Dossier d'articles de MM. Alain Deleu (CFTC), Marc Blondel (FO), Louis Viannet (CGT), Nicole Notat (CFDT), Annick Coupé (SUD) et Marc Vilbenoit (CGC) publiés dans "Ouest-France" du 20 janvier au 10 février 1997, sur l'insertion professionnelle et l'emploi des jeunes, les positions syndicales notamment sur les "stages diplômants" proposés par le CNPF.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Réunion des partenaires sociaux en "sommet social" sur l'emploi des jeunes, à Matignon le 10 février 1997

Média : Ouest France - Presse régionale

Texte intégral

La Lettre confédérale CFTC - 20 janvier 1997

Emploi des jeunes : la CFCT propose

Par Alain Deleu, président de la CFTC

Des témoignages, des tribunes, « Ouest-France » accompagne le débat essentiel sur l’emploi des jeunes. Aujourd’hui, c’est Alain Deleu, le président de la CFTC, qui prend la parole. Avec un credo : l’emploi des jeunes est l’affaire de tous.

Dans le naufrage du plein emploi, la dignité requiert de sauver nos Jeunes. Hélas, malgré les surenchères verbales à grands coups de chiffrages, nous faisons largement le contraire avec d’incalculables conséquences humaines. Même la crise du CIP, en 1994, n’a pas remis en question les conformismes patronaux et syndicaux.

On ne peut donc que féliciter le patronat de se remobiliser aujourd’hui. Et la CFTC répond « présente » sans hésiter.

Mais, il n’est pas question de laisser traiter l’affaire entre patronat et gouvernement. L’emploi des Jeunes concerne tout autant ln représentants des salariés. La bonne démarcha est l’engagement conjoint des partenaires sociaux, par exemple, pour la mise en œuvre des programmes régionaux d’insertion.

Nul doute que les formations en alternance offrent de précieux avantages pour se préparer à un emploi, y compris l’alternance sous statut scolaire qui rend possible une formation globale et harmonieuse. Les partenaires sociaux viennent d’ailleurs de relancer le contrat de qualification, qui avait fait les frais des réformes récentes.

Mais comment un jeune pourrait-il choisir telle ou telle voie sans l’avoir expérimentée concrètement ? Tout collégien devrait donc bénéficier de séquences découvertes du monde du travail, bases d’une orientation renforcée.

Par la suite, toute formation post-baccalauréat devrait inclure des périodes d’expérience en entreprise, avec validation des acquis. C’est là que le projet « Pineau-Valencienne » peut intervenir, car il est souvent difficile de trouver un stage formateur et de bénéficier d’un tuteur disponible et compétent. Mais, il ne faudrait pas que cela serve à limiter davantage l’indemnisation versée aux stagiaires ou à camoufler la période d’essai de jeunes diplômés.

Des discussions vont s’ouvrir avec le CNPF, à notre Insistance, pour un « nouveau contrat d’orientation » pour les jeunes non qualifiés ou en difficulté d’insertion. Il devra permettre une évaluation des aptitudes et aspirations personnelles, une prise de contact avec des entreprises variées et la détermination de l’emploi à rechercher ou de la qualification complémentaire à acquérir.

Quant à la première embauche, par respect pour la dignité de travail des jeunes et la qualification acquise, nous tenons au principe « à travail égal, salaire égal ». S’il faut une formation d’adaptation, le contrat d’adaptation est là pour ça. N’allons pas profiter du chômage des jeunes pour inventer encore un nouveau « sous-Smic-jeunes ».

En réalité, notre problème est surtout culturel. Comment se fait-il que nos communautés de travail ne cherchent-elles pas d’elles-mêmes à offrir une place à chaque jeune ? Pourquoi faut-il toujours inventer des systèmes qui attirent surtout les chasseurs de primes ? Les jeunes générations nous concernent tous. Ce ne sont pas les systèmes, si savants soient-ils, qui feront une place à chacun. C’est la volonté de chacun d’entre nous. Dans notre entreprise, posons-nous simplement la question : n’y aurait-il pas chez moi une place pour un jeune, un de plus ? Voilà un vrai sujet de travail entre employeurs et délégués syndicaux.

 

Ouest-France - 25 janvier 1997

Emploi des jeunes : FO propose

Par Marc Blondel, secrétaire général de la Confédération du travail-Force ouvrière

Des témoignages, des tribunes. « Ouest-France », accompagne le débat essentiel sur l’emploi des jeunes. Aujourd’hui, c’est Marc Blondel, secrétaire général de Force ouvrière, qui prend la parole. Avec un credo : osons.

Par définition, la jeunesse c’est l’avenir. En conséquence, sacrifier la jeunesse, c’est-à-dire une génération, c’est obérer l’avenir. C’est d’ailleurs le propre du marché et du libéralisme de ne vivre qu’à court terme, sans se préoccuper du futur. Une telle situation place les jeunes dans une situation plus que difficile. Inquiets, à juste titre, pour leur avenir, ils ont du mal à vitre le présent « Carpe diem », comportement logique de la jeunesse, devient de plus en plus difficile. De moins en moins de jeunes ont droit à l’insouciance parce que l’espoir est bouché et, ce faisant, l’objectif de l’autonomie repoussé. De plus en plus, la jeunesse dépasse le temps scolaire. Les jeunes sont obligés de rester de plus en plus dans leur famille, avant d’entrer dans la vie active, et encore quand ils y arrivent, c’est par paliers successifs de chômage, stage, contrats précaires.

Différentes études viennent, par ailleurs, de démontrer largement que la rémunération des jeunes à l’embauche diminue, qu’ils subissaient fréquemment une déqualification, que la pauvreté gagnait du terrain. Cette inquiétude majeure est partagée par les générations plus âgées, elle explique en partie le souhait exprimé par sondage d’une retraite à 55 ans. Tout cela pose fondamentalement la question : quelle société, pour qui ? À celle-ci, le responsable syndical répond : une société faite par et pour les hommes. Cela suppose qu’on cesse de tout examiner en considérant par avance qu’on ne peut rien faire de différent en matière de politique économique. Il est du rôle des pouvoirs publics de savoir s’imposer aux marchés aux niveaux national et européen. Cela suppose donc qu’on pose enfin les vrais problèmes et qu’on cesse de se référer aux valeurs républicaines (liberté, égalité, fraternité, laïcité) pour mieux s’en éloigner. Poser le problème du service public, par exemple, c’est aussi savoir recruter les effectifs nécessaires.

Les besoins existent, les CES peuvent en témoigner. De même, comment les entreprises privées peuvent-elles exiger des gens qualifiés et tout faire pour déqualifier leurs emplois et leur contrat de travail. Les idées évoquées telles que les stages ou petits boulots sont finalement des aveux d’impuissance, elles conduisent à désintéresser les jeunes de leurs études. Intégrer les jeunes sans opposer les générations est le problème n° 1. Nul ne peut considérer que les besoins n’existent pas. Ils crèvent les yeux. Ce qui manque, c’est la volonté d’y répondre. Ainsi, on nous parle de problèmes d’urbanisation, mais aucune réflexion d’ensemble, cohérente et audacieuse n’est menée. À retarder les solutions, on ne fait qu’accroître les problèmes. En tout cas, le militant syndical ne se résoudra jamais à faire des jeunes des victimes, c’est aussi une façon de savoir se regarder dans la glace et dans les yeux de ces enfants.

 

Ouest-France - Mercredi 5 février 1997

« Jeunes, pour l’emploi à vos marques »

Par Louis Viannet, secrétaire général de la CGT

Sommet social, déclaration présidentielle, tout se passe comme si insérer notre jeunesse dans la vie professionnelle devenait une priorité.

Seulement voilà ! Tout se passe « comme si » et ce qui se cache derrière l’effet d’annonce est bien petit et, pour certains aspects, dangereux.

La réalité reste noire, la recherche d’un premier emploi relève du délire.

L’âge moyen d’accès à un emploi stable est aujourd’hui de 25 ans et il continue de reculer. Précarité, insécurité, incertitude sont les lots communs des jeunes d’aujourd’hui. 15 % des jeunes de 25-29 ans sont chômeurs et certains sont durablement exclus, privés d’espoir d’obtenir un emploi stable.

Alors, ils galèrent, de petits boulots en contrats à durée déterminée ou temps partiel qu’on leur impose. Que peuvent-ils espérer, ces jeunes, d’une société incapable de les insérer dignement dans la vie active ? Quelle perspective pour leur vie si l’angoisse brise l’enthousiasme à l’âge où, précisément, on fait des projets, on veut construire un couple, avoir des enfants ?

Le gâchis est considérable pour le présent, mais les conséquences sur le devenir de la société risquent d’être dévastatrices. L’envie est forte de crier à ceux qui dirigent : « Arrêtez vos discours et passez aux actes ! », et de dire aux jeunes : « Ne courbez pas l’échine et bousculez cette fourmilière d’hypocrisie ! ».

Il ne peut y avoir de solutions réelles et durables pour l’emploi des jeunes sans mesures draconiennes pour l’emploi en général.

Réduire la durée du travail ? Le patronat hurle à la mort des entreprises. La productivité du travail s’est considérablement développée, la pénibilité également, le stress empoisonne la vie au travail. Qu’importe ! Seule compte la rentabilité maximum.

L’aspiration de toutes les catégories de salariés à pouvoir prendre la retraite à 55 ans ? Qu’importe ! Le refus brutal du patronat, du gouvernement, des soi-disant spécialistes s’accompagne de « plans sociaux » (sic) qui continuent à jeter à la rue des salariés de 56, 55, voire 53 ou 50 ans, et les jeunes restent toujours à la porte.

Quand elle s’ouvre, c’est sur des stages sans issue ou des mini-emplois précarisés. Les revendications patronales s’accumulent pour plus de flexibilité, de précarité, de souplesse, afin de « gagner » des emplois.

Les stages diplômants sont la dernière trouvaille du CNPF. Utiliser des jeunes diplômés, neuf mois durant, sans les habituer aux contraintes de l’entreprise, sans garantie d’emploi. Quelle aubaine pour éviter d’embaucher et d’assumer une réelle formation.

La vérité est là, toute nue. Le patronat, et notamment les grandes entreprises, ne veulent plus supporter la charge de la formation, la laissant à la charge de l’argent public.

Il est urgent qu’ensemble, jeunes et moins jeunes, disent très fort, partout, dans les entreprises, dans la rue : « Ça suffit ! ».

Vite, élargissons l’accord du 6 septembre 1995 permettant une embauche de jeune pour un départ anticipé, en attendant la généralisation de la possibilité d’arrêter le travail à 55 ans.

Exigeons la transformation d’emplois précaires en emplois stables. Mettons en place un dispositif combinant travail et formation pour les jeunes en grande difficulté, débouchant ·sur un emploi. Poussons pour augmenter les salaires et relancer consommation et activité.

Bref, il ne s’agit pas de changer de braquet, il faut changer de route, et vite. C’est tout le sens de l’action que nous voulons développer avec les jeunes.

 

Ouest-France - Jeudi 6 février 1997

« Dénicher un emploi, c’est bosser deux fois plus »

Gérard Croguennec, directeur régional en Basse-Normandie

Ouest-France : Le chômage des jeunes est une priorité nationale. Que fait l’ANPE ?

Gérard Croguennec : On a poussé les jeunes de plus en plus à se former. C’est bien. Quand on discute avec eux, en fait, peu d’entre eux ont un projet professionnel concret. Ils ont plus des projets de vie. À nous de prendre en compte cette nouvelle donne.

Ouest-France : Comment expliquez-vous que certains métiers manquent de main-d’œuvre ?

Gérard Croguennec : Les causes sont multiples. On ne va pas décider d’ouvrir lundi matin une formation en machinisme agricole. Il faut étayer la demande quantitativement et dans la durée. D’où l’intérêt de multiplier les concertations avec les branches professionnelles et les collectivités. Il y a aussi l’image négative que l’on véhicule parfois sur certains métiers ! Souvent par méconnaissance, car les métiers évoluent.

Ouest-France : Le parcours pour l’emploi peut être relativement long ?

Gérard Croguennec : Il peut. Le diagnostic étant posé, toute une panoplie d’outils est à la disposition du jeune comme les sessions « techniques de recherche d’emploi ». L’essentiel est d’être actif, n’être surtout pas passif. Quand on cherche du boulot, il faut bosser deux fois plus !

Ouest-France : Vous voulez dire que c’est un métier que de trouver un emploi…

Gérard Croguennec : On peut ainsi forcer le trait. Vous pouvez posséder un excellent CV et être nul en recherche d’emploi. À l’ANPE, nous sommes là pour donner une méthode afin de mieux chercher, de valoriser sa candidature. Je regrette que la fréquentation des ateliers reste insuffisante. J’entends souvent dire : « Je cherche n’importe quoi ». Erreur. Le métier « n’importe quoi » n’existe pas ! Comme il ne sert à rien d’envoyer 200 lettres de candidatures tous azimuts. Il faut cibler.

Ouest-France : Toutes les offres ne passent pas par l’ANPE. Loin s’en faut.

Gérard Croguennec : Nous gérons un petit tiers des offres d’emploi. Nous voulons atteindre le palier de 40 %. C’est justement pour aller à la pêche de ce « marché caché » que le jeune doit mettre le maximum de chances de son côté.

Ouest-France : Quelles sont les capacités de l’ANPE à élargir la connaissance des offres ?

Gérard Croguennec : Avec un partenariat sur tous les fronts. Avec les réseaux de missions locales, avec les PAIO, les permanences d’accueil, d’information, d’orientation. Avec les branches professionnelles. Répétons-le, ce n’est pas l’ANPE qui crée des emplois. Ce sont les entreprises !


Une obligation de résultats

Par Nicole Notat, secrétaire générale de la CFDT

« Dramatique » : tel est aujourd’hui l’adjectif que je suis bien obligée d’employer pour rendre compte des résultats concernant le chômage des jeunes, comme des politiques menées par l’État, le patronat et les entreprises.

Car le constat est accablant. Depuis 15 ans, entre 19 % et 25 % des jeunes actifs sont au chômage. Depuis plusieurs années, quand les entreprises recrutent, elles font appel aux jeunes avec parcimonie. Depuis le début 1997, 607 000 jeunes sont au chômage et leur situation se dégrade chaque jour davantage.

Disons-le clairement : les larmes de crocodile versées quotidiennement sur les chiffres de l’emploi ainsi que les divers stages et contrats précaires proposés n’y changent rien : on ne lutte des efficacement, aujourd’hui, contre le chômage des jeunes.

Et pourtant, tout ou presque a déjà été dit sur les conséquences désastreuses pour l’ensemble de la société de l’exclusion professionnelle des jeunes. On connaît les effets économiques, sociaux et psychologiques de ce chômage, on sait combien les familles sont démoralisées lorsque leurs enfants sont sans avenir, on connaît le mal-vivre engendré par le chômage dans les cités, on imagine surtout le ressentiment et les blessures des jeunes femmes et des jeunes hommes qui n’ont ni espoir, ni projet, ni perspective futures.

Et pourtant, tous les outils sont là. Il ne manque qu’une chose essentielle : la volonté politique. Le Gouvernement et le patronat ont avancé des propositions en matière d’insertion professionnelle et d’ouverture de nouveaux CFA, lors du dernier sommet social « Jeunes » (13 juin 1996) : elles sont restées lettre morte.

Le patronat multiplie les plans pour l’embauche des jeunes et, tout en obtenant aides et exonérations publiques, ne parvient pas à tenir ses promesses. C’est pourquoi, il est temps de dépasser les discours incantatoires et les promesses de Gascon ; il est temps d’en finir également avec les faux débats, et la controverse sur les « stages diplômants » en est un, car elle masque le véritable enjeu : celui de l’embauche de nombreux jeunes, soit directement, soit dans le cadre de contrats de formation en alternance.

Nous avons besoin, en réalité, d’un véritable engagement collectif de tous les acteurs réellement opérationnels : les entreprises, l’État, les collectivités territoriales et les partenaires sociaux. Aux entreprises, il appartient de recruter des jeunes : cela est possible. Si elles ne veulent pas le faire pour les jeunes, qu’elles le fassent au moins pour préparer leur propre évolution : car une entreprise rajeunie, c’est une entreprise qui se tourne résolument vers l’avenir. Aux partenaires sociaux, il appartient de placer l’emploi des jeunes au cœur de leur stratégie : un excellent exemple en est donné en Haute-Normandie. Dans cette région, à l’initiative de la commission interprofessionnelle régionale pour l’emploi (COPIRE), patrons et syndicalistes ont lancé et font vivre un ambitieux plan régional d’emploi et de formation des jeunes (baptisé « Cap sur l’emploi »). Pourquoi ce qui est possible en Haute-Normandie ne le serait-il pas dans toutes les autres régions ?

Le sommet social consacré aux jeunes le 10 février sera-t-il l’occasion pour chacun de ces acteurs de préciser ses engagements et de les tenir ? Pour sa part, la CFDT a fait de l’embauche de 400 000 jeunes sa priorité pour 1997 : elle s’est donné les moyens de cet objectif, tous les délégués syndicaux CFDT des grands groupes font et intensifieront leur pression sur les patrons. Surtout, elle avance des solutions concrètes qui, seules, permettront de sortir de l’impasse dans laquelle nous nous trouvons. Je les rappelle, une nouvelle fois : réduction massive du temps de travail assortie d’embauches, choix clair de l’emploi des jeunes par la réservation à leur profit d’au moins une embauche sur deux, multiplication des formations en alternance sous contrat de travail, généralisation de l’allocation de remplacement pour l’emploi (Arpe) ou, encore, mise en œuvre de la réduction progressive d’activité à partir de 55 ans, deux préretraites à mi-temps permettant la création d’un emploi tout en assurant une transmission d’expérience aux jeunes embauchés.

« Refuser le chômage des jeunes » n’est jamais pour le CFDT, un slogan, ou une simple formule. Il s’agit d’une priorité et d’un objectif qui doit devenir la réalité quotidienne partout où des actions peuvent être décidées et conduites. Il y a aujourd’hui urgence et nous avons collectivement une obligation de résultats.

 

Ouest-France - Vendredi 7 février 1997

« Il n’y a pas de fatalité »

Par Annick Coupé, secrétaire générale de Sud

Après Alain Deleu (CFTC), Marc Blondel (FO), Louis Viannet (CGT) et Nicole Notat (CFDT), Annick Coupé, secrétaire générale de Sud, livre à « Ouest-France » ses réflexions sur l’emploi des jeunes.

Cent cinquante mille jeunes arrivent sur le marché du travail chaque année. Peut-on leur proposer une autre alternative que chômage, contrat à durée déterminée, stages bidons ou CES ?

N’y a-t-il plus de place pour des emplois stables avec une rémunération correcte permettant aux jeunes de vivre décemment, de prendre réellement leur autonomie, de devenir des citoyens à part entière ? Actuellement, le revenu des moins de 30 ans est inférieur d’un quart à la moyenne. Comment imaginer que les jeunes, qui représentent par définition l’avenir de notre pays, puissent prendre toute leur place dans la société, puissent être impliqués dans un projet collectif alors même qu’instabilité, précarité et incertitude du lendemain sont le lot commun de la grande majorité d’entre eux ?

En matière d’emploi, il n’y a pas de fatalité : le nombre d’emplois offerts aux jeunes comme aux moins jeunes dépend bien des priorités décidées nationalement. D’autres choix sont possibles pour proposer de vrais emplois et réduire ainsi le chômage de tous et de toutes (n’oublions pas que le chômage est « sexué » : 32 % des jeunes femmes actives de moins de 25 ans sont au chômage pour 23 % des jeunes hommes [Illisible] donner priorité [Illisible] qui n’en sont [Illisible] tion des exonérations [Illisible] charges patronales [Illisible] aucun des effets [Illisible] celui de dégonfler actuellement les chiffres officiels du chômage.

Les accords sur l’emploi et la flexibilité proposés dans plusieurs entreprises publiques sont présentés comme des exemples à suivre, en particulier pour donner la priorité à l’embauche des jeunes. C’est un tour de passe-passe fabuleux, mais la réalité est moins rose : il s’agit de faire accepter « socialement » des milliers de suppressions d’emplois dans des secteurs pourtant largement bénéficiaires. Le récent accord signé à France Télécom entérine la suppression de 12 000 emplois alors même que cette entreprise fait dix milliards de bénéfices par an ! De même, on oublie de dire que les embauches de jeunes qui se feront, le seront dans un statut au rabais (pas le statut de fonctionnaire, mais celui de contractuel de droit privé).

À La Poste, on continue de supprimer 6 000 emplois de fonctionnaires chaque année, mais, dans le même temps, on embauche 50 000 contractuels de droit privé (en CDD ou en CDI à temps partiel, ou en CES).

Il est possible et nécessaire de créer des emplois socialement utiles dans différents domaines : transports collectifs, structures d’accueil de la petite enfance ou de la vieillesse, équipements sanitaires et sociaux, mais aussi des moyens pour l’inspection du travail, pour traquer la fraude fiscale… pour ne citer que quelques pistes. Il ne s’agit pas ici de créer des « petits boulots », mais au contraire, des emplois permettant revenu décent et qualification réelle.

Abordons de front la question d’une réduction massive du temps de travail. Alors que les temps de productivité ne cessent de croître, le temps de travail reste bloqué depuis quinze ans aux trente-neuf heures. Diverses études montrent qu’une réduction immédiate et générale à trente-cinq heures par semaine, en attendant d’aller plus loin, aurait un impact important sur l’emploi : 1,5 million d’emplois pourraient ainsi être créés. Et les rémunérations sont depuis si longtemps à la traîne des gains de productivité que la compensation salariale est parfaitement réalisable.

C’est évidemment une option radicalement opposée à ce qui se fait actuellement, à savoir un développement massif du temps partiel (16 % des emplois aujourd’hui sont à temps partiel, l’essentiel étant imposé), avec des salaires partiels. Le dernier rapport du CSERC a mis clairement en évidence que les jeunes paient aujourd’hui très chèrement la fracture sociale. Faute d’imposer d’autres choix, nous prendrons la responsabilité de désespérer un peu plus encore la jeunesse.

 

Ouest-France - Lundi 10 février 1997

« Un véritable contrat de générations »

Par Marc Vilbenoît, président de la Confédération générale des cadres

Après Alain Deleu (CFTC), Marc Blondel (FO), Louis Viannet (CGT), Nicole Notat (CFDT) et Annick Coupé (Sud), Marc Vilbenoît, président de la CGC, livre à « Ouest-France » ses réflexions sur l’emploi des jeunes.

L’insertion professionnelle des jeunes est une question trop importante pour la laisser aux seules entreprises… D’autant plus que celles-ci, quels que soient par ailleurs les discours militants sur la citoyenneté, sont loin d’avoir mis leurs actes en rapport avec leurs effets d’annonce.

Ce sont tous les agents économiques, sociaux et politiques qui doivent travailler ensemble pour apporter enfin de vraies solutions à un vrai problème.

La CFE-CGC considère que c’est à un véritable contrat de générations au service de l’emploi qu’il convient de donner corps. Toute cessation anticipée d’activité d’un salarié proche de la retraite doit être compensée obligatoirement par l’embauche d’un jeune. C’est dans ce sens que nous avons obtenu, le 19 décembre 1996, la reconduction du dispositif Arpe pour une durée de deux ans. Mais le dispositif doit être élargi.

Le lien entre les différents contrats en alternance, y compris l’apprentissage et l’emploi à durée indéterminée, doit ensuite être renforcé. Pour cela : le contrat d’orientation devrait obligatoirement déboucher soit sur un contrat de qualification ou un contrat d’apprentissage, soit sur un CDI.

Le contrat de qualification et le contrat d’apprentissage devraient obligatoirement se conclure par un CDI, soit dans l’entreprise, soit dans une autre avec l’aide de la première.

Le contrat d’adaptation sous CDD serait supprimé au profit des seuls contrats sous forme de CDI. En contrepartie, les employeurs bénéficieraient d’une exonération des charges patronales limitées au Smic.

Rappelons encore que l’accompagnement du jeune dans l’entreprise est indissociable de l’acte d’embauche. La fonction de tuteur doit être reconnue et considérée comme une activité professionnelle à part entière au sein de l’entreprise. Une négociation nationale interprofessionnelle devrait s’ouvrir pour donner un véritable contenu du rôle des tuteurs, les branches arrêtant les modalités concrètes d’exercice de la fonction.

Si par ailleurs, l’insertion professionnelle des jeunes est un devoir national, comme l’affirment les décideurs politiques, il faut alors aller jusqu’au bout du raisonnement et mettre en place une contribution financière « accueil Jeunes ».

Les entreprises auraient ainsi l’obligation (« devoir national » …) d’accueillir des jeunes dans le cadre d’une période de formation sous statut scolaire (pendant le cursus scolaire ou universitaire) ou sous contrat de travail (à l’issue de ce cursus).

À cet égard, notons qu’une conclusion totale règne sur les « stages diplômants » du CNPF. Intéressante, l’idée doit être finalisée par un contenu non équivoque. Formation ou contrat de travail ?

À défaut de remplir ce devoir, les entreprises devraient acquitter la contribution, au titre de compensation financière. Des exonérations pourraient être envisagées dans le cas où des accords relatifs à l’emploi des jeunes seraient conclus dans les branches ou les entreprises.

S’il est nécessaire de rechercher des solutions propres à réduire le décalage pouvant exister entre certains diplômes et l’emploi, celles-ci passent nécessairement par une plus grande professionnalisation des études, notamment avec des stages en entreprise, répartis tout au long du cursus de formation, mais pas à son terme. En aucun cas il ne faut berner les jeunes arrivés en fin d’études, en ajoutant de la formation, sans jamais déboucher sur l’emploi.

Clarté, responsabilité, volonté : trois mots clés pour réconcilier jeunes, emploi et entreprise.