Déclaration de M. Claude Goasguen, vice-président et porte-parole de Démocratie libérale, à RMC le 26 novembre 1999, sur les attentats terroristes et le maintien de l'ordre public en Corse, sur le projet de réforme de la justice et sur le climat politique entre majorité et opposition.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

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Philippe Lapousterle : Je voudrais votre sentiment après les deux attentats qui ont eu lieu en plein jour à Ajaccio hier, où sept personnes sont encore à l’hôpital ce matin.

Claude Goasguen : L’irritation, la réprobation, l’horreur. Ce sont des attentats d’une nature nouvelle qu’on n’avait pas vus depuis plus de deux ans, puisque là, visiblement, les terroristes ont envisagé froidement morts d’homme : les explosions ont eu lieu dans la journée, les précautions prises pour prévenir ont été très tardives et il y a eu visiblement volonté non plus simplement de faire des actes symboliques mais des actes de tueurs.

Philippe Lapousterle : À la suite de ces attentats, J.-P. Chevènement, ministre de l’Intérieur, a expressément demandé à tout le monde, aux fonctionnaires de l’État et à tous les responsables et il a nommé les parlementaires dont l’opposition dont vous êtes, de condamner ces crimes et de vous dresser.

Claude Goasguen : M. J.-P. Chevènement, depuis plusieurs mois, nous a habitués désormais à des rodomontades et à des numéros, comme il l’a fait à la télévision encore dimanche. Je dois dire que les propos de M. Chevènement prêtent à sourire. Je n’ai pas de leçons de patriotisme à recevoir de M. Chevènement, je suis aussi bien placé que lui pour condamner le terrorisme, probablement mieux que lui qui est responsable de l’ordre public. Alors si quelqu’un doit prendre d’abord ses responsabilités, c’est lui, au lieu de demander aux autres de réagir, qu’il réagisse lui-même ! En réalité, nous sommes dans cette situation en Corse parce que le Gouvernement n’a pas pris ses responsabilités au moment de l’affaire Bonnet. Le Gouvernement a perdu beaucoup de sa crédibilité, il n’a pas sanctionné le préfet, il n’a pas voulu se mettre lui-même en difficulté. Je crois que le Gouvernement a besoin de faire un acte politique fort, pas de donner des conseils à l’opposition.

Philippe Lapousterle : Cela dit, les rapports parlementaires montrent que les dysfonctionnements de l’État ne datent pas de l’arrivée de M. Jospin. Vous êtes d’accord ?

Claude Goasguen : Oui, mais bien sûr, mais c’est une politique difficile en Corse. Mais un peu de modestie de la part du ministre de l’Intérieur, qui dit à tout le monde que désormais l’affaire Érignac est chose faite, alors qu’on sait très bien que le vrai meurtrier est en fuite ; qui raconte à tout le monde que la politique en Corse s’améliore alors que les attentats d’aujourd’hui viennent de montrer qu’en réalité le Gouvernement patine et que l’État est discrédité. Je crois qu’il faut un acte politique fort ! Dans une situation terroriste qui est une situation qui interpelle l’État, la Nation, quelle que soit l’opinion politique, si le Gouvernement ne prend pas sa responsabilité, n’assume pas lui-même son propre ménage, n’est pas capable de se faire respecter ! Or l’autorité de l’État a été atteinte dans l’affaire Bonnet en Corse, le Gouvernement n’a pas réagi, nous sommes en train de vivre la cascade, le discrédit de l’autorité publique. Alors que M. Chevènement lui-même prenne ses responsabilités et arrête de nous donner des conseils. C’est un échec patent.

Philippe Lapousterle : On vous a entendu demander sa démission il y a quelques jours, vous maintenez ?

Claude Goasguen : Bien sûr je maintiens, je crois qu’il aurait dû démissionner. Je l’avais dit au moment de l’affaire Bonnet. Tous les résultats du ministère de l’Intérieur montrent qu’il y a eu une grave crise de l’autorité publique en Corse. La délinquance - en Corse et ailleurs - n’a jamais autant augmenté, l’immigration n’est pas contrôlée.

Philippe Lapousterle : Mais est-ce que vous soutenez quand même le Gouvernement dans la volonté affirmée hier de pourchasser les meurtriers et de rétablir l’État en Corse, comme M. Jospin l’a dit devant l’assemblée corse au début du mois de septembre ?

Claude Goasguen : Bien sûr. Je ne partage pas tout à fait son mode d’expression, mais il est clair que l’autorité publique doit être assurée en Corse. On ne discute pas avec des terroristes, avec des tueurs.

Philippe Lapousterle : Vous avez dit : « un acte politique fort », qu’est-ce qu’il faut faire en Corse ?

Claude Goasguen : Je crois d’abord qu’il faut faire le ménage. La commission parlementaire a montré qu’il y avait des dysfonctionnements graves, sans doute qui ne sont pas récents, mais pour autant il faut les régler. Les parlementaires socialistes se sont crêpés le chignon dans l’interprétation de la commission parlementaire, se sont même pour la première fois affrontés directement avec le ministre de l’Intérieur - voir l’échange Forni-Chevènement. Je crois qu’il faut régler les choses, il faut que la police obéisse d’une même autorité au ministre de l’Intérieur et au préfet nommé par le ministre de l’Intérieur. Il faut régler les problèmes de dysfonctionnements entre les juges antiterroristes et les policiers antiterroristes. Il y a là-dedans un véritable ménage à faire. Pour faire le ménage, il faut que le Gouvernement prenne ses responsabilités et arrête de se cantonner à l’Assemblée nationale dans une espèce d’attitude hypocrite en disant : « Ce n’est pas nous, ce n’est pas nous, ce n’est pas nous… »

Philippe Lapousterle : Est-ce que vous soutenez M. Jospin lorsqu’il a dit début septembre en Corse qu’il conditionnait l’ouverture de toute négociation et la recherche de tout nouveau compromis à l’arrêt préalable des violences ?

Claude Goasguen : Oui, je partage son expression. C’est une expression forte qui traduit ce que souhaitent les Français dans leur ensemble est ce que doit souhaiter l’autorité publique. Cela étant, je crois que le problème corse est aussi un problème économique, c’est un problème d’adaptation des structures locales corses et je souhaite le dialogue entre les élus corses - républicains dans leur immense majorité : n’oublions pas que la Corse fait partie intégrante de la France, qu’elle a combattu pour la France, qu’elle a donné son sang pour la France et j’en ai assez de ce racisme anti-Corse. Ce n’est pas parce qu’une poignée de terroristes sont en train de dénaturer le visage de la Corse que pour autant il faut mettre tous les Corses dans le même sac…

Philippe Lapousterle : Est-ce que vous voterez la réforme Guigou et la réforme constitutionnelle nécessaire à sa mise en place le 24 janvier prochain ?

Claude Goasguen : Écoutez, on nous demande de voter une réforme de la justice qui est un ratage. Je souhaite que le Garde des Sceaux nous propose des améliorations. D’abord une amélioration sur la responsabilité des magistrats, je ne m’engage pas sur une réforme de la justice sans savoir exactement quelles vont être les responsabilités des magistrats.

Philippe Lapousterle : On vous a promis qu’il y aurait un geste de ce côté-là.

Claude Goasguen : Oui, un geste, moi je veux un texte ! Je veux un texte, pas un geste ! Je veux connaître le texte avant d’aller au congrès, c’est un minimum qu’on peut demander dans une démocratie parlementaire. Ensuite, je crois que le texte sur la présomption d’innocence est très insuffisant. On voit bien que le secret de l’instruction est désormais un secret de polichinelle et que l’individu est menacé dans cette démocratie médiatique par des divulgations qui ne sont pas sanctionnées. Et ensuite je trouve que le problème de l’indépendance du parquet n’a pas été bien traité. Le texte est un texte mal fichu que tous les juristes condamnent dans la mesure où, dans la première partie, il assure l’indépendance du parquet, dans la deuxième partie, il assure la soumission du parquet. Il dit le contraire dans l’article du départ et l’article de la fin. Non ! Tout ça a besoin de changement. Je ne sais pas d’ailleurs s’il est opportun de convoquer le congrès si tôt. Car Mme Guigou devra faire des efforts de célérité…

Philippe Lapousterle : C’est pourtant le Président de la République qui l’a convoqué.

Claude Goasguen : Le Président de la République l’a convoqué parce que le Gouvernement lui a demandé de le convoquer, il voulait présenter des textes. On présente souvent la réforme comme la réforme du Président de la République. Ce n’est pas la réforme du Président de la République ! Le Président de la République a dit qu’il fallait réformer la justice et au Gouvernement de faire son travail. Le texte du Gouvernement ne convient pas à la majorité qualifiée nécessaire au congrès, je crois qu’il faut que le Gouvernement en tienne compte et fasse des améliorations, des propositions. À ce moment-là, nous discuterons.

Philippe Lapousterle : Lorsque vous parlez de cette réforme vos alliés au RPR et à l’UDF n’adoptent pas le même ton que vous. Est-ce qu’il n’y a pas à Démocratie libérale un groupe qui fait de l’opposition, de la sur-opposition ?

Claude Goasguen : C’est vrai que, depuis quelques semaines, nous avons quelquefois le sentiment à l’Assemblée nationale d’être un peu isolés dans l’opposition forte. Je crois notre allié et ami du RPR qui a un problème interne d’élection va pouvoir dans les semaines qui viennent retrouver cette pugnacité d’opposition que nous lui connaissons et que nous nous souhaitons. Mais, vous savez, l’opposition que nous menons n’est pas une opposition systématique, elle est un devoir démocratique…

Philippe Lapousterle : Ça y ressemble !

Claude Goasguen : Ce n’est pas une opposition systématique. Vous voyez sur le CSM, je n’ai pas eu des propos qui étaient des propos de fermeture ! Mais je crois que dans un pays démocratique il faut savoir qu’on propose aux Français lors des échéances électorales des alternances. Et moi je n’ai pas la culture du consensus à tout prix, car la France a beaucoup pâti de cette culture consensuelle. Les grandes réformes modernes que la France attend n’ont pas pu se faire parce qu’on a cherché systématiquement le consensus. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire la possibilité d’avoir le moins d’ennuis possible et la réforme de l’éducation attend et la réforme de la justice attend et la réforme de la police attend. Le consensus ça mène à l’immobilisme.

Philippe Lapousterle : La gauche met de l’ordre en ce moment parmi ses responsables en leur demandant de démissionner de leur poste au Parti socialiste s’ils sont poursuivis ou mis en cause dans une affaire. Est-ce que la droite ne ferait pas mieux de faire la même chose non seulement à Paris, par exemple, avec J. Tiberi ?

Claude Goasguen : Je ne suis pas sûr que la gauche demande, je crois que la gauche est engagée dans un phénomène de règlements de comptes tout à fait spectaculaire. Et j’aurais même tendance à dire que nous sommes dans le “Règlement de comptes à O.K. Solferino” pour reprendre un titre de film célèbre. M. Le Guen a eu des propos à l’égard de sa démission qui montrent que tout ça n’est pas spontané, que les socialistes sont en train de vivre des règlements de comptes assez sordides. Donc, par conséquent, n’essayons pas de parer d’une vertu morale ce qui n’est que la contrainte des tendances qui s’affrontent.