Déclaration de M. Charles Millon, ministre de la défense, sur l'avenir de la gendarmerie, notamment dans son action en zone urbaine, son évolution avec la professionnalisation des armées et la suppression du service national et le rôle des réservistes, Montluçon le 7 novembre 1996.

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Circonstance : 8èmes rencontres de la gendarmerie à Montluçon le 7 novembre 1996

Texte intégral

Monsieur le Directeur général,
Messieurs les officiers généraux,
Messieurs les officiers supérieurs,

J’ai plaisir à être parmi vous aujourd’hui, à Montluçon et je tiens d’ores et déjà à vous remercier pour votre accueil.

Avant de vous dire ce que je retire « à chaud » de ces instants et de la restitution à laquelle je viens d’assister, je veux saluer les officiers de hauts fonctionnaires représentants des gendarmeries en polices d’Europe et d’Amérique latine avec qui la gendarmerie française entretient des liens de coopération et d’amitié. Leur présence démontre l’ouverture, chaque jour plus grande, de la gendarmerie vers l’international pour répondre à une demande croissante de coopération et d’échanges de la part de nos voisins Européens ou de pays amis plus éloignés.

Le thème central de réflexion que vous avez retenu pour ces 8èmes rencontres de la gendarmerie : « réponse de la gendarmerie aux défis de la ville » est tout à fait significatif de l’état d’esprit qui vous anime.

Il s’agit de dépasser la gestion au quotidien pour se projeter dans l’avenir avec détermination et méthode. C’est ainsi que la gendarmerie nationale répondra aux attentes de l’Etat et de nos concitoyens.

Anticipation et maîtrise du changement : c’est ce qui a inspiré votre réflexion sur la capacité de la gendarmerie à répondre efficacement aux nouveaux défis urbains. C’est la démarche qui anime la réforme sans précédent de notre défense, au sein de laquelle la gendarmerie devra jouer un rôle accru.

Soyez donc assurés de ma confiance et surtout de mon soutien, dont je vais vous préciser les formes et les modalités.

I. – La capacité de la gendarmerie à répondre efficacement aux défis de la ville est une condition essentielle de son adaptation aux évolutions du monde moderne.

– L’action de la gendarmerie dans les zones urbaines est une préoccupation prioritaire.

Plus que jamais, la gendarmerie est appelée à s’impliquer dans la protection du territoire. Elle doit désormais être capable de prévenir ou de réprimer l’exercice d’un chantage, de représailles ou d’agressions limitées contre le territoire ou les populations. Elle doit aussi répondre aux dangers du terrorisme, de la drogue, ou de la grande criminalité. Or la ville et sa périphérie sont devenues la cible privilégiée de ces menaces.

L’image de la gendarmerie rurale correspond donc de moins en moins à la réalité : désormais l’essentiel de son action se situe en zone urbaine où travaillent 60 % des effectifs de la gendarmerie départementale et où se concentre la plus grande part de son activité judiciaire. Les interlocuteurs privilégiés de la gendarmerie que sont les élus doivent en être conscients.

Dans ce contexte, la prévention de la délinquance devient un élément structurel de la politique de la ville. Si la délinquence de voie publique à quelque peu régressé depuis deux ans, les formes de délinquance évoluent et imposent de rechercher de nouvelles réponses, notamment à l’égard des jeunes, qu’ils soient auteurs ou victimes. Vos propositions de création d’unités spécialisées dans la prévention de la délinquance juvénile constituent une réponde adaptée et complémentaire aux efforts de formation déployés en écoles et au cours des stages spécialisés qui sont organisés au profit de tous les personnels.

– La réflexion que vous avez menée est à mon sens tout-à-fait exemplaire puisqu’elle est le fruit d’une démarche participative qui a associé aussi bien les acteurs de terrain (travaux dans les unités et les écoles, participation des jeunes gendarmes auxiliaires d’Auxerre, étude par une commission spécialisée) que les responsables politiques et administratifs. Elle a été conduite selon une méthodologie rigoureuse qui a exploré les aspects essentiels du problème posé.

Vos propositions qui forment un ensemble cohérent et homogène, sont empreintes de réalisme et de pertinence. Je souscris en particulier aux principes qui vous ont inspirés : anticipation, adaptation et souplesse des réponses, souci primordial de la sécurité des personnels.

Cet ensemble pourra être utilement complété par le développement d’une véritable capacité d’évaluation. Il faut en effet savoir apprécier ce qui a été réalisé et en tirer les enseignements pour l’avenir en termes d’objectifs et de moyens.

II. – La réforme de l’outil de défense s’inscrit dans cette même démarche d’anticipation et de maîtrise du changement. Parmi les grands chantiers, plusieurs concernent directement la gendarmerie dont la place et le rôle sont mieux affirmés par la loi de programmation militaire.

D’ici le printemps prochain, trois chantiers doivent aboutir. Ce sont ceux du rendez-vous citoyen, du volontariat et des réserves. Ils compléteront les orientations prises par le président de la République et traduites dans la loi de programmation militaire. Alors que toutes les options ne sont pas encore définitivement arrêtées, je voudrais rappeler mon objectif : adapter l’outil de défense, et la gendarmerie en particulier, à son environnement : anticiper les évolutions du début du siècle prochain.

 – J’en viens naturellement, à ce propos, aux mesures d’accompagnement de la professionnalisation. Comme vous le savez, les objectifs visés portent sur la réduction des effectifs globaux des cadres militaires ainsi que sur le rajeunissement des cadres et la restauration des perspectives d’avancement et de recrutement.

Je suis conscient des difficultés que va entraîner la transformation progressive de 4 522 postes de sous-officiers de gendarmerie actuellement employés dans les soutiens et leur remplacement par d’autres militaires ou civils. Cet effet représente 30 % environ de la réduction des effectifs de sous-officiers du ministère. Je vous demande, cependant, de veiller à ce que cette transition nécessaire s’effectue en prenant en compte le cas de chacun des personnels concernés. Les postes qui seront transformés devront être définis le plus rapidement possible de façon précise et dans la durée. Les personnels devront être orientés individuellement et ne pas être écartés du bénéfice du pécule, même si la gendarmerie n’est pas prioritaire au regard des impératifs immédiats rencontrés par les autres armées. Cette mesure d’accompagnement au départ est aussi un moyen d’éviter un trop fort ralentissement du recrutement et un vieillissement préjudiciable du corps.

 – La gendarmerie devra aussi prendre en compte la réforme du service national.

Le rendez-vous citoyen et le volontariat seront l’occasion de marquer l’attachement de la jeunesse à la nation. Le volontariat sécurité-défense contribuera puissamment à renforcer le lien qui doit exister entre l’armée et la nation. Démarche personnelle d’adhésion, il répondra avant tout au désir de servir son pays et ses concitoyens.

Je connais votre crainte que la gendarmerie ne puisse recruter le nombre voulu de volontaires de la qualité requise (régime de rémunérations, conditions d’aptitude intellectuelles, psychologiques) et donc ne puisse faire face dans de bonnes conditions à l’accroissement des charges qui sera le sien.

Pour ma part, j’ai demandé que soient conduites les actions nécessaires à tous les niveaux :
    – au sein du ministère pour proposer et faire adopter des incitations à souscrire un volontariat ;
    – dans la gendarmerie pour faire connaître aux jeunes, lors du rendez-vous citoyen mais aussi grâce à vos contacts quotidiens avec la population, les possibilités de servir dans l’institution. Compte tenu de la définition du volontariat retenue dans le projet de réforme du service national et compte tenu des besoins spécifiques de la gendarmerie, il sera sans doute nécessaire de réexaminer le nombre de volontaires et d’engagés pour la gendarmerie, inscrits dans la loi de programmation. Votre directeur général m’en a parlé et m’a fait des propositions chiffrées que je vais examiner. Ce point a d’ailleurs été évoqué hier à l’Assemblée nationale, lors de l’examen en première lecture du projet de loi de finances.

– Je ne peux manquer d’aborder avec vous la nouvelle politique des réserves.

Partie intégrante de l’armée professionnelle, les réserves seront associées de plus en plus étroitement aux missions des armées et de la gendarmerie. Elles s’organiseront autour d’une première réserve de 100 000 hommes sélectionnés pour leur compétence et leur disponibilité, dont la moitié sera destinée à la gendarmerie, et d’un deuxième ensemble composé des autres réservistes.

En ce qui concerne le dispositif de la gendarmerie, la réserve en sera un élément permanent, employé dès le temps de paix. Les expérimentations conduites au cours des dernières années révèlent de nombreuses pistes qu’il conviendra d’exploiter de manière plus systématique : renforcement de brigades ou de groupe de commandement en période estivale ou lors de grands rassemblements, engagement de deux unités constituées de réservistes lors de la récente venu du Pape. Elles permettront des renforcements temporaires des unités. Un effort devra en outre être réalisé pour trouver, à côté des anciens d’active, des volontaires pour la réserve. C’est dans cette perspective que la prochaine loi sur les réserves apportera une protection sociale accrue et permettra, en contrepartie, une disponibilité réelle des réservistes.

III. – Esprit de responsabilité, détermination et réalisme, voilà l’esprit qui doit animer tous les responsables de la défense, en particulier ceux de la gendarmerie, pour relever les défis qui sont devant nous. Deux conditions sont en particulier déterminantes : développer un esprit novateur, cultiver le caractère militaire de la gendarmerie nationale.

– Développer un esprit novateur, c’est en particulier l’objet de l’adaptation territoriale de la gendarmerie.

La maîtrise de la dépense publique impose de chercher, par d’autres voies que l’augmentation des moyens financiers, les solutions qui permettent d’accroître l’efficacité. En outre, vous n’êtes pas sans savoir que toute évolution du dispositif doit tenir compte de réactions diverses, dont celles des élus locaux.

Les réflexions devront donc s’orienter davantage sur une meilleure organisation du dispositif territorial, sur la recherche de nouvelles méthodes qui permettent de maintenir le principe du maillage territorial et de porter l’effort sur les zones les plus sensibles. Vous connaissez tous les voies nouvelles qui s’ouvrent.

Je citerai le retrait d’une partie des moyens actuellement affectés en zone de police d’Etat, pour les redéployer là où ils sont d’ores et déjà nécessaires, ou l’affectation des successeurs des gendarmes auxiliaires dans les unités à faible activité, ce qui permet de libérer des gendarmes d’active parfois sous-employés ; je citerai encore la mise en commun des moyens de brigades au sein de secteurs chargés de l’organisation du service et des interventions. D’autres voies sont encore à imaginer.

Ces pistes, pour être utilement développées, devront être adaptées à chaque situation particulière. Elles devront également s’accompagner à tous les niveaux, d’explication pour en faire comprendre l’intérêt et la portée pour la communauté. Il s’agit donc de ne pas s’arrêter ni de se résigner face aux difficultés mais de faire preuve de conviction, d’imagination, d’expérimenter des solutions novatrices. Je m’engage à vous soutenir dans cette démarche et à y prendre ma part.

Ainsi, pour répondre aux difficultés relatives aux constructions de casernes qui sont évoquées à la fois par les élus et par les militaires de la gendarmerie, j’ai demandé au Directeur général de la gendarmerie nationale d’étudier la mise en œuvre d’une procédure plus souple qui permettra aux collectivités territoriales qui le souhaiteraient de conduire au profit de la gendarmerie des programmes de construction sans attribution de subvention de l’Etat. Ce dispositif devrait permettre de débloquer un certain nombre de dossiers urgents.

Je vous aiderai par ailleurs à regrouper l’ensemble des services de la Direction générale de la gendarmerie nationale sur un site unique. Il ne s’agit pas d’une nouvelle centralisation mais au contraire d’une recherche d’une plus grande efficacité et d’une économie de moyens.

De la même manière, la gendarmerie devra conduire les réorganisations qu’impose l’évolution prévisible de son environnement et en particulier l’augmentation de population de 6 millions de personnes d’ici 2015 dans ses zones de responsabilité.

Ses effectifs globaux augmenteront de 4,5 % d’ici 2002. En complément, dans le droit fil de vos réflexions sur les réponses aux défis de la ville, il est utile et indispensable, sans que la sécurité des citoyens en souffre et sans imposer de charge supplémentaire à la police, de continuer, comme cela a été réalisé sans problème en 1996, à redéployer certaines gendarmeries situées en zone de police d’Etat et qui, comme vous le savez, ne sont chargées que de missions militaires, de transferts de détenus ou de continuation d’enquêtes. Ces missions continueraient à être assurées (par les brigades voisines), la gendarmerie renforçant ses effectifs et créant de nouvelles unités dans les zones périurbaines qui sont sous sa responsabilité. J’en examinerai les modalités pour 1997 avec le Directeur général.

– Cultiver le caractère militaire est également une des conditions fondamentales de l’efficacité et de la confiance portée à la gendarmerie.

Vous savez que le devoir de tout chef responsable est bien d’entretenir les vertus militaires : discipline, disponibilité, rigueur, sens du devoir et du sacrifice. Ces qualités prennent un sens tout particulier pour les gendarmes qui doivent les exprimer tous les jours dans leur action ou service de la population et de l’Etat, et qui se trouvent souvent placés dans des situations où prime l’initiative individuelle. Cultiver le caractère militaire de la gendarmerie passe aussi par le plein exercice du commandement et le contrôle de l’action des subordonnés. Rendue possible par la requalification des emplois, l’amélioration du taux d’encadrement permettra une action plus efficace du commandement et évitera des dérives restées jusqu’ici exceptionnelles. L’existence même de la gendarmerie est attachée à son statut militaire. Son intégration aux opérations interarmées sur le territoire national comme à l’extérieur témoigne, si besoin est, de la nécessité de maintenir cet ancrage militaire et comme je le souhaite, de le renforcer.

La proximité de l’encadrement doit se traduire aussi, et il n’y a pas antinomie, par la compréhension, l’écoute des subordonnés, l’encouragement à progresser. Le devoir d’information des subordonnés prend un relief particulier en période de réformes. Les efforts importants réalisés en ce sens doivent être poursuivis car la réussite des mutations en cours repose sur l’adhésion des hommes. Je pense plus particulièrement aux préoccupations normales des gendarmes en ce qui concerne, par exemple, la mise en place du corps de soutien pour lequel je vous ai déjà dit qu’il s’effectuera progressivement et après une étude individualisée des situations, et à l’organisation d’une mobilité indispensable pour une meilleure efficacité. Ces réformes nécessaires et progressives exigent un suivi social et humain personnalisé. Cependant, les militaires de la gendarmerie sont conscients que l’ensemble du ministère est concerné. Membres de la même famille, ils sauront, j’en suis sûr, être solidaires.

Les 8èmes rencontres de Montluçon donnent aux participants les éléments actuels des réflexions et des enjeux de l’avenir de la gendarmerie nationale : elles contribuent à faire comprendre les orientations prises au sein de l’institution et à préparer l’avenir avec réalisme et sérénité.

 

Conclusion

Maîtriser le changement requiert de nombreuses qualités. La gendarmerie a montré qu’elle les possédait, et la réflexion qu’elle vient de conduire sur la ville, ainsi que les divers chantiers engagés témoignent de sa volonté de progresser.

Cette démarche inspire d’ailleurs le plan d’action « Gendarmerie 2002 » qui, conformément à la loi de programmation, fixe les grandes orientations retenues pour la gendarmerie durant les six années à venir. Ce plan d’action met en œuvre les réformes décidées et prépare les conditions d’une meilleure efficacité de la gendarmerie face aux évolutions prévisibles de son environnement (réflexions à venir telles que la maîtrise des flux migratoires, l’amélioration des capacités de mobilité de la gendarmerie mobile, le partage des responsabilités administratives et logistiques entre les différents échelons territoriaux).

Je sais pouvoir compter sur vous dans la réalisation de ces chantiers comme vous pouvez compter sur moi pour remédier aux difficultés que vous pouvez rencontrer. Ensemble nous les surmonterons.

Je ne saurais conclure sans rendre hommage à celle et à ceux qui, au quotidien, partout où la gendarmerie est présente, sont confrontés à des situations difficiles. Je pense plus particulièrement aux militaires qui servent en Corse et à leurs familles et dont je tiens à souligner le courage et la dignité. Je pense aussi à ceux qui se trouvent éloignés sur des théâtres extérieurs comme l’Algérie, l’Ex-Yougoslavie ou Haïti.

Je leur renouvelle mon estime profonde, ma plus grande sympathie et mon soutien sans faille. La sérénité et le professionnalisme qu’ils opposent aux pressions les plus condamnables, ont valeur d’exemple et témoignent de la solidarité de la gendarmerie nationale.