui existent y sont déjà arrivées.
Les Échos : Revenons-en au Pacte de stabilité. Quel compromis vous semble acceptable avec l’Allemagne ?
Jean Arthuis : L’essentiel est d’être d’accord sur l’objectif. Quand on vit dans une communauté, il faut faire émerger un consensus et non imposer son point de vue. Je souhaite vivement que le Conseil de Dublin soit un succès et que les chefs d’État et de gouvernement puissent entériner un accord sur un triptyque : le statut juridique de l’euro ; le SME bis, car, pour faire vivre ce système au-delà du 1er janvier 1999, il faudra veiller à ce que les monnaies nationales en dehors de l’euro fluctuent modérément autour d’un taux pivot ; enfin, le Pacte de stabilité. Sur ce dernier point, nous devons privilégier une démarche pragmatique et naturellement tenir compte des situations objectives de chaque pays. La difficulté est de les quantifier. Le traité explique qu’à partir de 3 % de PIB de déficit les pays se trouvent en situation de déficit public excessif et s’exposent à des sanctions. Sauf circonstances exceptionnelles et temporaires. Reste à les définir. La récession peut avoir une amplitude plus ou moins marquée selon les pays. Au-delà de 2 % de récession, nous sommes certainement dans une circonstance exceptionnelle. Et si un pays franchit alors le plafond des 3 %, on ne doit pas le déclarer en déficit public excessif. Est-ce à dire qu’en dessous de 2 % de récession, il y a automatiquement déficit excessif ? La position de la France est simple et claire : c’est au conseil de décider. Au cas par cas. Ce sera une décision politique. Il ne s’agit pas de se raconter des histoires et de se rendre de menus services en faisant preuve de coupable mansuétude. Il s’agit d’être responsable.
Les Échos : Le choix des pays éligibles à l’euro pourrait être pris en fonction des résultats 1997 mais aussi des prévisions 1998 cet assouplissement impliquant un Pacte de stabilité verrouillant l’avenir. Qu’en pensez-vous ?
Jean Arthuis : C’est la lettre et l’esprit du traité qui doivent être appliqués. Il faut que les résultats 1997 soient significatifs et que le budget 1998 en soit le prolongement. Mais l’épreuve à laquelle nous serons tous soumis s’opérera sur l’année 1997. Les tendances sont très importantes. 1997, ce n’est pas un sprint. Nous entreprenons une démarche de long terme. Sereinement et résolument. Le Pacte de stabilité constitue un garde-fou pour l’avenir. Ce n’est pas une sanction. On le fait aussi pour protéger notre monnaie. Nous serons solidairement responsables. Si l’un d’entre nous a des problèmes, ce sont tous les membres de la communauté qui subissent un préjudice. Détenteurs et gestionnaires de l’euro, nous avons à définir des règles communes.
La Tribune : 16 décembre 1996
La Tribune : Le compromis des Quinze sur le « pacte de stabilité et de croissance » entérine-t-il une victoire de la France sur l’Allemagne, ou l’inverse.
Jean Arthuis : Ni l’un ni l’autre. C’est une victoire pour l’Europe. Dans cette affaire, il ne fallait pas confondre l’objectif et les instruments. L’objectif de stabilité, la France y adhère d’emblée : il n’y a pas d’avenir pour les déficits publics. Mais nous avons besoin d’un règlement de copropriété de l’euro, qui mette chacun à l’abri des déconvenues. S’il advient un accident, il faut néanmoins être en mesure d’en assumer les conséquences. Il fallait trouver l’instrument adapté pour répondre à cet objectif. Et l’automatisme n’était pas le bon positionnement. Finalement, le compromis laisse toute sa souveraineté au Conseil « Écofin » des ministres des Finances, instance politique. Le Conseil analysera les situations au cas par cas.
La Tribune : Que se passera-t-il si le déficit public d’un pays dépasse 3 % alors que sa croissance ne recule « que » de 0,7 % ? Est-il automatique qu’il soit sanctionné ?
Jean Arthuis : Non, ce n’est pas automatique. Nous avons adopté à Dublin, une référence indicative : 0,75 % de recul annuel du PIB. Un pays ne pourra, normalement, se prévaloir de circonstances exceptionnelles de nature à l’exempter de sanctions que si la récession qu’il connaît va au-delà. Mais, là aussi, c’est bien le Conseil qui tranchera par un vote. Si la récession est supérieure à 2 % du PIB, il y a bien automaticité… mais de l’absence de sanction : le Conseil n’a pas à être saisi de la question, car il est alors admis que les circonstances exceptionnelles existent indiscutablement. En revanche, si le recul du PIB est compris entre 0,75 % et 2 %, alors la Commission instruit, la procédure et rend compte au Conseil des ministres, qui apprécie et décide, en toute souveraineté. C’est bien une décision politique.
La Tribune : Le Conseil de stabilité qui, selon vous, réunira les ministres de l’Economie des pays euro et sera l’interlocuteur « politique » de la Banque centrale européenne n’est pas évoqué dans les conclusions de Dublin. Ce dossier avance-t-il ?
Jean Arthuis : Il y a un an, personne ne semblait vouloir du « SME bis » que je proposais. Aujourd’hui, il est entériné. Je n’ai pas le moindre doute sur la création du Conseil de stabilité et de croissance car, il correspond à une nécessité. Il faudra, par exemple, que les pays euro décident ensemble de la politique de change extérieure de l’euro. Lors du Sommet franco-allemand de Nuremberg, le 9 décembre, Theo Waigel et moi sommes convenus de réfléchir ensemble et de manière approfondie, à cette question prochainement.