Texte intégral
ENTRETIEN AVEC L'HEBDOMADAIRE TCHEQUE "EKONOM" (Prague, 2 avril 1998)
Q - Le tandem Paris-Bonn était jusqu'à présent considéré comme la force motrice de l'intégration européenne. Est-ce toujours vrai après l'arrivée des socialistes au gouvernement ?
R - Au cours des quarante dernières années, l'Allemagne comme la France ont connu de nombreuses alternances politiques, la relation franco-allemande n'en a jamais été affectée. C'est vrai aujourd'hui aussi. Naturellement les hommes ont besoin de se connaître. En fait, cela va très vite. C'est désormais chose faite, depuis longtemps.
Je crois que les relations entre l'Allemagne et la France échappent aux fortunes de la vie politique parce que notre entente constitue le socle de la construction européenne. L'Histoire, y compris la plus récente, en témoigne. Je suis convaincu que la réconciliation entre nos deux pays - on l'oublie parfois tant cela paraît aujourd'hui naturel - demeure porteuse d'un message universel qui s'est profondément enraciné dans nos cultures politiques respectives.
Il n'empêche que l'Allemagne et la France sont différentes. L'entente n'est pas une activité spontanée, qui résulterait automatiquement d'un contrat établi une fois pour toute. Elle est au contraire, chaque fois, une construction de la volonté politique. Et c'est précisément parce que nous sommes capables de surmonter ces différences, parce que nous trouvons des lignes de convergence - j'allais dire que nous produisons de la convergence - que l'entente franco-allemande reste l'épine dorsale de la construction européenne, en tout cas de ses grandes orientations.
Cela n'exclut aucune autre coopération, cela n'interdit aucune initiative ou proposition d'où qu'elle vienne, cela n'exonère personne, ni la France, ni l'Allemagne, ni aucun des partenaires - membre ou futurs membres de l'Union - de ses responsabilités propres dans la construction européenne.
Q - Quels sont les traits spécifiques de la politique européenne du gouvernement de Lionel Jospin ? Dans quelle mesure diffère-t-elle de la politique du gouvernement précédent ?
R - Je crois que la différence essentielle est notre volonté de faire de l'Europe un espace de solidarité et de cohésion sociales, et non un simple lieu de libre-échange. Cette différence a de nombreuses traductions. La plus importante, alors que la prochaine échéance cruciale est le passage à l'euro - nous prendrons la décision dans quelques semaines au début du mois de mai - a été notre effort pour rééquilibrer la construction de l'Union économique et monétaire dans un sens plus favorable à la croissance et à l'emploi. Nous avons insisté sur ce point dès le Conseil européen d'Amsterdam, en juin, immédiatement après les élections françaises. Nous avons obtenu, lors du Conseil européen de Luxembourg, la création d'un conseil de l'euro pour permettre une coordination plus étroite des politiques économiques des pays qui auront en partage la monnaie unique et faire en sorte qu'à côté de la Banque centrale européenne indépendante existe un interlocuteur politique. Je suis convaincu que c'est la meilleure garantie pour le succès de l'euro, la seule façon efficace de joindre nos efforts pour une politique de croissance et un moyen de répondre aux attentes des citoyens.
A notre initiative, plusieurs résultats ont également été enregistrés : outre un nouveau chapitre emploi dans le Traité, la reconnaissance du rôle des services publics, l'intégration dans le Traité du Protocole social, refusé par les Britanniques à Maastricht, nous avons eu le Conseil européen extraordinaire de Luxembourg sur l'emploi, en novembre dernier. Il existe désormais, comme il y a les critères de Maastricht, qui sont des critères budgétaires et monétaires, les objectifs de Luxembourg sur l'emploi qui conduisent à la mise en œuvre de politiques convergentes dans la lutte contre le chômage. C'est tout à fait vital.
Pour l'instant nous n'en sommes qu'au début. Il faut concrétiser l'ensemble de ces avancées. Nos politiques en faveur de la croissance et de l'emploi, c'est à dire la cohésion sociale, doivent être au cœur de la construction européenne. Je suis convaincu que c'est une attente des citoyens de l'Union. Ne pas s'efforcer d'y répondre c'est porter atteinte au projet européen, lui-même.
Q - Quel est votre avis sur l'état de préparation des pays membres de l'Union européenne pour l'adoption de la monnaie unique le 1er janvier 1999 ? Est-ce que la France remplira les critères à cette date ?
R - Les 2 et 3 mai, un Conseil européen spécial décidera des pays de l'Union qui appartiendront à la zone euro. L'euro se fera et la France sera au rendez-vous. Il n'y a pas de doute sur ce point. La France est l'un des trois pays de l'Union qui respecte strictement tous les critères fixés par Maastricht. L'euro se fera sur une base large. Onze pays seront qualifiés pour la monnaie unique. La Grèce, pour des raisons économiques, la Suède, le Danemark et la Grande-Bretagne, parce qu'ils en ont fait le choix politique, ne feront pas partie de ce premier train. Mais la Grande-Bretagne a annoncé, cet automne, son intention de se préparer à rejoindre l'euro ultérieurement. Certains s'étaient, par le passé, interrogés sur l'Italie. Nous, nous souhaitons, nous l'avons dit à plusieurs reprises, que l'Italie, membre fondateur de la Communauté européenne, fasse partie de cette première vague. Au fond, la règle est simple, il ne faut pas biaiser avec les critères : les pays, du Nord ou du Sud, devront être jugés à leurs résultats.
J'ai la conviction que le passage à l'euro marque une étape cruciale de la construction européenne. L'euro va provoquer des effets positifs bien au-delà du domaine monétaire. N'oubliez pas qu'à son origine il y a une idée politique forte, portée par l'Allemagne et la France. L'objectif est de tremper définitivement l'unité des Européens. La monnaie unique va recentrer les énergies et relancer la construction européenne. L'existence de l'euro sur la scène mondiale - et je n'ai pas de doute qu'il sera un euro stable - manifestera pour tous nos partenaires extérieurs, mais aussi pour l'ensemble des peuples européens, la puissance de l'Europe. Cela renforcera le sentiment d'appartenance des citoyens à l'Europe. Comment pourrait-il en être autrement quand chacun, dans quelques années, aura dans sa poche la même monnaie ?
Au 1er janvier 1999, l'euro existera. C'est un événement politique considérable. Très vite l'euro sera perçu comme un des attributs de l'Union. De ce point de vue, il me paraît décisif que les pays candidats - et je sais qu'ils le font - commencent de se poser la question.
Q - Quelle est la position de la France quant aux conclusions du Conseil européen de Luxembourg sur l'élargissement ?
R - Les décisions du Conseil européen de Luxembourg, qui permettent l'ouverture du processus d'élargissement, sont véritablement historiques, dans le sens littéral du terme, Désormais l'Europe, c'est-à-dire les Quinze et les pays candidats, est en mesure de répondre au défi de son propre élargissement. La France est sans réserve, et je dirais avec enthousiasme, engagée dans la construction de la grande Europe.
Je suis convaincu que nous n'avons d'autre choix que de réussir. C'est pour garantir ce succès que nous avons défendu une approche globale, pragmatique et ouverte de ce processus, qui est à la fois collectif et individuel. C'est enfin de compte la démarche qu'ont retenue les Quinze.
Notre volonté est de ne laisser personne sur le bord du chemin. Certes, il existe des différences dans l'état de préparation des uns et des autres. Il faut en tenir compte. Avec les pays qui sont prêts les négociations d'adhésion vont s'ouvrir. Ce sont des négociations difficiles et exigeantes. Elles ont leur rythme et leur logique propres. L'enjeu en est la reprise de l'acquis communautaire. Mais il ne s'agit pas d'une distribution des prix, ce n'est pas une sélection close, il faut au contraire garder une attitude souple et pragmatique, de telle sorte que les évolutions à venir puissent être prises en compte, que tous les pays soient encouragés à poursuivre leurs efforts. Ainsi les autres pays candidats bénéficieront-ils également de stratégies adaptées, pour soutenir leur marche vers l'adhésion, et de la clause de "rendez-vous" qui permettra de faire le point régulièrement sur leur état de préparation et de déterminer le moment pour ouvrir les négociations d'adhésion.
Pour compléter le processus d'élargissement, nous avons proposé, à coté de ce volet bilatéral, une approche multilatérale : la Conférence européenne. C'est le lieu où tous les pays, qui partagent désormais une communauté de destin, prennent ensemble leurs affaires en mains ; c'est-à-dire s'efforcent de mettre en œuvre des coopérations nouvelles sur tous les terrains de commun intérêt ; ce peut être des questions de sécurité, de lutte contre les trafics, des questions commerciales, de développement d'infrastructure, des questions environnementales, bref tous les dossiers qui intéressent directement tous les pays d'Europe. Le Sommet de Londres inaugurera la Conférence européenne. L'idée est que chacun puisse faire des propositions et que se dessinent les domaines dans lesquels une coopération est possible et doit être engagée, sans attendre la fin du processus d'adhésion.
Pour nous, cette Conférence - c'était une proposition française -, est tout à fait importante. Nous avons, les uns et les autres, des responsabilités à l'égard de l'Europe et de son avenir. Je suis convaincu que la meilleure réponse politique est l'élargissement ; je sais aussi que le processus total sera long. La Conférence européenne est donc une manière d'articuler cette double contrainte et d'assumer dès aujourd'hui nos responsabilités communes. Elle est, en un sens une préfiguration de la grande Europe que nous voulons construire. Ne nous faisons pas d'illusions, cette Conférence n'est aujourd'hui qu'un cadre, c'est la volonté politique des pays participants qui lui donnera son contenu et sa force.
Q - Nous avons rejoint l'OTAN. L'adhésion à l'Union semble plus difficile. Pourquoi ?
R - Nous avons soutenu sans réserve la candidature de la République tchèque dans l'Alliance atlantique et nous nous réjouissons du résultat obtenu. De la même manière, nous le faisons pour l'adhésion à l'Union européenne. Cela procède du même mouvement historique, mais il ne s'agit pas de la même chose. L'OTAN est une organisation internationale de type classique chargée de missions spécifiques, alors que l'Union est quelque chose de plus intime, de plus profond, c'est une manière de "vivre ensemble". Les rythmes et les échéances ne sont pas les mêmes.
"Vivre ensemble" c'est cela le message de base. En effet l'Union, au travers de ses politiques communes et de ses ambitions, recouvre tout le terrain politique. Cela ne signifie pas qu'elle occupe tout l'espace ; l'Europe que nous construisons est et doit rester plurielle et diverse. Mais il est clair que tout ce que nous pouvons faire mieux et plus efficacement ensemble, nous devons le faire, c'est ce qu'on appelle le principe de subsidiarité. Ainsi n'y a-t-il pas d'un côté la sécurité et de l'autre la prospérité. Les questions de sécurité sont au cœur du projet européen. La Politique extérieure et de sécurité commune est à la fois un instrument de l'Union et un objectif. La capacité de l'Europe à affirmer son identité passe par sa capacité à prendre en charge sa sécurité. Nos deux peuples l'ont appris de l'Histoire - chacun se souvient de la date d'entrée des chars soviétiques à Prague. J'ajoute que l'Union ne pas être pensée seulement sous les traits d'une zone économique. Quel peuple se mobiliserait pour un "supermarché"?
Je voudrais souligner un dernier point. J'ai lu, ici ou là, dans la presse, un certain nombre d'idées, portées par des responsables et des animateurs politiques, sur "l'Europe à géométrie variable", "l'Europe à deux vitesses", "les cercles concentriques" ou "le noyau dur" de l'Europe... Pour moi les choses sont simples : il y a l'Europe et il y a l'Union, et les pays. candidats doivent rejoindre l'Union. Je ne connais pas de peuple, je ne connais pas d'Etat qui souhaiterait appartenir à une Union de seconde classe, à la périphérie ou à la banlieue de l'Union. Le temps des pays satellites, des pays annexés est révolu. L'Union élargie n'est pas une Union au rabais. Ce serait un marché de dupes. Cela a deux conséquences importantes : les pays candidats doivent être préparés à reprendre intégralement l'acquis communautaire. Les pays membres doivent être déterminés à les soutenir, sans faillir, dans cette démarche. Pour les uns, comme pour les autres c'est un effort considérable. C'est le seul choix que nous laisse l'Histoire. Il est difficile et exigeant. Chacun le sait.
Q - Les résultats du Sommet d'Amsterdam n'ont pas été à la hauteur des attentes de l'opinion. Cela vaut surtout pour la réforme des institutions. Le vieux débat "d'abord approfondir et ensuite élargir" est ainsi toujours d'actualité. Comment Paris voit-il ce problème ?
R - Soyons clairs. Le Traité d'Amsterdam contient d'incontestables acquis : le mécanisme des coopérations renforcées, que j'ai déjà évoqué, mais aussi le nouveau chapitre sur l'emploi, l'intégration du Protocole social dans le Traité, la reconnaissance de la spécificité des services publics, le renforcement du rôle des parlements nationaux et du Parlement européen, pour ne citer que les points les plus importants.
Mais il est vrai que ce texte est décevant par ce qu'il ne contient pas. Je vous rappelle que pour nous la réforme des institutions de l'Union était un objectif central de la dernière conférence intergouvernementale. Rien n'a pu se faire à Amsterdam. Nous voulons toujours cette réforme et nous en avons fait un préalable à toute nouvelle adhésion. Pourquoi ? parce que, au fil des élargissement successifs, les institutions prévues pour six n'ont pas suffisamment évolué. Aujourd'hui, à Quinze c'est extrêmement difficile, le processus de décision est enlisé. Elargir, à dix-huit, vingt ou plus, sans réformer c'est risquer de la paralysie. Personne n'y a intérêt ni les Etats membres, ni les futurs Etats membres. Je milite pour une Europe capable d'affirmer son identité, de mettre en œuvre ses politiques communes, de peser sur les grandes questions internationales. Bref pour une Europe qui marche, c'est-à-dire qui décide...
Nous souhaitons une réforme qui s'articule autour de trois points. La Commission doit retrouver pleinement son rôle d'organe, collégial, de proposition et de gestion. Le vote à la majorité qualifiée doit être étendu pour alléger le processus de décision au conseil. Cela serait facilité si les Etats membres retrouvaient au sein du Conseil un poids plus conforme aux réalités économiques et démographiques. Cette réforme, qui répond à une double exigence d'efficacité et de démocratie, est simple. Des discussions ont déjà eu lieu sur ce dossier. Il me paraît possible de régler cette question dans des délais raisonnables, c'est-à-dire rapprochés.
Dès lors que nous en avons la volonté politique, cet objectif sera atteint, sans difficulté majeure, avant toute prochaine adhésion. Il est clair, dans mon esprit, que cette position ne fait rien obstacle au processus d'élargissement. A cet égard je note, avec satisfaction, que les conclusions du Conseil de Luxembourg sur l'élargissement font, explicitement, référence à ce préalable.
Q - La ratification du Traité d'Amsterdam se passera-t-elle en France d'une façon différente que celle du Traité de Maastricht, c'est à dire sans référendum ? Quelle est l'opinion du gouvernement français sur les différentes options ?
R - En France, nous ne sommes pas contraints à recourir à un référendum. Le président Mitterrand avait choisi, en raison de l'importance du Traité de Maastricht, la ratification par la voie du référendum. C'est une décision qui appartient au président de la République. Dès Amsterdam, en juin dernier, le président a laissé entendre que la ratification par la voie parlementaire lui paraissait la mieux adaptée. L'argument est simple. Le Traité d'Amsterdam est une révision du Traité de Maastricht, prévue par ce dernier. Il en constitue, pour ainsi dire, un toilettage et ne modifie pas l'édifice du Traité de Maastricht. Le soumettre à référendum serait rouvrir un débat que le peuple français a déjà tranché, pour l'essentiel. Ainsi, pour les éléments nouveaux qu'introduit ce traité, c'est la voie de la ratification parlementaire qui pourrait logiquement être choisie. Je relève d'ailleurs que ceux qui critiquent ce traité l'estiment, généralement, insuffisant, sans ambition. Il serait dès lors paradoxal de vouloir réclamer la forme la plus solennelle pour le ratifier. Nous devons, par ailleurs, avant de ratifier le Traité réviser notre constitution.
Tous ces dossiers européens entretiennent, en France, des débats souvent vifs. C'est normal et c'est heureux. Rien ne serait pire pour l'Europe que l'indifférence.
Q - Le président du Sénat, M. Petr Pithart, pendant sa visite à Paris, au cours de ses entretiens avec son homologue français, M. René Monory, s'est prononcé pour une intensification des contacts entre Paris et Prague. L'arrivée à la tête du ministère tchèque des Affaires étrangères d'un ancien ambassadeur en France a été interprétée par la presse tchèque comme le "présage d'un changement d'accent" dans notre politique étrangère. Quelles sont vos réactions et comment voyez-vous l'avenir des relations franco-tchèques ?
R - Je crois, comme le président Pithart, que les contacts, en particulier politiques, entre nos deux pays doivent s'intensifier. Il faut qu'ils soient plus fréquents et substantiels. C'est le souhait à Paris, comme à Prague. La visite du président du Sénat à Paris, comme la visite d'Etat du président de la République à Prague, en avril dernier, témoignent de cette volonté commune d'un dialogue politique riche. Je m'en réjouis. Il ne serait pas digne de nos deux pays, de leur rôle, de leur histoire et de leur amitié, de n'avoir que de bonnes relations.
Au-delà du dialogue politique, il reste aussi beaucoup à faire dans le domaine économique et commercial. Certes, nos échanges n'ont cessé de croître au cours de ces dernières années. Près de 220 sociétés françaises sont présentes dans votre pays. Tout cela était, il y a peu, hors de l'imagination et manifeste le dynamisme de votre économie. Pourtant la France n'est que le 6ème fournisseur et le 5ème investisseur étranger en République tchèque. C'est dire que nous devons faire mieux.
Notre coopération doit être renforcée dans tous les domaines. Elle doit être, prioritairement orientée vers la préparation à l'adhésion. En particulier nous pouvons, en appui aux programmes de "jumelage institutionnel" mise en place dans le cadre de Phare, développer notre coopération administrative.
Je suis convaincu qu'il existe entre nos deux nations une complicité, tissée par l'Histoire et par les hommes. Prague et Paris sont depuis des siècles des capitales authentiquement européennes. Cette intimité qui remonte à des temps anciens et qui ne s'est jamais démentie est un gage pour l'avenir. Nous avons ensemble des responsabilités dans la construction de l'Europe de demain./.
TRIBUNE QUOTIDIEN TCHEQUE MADLA FRONTA DNES : 15 avril 1998
AVEC LE MINISTRE ALLEMAND DELEGUE CHARGE DES AFFAIRES EUROPEENNES, M. WERNER HOYER
Nous souhaitons faire de notre visite conjointe à Prague un symbole de l'amitié entre nos trois peuples et de notre confiance en l'avenir de l'Europe. Cette visite, qui intervient au moment où s'ouvre le processus d'élargissement, est, pour nous, emblématique à plus d'un titre. Elle illustre le profond accord de l'Allemagne et de la France sur les objectifs de l'élargissement, ainsi que leur engagement à faire de l'Europe un acteur politique à la mesure de son poids économique et démographique.
D'abord elle intervient dans des circonstances exceptionnelles. Nous vivons, en effet un moment historique, dans le sens littéral de cet adjectif. Désormais, le processus d'élargissement est lancé. L'Union européenne entre dans une phase capitale de sa construction. De cette période va naître, demain, la grande Europe. Nous avons la conviction que nous, membres et futurs membres de l'Union, sommes condamnés au succès. Ce n'est pas dire que les choses vont être faciles, mais que nous sommes prêts, les uns et les autres, à mobiliser nos efforts pour faire de la grande Europe une Europe unie, puissance économique et politique, mais aussi intellectuelle et culturelle, capable d'affirmer son identité sur la scène internationale. C'est une politique qui s'inscrit dans la durée. Elle exige la participation et la détermination de tous les pays d'Europe.
C'est pourquoi nous avons voulu un processus d'élargissement pragmatique et ouvert, qui ne laisse personne sur le bord du chemin. A présent, le mouvement est engagé. L'élargissement est lancé dans sa dimension collective, avec la session inaugurale de la Conférence européenne qui s'est tenue, le 12 mars, à Londres, au niveau des chefs d'Etat et de gouvernement, comme dans sa dimension bilatérale, puisque les négociations d'adhésion ont commencé le 31 mars avec six pays candidats, notamment avec la République tchèque.
Ensuite notre visite est un témoignage de l'étroite concertation entre la France et l'Allemagne sur cette question cruciale qu'est l'élargissement. Il existe naturellement entre la France et l'Allemagne des différences dans nos relations avec les pays candidats. La géographie et l'histoire de nos deux pays ne se comparent pas. En dépit de ces différences, notre approche est fondamentalement la même. Non seulement nous sommes attachés sans réserve à l'élargissement et décidés à mobiliser nos efforts pour soutenir concrètement la marche vers l'adhésion, mais nous avons aussi, et c'est très important, une conception commune de l'objectif poursuivi. Au moment où nous entrons dans l'exercice pratique de la négociation, notre détermination à aller de l'avant doit être comprise comme un message de confiance.
Soyons clairs. L'objectif des négociations d'adhésion est la reprise de l'acquis communautaire, c'est à dire de l'ensemble des règles élaborées par l'Union depuis sa création, qui constitue le contrat auquel ont souscrit six, puis douze, puis quinze Etats membres. Ces règles ne concernent pas seulement les relations entre les Etats membres, elles s'appliquent à leur territoire national et s'adressent ainsi directement à leurs citoyens. Elles définissent aussi les politiques communes, politique agricole ou politique régionale pour ne citer que les plus importantes, auxquelles nous tenons particulièrement. En outre, avec le Traité d'Amsterdam, d'autres politiques de l'Union sont significativement renforcées, comme l'illustre l'accord trouvé en matière de justice et d'affaires intérieures. Ainsi les négociations d'adhésion seront-elles exigeantes. L'adoption de ces règles et des ces politiques imposera des efforts aux pays candidats. Nous veillerons au bon déroulement de ces négociations, en appuyant ces efforts, non seulement au niveau de l'Union mais aussi par le biais des coopérations ; bilatérales.
L'Union doit elle-même se préparer à ce changement, pour accueillir de nouveaux membres. Elle doit, pour cela, engager des réformes profondes. Les Quinze ont aussi des efforts à faire, pour s'adapter à la perspective d'une Union élargie tout en préservant l'efficacité des politiques communes. L'élargissement ne doit pas conduire à une dilution de l'Union et de ses politiques, au contraire, il accompagne à son renforcement politique et économique. En effet, l'Union européenne ne se réduit pas à une zone de libre échange améliorée. Elle est un espace de solidarité et de cohésion sociales ouvert sur le monde. L'Europe que nous voulons construire, bientôt en commun avec nos amis tchèques, constitue notre réponse à la globalisation. C'est la réponse stratégique des Européens aux défis du XXIème siècle. Nous voulons bâtir une Europe qui soit forte et parle d'une seule voix, à l'extérieur, et, à l'intérieur, qui offre un espace de liberté, de sécurité et de bien-être à ses citoyens. L'Europe que nous construisons n'est pas l'uniformisation, sa force est d'être une communauté plurielle et diverse. Cette conception est une constante de l'engagement politique français et allemand. Au demeurant, c'est la seule façon de répondre aux aspirations et aux attentes des peuples européens. L'élargissement doit être la grande affaire de tous les citoyens.
Enfin cette visite manifeste, pour nos trois pays, et au-delà pour l'ensemble des pays de la famille européenne, que la réconciliation est le socle sur lequel s'édifie l'Europe à venir. C'est bien parce que les peuples d'Europe ont été, et seront, capables de s'émanciper du poids de leur histoire, sans en effacer les leçons de leur mémoire, qu'il est possible de bâtir un futur commun. De ce point de vue l'histoire de la réconciliation franco-allemande demeure exemplaire. Sans elle, rien n'eût été possible en Europe. Rappelons nous aussi que les premières communautés, organisées autour de l'acier et du charbon, de l'énergie atomique et des règles du marché commun, sont inspirées par la volonté de paix. De même, la monnaie unique - dans quelques jours seront sélectionnés les premiers pays appartenant à la zone euro - est à l'origine un projet politique qui vise à renforcer l'unité de l'Europe, c'est à dire la paix.
Le dessein européen est une entreprise politique. La paix et la sécurité ont été, dès l'origine, au cœur du projet européen. Elles le restent, comme valeurs et comme objectifs. C'est à la fois légitime et fondamental pour la constitution de l'Europe. Nous appartenons à l'Alliance atlantique. Bientôt, la République tchèque y appartiendra. Nous appartenons aussi à l'OSCE et à l'UEO. L'architecture européenne de défense et de sécurité est un édifice complexe. Mais l'appartenance, aussi importante soit-elle, à chacune de ces organisations internationales, dont les missions sont spécifiques, ne garantit pas l'existence politique de l'Europe. De même, nous récusons l'idée qu'il y aurait une division du travail : à l'OTAN, la sécurité, à l'Union, la.prospérité. Une telle conception paralyserait la volonté politique de l'Europe.
Il est clair que l'affirmation de l'Europe passe par sa capacité à prendre en charge sa propre sécurité. Les pays d'Europe centrale et orientale le savent d'expérience. C'est pourquoi nous voudrions rappeler combien nous sommes attachés à la politique extérieure et de sécurité commune de l'Union. Il est vrai que les outils dont nous disposons aujourd'hui sont encore insuffisants. Ils n'ont pas la force que l'opinion attend devant les drames humains internationaux que nous connaissons. Mais nous ne renonçons pas ; nous sommes, au contraire, convaincus que l'élargissement rend cette exigence toujours plus impérative et encore plus actuelle. Cette politique demeure un instrument et un objectif, une ambition et une responsabilité, que désormais nous partageons tous, pays membres et futurs membres de l'Union.
Nous croyons que l'Allemagne et la France ont des responsabilités particulières en Europe, parce que notre entente constitue l'épine dorsale de la construction européenne. Mais il n'y a plus de "grands frères" et notre coopération n'en exclut aucune autre. Nous serons tous jugés par les peuples d'Europe sur notre capacité à conduire ce projet à son terme. L'Europe que nous construisons est au service de ses citoyens, c'est à eux, toujours, que nous avons à répondre.
ENTRETIEN RFI : 15 avril 1998
Q - La République tchèque sous Vaclav Klaus a été quand même beaucoup marquée par l'euroscepticisme. Klaus n'est plus là. Avez-vous l'impression que les sentiments demeurent malgré tout ?
R - Je pense qu'aujourd'hui le gouvernement tchèque se tourne bien davantage vers l'Europe et qu'il a pris conscience que l'adhésion à l'Union européenne est une perspective qui concerne tous les Tchèques. Donc, oui, je sens aujourd'hui un climat sans doute plus favorable à une adhésion et à la préparation d'une adhésion. Ce qui est indispensable, c'est le sens de la visite que nous faisons ici avec Werner Hoyer : c'est de voir avec les Tchèques comment, concrètement, tout préparer pour l'adhésion à l'Union européenne.
Q - Comment convaincre les Tchèques - je sais que vous allez rencontrer les étudiants demain - que l'Union européenne c'est autre chose qu'une masse de règlements qui va s'abattre à nouveau sur leur pays ?
R - Il y a les arguments, c'est très classique, auxquels, on peut l'imaginer, compte tenu de la culture politique dominante, les Tchèques vont être sensibles : que l'Union européenne est quand même un espace de prospérité. Mais ce n'est pas la seule chose que j'ai envie de dire. J'ai envie quand même - et c'est aussi pour cela que nous sommes ici avec Werner Hoyer, un ministre allemand alors qu'on sait ce qu'ont été les séquelles des querelles entre les Tchèques et les Allemands - de dire que l'Europe est un facteur de paix, est un facteur de rapprochement des sociétés, des sociétés civiles. C'est un esprit. Il faut effectivement, pour adhérer à l'Union européenne, partager cet esprit.
Q - La République tchèque par rapport à ses deux voisins et concurrents polonais et hongrois, est assez en retard apparemment sur le remplissage du fameux Livre blanc de l'Union européenne. Il y a un problème, un point d'accroche, qui est le dossier audiovisuel avec l'installation de l'opérateur américain "Nova" ici depuis six ans, qui va rendre difficile la mise en place des quotas. Allez-vous évoquer ce dossier avec vos interlocuteurs ? Avez-vous l'impression que cela avance ?
R - Non, je ne l'ai pas évoqué avec mes interlocuteurs. Vous savez, je crois que, de toute façon, il ne faut pas s'affoler. L'élargissement est un processus qui commence et qui va durer quelques années. Des dates ont été évoquées. On a pu parler de l'an 2000. C'était sans doute un objectif mobilisateur sur le plan politique, mais les négociations viennent de commencer à Londres, puis à Bruxelles. Elles auront toute une série de dimensions : réformes administratives, réformes économiques, adaptations culturelles. Cela prendra des années et il y aura sans doute des phases de transition qui seront nécessaires à la fois pour l'Union européenne et pour les pays candidats.
Q - (inaudible)
R - Mon sentiment est que la République tchèque aujourd'hui se tourne davantage vers l'Europe, se tourne aussi davantage vers la France et qu'elle a pris conscience effectivement de l'importance de la perspective de l'élargissement pour elle. Elle a participé à la Conférence européenne de Londres, elle a participé aux premières négociations à Bruxelles auxquelles j'assistais au côté d'Hubert Védrine et je crois qu'aujourd'hui, les Tchèques sont tout à fait motivés par cette perspective. Des négociations commencent. La République tchèque est sûrement parmi les premières nations concernées, parmi les premiers Etats concernés. Je crois que l'effort de préparation se poursuit à un bon rythme.
Q - Il y a eu une propagande pendant des années qui consistait à dire que l'Union européenne était une masse de règlements qui allaient à nouveau s'abattre sur le pays comme autrefois sous le communisme. Vous allez rencontrer demain des étudiants tchèques. Qu'allez-vous leur dire pour les convaincre du contraire ?
R - Écoutez, c'est une présentation originale. C'est la première fois que j'entends dire que l'Union européenne et le communisme ont un rapport. Mais il est vrai qu'aux yeux de libéraux, tout ce qui peut sembler une régulation est critiquable. Non, je ne suis pas un ultralibéral. Le gouvernement français n'est pas ultralibéral. Mais soyons plus sérieux. L'Union européenne, c'est la perspective de la prospérité, c'est la perspective d'instruments de politique économique communs, c'est la perspective à terme d'une monnaie unique et si ces pays, si tous les pays qu'ils mesurent ce qu'elle peut apporter. J'ai envie de dire à ces étudiants demain que l'Europe, c'est encore autre chose. C'est aussi pour cela que je suis ici, non pas seul mais avec mon homologue allemand, M. Werner Hoyer. On connaît le contexte des relations germano-tchèques et leur réconciliation récente. L'Europe, c'est avant tout cela. On retrouve les valeurs fondamentales, la paix, un esprit, qui permet aussi aux sociétés civiles de se mêler. Nous sommes dans une ville de culture : l'Europe c'est aussi cela : la culture et la paix.
Q - On dit que les Tchèques sont assez en retard sur le remplissage des conditions du Livre blanc par rapport à leurs voisins hongrois et polonais. Sur quoi pensez-vous que leur effort devrait porter ?
R - Je pense que nous sommes dans un processus qui va être un processus continu, qui va être un processus assez long, qui prendra quelques années. Nous sommes au tout début. Nous sommes dans des pays qui bougent à une très grande vitesse. Un an à l'échelle de ce qui se passe ici, ce n'est pas la même chose qu'un an à l'échelle de nos pays d'Europe et donc, ne succombons pas à cette illusion d'optique négative. Ils ont le temps de se préparer, il faut en même temps que cela commence maintenant et si je suis là, c'est aussi pour voir avec mes homologues tchèques, avec le ministère des Affaires étrangères, avec plusieurs ministères comment nous pouvons coopérer pour aider la République tchèque à se préparer à l'élargissement. Je n'ai pas de jugement à porter sur tel ou tel dossier mais il est clair que la République tchèque fait plutôt partie des premiers pays qui peuvent adhérer à l'Union européenne.
DISCOURS LORS DE LA RECEPTION DE LA COMMUNAUTE FRANCAISE : 15 avril 1998
Mesdames, Messieurs
Chers Amis, Chers Compatriotes,
Je ne vais pas vous tenir un long discours, rassurez-vous mais, je m'en serais voulu de ne pas vous dire quelques mots à l'occasion de cette visite à Prague. Ma visite ici s'inscrit dans un contexte, je crois, réellement historique puisque depuis quelques semaines, comme vous le savez, a été lancé le processus qui doit conduire à l'élargissement de l'Europe aux pays de l'Europe centrale et orientale. Nous avons vu à Londres le 12 mars, puis à Bruxelles le 31 mars, l'Europe prendre ce qui sera sans doute à peu près sa physionomie définitive, c'est-à-dire une Europe à 25 ou 30 Etats. Et, à l'évidence, parmi les premiers à adhérer, il y aura, vraisemblablement, la République tchèque qui se situe, sans aucun doute, dans le peloton de tête de ces pays, qui est parmi les plus avancés dans la transition, depuis la "Révolution de velours", même si aujourd'hui, peut-être, la République tchèque donne quelques signes de faiblesse. Je ne parle pas de faiblesse politique mais éventuellement de faiblesse économique. C'est une visite que j'effectue ici conjointement avec le ministre des Affaires européennes allemand, M. Werner Hoyer, et c'est aussi symbolique. Symbolique du point de vue de la réconciliation entre les Tchèques et les Allemands qui est récente. Symbolique aussi du fait que la France et l'Allemagne veulent travailler ensemble dans la préparation de cet élargissement. Symbolique aussi de cette entente franco-allemande qui connaît évidemment des hauts et des bas, mais sans laquelle l'Europe ne serait pas ce qu'elle est aujourd'hui, sans laquelle l'Europe de demain ne serait pas non plus ce qu'elle sera. Donc, nous avions besoin d'effectuer cette visite. Il est symbolique qu'elle se déroule ici à Prague.
En même temps, je ne pouvais pas passer à Prague, même dans le cadre d'une visite bilatérale ou multilatérale, sans rencontrer la communauté française, sans m'intéresser à ce que vous faites vous, les Français qui vivez ici. Avec Philippe Coste, l'idée est venue assez vite de cette visite du nouveau lycée français. C'est un chantier très impressionnant que j'ai eu l'occasion de visiter avec les architectes et je crois aussi que c'est une réalisation qui est symbolique d'un investissement très fort de cette communauté pour la vie qu'elle mène ici.
En effet, j'ai été frappé, en écoutant le président de l'APE, de l'investissement, y compris financier, que les parents d'élèves ont consenti pour cette réalisation. Ils ne sont pas seuls, même si, encore une fois, c'est très impressionnant, puisque l'engagement financier de l'Etat est lui aussi très important. L'Etat supporte 42 % du financement global du projet immobilier, c'est-à-dire 23 millions de francs des 55 millions de francs engagés au total. C'est un effort qui ne s'est pas démenti et qui se poursuivra jusqu'à l'ouverture du lycée qui se fera, je n'ai nul doute là-dessus, à la date prévue, c'est-à-dire le 10 septembre prochain.
En visitant une classe témoin, j'ai vu une plaque en marbre qui doit être posée devant ce lycée français, et qui rappelle que c'est le président de la République qui en a posé la première pierre, si j'ai bien retenu la date : le 3 avril 1997. Il faudra que le 10 septembre 1998, pour l'ouverture du lycée français, il y ait un ministre du gouvernement. Philippe Coste a fait à cet égard plusieurs demandes, mais je crois pouvoir dire qu'il y en aura un. Je ne sais pas lequel, mais nous tâcherons de trouver le meilleur pour la circonstance. Je ne pense pas être le ) meilleur, mais il y en a. Nous trouverons bien quelqu'un, je vous l'assure ! Cela pourra être le ministre des Affaires étrangères ou le ministre de l'Éducation nationale, voire d'autres.
Car, vous savez, au sein du gouvernement, nous sommes maintenant très préoccupés de cet élargissement vers l'Est et nous avons un peu sonné la mobilisation. Il est très important que les ministres, que des administrations imitent au fond ce que vous faites, c'est-à-dire qu'elles se dirigent vers ces pays qui ont un potentiel formidable.
Pour en revenir au lycée, j'ajoute à cet effort immobilier, que l'Etat contribue aux frais de fonctionnement, puisqu'il finance 12 emplois budgétaires et 2 postes de CSN, sans compter les bourses de scolarité qu'il alloue, de demi-pension, d'entretien, pour un total de 540.000 francs pour l'année scolaire 97/98.
Je sais que le statut du lycée vous préoccupe et je peux, peut-être, vous en donner quelques : nouvelles. Lors de l'entretien à Paris de M. Sedivy, le ministre des Affaires étrangères que je rencontre ce soir, avec M. Védrine, le 6 avril dernier, les deux parties tchèque et française sont convenues de doter le lycée du meilleur statut juridique possible. Et plus précisément, M. Sedivy s'est montré disposé à soutenir un projet de convention présidentielle en cours de négociation qui présentera, je crois, plusieurs avantages. D'abord il permettra d'avoir un statut clair pour les personnels de recrutement local. Il s'agit là d'un point sensible et je crois qu'on peut rassurer les personnels locaux qui doivent savoir que ni l'ambassade, ni l'AEFE, ni l'Association des parents d'élèves ne ménagent leurs efforts pour obtenir pour eux, grâce à cette convention présidentielle, le meilleur statut possible. Cette convention doit permettre aussi, à côté des cours de langue française, des cours en langue tchèque, tant comme langue étrangère que comme langue maternelle - et, je salue les Tchèques qui sont ici -, d'avoir un plus grand nombre d'élèves tchèques scolarisés. C'est important à la fois pour les mélanges, pour la diffusion de la culture française et aussi, - je vous comprends -, pour certains aspects financiers qu'il ne faut jamais négliger.
Enfin, je crois que nous pouvons attendre une subvention annuelle du ministère tchèque pour chaque élève tchèque scolarisé dans cet établissement et la mise en place d'une équivalence automatique, - ce qui est fondamental -, entre le baccalauréat français et la maturita tchèque.
Bref, si tout cela se confirme, - et il n'y a pas de raison que cela ne se confirme pas -, je crois que ce lycée ici sera un très beau bâtiment destiné à accueillir des élèves nombreux, de plus en plus nombreux. Je crois qu'il est prévu pour 450 élèves même si aujourd'hui il n'y en a que 323, ce qui est déjà un nombre tout à fait respectable. Nous pouvons envisager ici une réussite.
Je veux rappeler enfin, pour m'attarder sur cet établissement, qu'il s'inscrit dans le réseau des établissements français à l'étranger, c'est-à-dire qu'il dépend de l'Association pour l'enseignement du français à l'étranger même s'il est géré par une association de parents d'élèves de droit tchèque. Donc, on peut dire que ce lycée français conservera son autonomie, son originalité, tout en intégrant la spécificité historique de l'école française. Cet établissement est donc une réalisation très importante, qui fait plaisir à visiter, dont on voit se dessiner le caractère à la fois majestueux et confortable.
Enfin, je veux dire un dernier mot pour vous tous qui travaillez ici, pour dire que cet élargissement à l'Est auquel le gouvernement attache une très grande importance, ne sera réussi que par, et avec vous.
La communauté française à Prague est une communauté jeune, cela se voit, elle est jeune par son implantation. Elle est jeune aussi par sa démographie. Je crois que c'est quelque chose qui est important parce que cela signifie qu'au cours des dix dernières années, depuis que la Tchécoslovaquie, puis la République tchèque s'est ouverte, s'est à nouveau tourné vers l'économie de marché, vers la démocratie, des Français, nombreux, sont venus ici, avec des projets porteurs. Ils les ont réalisés, et cela permet un développement des échanges conséquents. D'abord, les échanges extérieurs : la France est, je crois, le 7ème fournisseur de la République tchèque, le 5ème investisseur. C'est un rang qui est tout à fait honorable mai est clair que, lorsqu'on regarde les chiffres absolus, les choses sont plus délicates. Car si nous sommes le 7ème fournisseur, c'est avec je crois 3,7 % du commerce, alors que l'Allemagne représente 26 %. Il y a là, à l'évidence, encore de nouveaux défis, de nouvelles frontières et nous ferons en sorte de vous accompagner dans les réalisations économiques, dont vous êtes les acteurs ; le gouvernement a l'intention de se mobiliser, de mobiliser l'administration française pour réussir cet élargissement et pour faire en sorte que la France y occupe toute sa place. C'est en tout cas, le souhait du président de la République, c'est le souhait du Premier ministre et il faut s'attendre, pas seulement pour l'inauguration du lycée français, à une intensification de notre coopération avec les autorités tchèques, et aussi à une présence accrue des ministres ici, qui doivent témoigner, à vos côtés, de l'importance que représente cette coopération, cette association entre la République tchèque et la France. Voilà les quelques mots que je voulais vous adresser pour vous remercier de ce que vous faites et vous souhaiter, c'est à peine nécessaire, un très bel établissement, un très beau lycée, français !.
CONFERENCE-DEBAT A L'UNIVERSITE CHARLES (Prague, 16 avril 1998)
La République tchèque et l'Union européenne
Je vous souhaite la bienvenue. Nous sommes très heureux, Werner Hoyer et moi-même, de terminer cette visite de travail en République tchèque par une rencontre avec les étudiants dans cette Université Charles qui vient, je crois, de fêter son 650e anniversaire et qui est donc une université à la fois vénérable et, je le vois, moderne. On sait qu'elle forme les élites de ce pays.
Nous faisons cette visite, qui est la première visite franco-allemande, dans un pays candidat à l'élargissement de l'Union européenne à un moment un peu particulier pour la République tchèque.
Hier, votre Parlement a ratifié l'adhésion de la République tchèque à l'OTAN. En même temps, - et croyez bien que nous sommes très sensibles, nous Français, Allemands, et, au-delà, dans le monde entier -, nous savons que votre président Vaclav Havel lutte en ce moment contre la maladie et pour sa vie. C'est quelque chose qui nous touche tous beaucoup, car son rayonnement ne s'arrête pas à vos frontières. C'est un rayonnement international. Nous avons tous suivi au cours des vingt années qui se sont écoulées, le combat qu'il a mené, avec beaucoup d'autres, pour la liberté.
La visite franco-allemande que nous conduisons ici, est une visite symbolique. Elle est symbolique de ce que doit être l'Europe, c'est-à-dire d'abord la réconciliation des peuples et la paix. La France et l'Allemagne se sont affrontées par le passé, et la République tchèque a pu être, elle aussi, engagée dans ces confrontations mondiales. Ce matin, nous étions chez M. Pithart, le président du Sénat, dans une salle où, nous disait-il, le gouvernement tchèque avait appris la nouvelle des Accords de Munich. En guise de plaisanterie, il disait : c'est quand même mieux que je vous reçoive là, ensemble. C'est vrai que c'est mieux que nous nous voyons là ensemble, car notre visite est avant tout cela, le symbole de ce qu'est l'Europe, la réconciliation des peuples, la paix. C'est cela qu'elle doit apporter avant tout le reste, avant la prospérité économique.
Notre visite ici a aussi une signification politique. C'est un soutien que nous apportons à l'élargissement de l'Union européenne et c'est la volonté que nous avons d'y travailler ensemble. Et puis, il y a aussi un autre aspect symbolique, c'est le fait que l'Europe c'est aussi cela : la France et l'Allemagne qui travaillent ensemble, ce qu'on appelle le couple franco-allemand, qui forme le moteur de l'Europe. C'est le cas depuis, maintenant, plus de quarante ans et ce sera encore le cas pendant longtemps. Je crois pouvoir dire, sans fausse modestie, que lorsque la France et l'Allemagne fonctionnent bien ensemble, alors l'Europe avance, lorsque ce moteur tousse, alors l'Europe tousse.
Quelques mots sur cet élargissement, cette perspective d'entrée dans l'Union européenne pour la République tchèque. La République tchèque a réussi sa transition et elle fait partie des six pays qui ont été sélectionnés pour entamer les négociations avec l'Union européenne en vue. d'une adhésion dans les premières années du 21ème siècle, dans les années 2000-2005 sans aucun doute. C'est un défi formidable pour vous et pour votre pays car il y a de nombreuses adaptations à mener. Des adaptations économiques, qui restent à conduire, des adaptations des structures économiques, des adaptations des structures politiques, pour se donner la capacité à entrer dans un espace européen qui est un espace de liberté de circulation pour les personnes, et aussi un espace de sécurité. C'est très important à respecter. Je sais que votre gouvernement, que votre parlement, dont nous avons rencontré les principaux représentants, se sont déjà mis à l'œuvre pour préparer tout cela. Je crois qu'il y a une notion importante, c'est la notion du temps. Vous pouvez, vous qui êtes jeunes, être pressés. Paradoxalement, vous avez plus de temps. Alors je crois qu'il ne faut pas se fixer sur telle ou telle date. Il faut se dire que l'adhésion doit être la plus rapide possible et en même temps qu'elle ne doit pas être un choc pour la République tchèque. Pour qu'elle ne soit pas non plus rejetée par les pays qui sont déjà dans l'Union européenne, il faut se donner le temps nécessaire pour intégrer ce qu'on appelle l'acquis communautaire. C'est aussi très important de se donner les moyens de convaincre l'opinion publique qui peut parfois être plus eurosceptique. C'est le cas des personnes plus âgées. C'est aussi le cas des frontaliers, de tels ou tels qui perçoivent l'Europe, non comme une chance, mais comme une menace.
C'est à vous, les étudiants, les futurs cadres de demain, de convaincre ceux qui vous entourent que l'Europe est une frontière pour vous et pour votre pays. L'Europe, ce n'est pas, nous l'avons répété tout au long de la journée -, ce n'est pas seulement, ce n'est même pas d'abord, ce n'est même pas du tout -, une zone de libre-échange améliorée. L'Europe, c'est un espace politique dans lequel on déploie des politiques communes qui peuvent aussi bien concerne l'agriculture que l'industrie, que le social, que l'emploi, c'est ce que nous voulons préserver et développer avec vous. Je veux insister là-dessus : adhérer à l'Union européenne, ce n'est pas seulement adhérer à l'économie de marché, c'est adhérer à cet espace politique. C'est choisir un esprit. J'ai parlé de la paix, mais je pourrais aussi parler de brassage des sociétés, d'échanges entre les individus, d'échanges entre les cultures qui sont extrêmement importants.
Aujourd'hui, avec Werner Hoyer, avec les membres du gouvernement que nous avons rencontrés, avec les présidents des deux chambres du Parlement, nous avons commencé à jeter les bases d'une coopération trilatérale entre l'Allemagne, la France et la République tchèque. Cette coopération trilatérale est nécessaire pour préparer une double adaptation. La première adaptation, c'est celle de votre pays, parce qu'il va falloir conduire là des mutations très importantes pour être capable d'entrer de façon tout à fait performante et claire dans l'Union européenne. L'autre adaptation est l'adaptation de l'Union européenne car, en même temps que l'Union européenne s'élargit, s'ouvre, elle connaît aussi des adaptations très importantes. Nous allons décider dans quelques semaines des pays qui appartiendront à l'euro. Nous allons avoir donc une monnaie unique qui sera, je crois, un instrument de réussite économique et aussi de structuration politique très forte. Nous allons également réformer nos politiques. Nous allons réformer notre Politique agricole commune. Nous allons réformer nos finances. Nous faisons tout cela en même temps, dans le cadre de ce qu'on appelle l'Agenda 2000, puisque c'est le début du 21ème siècle que vont marquer toutes ces réformes. Ces réformes, je souhaite que nous les conduisions ensemble.
Évidemment, pour terminer cette très brève introduction, je veux vous dire que les échanges, les échanges de jeunes, les échanges de cultures, les échanges de ce que nous représentons comme sensibilité nationale, comme histoire, comme identité, tout cela est très important et: c'est pour cela que je suis très heureux, outre le fait d'avoir été longtemps enseignant, de me retrouver dans cette université parmi vous pour ce dialogue.
Q - Y a-t-il un danger que l'Allemagne et la France dominent l'Europe par l'intermédiaire de l'Union Européenne ?
R - Nous voulons faire exactement l'inverse de ce que nous avons fait dans le passé, non pas refaire le passé. L'Europe a été, je dirais, depuis plus de mille ans et peut-être plus particulièrement, depuis 150 ans, le terrain de conflits et d'abord de conflits militaires et même plus grave que cela, de génocides. Ces conflits nous ont opposés les uns aux autres. En premier lieu, ils ont opposé les Français et les Allemands qui se sont divisés à travers trois guerres depuis 1870, dont deux guerres mondiales. Quand les Français et les Allemands se retrouvent quelque part ensemble, ce n'est pas pour dire qu'ils veulent maintenant dominer l'Europe, tous les deux ensemble alors qu'ils se sont opposés jadis pour la domination de l'Europe ; c'est pour dire, au contraire : plus jamais cela, avant toute chose. Plus jamais la guerre, mais au contraire, la paix et la capacité à nous réconcilier. Vous savez, l'Europe est faite de vieilles nations qui ont tour à tour dominé le monde. Il n'y a pas eu que la France et l'Allemagne, il y a eu la Grande-Bretagne, il y a eu le Portugal, il y a eu l'Espagne, il y a eu l'Italie. Et en Europe en plus, il y a à la fois des gros, des moyens et des petits pays. Et, de deux choses l'une, ou leurs relations ne sont pas organisées, - c'est ce qui se passe depuis mille ans -, ou bien on les organise, et c'est ce que nous faisons dans le cas de l'Union européenne. Et en même temps, la France et l'Allemagne ont, je pense, surmonté l'expérience de conflits et c'est comme cela qu'elles sont le moteur de l'Europe.
La deuxième chose que je voulais dire, c'est que - vous êtes bien placés pour le savoir -, il s'est passé au cours des dix dernières années, une mutation géopolitique fondamentale : c'est la chute du mur de Berlin et l'effondrement du système soviétique. Il y avait deux superpuissances, les Etats-Unis et l'URSS. L'une est tombée, l'URSS n'existe plus. Le bloc soviétique n'existe plus, il reste, dans le monde, une superpuissance unique, ce sont les Etats-Unis. Et quand on s'intéresse à ce qui se passe dans le monde, on voit que nous sommes devant un phénomène de mondialisation économique, d'ouverture des marchés partout, avec une puissance économique qui domine, qui a des velléités extrêmement fortes, à la fois sur le plan économique et sur le plan culturel, sur le plan monétaire, avec sa monnaie, faut donc être capable d'équilibrer cette mondialisation, de la dominer. Je crois que l'Europe peut être, pour cela, un outil essentiel. C'est pour cela que nous devons tous ensemble, pas seulement les Français et les Allemands, mais les Français, les Allemands, les Quinze qui sont dans l'Union européenne, et demain, vous qui serez avec nous, nous coaliser pour bâtir cette Europe-puissance qui est capable de rebâtir un système mondial qui soit un tout petit peu plus équilibré. Donc, aucune volonté de domination ni française, ni allemande, ni franco-allemande, mais la volonté de bâtir tous ensemble une Europe qui soit une puissance pour la paix.
Q - (sur la réforme des institutions de l'Union européenne)
R - Je vais peut-être répondre d'abord là-dessus, parce que c'est vrai que c'est une préoccupation que la France a exprimée tout particulièrement lors du Sommet européen à Amsterdam, puis de nouveau lors du Conseil européen de Luxembourg. Les institutions de l'Europe ont, comme le Traité de Rome, un peu plus de quarante ans. Ce sont des institutions qui avaient été faites pour fonctionner dans un marché commun à six, les six pays fondateurs, Et puis, l'Europe s'est élargie. Nous sommes passés de six à neuf, puis de neuf à dix, puis de dix à douze, puis de douze à quinze nations. Nous ne sommes plus seulement devant un. marché commun: Nous avons petit à petit élargi ses compétences et c'est devenu une véritable Union européenne qui a de plus en plus des attributs de souveraineté, qui demain aura une monnaie, qui aura une politique étrangère et de sécurité commune, et qui va constituer un espace de liberté et de circulation et de sécurité.
Bref, ces institutions ne sont plus adaptées à ce qu'est l'Union à quinze. Elle ne marche pas. A Bruxelles, il y a une bureaucratie qui a beaucoup de qualités d'ailleurs, - il ne faut pas du tout la rejeter -, mais qui, en même temps, est singulièrement opaque. Il y a un système politique bâti autour de ce qu'on appelle le Conseil, c'est-à-dire la réunion des gouvernements qui n'arrive plus à décider de façon efficace parce que, à chaque fois, on est réduit à ce qu'on appelle l'unanimité. Il est vrai que nous sommes tous égaux dans l'Union européenne, les petits, les moyens et les grands, mais en même temps, nous n'arrivons plus à prendre les décisions nécessaires. Donc, nous pensons qu'il faut réformer les institutions de l'Europe. Et qu'il faut le faire très vite. Et pour le dire très franchement, il faut le faire avant le prochain élargissement. Avant que nous passions à vingt-cinq. Pourquoi ? Non pas pour dire que nous sommes contre l'élargissement. Nous y sommes tout à fait favorables. Notre présence ici, notre travail, notre action va dans ce sens-là. Mais parce que ce qui ne marche pas à quinze, ne. marchera pas à vingt, à vingt-cinq, à vingt-six ou à vingt-sept.
Ces réformes, que nous voulons, ce sont des réformes très pragmatiques des réformes sans doute limitées, mais en même temps des réformes qui permettent à l'Union européenne de fonctionner. Je n'entrerais pas dans le détail, mais je dirais que la Commission de Bruxelles doit être soit moins nombreuse, doit être mieux hiérarchisée. Je dirais aussi qu'au sein du. Conseil des ministres européens, on doit être capable de développer, sans que cela se répande à tout, des décisions à la majorité qualifiée, et on doit être capable d'avoir des mécanismes plus démocratiques dans cette Europe. Voilà quelques réformes qu'il faut faire très vite. Je suis persuadé qu'on peut les faire très vite. Il y en aura d'autres qui seront beaucoup plus ambitieuses parce que nous avons encore du mal à imaginer ce qui sera demain ou dans dix ans, c'est-à-dire presque tout de suite, une Europe à vingt-cinq.
Il y a eu une première Conférence européenne qui s'est réunie à Londres, il y a un mois, le 12 mars. C'était à la fois très émouvant; parce que c'est la première fois qu'on voyait tous les chefs d'Etat et de gouvernement du continent réunis dans une instance formelle. C'est très intéressant parce que nous avons pu avoir des discussions très libres, mais en même temps nous avons vu qu'il y avait un peu de désordre. Donc, il faudra mettre de l'ordre.
Q - (sur l'attitude de l'opinion française et allemande sur l'élargissement)
R - Ce n'est pas très différent, si ce n'est que nous, nous n'avons pas de frontières communes avec les pays candidats. Et en plus, tous nos voisins sont déjà dans l'Union européenne. Nous sommes un peu plus loin de vous. Et si je devais dire quelque chose d'un tout petit peu différent de Werner Hoyer, c'est que finalement deux sentiments se disputent l'esprit des Français.
Le premier, c'est sans doute d'être très enthousiastes par rapport à la perspective historique qui est celle de la réunification du continent. On utilise beaucoup l'adjectif "historique". On le met un peu à toutes les sauces, mais là, nous sommes vraiment en train de faire quelque chose qui bâtit l'histoire. Ce n'est pas tous les jours qu'il arrive qu'un continent, qui a été divisé ; pendant cinquante ans, se réunifie, se rassemble.
Et puis, il y a un deuxième sentiment. C'est je crois une très grande méconnaissance encore. L'opinion française n'est pas encore sensible et ne se rend pas compte de ce que cela représente. Elle ne le vit pas au quotidien. Et donc, il va falloir faire deux choses. La première chose, c'est un effort d'explication à la population de ce que cela représente, de ce qui va se passer, des efforts à faire, de toutes les réformes européennes qui viennent. Car il y a l'euro, et au-delà de l'euro, il y a toute une série d'actes sur la construction européenne. La deuxième chose qu'il faudra faire, - et vous devrez le faire aussi ici -, c'est de rassurer. Parce que tout ce qui est grand, tout ce qui est ouvert, tout ce qui est nouveau, tout ce qui suppose la confrontation avec d'autres, cela fait un peu peur. Cela va être la tâche du gouvernement. Mais je suis persuadé que l'enthousiasme des uns et des autres saura l'emporter, non pas sur le scepticisme, mais sur les craintes que ce processus ne manquera pas de faire naître quand sa proximité sera plus grande qu'aujourd'hui.
Q - (sur le phénomène de l'extrême-droite en France et le risque d'une résurgence des nationalistes en Europe)
R - C'est vrai que c'est un phénomène qui concerne l'Europe de l'Ouest toute entière, mais dans les proportions qui sont inégales. Certains pays ont des partis d'extrême-droite extrêmement forts. C'est le cas de l'Autriche, d'abord. C'est le cas, je dirais, de la France ensuite, avec le phénomène de Le Pen et du Front national qui vient de faire, lors d'élections régionales, mais qui avaient une importance nationale, encore 15 % des voix. Mais c'est le cas un petit peu partout, malgré tout, et je dirai qu'au-delà des mouvements de l'extrême-droite, il y a des résurgences nationalistes qui sont nées en Europe et pas seulement l'Europe de l'Ouest, elles existent aussi, on le sait, en Europe de l'Est. Elles naissent justement de plusieurs facteurs. Tout d'abord, sans doute, à l'Ouest, de la crise économique, ensuite de l'épuisement, d'une certaine forme d'épuisement, d'un besoin de renouvellement du système politique car la aussi a besoin de se renouveler. Elle naît aussi, je crois, de.craintes par rapport à l'Europe qui est justement trop perçue comme cet espace marchand, purement marchand, alors qu'elle a besoin de montrer en quoi elle peut être une puissance, quelque chose qui rassure, quelque chose qui sécurise, quelque chose qui socialise, puisque ces craintes naissent aussi, probablement, d'un sentiment d'insécurité très grand par rapport au phénomène migratoire. Voilà pour l'analyse.
Les réponses, je ne veux pas les donner ici en quelques secondes car cela fait quinze ans, par exemple, qu'en France, nous luttons contre le phénomène sans avoir réussi à le vaincre. Mais j'ai envie de dire que nous devons traiter les problèmes qui font naître l'extrême-droite. D'abord le chômage, la question sociale dans un pays comme le nôtre où il y a un taux de chômage de 12 %. Et puis aussi tout ce qui est le phénomène de sécurité de vie dans les villes, car nous sommes dans des civilisations urbaines avec des phénomènes qui sont de plus en plus mal perçus par la population. Et c'est pourquoi, cela me permet de terminer sur quelque chose qui nous concerne les uns et les autres dans la perspective de cet élargissement, toutes les questions qu'on appelle les questions de l'espace Schengen, toutes les questions de liberté de circulation des personnes, toutes les questions de sécurité, seront les questions décisives au moment où nous devrons envisager l'adhésion. Mais je crois, que pour la jeunesse, il faut être conscient, effectivement, que cette menace d'extrême-droite existe, et encore une fois que.ce n'est pas un phénomène aujourd'hui qui est localisé. Je suis très frappé de parler avec mes: ... homologues, notamment dans le cadre aussi d'instances politiques, puisque je suis membre du :: Parti socialiste, et bien de voir à quel point le nationalisme est aujourd'hui un mal qui ravage le continent tout entier.
Q - (sur les faiblesses de la République tchèque sur le chemin de l'Union européenne)
R - Il appartient d'abord aux Tchèques de le dire. Nous avons eu des entretiens avec plusieurs membres du gouvernement, avec les présidents des deux Chambres. Le sentiment que nous avons eu, c'est que, peut-être, il y avait un problème d'adaptation de l'administration, de progrès de l'administration, de capacité aussi du Parlement à incorporer tous ces textes de lois qui demain seront une partie intégrante de vos lois. Werner Hoyer le disait, il y a quelques instants, c'est 80 000 pages de droit européen qu'il faut intégrer. Et il ne suffit pas de les intégrer telles quelles, il faut les transposer dans un droit national. Pour cela, il faut une administration performante, il faut un parlement qui ait des procédures législatives également très élaborées. Et c'est sur ce terrain-là, peut-être d'abord, que nous proposons à nos amis tchèques de travailler ensemble.
La Commission européenne a mis en place pour les pays candidats, je n'entre pas dans la technique, mais ce qu'on appelle des partenariats pour l'adhésion. C'est-à-dire des crédits dégagés par un programme qu'on appelle Phare et également des possibilités de coopérer. Ces possibilités de coopération ce sont, par exemple des jumelages institutionnels, c'est-à-dire la capacité de coupler des administrations étrangères, comme celle de l'Allemagne, comme celle de la France qui sont les administrations assez performantes, avec les administrations des pays candidats. Nous avons fait ensemble, Français et Allemands, des propositions au gouvernement tchèque pour aider celui-ci à porter son administration à un niveau de performance qui lui permette d'accompagner les réformes économiques indispensables, parce que le deuxième thème c'est évidemment la réforme économique. Faites attention : entrer dans l'Union européenne, ce n'est pas l'Eldorado tout de suite. C'est d'abord une mutation nationale qui doit être faite pour qu'ensuite cette Union ne soit pas un choc mais qu'elle soit une chance.
ENTRETIEN TELEVISION PUBLIQUE TCHEQUE CT : 16 avril 1998
Q - La Chambre des députés de la République tchèque a approuvé hier par une grande majorité des voix l'adhésion de la République tchèque à l'OTAN. Même si ces deux processus, l'élargissement de l'Union européenne et l'élargissement de l'OTAN, se déroulent plus ou moins séparément, avez-vous l'impression que la décision d'hier peut influencer d'une manière positive le processus d'intégration ?
R - L'OTAN et l'Union européenne sont deux sujets bien séparés, mais en même temps je crois que ce vote, par son ampleur, montre que pour la République tchèque aujourd'hui, la classe politique, très largement (75 à 80 %), a choisi l'intégration et a choisi aussi l'économie de marché et la démocratie. Je suis persuadé que cette même majorité pourrait se retrouver demain pour l'adhésion à l'Union européenne. Donc, effectivement c'est un signe. D'ailleurs tous nos interlocuteurs ici ont manifesté à la fois leur souhait d'aller vers l'Union européenne et en même temps, l'idée que les élections très importantes qu'ils allaient avoir dans quelques mois, ne changeront pas la politique étrangère du pays quoiqu'il arrive. Tout cela est bien. Il reste à faire l'essentiel par ailleurs et à convaincre l'opinion publique de manière que les Tchèques adhèrent au projet de l'Union européenne, qu'il s'y préparent, que nous nous y préparions tous ensemble. C'est aussi le sens de notre visite.
Q - On parle justement souvent du fait que les citoyens ne sont pas prêts à cet élargissement. Alors que la volonté de l'élite politique à l'entrée dans l'Union européenne et dans l'OTAN est très marquée, considérable, elle n'est partagée que par 50 % environ de la population pour l'OTAN et 60 % pour l'Union européenne. C'est probablement un problème de communication, de la présentation de cette volonté aux citoyens. En France, a justement été lancée une campagne devant informer et présenter les jeunes gens de ce processus. Avez-vous des remarques ou des suggestions pour la République tchèque dans ce domaine ?
R - L'élargissement vient de démarrer. C'est un processus qui prendra quelques années, un certain temps, le temps nécessaire pour bien se préparer. Donc, il n'est pas illogique aujourd'hui que les administrations, mais aussi les entreprises, les opinions publiques n'aient pas pleinement conscience des enjeux. Mais par rapport à cela, nous avons effectivement, les uns et les autres, une tâche qui est essentielle et cette tâche est une tâche d'explication. Expliquer ce que ce sera l'Europe, cela consiste aussi à rassurer les opinions. L'Europe n'est pas uniquement la bureaucratie, ce n'est pas uniquement l'économie de marché ; c'est un certain nombre de valeurs, c'est la prospérité sans aucun doute, c'est aussi le brassage, l'échange, le mélange des sociétés. Tout cela il faut l'expliquer, le faire comprendre, mais il faut aussi pour cela réussir la préparation, et faire en sorte que, effectivement, ce ne soient pas les dangers de l'Europe qui l'emportent, que ce soient les chances de l'Europe. Donc, évidemment tout cela est très lié. Nous avons besoin de le faire, nous, dans les pays des : Quinze. Vous avez besoin de le faire aussi. Nous avons quelques années pour cela. Il n'y a pas de temps à perdre, c'est maintenant que cela commence. C'est maintenant qu'il faut se mobiliser, mais en même temps, nous avons du temps pour le faire.
Q - Récemment encore, on indiquait la date de l'entrée de la République tchèque dans l'Union européenne dans une perspective de 2-3 ans. Même le président Jacques Chirac parlait, l'année dernière, de l'an 2000. A votre avis, quelles sont ces perspectives aujourd'hui ?
R - Je crois que c'est face à cette question des échéances qu'il faut adopter une attitude à la fois très volontaire et très réaliste, qui est d'ailleurs celle du gouvernement tchèque, qui est celle de M. Sedivy, qui est celle de M. Telicka. L'idée est simple : il faut que l'adhésion se fasse le plus vite possible, mais en même temps la préparation la plus profonde est nécessaire. Autrement dit, l'adhésion doit se faire dès que le pays y sera prêt. Je voulais vous dire qu'effectivement, ce sera vers le début de l'an 2000. Mais s'il faut avoir une date mobilisatrice, il faut avoir en même temps la conscience qu'une adhésion prématurée pourrait être un choc, à la fois pour la République tchèque et pour l'Union européenne telle qu'elle est. Allons donc le plus vite possible. Entrons d'une façon déterminée, de toute façon 4 ans, 5 ans, 6 ans. A l'échelle de l'histoire que nous vivons, ce n'est pas grand chose.
POINT PRESSE AVEC MINISTRE TCHEQUE DES AFFAIRES ETRANGERES, M. JAROSLAV SEDIVY: 16 avril 1998 - PROPOS DE M. MOSCOVICI
Je veux vous dire mon plaisir d'être ici dans cette visite que nous faisons à deux, avec Werner Hoyer, c'est-à-dire la première visite que nous faisons ensemble dans un pays candidat à l'adhésion à l'Union européenne. C'est vrai qu'elle a une portée symbolique qu'on ne doit pas négliger, compte tenu de ce que furent nos histoires communes, parfois opposées, et de ce que signifie l'Europe qui est avant tout un espace de paix, de réconciliation entre les peuples. Elle a aussi un très fort sens politique et ce sens politique qui effectivement se tourne à la fois vers l'Europe telle qu'elle est et vers l'Europe telle qu'elle sera. Dans l'Europe telle qu'elle est, parce que la France et l'Allemagne sont effectivement ensemble le couple moteur qui a permis à cette construction européenne d'avancer depuis 50 ans, dans l'Europe telle qu'elle sera parce que nous partageons, chacun avec nos sensibilités sans doute, chacun avec nos intérêts, la même vision de ce que sera l'Europe dans 10 ans, dans 15 ans. Nous serons, j'en suis sûr, dans cette action qui commence, qui nous amène vers ce formidable défi, qu'est l'élargissement, des éléments moteurs, là où il peut y avoir ici ou là quelques freins, quelques tentations d'aller plus doucement, non pas que nous soyons pressés, mais parce que nous pensons que cette affaire peut être conduite avec beaucoup de volonté et à un bon rythme.
Nos entretiens de ce matin, notamment avec M. Telicka, nous ont permis de voir, dans la République tchèque, une volonté politique désormais clairement définie de se préparer à l'adhésion à l'Union européenne et aussi, je crois, et c'est très important, une très grande lucidité. Si je devais résumer l'attitude de la République tchèque qui me paraît juste, je la résumerais d'une formule : aller aussi vite que possible en se fixant notamment des dates mobilisatrices, mais également, aller aussi profondément que nécessaire dans la préparation. C'est indispensable parce que l'Union européenne n'est pas seulement une zone de libre échange améliorée, elle est aussi un espace où se conduisent des politiques intégrées qui, si elles ne sont pas anticipées, peuvent être un choc aussi bien pour les économies des pays candidats que pour celles des pays déjà membres de l'Union.
Je ne veux pas être plus long, sinon pour dire que cette visite à deux, cette démarche trilatérale ne doit pas être un aboutissement mais un début. Nous comptons travailler ensemble avec nos amis tchèques à améliorer les conditions de préparation à l'adhésion. Nous avons déjà évoqué ce matin, avec M. Telicka, les quelques points de collaboration concrets sur lesquels nous souhaitons avancer. Et dans les semaines qui viennent, nous allons prendre des initiatives de toutes sortes, jumelages institutionnels, colloques communs, travail en commun qui permettront d'avancer car nous voulons être ensemble à vos côtés pour préparer ce grand défi, grand défi pour les Tchèques, grand défi pour l'Europe aussi.
Q - Que pensez-vous des propos tenus récemment par le ministre autrichien de l'Intérieur, M. Karl Schlögel sur la nécessité pour la République tchèque de changer sa politique des visas, vis-à-vis notamment des ressortissants roumains ?
R - Il ne faut pas s'inquiéter à l'excès, d'abord parce que ce ne sont pas les ministres de l'Intérieur aujourd'hui qui vont décider de l'adhésion dans quelques années de tel ou tel pays. C'est un processus beaucoup plus vaste qui sera décidé à un autre niveau. Mais enfin, il y a quand même derrière tout cela une préoccupation que nous partageons tous, qui est celle de faire de l'Europe : l'Europe qui existe déjà aujourd'hui, c'est un problème pour les Quinze ; l'Europe de demain, l'Europe plus grande, un espace où il puisse y avoir à la fois la libre circulation des personnes mais aussi une très grande sécurité. C'est surtout le problème de ce qu'on appelle aujourd'hui l'espace Schengen qui demain appartiendra au Traité, lorsque le Traité d'Amsterdam aura été ratifié, et c'est un point sur lequel nous devons travailler ensemble. C'est un des points que nous avons identifiés comme étant un des sujets de notre collaboration future. Pour le reste, je ne vais pas ici donner de leçon à la République tchèque. Nous, nous sommes favorables à ce que la République tchèque se prépare à adhérer très clairement et sans restriction, mais il est clair que cette question-là, cette question de la liberté de circulation et de la sécurité des personnes sera sans doute, en définitive, la question la plus sensible, la plus difficile. C'est une question fondamentale pour l'adhésion. Puisque nous. avons parlé des opinions publiques, soyons conscients qu'elles y sont de plus en plus sensibles et à juste titre.
CONFERENCE DE PRESSE AVEC MINISTRE ALLEMAND DELEGUE CHARGE DES AFFAIRES EUROPEENNES, M. WERNER HOYER - PROPOS DE M. MOSCOVICI (Prague, 16 avril 1998)
Q-Vous avez rencontré le président de la Chambre des députés, M. Milos Zeman. Quelles sont vos impressions ?
R - Monsieur Zeman nous a reçus en tant que président de la Chambre des députés même si de temps en temps, il a enlevé sa casquette pour parler en tant que leader de formation politique. Je retiens avant tout de cet entretien que M. Zeman a affirmé que, quel que soit le résultat des élections à venir en République tchèque, la politique étrangère de votre pays resterait inchangée et qu'elle marquerait l'orientation claire en faveur de l'Union européenne. Il a également fait des suggestions, notamment, en vue d'un référendum éventuel sur l'adhésion à l'Union européenne, suggestion à laquelle je lui ai répondu : un référendum c'est très bien, à condition de se donner les moyens de gagner ! C'était une parenthèse. Vous connaissez ses positions. Encore une fois, ce qui m'a frappé, non seulement à travers cet entretien, mais à travers tous les autres que nous avons eus aujourd'hui, y compris par rapport à un sentiment qu'on pouvait avoir il y a quelques mois, c'est d'abord que la classe politique tchèque est très unie sur ce sujet de la politique étrangère et le choix de l'Union européenne, et ensuite, c'est qu'elle est beaucoup plus résolue qu'il y a quelque temps, et que la mobilisation a commencé. Bien sûr, pour nous, c'est extrêmement positif. Je crois que le choix qui a été fait, le choix de l'Union européenne, le choix de ces négociations, est un choix maintenant inéluctable qui, effectivement, réduit un peu le champ des incertitudes politiques.
Q - Quels étaient les buts de votre visite ici ?
R - Nous sommes passés de déclarations d'intention, à des travaux d'approche, et maintenant aux travaux pratiques. Et c'est pour cela que ces visites, sont des visites, non seulement utiles, je crois, mais indispensables. Quand le nouveau gouvernement de Lionel Jospin a été nommé, il y a un an, avec Hubert Védrine, ministre des Affaires étrangères, nous nous sommes dit qu'en un an nous irions visiter tous les pays candidats à l'Union européenne. C'est indispensable. Et nous l'avons fait. A part la Slovaquie qui se trouve dans une situation un peu particulière. Je crois que cela fait partie, encore une fois, du travail nécessaire, et maintenant nous devons enclencher des coopérations concrètes. Adhérer à l'Union européenne cela suppose, effectivement, tout ce que j'ai pu dire aux étudiants, notamment des capacités d'adaptation de l'administration, et de ce point de vue-là, je crois que des pays comme le nôtre peuvent apporter quelque chose. Deuxième chose, cette visite a un caractère un peu particulier, parce que c'est une visite franco-allemande. Ce n'est pas un hasard qu'elle ait lieu ici et elle a aussi un sens fort. Nous avons affirmé tout au long de cette visite en République tchèque, notre volonté d'aller ensemble vers l'élargissement, de travailler ensemble dans l'Europe non seulement telle qu'elle est aujourd'hui mais telle qu'elle sera demain. C'est vrai qu'on ne peut pas tout faire. Nous n'avons pas eu le temps de rencontrer la population. Mais je suis très heureux que nous ayons terminé cette visite par une grande rencontre avec les étudiants, parce qu'il est particulièrement réconfortant de voir effectivement une audience jeune, attentive et manifestement engagée dans ce processus, alors que d'autres couches de la population peuvent être plus sceptiques, voire plus hostiles à ce phénomène.
Q - (sur la réforme des institutions européennes)
R - C'est la France qui a soulevé ce sujet. C'est vrai que nous avons dit, lors du Sommet d'Amsterdam au mois de juin dernier qu'il fallait réformer les institutions européennes avant la conclusion du prochain traité d'adhésion, ce que nous avons appelé le préalable institutionnel. Et je suis heureux que votre question me donne l'occasion de m'expliquer là-dessus. Ce que nous voulons dire, très simplement, c'est que l'Union européenne à Quinze fonctionne déjà fort mal, que ses processus de décision sont largement bloqués, que toutes les institutions européennes, qu'il s'agisse du Conseil, qui doit avoir en son sein des modalités de vote plus démocratiques, qui doit être capable de recourir davantage à la majorité qualifiée, que ce soit la Commission, qui est trop nombreuse avec des modes de fonctionnement qui ne sont pas adaptés, bref, que toutes ces institutions doivent bouger pour s'adapter à l'Union européenne à Quinze telle qu'elle est. Alors, a fortiori, cette réforme est nécessaire avant qu'on passe de quinze à dix-huit, ou à vingt, puis à vingt-cinq. Et donc la réponse est évidente. Il faut aller plus vite sur la réforme des institutions, il faut qu'on avance dans la voie des négociations. C'est clair. Il faut que cette réforme des institutions soit faite dans les deux, trois, quatre ans qui viennent. Mais cela ne doit pas effrayer. Cela ne doit pas non plus sembler être une, quelconque restriction à l'élargissement. Nous sommes pour l'élargissement. Notre souhait que les institutions soient réformées n'a pas empêché l'ouverture des négociations d'adhésion qui ont commencé. Notre souhait que les institutions soient réformées ne doit pas entraver la poursuite des négociations d'adhésion. Mais il faut que les Quinze se saisissent tranquillement, pragmatiquement du sujet et je suis sûr qu'avec un peu de bonne volonté, avec un peu d'intelligence, cette question institutionnelle doit pouvoir trouver, pour l'essentiel, des réponses à un horizon assez proche. Il reste qu'à plus long terme, à dix ans ou à quinze ans, nous serons obligé de penser à ce que sera une Europe à vingt-cinq et là, fatalement, nous allons être obligé, à mon avis, de concevoir - nous en avons déjà parlé avec Werner Hoyer - des adaptations politiques de plus grande ampleur. Et cela nous le ferons avec vous dans l'Union.
Q-Y a-t-il suffisamment de volonté politique pour mettre en œuvre ces réformes ?
R - Ce n'est pas moi, c'est Werner Hoyer qui vient de dire que le Sommet d'Amsterdam aurait dû avoir lieu trois mois plus tard. Mais au fond, même si c'est un peu tard, cela renoue avec une pensée qu'il m'est arrivé d'avoir, c'est vrai qu'avec quelques mois supplémentaires pour remettre l'affaire sur le métier. Je pense que nous aurions pu aboutir et lever les points qui ont fait problème. Cela s'est passé comme ça. Je pense qu'aujourd'hui, le moment est assez propice pour mettre ce sujet à l'Agenda. Je crois que les esprits ont évolué, que des réflexions ont été conduites chez les uns et chez les autres. Je sais que la présidence actuelle de l'Union européenne, la présidence britannique, a proposé un certain nombre de sujets de travail très concrets, par exemple, comment fonctionne le Conseil. Comme le disait Werner Hoyer, on ne sait plus qui fait quoi, on ne sait plus qui est qui dans ces réunions où il y a soixante-cinq personnes au bas mot. Sur tout cela, on doit pouvoir trouver des modalités pragmatiques de travail. Je pense qu'après la déconvenue d'Amsterdam, maintenant revient le temps du travail patient. Cela ne va pas être facile. Ce sont des sujets très concrets, pas forcément des sujets exaltants, encore une fois. Je suis optimiste sur la capacité que nous avons, de façon pragmatique, à débloquer cette situation. Il me semble qu'un certain nombre de réformes - les réformes du fonctionnement du Conseil, par exemple, pourquoi pas de la Commission - peuvent être reprises sans aucune réforme des Traités. Et rapidement. Si on a envie que cela marche mieux, alors on peut se mettre autour d'une table et travailler tout simplement au fonctionnement de l'Union telle qu'elle est. Cela peut se faire en un an. Et puis derrière, il faut un deuxième train de réformes. Celles qui vont exiger, peut-être, l'adaptation du Traité. Cela doit se faire avant l'élargissement, dans trois ans, dans quatre ans. Ensuite, on pourra penser à ce que sera la grande Europe sur le plan politique.
Q - Quelles devraient être les priorités du gouvernement tchèque ?
R - C'est au gouvernement tchèque de définir ses propres priorités. De toute façon, s'agissant de l'élargissement, les choses sont simples. La règle, c'est la reprise de la totalité de l'acquis communautaire. Sans exception, sans régime transitoire majeur. C'est au pays qu'il appartient de décider de ce que sont ses priorités. Mais, je crois que le gouvernement actuel, tel que nous l'avons rencontré, a déjà défini une stratégie, Qu'il l'a conduise. J'ai senti, au cours de cette journée, une volonté de continuité de cette politique européenne, cette volonté de continuité qui n'exclut pas, bien sûr, le respect de l'identité tchèque. Nous faisons confiance au gouvernement tchèque pour conduire sa politique bien sûr.