Texte intégral
Un débat important pour l’avenir de l’industrie française se déroule actuellement au Parlement avec l’examen de la proposition de loi sur les fonds d’épargne retraite, communément appelés fonds de pension. Fruit d’une longue réflexion à laquelle ont été associés acteurs économiques et parlementaires, ce texte a été présenté au nom de la commission des finances de l’Assemblée nationale par son rapporteur, Jean-Pierre Thomas. Cette proposition de loi a certes pour objet de répondre au premier chef aux évolutions défavorables prévisibles des systèmes actuels de retraite par répartition, compte tenu des évolutions démographiques attendues. Mais son incidence économique peut cependant se révéler très bénéfique sur la capacité du pays à conserver la maîtrise de son développement industriel.
Fin du capitalisme familial. Il est largement reconnu que notre système économique souffre de l’insuffisance de capital, tant en volume qu’en stabilité. Le président de la République lui-même l’a récemment souligné. Le capitalisme familial, qui a participé largement à l’expansion de nos entreprises industrielles au cours des Trente Glorieuses, semble aujourd’hui trouver ses limites. Malgré de belles réussites, la population des entreprises familiales « médianes » est relativement clairsemée en France par comparaison aux autres grands pays européens. Notre droit successoral, le plus lourd d’Europe, et nos règles civiles, relativement contraignantes, n’ont guère favorisé la pérennité de ce type d’entreprises.
Le marché financier, bien qu’en développement rapide depuis les quinze dernières années, reste encore trop orienté vers le financement de la dette publique et les placements à court terme. Le marché boursier français reste trop étroit par comparaison aux autres grandes places internationales : la capitalisation boursière des entreprises françaises ne représente que 35 % du PIB de la France, contre 70 % du PIB américain pour Wall Street, et 125 % du PIB anglais pour le Stock Exchange londonien.
À défaut de ressources d’épargne abondantes capables de s’orienter vers le marché boursier, les entreprises françaises seraient exposées à des risques majeurs d’offres publiques d’achat, avec le risque à terme d’une délocalisation de leurs centres de décision et de leur patrimoine productif, et donc d’une moindre capacité à créer des emplois. Par ailleurs, les mérites de la politique de privatisation du secteur public industriel ne pourront pleinement se révéler que dans la mesure où les entreprises privatisées disposeront de ressources de marché pour poursuivre leur développement.
Conséquences positives. Les fonds d’épargne retraite peuvent apporter une réponse adaptée au problème de l’insuffisance de l’épargne longue en France. Gestionnaires de ressources à long terme, les fonds d’épargne retraite sont en effet susceptibles de devenir des acteurs majeurs du capitalisme français au cours des vingt prochaines années. Les premières orientations qui se dégagent à la suite d’une première lecture du texte par le Parlement me paraissent esquisser un cadre législatif pour les fonds de pension, qui aura aussi des conséquences très positives pour les entreprises et leurs salariés.
Accords collectifs. La gestion des fonds d’épargne retraite sera assurée par des intermédiaires financiers telles les compagnies et les mutuelles d’assurance ainsi que par les institutions de prévoyance. Ces organismes ont de longue date acquis une expérience forte dans la gestion des rentes. Les règles prudentielles qui leur sont applicables permettront de garantir une gestion de l’épargne retraite de salariés dans des conditions satisfaisantes de sécurité financière. Le contrôle des fonds d’épargne retraite sera assuré par un comité de surveillance composé à parité de représentants du personnel et de représentants de la direction de l’entreprise, ce qui va dans le sens du renforcement du dialogue social. La création de ces fonds d’épargne retraite ne pourra en effet intervenir que sous réserve d’un accord collectif de branche ou d’entreprise. Les dispositions très libérales de la proposition de loi quant à son régime fiscal et aux modes de gestion envisagés – dispositions qui prévoient une faculté de sortie en capital – devraient pouvoir entraîner la constitution d’un flux d’épargne annuel important de 30 à 50 milliards de francs en régime permanent.
Cette masse d’épargne nouvelle ne manquera pas de s’orienter largement vers les entreprises. Dans la mesure où l’épargne retraite sera gérée pour la plupart des actifs sur une durée de plusieurs décennies, les gestionnaires seront en effet nécessairement conduits à privilégier les placements en actions qui s’avèrent les plus rentables en longue période puisque ce sont les entreprises qui créeront en définitive la richesse qui permettra de faire vivre les futurs retraités. L’expansion du marché Nasdaq américain, qui a fortement contribué à consolider la position des États-Unis dans les secteurs des hautes technologies, a été largement permise grâce à l’apport d’épargne des fonds de retraite américains. La montée en puissance des fonds d’épargne retraite en France devrait ainsi contribuer à favoriser le développement des marchés de valeurs de croissance qui viennent de se créer en France et en Europe, et qui devront unir leur force pour offrir les meilleures conditions de développement aux entreprises de haute technologie.
Chance historique. Les fonds de pension sont ainsi un atout essentiel pour assurer le financement des augmentations de capital des entreprises françaises et la consolidation de leur actionnariat. Il appartiendra aux gestionnaires des fonds d’épargne d’acquérir un professionnalisme de l’investissement actionnariat à long terme, comme ont su le faire les fonds de pension anglo-saxons.
Le développement des fonds de pension, alliant efficacité et solidarité, permettra ainsi à chaque Français de concourir au développement de l’emploi par un effort d’épargne soutenu et personnalisé, tout en lui garantissant à l’échéance la perception d’une retraite. Il y a là une chance historique pour l’ensemble des entreprises françaises, et tout particulièrement de notre industrie.