Interview de M. Pierre Méhaignerie, président d'honneur de Force démocrate, dans "Démocratie moderne" du 15 octobre 1996, sur la réforme fiscale du gouvernement, intitulée "Je soutiens le plan du gouvernement, parce que j'en approuve les principes de base".

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Média : DEMOCRATIE MODERNE

Texte intégral

Démocratie Moderne : Pour quelles raisons soutenez-vous le plan du gouvernement ?

Pierre Méhaignerie : Je soutiens le plan du gouvernement parce que j'approuve totalement les trois principes de base sur lesquels il s'appuie : la maîtrise des dépenses publiques, la réduction des déficits et la réduction des impôts et des taxes.
Tout d'abord, il engage une inversion historique de l'évolution de la dépense publique. C’est une voie difficile à emprunter tant la tendance du secteur public est de demander toujours plus, sans que soit évalué le rapport qualité/coût de certains services publics. Chacun sait qu’au-delà d'un certain pourcentage, que nous avons dépassé, la dépense publique n'est plus synonyme de progrès social, ni créatrice d'emplois nets. Or, elle atteint aujourd'hui 55 % de la richesse nationale.
Ce plan permet de franchir une nouvelle étape dans la réduction du déficit afin de parvenir à terme au niveau de 2 % du PIB. Cet effort est indispensable pour stopper la progression continue des charges de remboursement de la dette publique.
Enfin, il engage une première phase de réduction des impôts et des taxes qui pèsent sur les entreprises et les ménages, impôts et taxes qui étouffent l'économie en décourageant l'initiative et la création.

Démocratie Moderne : Que faut-il faire pour mieux convaincre les Français de la nécessité de ces réformes et entraîner leur adhésion ?

Pierre Méhaignerie : Une grande partie de l'opinion publique semble encore, en effet, sceptique par rapport à cette nécessaire discipline de la dépense publique. Il faut qu’à ce scepticisme fasse place une adhésion et que l'opinion comprenne vraiment que la réduction de la dépense débouche sur une réduction effective des impôts et des prélèvements de toute nature.
Ce changement profond des attitudes et des perceptions sera à mon avis possible à trois conditions. Parce que le chemin est long et rude, il faut de la pédagogie, de l'équité et de la souplesse.
Par pédagogie, j'entends qu'il faut rendre notre système de prélèvement plus simple et plus lisible. La réforme fiscale et la baisse de l'impôt sur le revenu ne seront bien perçues et comprises qu’à ce prix. C'est alors seulement qu'elles pourront produire tous leurs effets sur l'activité et la création d’emplois.
Pour plus d'équité, il est important de remettre en cause certains avantages fiscaux particuliers accordés aux plus fortunés (SOFICA, déductions pour investissements dans des bateaux de plaisance ou des avions de tourisme Outre-mer) tandis que l'on supprime certains avantages accordés à de plus modestes. Important aussi de veiller à ce que l'État ne donne pas aux collectivités locales d'excuse pour augmenter leurs impôts locaux en accroissant les charges financières qui pèsent actuellement sur elles.
Enfin, il faut plus de souplesse, c'est-à-dire une réforme profonde de l'État, pour mettre fin aux rigidités qui caractérisent traditionnellement notre appareil administratif.

Démocratie Moderne : Fallait-il donner la priorité à la baisse de l'impôt sur le revenu, plutôt qu'à une baisse des taxes, ou à l'allégement des cotisations sociales ?

Pierre Méhaignerie : Le débat mérite d'être engagé et nous en avons longuement débattu en commission des finances. Nous nous sommes en particulier demandé s'il était bien opportun de concentrer l'essentiel de la marche de manœuvre budgétaire sur l'impôt sur le revenu, qui n'est payé que par la moitié des foyers fiscaux.
Une réforme de l'impôt sur le revenu s’impose assurément car, additionné aux autres prélèvements, il conduit à un exode fiscal, qui peut avoir à terme, de sérieuses conséquences. La baisse de cet impôt est donc nécessaire, à certaines conditions cependant : que les niches fiscales qui profitent aux revenus très élevés soient supprimées, que la baisse de l'impôt profite d'abord aux familles, que l’État ne se décharge pas de ses responsabilités sur les collectivités locales.
De plus, pour rendre populaire la maîtrise de la dépense publique et les efforts ou remises en cause qui l’accompagnent nécessairement, beaucoup d'entre nous pensent qu'il fallait aussi réduire d'autres prélèvements qui intéressent l'ensemble des Français (baisse de la TVA, gel de la des TIPP - taxe intérieure sur les produits pétroliers).
D'ailleurs, je souhaiterais aussi personnellement que nous puissions rester fidèles à l'engagement que nous avons pris en 1993 devant les électeurs, ce qui nous conduirait à accentuer notre effort d'allégement des charges sociales. La mondialisation expose les entreprises de main-d'œuvre et plus généralement de moyenne technologie à une concurrence toujours plus sévère. N’y a-t-il pas là un grave danger : que ce soient les moins qualifiés, les moins rémunérés, les moins protégés qui supportent la plus lourde part du coût de l'adaptation à un monde économique qui se transforme de plus en plus vite ? Nous devons sur ces grands sujets ouvrir un large débat.

Démocratie Moderne : Quel espoir formuler en termes de croissance et d'emplois ?

Pierre Méhaignerie : Un double constat s'impose. Tous les pays qui se sont engagés dans le respect de disciplines suivantes : maîtrise des dépenses publiques, réduction des déficits et maîtrise des taxes et prélèvements ont obtenu de meilleurs résultats en termes de croissance et d'emplois. Sur le terrain, nous disposons déjà de leviers qui permettent de réduire de 10 à 20 % le taux de chômage si nous savons nous mobiliser. Les mesures d'insertion pour les jeunes, le passage progressif à la préretraite, et surtout l'application de la loi Boisseau-de Robien-Jacquat sur l'aménagement et la réduction du temps de travail constituent de précieux outils.
En définitive, et c'est l’essentiel, le gouvernement veille désormais « à ce que l'ensemble des dépenses publiques (État, Sécurité sociale, collectivités locales) augmentent moins vite que la production nationale ». C’est aujourd'hui la seule voie qui permettra de retrouver le chemin de la croissance et de l’emploi.