Texte intégral
RMC : vendredi 10 janvier 1997
P. Lapousterle : Avant-hier, vous étiez réunis avec tous les ministres autour d'Alain Juppé et, si on a bien compris, vous avez décidé d'être plus aimables, de mieux expliquer, mieux consulter, moins imposer. Ce sont les résolutions de 1997 ?
P.-A. Périssol : Le chef du gouvernement a réuni toute son équipe en ce début d'année. Il l'a fait, effectivement, dans une ambiance très ouverte, très conviviale. Ce n'est pas complètement nouveau. On a l'habitude de travailler en équipe. On a fait le point de toutes les réformes en cours. Elles sont nombreuses et ce qui ressort de ce séminaire c'est, de manière très claire, que l'on va continuer à réformer. C'est vrai que réformer, ce n'est pas forcément ce qu'il y a de plus populaire à court terme. Mais vous savez, la popularité, ça va ça vient. Remettre la France en ordre, c'est ce qui restera ; et pour les législatives, les Français ne se demanderont pas si Alain Juppé a eu telle ou telle cote de popularité à tel ou tel moment, ils se demanderont si leur situation va s'améliorer grâce aux réformes en cours.
P. Lapousterle : Ce qui n'est pas le cas pour le moment.
P.-A. Périssol : Ils se demanderont si, avec ces réformes, l'avenir de leurs enfants sera meilleur qu'avant. Sur un certain nombre de réformes, je crois qu'il y a des résultats qui font que ça va en s'améliorant.
P. Lapousterle : M. Jospin critique assez vertement ce que le gouvernement fait. Il considère que vous n'allez pas dans la bonne direction. Est-ce que ce sont des critiques qui risquent de porter auprès des Français ? Ça vous inquiète ?
P.-A. Périssol : J'entends un peu de bruit de la part de M. Jospin, je n'entends pas de propositions et je crois que ce qui le préoccupe le plus ces jours-ci – mettons-nous dans l'actualité –, c'est d'essayer de montrer qu'il est premier secrétaire du Parti socialiste tout en reniant ce qui a été fait pendant quatorze ans, sous les deux septennats de François Mitterrand, par les gouvernements auxquels il a participé. Il a un jeu un peu complexe à l'intérieur du Parti socialiste. Je crois que c'est ça qui le préoccupe le plus.
P. Lapousterle : L'hiver, cette année, est plus rude que les précédents. La France a quand même connu 35 morts depuis la vague de froid. Les morts de froid sont les SDF. Quelle est la réaction du ministre du Logement, parce que ce sont des gens qui n'ont pas de logement qui sont morts ?
P.-A. Périssol : La réaction du ministre du Logement, la réaction du gouvernement, la réaction de tous les Français est, évidemment, d'être profondément touchés par nos concitoyens qui sont ainsi exposés, et particulièrement par ceux qui sont décédés.
P. Lapousterle : Est-ce qu'on a fait ce qui fallait ?
P.-A. Périssol : Je suis convaincu que mon collègue, le secrétaire d'État à l'action humanitaire d'urgence, Xavier Emmanuelli, a fait ce qu'il fallait. Et moi-même, en termes de logements, j'ai fait un effort tout à fait considérable. Lorsque vous faites face à un problème de ce type – dont je rappelle d'ailleurs qu'on s'émeut quand il fait froid mais, pour moi, le problème du logement ce n'est pas seulement l'hiver, c'est toute l'année qu'il convient de donner un toit et un logement à chaque Français –, lorsque l'on prépare un plan pour telle ou telle circonstance difficile, comme il en existe en hiver, il revient aux pouvoirs publics d'offrir un maximum de places. Je rappelle qu'il y a 50 000 places d'hébergement. On peut rajouter les 20 000 logements d'urgence et d'insertion que j'ai réalisés en 18 mois. Cette responsabilité des pouvoirs publics a été correctement menée. Je rappelle qu'au plus fort du froid, dans les nuits les plus glacées, toutes ces places n'ont jamais été occupées toutes ensemble. Il y a eu environ 10 % de places qui restaient libres. À partir de là, il faut faire deux choses. Il faut certainement améliorer les conditions d'accueil en termes d'humanisation. Des efforts ont été faits en termes de réhabilitation.
P. Lapousterle : Vous savez que si les sans-domicile fixe ne vont pas dans les endroits qu'on leur propose, c'est qu'ils considèrent que ces endroits ne leur conviennent pas.
P.-A. Périssol : Beaucoup a été fait. Il faut aller encore plus loin. C'est vrai que, quand on est tout seul, on est très attaché à son chien, on ne veut pas s'en séparer. C'est un autre exemple pour montrer que l'on doit encore aller plus loin là-dessus. Mais ce que je crois surtout, c'est que donner un toit, c'est indispensable et il y a les capacités d'hébergement, mais il faut aussi donner du coeur. Lorsqu'on est vraiment paumé dans la société, il faut retrouver une place et cette place, c'est certainement un toit mais c'est aussi le regard, l'écoute que l'on va avoir, la considération que l'on va avoir et qui va retisser un lien entre vous et la société. Et ça, c'est le fait de tous. J'appelle vraiment tous les Français à montrer une certaine attention, à donner un peu d'eux-mêmes, un peu de coeur auprès de nos concitoyens les plus en difficulté. Je crois que c'est très important.
P. Lapousterle : Vous avez signé des contrats de solidarité qui sont intéressants puisqu'ils permettront à ceux qui ont des factures en retard en ce qui concerne l'électricité, le gaz ou autre, de continuer de jouir de ces services même s'ils n'ont pas payé. Est-ce que c'est une chose qui marche et que les Français connaissent ? On a l'impression que les Français ne connaissent pas toutes ces possibilités ?
P.-A. Périssol : Nous avons mis fin aux coupures d'électricité, de gaz et d'eau. Je pense là aux Français qui, eux, sont logés et qui…
P. Lapousterle : Mais vous n'avez pas mis fin à toutes les coupures ! Il y a encore pas mal de gens qui sont touchés !
P.-A. Périssol : J'ai signé une convention avec les distributeurs d'énergie et d'eau pour qu'ils s'engagent à ne pas couper l'électricité, le gaz, l'eau et à maintenir un niveau minimum d'énergie permettant d'assurer un niveau de chauffage, d'éclairage minimum, le temps de voir si la famille est de bonne foi et de trouver une solution. Vous voyez, la société ce n'est pas un slogan, un thème de discours, mais une exigence d'action. Dans d'autres temps, on en a parlé mais maintenant on agit.
P. Lapousterle : Cela dit, on dit que quand le bâtiment va, tout va et le bâtiment ne va pas bien. On n'arrête pas de voir chaque jour les professionnels du bâtiment dire que la situation est catastrophique.
P.-A. Périssol : Je suis conscient que le bâtiment souffre mais, paradoxalement, les logements marchent et marchent beaucoup mieux. Dans les neuf premiers mois de l'année, il y a eu en moyenne 16 % de ventes en plus qu'au cours des neuf premiers mois de l'année 1995. Il y a un an, dix-huit mois, tous les titres des magazines qui parlaient du logement évoquaient la crise, la chute des prix, etc. Aujourd'hui, les couvertures des magazines se font sur l'immobilier qui repart et sur le boom du prêt à taux zéro, son succès, etc. Donc le logement va bien, mais c'est vrai qu'entre la reprise des ventes et la fourniture des carnets de commande des entreprises du bâtiment, il se passe à peu près douze à dix-huit mois, et donc les ventes d'aujourd'hui sont les emplois de demain dans le bâtiment.
Le Parisien : 13 janvier 1997
Le Parisien : Le logement social est au coeur de plusieurs affaires : favoritisme dans l'attribution de logements, mauvaise gestion de certains organismes… Quelle est, selon vous, l'ampleur du scandale ?
Pierre-André Périssol, ministre délégué au Logement : Aujourd'hui, la réglementation n'oblige pas les organismes HLM à attribuer des logements de façon transparente. Les attributions sont prononcées dans une totale opacité, avec des mécanismes très complexes, où le demandeur de logement HLM n'est absolument pas informé. C'est la porte ouverte aux abus. En deux ans (1994-1996), la mission interministérielle du logement social (Milos), qui contrôle les organismes HLM, a sanctionné 68 organismes qui avaient attribué des logements à des personnes ayant des revenus supérieurs aux plafonds. C'est trop et nous allons faire en sorte que cela cesse. Le gouvernement va présenter au Parlement d'ici à la fin du premier trimestre une réforme de la procédure d'attribution des logements sociaux.
Le Parisien : Quelles sont les trois mesures que vous comptez prendre pour assurer la transparence et l'égalité des chances en matière d'attribution de logements sociaux ?
Pierre-André Périssol : Aujourd'hui, on n'est pas capable de savoir combien il y a de demandeurs de logements sociaux et combien de logements sont libérés chaque année. Nous allons donc créer un fichier unique des demandeurs et des logements. Personne ne sait, à part l'organisme HLM, à qui ont bénéficié les attributions. Les Français doivent savoir, par exemple, combien gagnent en moyenne les bénéficiaires des logements HLM ou bien encore combien tel ou tel organisme a attribué de logements à des mères seules avec des enfants. Demain, les organismes devront publier régulièrement le profil de la population qu'ils accueillent. C'est comme cela qu'on pourra corriger le tir, et donner la même chance à tous, quelle que soit sa situation. Aujourd'hui, lorsqu'on dépose une demande pour avoir un logement HLM, on n'est absolument pas informé de ce qui se passe après. Il y a des gens qui attendent des années sans même savoir si quelqu'un a regardé leur dossier. Je veux que, demain, les demandeurs de logement HLM soient traités en citoyens. C'est-à-dire qu'ils soient informés de l'état d'avancement de leur demande et qu'ils puissent même faire appel à un « intermédiateur » pour plaider leur dossier, s'ils estiment ne pas être entendus.
Enfin, je souhaite que demain, dans des situations d'extrême urgence, le préfet puisse, en liaison avec le maire concerné, procéder à l'attribution d'office d'un HLM.
La Montagne : 29 janvier 1997
La Montagne : Vous vous retrouvez au coeur de l'affaire du Crédit foncier avec, en particulier, de la part des salariés, l'accusation d'avoir ruiné leur entreprise en leur faisant perdre le monopole des prêts d'accession à la propriété.
Pierre-André Périssol : Les difficultés du Crédit foncier remontent bien au-delà du remplacement du prêt d'accession à la propriété (PAP) par le prêt à taux zéro, en octobre 1995. Elles proviennent avant tout de la gestion aventureuse et spéculative que le Crédit foncier a eu depuis 1989 et qui l'a conduit à s'engager dans un ensemble d'opérations, toutes très risquées, mais surtout situées en dehors du champ du logement social, sa fonction première. Le Crédit foncier a accumulé les erreurs en quelques années. Il a investi des centaines de millions de francs dans un groupe hôtelier où le coût d'une nuit variait entre 2 000 et 15 000 F. Nous étions là très loin du social, tout comme quand il a racheté le vignoble de Château-Beauregard ou encore des immeubles à 140 000 F le m2, soit dix fois plus que le prix d'un bon logement. Et comme ces immeubles valent aujourd'hui le tiers de l'investissement, on mesure l'étendue des dégâts. Ces opérations spéculatives particulièrement hasardeuses conduisent aujourd'hui le Crédit foncier à avoir accumulé, depuis 1989, un montant de pertes au moins égal, sinon supérieur aux richesses qu'il avait accumulé en 140 ans de bonne gestion.
La Montagne : Comment sortir le Crédit foncier de la situation de blocage et lui redonner sa vocation ?
Pierre-André Périssol : Le conciliateur nommé par le Premier ministre a pour mission de rechercher toutes les solutions possibles dans le cadre de la plus grande transparence. Pour ma part, je souhaite que le Crédit foncier en revienne à sa première mission : le logement social. Le personnel possède un savoir-faire dans ce domaine spécifique et je suis bien placé pour savoir qu'il y a aujourd'hui, en France, beaucoup à faire.
La Montagne : Vous avez présidé le Crédit immobilier de France de 1988 à 1993. Estimez-vous toujours aujourd'hui qu'il s'agit de l'organisme le mieux placé pour reprendre le Crédit foncier ?
Pierre-André Périssol : Aucun repreneur ne s'étant porté candidat, les services des finances ont sollicité le Crédit immobilier. Mais s'il y a aujourd'hui un établissement prêt à reprendre le Crédit foncier avec les mêmes garanties et dans les mêmes conditions que le Crédit immobilier, je souhaite que ce soit cet autre établissement.
La Montagne : Qu'en est-il des prêts à taux zéro ?
Pierre-André Périssol : Lancés en octobre 1995, ils atteignent aujourd'hui les 150 000, c'est-à-dire une moyenne mensuelle de 10 000 ; soit quatre fois plus que le prêt d'accession à la propriété auparavant. Il s'agit d'un triple succès : social, jeune et populaire. Les 4/5e des couples disposent d'un revenu moyen de l'ordre de 13 000 F et 65 % d'entre eux ont moins de 35 ans. De plus, 66 % sont des ouvriers ou des employés.
Europe 1 : mercredi 5 février 1997
J.-P. Elkabbach : Vous précisez, ce matin, la réforme d'attribution des HLM. Elles sont destinées aux personnes et aux familles à ressources modestes. Apparemment, le système ne fonctionne plus et on sait pourquoi. À qui et pour qui les HLM, désormais ?
P.-A. Périssol : Effectivement, hier, on ne savait pas très bien et on n'avait pas très bien défini qui devait rentrer dans les HLM. La seule règle est d'avoir des ressources inférieures à un plafond. Et ainsi, celui qui a de beaux revenus avait plus de chances de rentrer que celui qui a des petits revenus. Celui qui a des revenus stables avait plus de chances d'être retenu que celui qui a des revenus précaires.
J.-P. Elkabbach : Alors, aujourd'hui ? Et rappelons, au passage, que 11 millions de Français vivent aujourd'hui dans des HLM.
P.-A. Périssol : Nous parlons de ceux qui rentrent dans des HLM. Eh bien, aujourd'hui, ou plutôt demain, tous ces gens auront la même chance. Concrètement, cela veut dire que la règle qui sera fixée aux HLM est qu'il y ait la même proportion de gens en difficulté, de familles à revenus instables dans ceux qui vont rentrer en HLM que dans ceux qui attendent une HLM. Il y a donc une égalité des chances entre eux, il n'y a pas de différences de profil entre ceux qui rentrent et ceux qui attendent.
J.-P. Elkabbach : C'est-à-dire que le système était particulièrement inégalitaire !
P.-A. Périssol : Le système et les règles anciennes ne précisaient pas cela et correspondaient à une situation où la société ne comprenait pas toutes ces difficultés.
J.-P. Elkabbach : Quel sera le niveau de revenus choisi ?
P.-A. Périssol : Il ne change pas. Il y a un plafond de revenus mais à l'intérieur de ce plafond, dont je rappelle qu'il représente 60 % de la population, il y a des différences très importantes et je veux que ce soit ces différences qui se retrouvent à l'intérieur des bénéficiaires.
J.-P. Elkabbach : Que va-t-il advenir à ceux qui s'inscrivent chaque année et qui attendent parfois sans rien avoir ?
P.-A. Périssol : Vous savez, tout le monde comprend que, puisqu'il y a moins de logements attribués et plus de demandes, il y a forcément insatisfaction. Et deuxièmement, on comprend bien qu'il y a plus de temps à attendre quand on est dans une grande ville comme Lille que quand on est dans un département rural. Eh bien, ce qui sera très nouveau, c'est que, demain, celui qui attendra plus que la durée moyenne à l'intérieur de son département, verra son cas examiné en priorité et cela, c'est l'une des deux grandes nouveautés.
J.-P. Elkabbach : Vous créez des numéros que chaque personne, qui voudra s'inscrire, obtiendra avec des listes d'attente que, cette fois-ci, on surveillera. De plus, on aidera pour que l'attente ne soit pas trop longue ?
P.-A. Périssol : Je tiens à ce que celui qui s'inscrive soit protégé et que donc il y ait un numéro qui lui assure que son inscription a bien été prise en compte.
J.-P. Elkabbach : Les fils, les filles, les protégés d'élus, de ministres ne seront plus favorisés ? C'est fini les combines et les passe-droits ?
P.-A. Périssol : Je fais une réforme des attributions. Tout ce que je puis dire, c'est que cette réforme est en place. Celui qui sera choisi pour avoir une HLM en aura réellement besoin. Cela étant dit, quand on a à choisir une personne parmi trois individus qui ont la même situation leur permettant d'entrer, il est clair que le dossier qui a été présenté par un élu, par un journaliste, par une assistante sociale a plus de chances d'être pris en compte. Et c'est pour cela que je souhaite expérimenter la formule d'un médiateur qui pourrait, tout simplement, présenter le dossier de celui qui n'a pas de relations et qui pourrait ainsi se faire entendre. Il faudrait aussi ajouter une chose, à savoir qu'il y a un certain nombre de gens qui sont en grande difficulté et ceux-là ont encore plus de difficulté pour entrer dans une HLM. Eh bien, avec mon collègue, Xavier Emmanuelli, nous sommes en train de négocier pour que 50 000 logements HLM leur soient réservés pour l'année 1997. Ceci permettra de réserver ces 50 000 logements à des personnes en grande difficulté pour les reloger au sortir de logements d'insertion et d'urgence ou pour loger des gens qui n'arrivent plus à rembourser leurs crédits auprès du banquier pour payer leur maison.
J.-P. Elkabbach : J'ai lu que vous comptez sur la concertation avec les fédérations de HLM ou les associations. Vous demandez donc à ceux qui ont commis ou aggravé des abus et des injustices depuis des années d'y remédier. C'est-à-dire que vous croyez aux conversions ?
P.-A. Périssol : D'abord, je crois en la loi et, deuxièmement, je crois, aujourd'hui, que l'État, par le Gouvernement, va réaffirmer son rôle, sa responsabilité de garant des procédures d'attribution et de l'orientation qu'il fixe et, à ce moment-là, je suis sûr que tout le monde se mettra à jouer le jeu.
J.-P. Elkabbach : Au passage : quand des municipalités ont la tentation – peut-être à Orange, Toulon, Châteauvallon, peut-être demain à Vitrolles – de jouer la préférence nationale, qu'est-ce que vous pouvez faire ?
P.-A. Périssol : Je dis que ceci est complètement hors de la loi. Quelles que soient la race, la religion. Ce ne sont pas des critères qui peuvent être cités et donc je veille et j'ai demandé à ce que les préfets soient très attentifs à ce qu'il n'y ait aucune dérive sur ce plan-là.
J.-P. Elkabbach : Il y a une sorte d'inquiétude ?
P.-A. Périssol : Une vigilance.
J.-P. Elkabbach : Vous avez inventé et lancé les prêts à taux zéro. Les salariés du Crédit foncier vous ont dans le collimateur et ils estiment que vous avez assassiné le Crédit foncier. Quelle part de responsabilité vous vous attribuez ?
P.-A. Périssol : Si vous parlez du prêt à taux zéro, disons un mot sur le succès de ce prêt. Aujourd'hui, outre le fait que chaque mois il y a plus de 10 000 prêts à taux zéro – c'est-à-dire quatre fois plus que pour le prêt précédent –, c'est un succès social, jeune et populaire.
J.-P. Elkabbach : Sauf pour le Crédit foncier qui a réussi à en placer mais…
P.-A. Périssol : Qu'est-ce que je constate aujourd'hui ? C'est que certains socialistes, qui montrent bien là leur conception élitiste de la société, me disent que le prêt à taux zéro met en danger ceux qui en bénéficient du simple fait qu'ils ont des revenus modestes ou que ce sont des ouvriers, ou que ce sont des jeunes de moins de 35 ans. C'est une vision totalement élitiste de la société, pourquoi ? Parce qu'il y a 75 % de la population qui gagne moins de 15 000 francs par mois, et donc dire qu'accéder à la propriété quand on a moins de 15 000 francs par mois c'est être mis en danger, cela veut dire qu'il faut dire clairement qu'on interdit l'accession à la propriété pour ceux-ci.
J.-P. Elkabbach : Votre part de responsabilité dans la situation actuelle du Crédit foncier ?
P.-A. Périssol : Le Crédit foncier et ses difficultés sont la conséquence de ce que j'appellerais « le socialisme spéculatif ». Le Crédit foncier est sorti de sa mission traditionnelle qui était de faire des logements sociaux et c'est ainsi qu'il a prêté un demi-milliard de francs pour un hôtel dont la nuit représente un à cinq mois de loyer HLM, il a acheté des crus de vins et il a acheté des immeubles dont le prix représente dix fois le prix d'un mètre carré.
J.-P. Elkabbach : Vous ne vous sentez aucune forme de responsabilité ?
P.-A. Périssol : Les responsables du Crédit foncier ont reconnu que le prêt à taux zéro a bien marché au début pour le Crédit foncier, et moi je fais confiance aux salariés pour leur savoir-faire social, et ce n'est pas eux qui ont démérité…
J.-P. Elkabbach : Ceux qui ont démérité, ce sont les gens de l'administration, les politiques nommés par toutes sortes de gouvernements de droite, de gauche. Est-ce que le Crédit foncier a un avenir tel quel ?
P.-A. Périssol : Je pense que ces salariés ont un réel savoir-faire social et je crois qu'il est de la responsabilité du conciliateur du gouvernement de voir comment on peut préserver ce savoir-faire social et un maximum d'emplois.
J.-P. Elkabbach : En tant que ministre du Logement, vous étiez au courant de ce qui se faisait ?
P.-A. Périssol : C'est un établissement financier, c'est donc mon collègue des Finances qui l'a suivi. Je suis pleinement solidaire de ce qu'il a fait. J'ai d'ailleurs dit pour la solution que j'ai effectivement découverte, à savoir un rapprochement avec le Crédit immobilier de France, que je pensais, connaissant la culture des deux établissements, qu'à condition égale, il vaudrait mieux trouver un autre repreneur.
J.-P. Elkabbach : Vous avez une idée de qui ?
P.-A. Périssol : C'est vraiment la mission du conciliateur et du gouvernement.
J.-P. Elkabbach : Je m'en lave les mains ?
P.-A. Périssol : Je ne m'en lave pas les mains, je donne mon avis et je l'ai d'ailleurs donné en disant que je préférerais que ce soit quelqu'un d'autre que le Crédit immobilier de France.