Texte intégral
Les Échos - 13 mai 1997
Les Échos : Les préoccupations pour l’environnement ne passent-elles pas au second plan dans cette campagne ? Quelle est la « légitimité » du message écologiste dans une société qui compte 3 millions de chômeurs ?
Dominique Voynet : Le chômage est, à juste titre, la première préoccupation des Français. Mais le réalisme n’est pas du côté de ceux qui veulent refaire la cuisine dans les mêmes pots. Il est du côté de ceux qui vont être capables de rompre avec la fuite en avant vers toujours moins de protection, toujours plus de flexibilité, ou toujours plus de dégâts en raison de productions mal maîtrisées. C’est un peu caricatural, mais, en gros, il y a les solutions de droite – baisser le coût du travail – et les solutions de gauche – la relance. Les unes et les autres ont fait preuve de leur grande inefficacité. La proposition des Verts, c’est le partage du travail pour une production socialement utile et économiquement soutenable.
Les Échos : En matière de charges sociales, que faut-il faire ?
Dominique Voynet : La situation des grands groupes industriels, employant des dizaines de milliers de personnes, n’est pas comparable à celle du petit artisan, du petit commerçant, du petit paysan n’arrivant pas à payer les charges sociales de son unique salarié, qui est souvent son conjoint. Autant il y a un besoin d’alléger les charges qui pèsent sur ce premier salarié dans la mini-entreprise, autant on ne peut pas céder plus longtemps aux pressions des grands groupes pour lesquels sacrifier des salariés est devenu, d’une certaine façon le moyen le plus efficace de dégager des résultats satisfaisants. La solution équitable et compétitive consiste à transférer une partie des cotisations qui pèsent sur le seul travail vers l’ensemble des facteurs : productivité des machines, capital financier… Concrètement, nous proposons aux salariés de substituer leur cotisation maladie et de prélever un montant équivalent sur tous les revenus, sous la forme d’une CSG progressive. Et nous proposons d’asseoir les cotisations patronales maladie et famille sur l’ensemble de la valeur ajoutée.
Les Échos : Quand, comment, à quel rythme voulez-vous faire cela ?
Dominique Voynet : Il faudra achever ces transferts à raison de 4 ou 5 points par an en quelques années. Le très lent transfert de cotisation maladie sur la CSG amorcé par Juppé n’est pas à la mesure de l’urgence.
Les Échos : En combien de temps, et comment, voulez-vous mettre en œuvre le passage aux 35 heures de travail hebdomadaires ?
Dominique Voynet : Trente-cinq heures de travail hebdomadaires, c’est la référence collective, mais je n’imagine pas que l’on puisse y mettre tout le monde. Pour un cadre, qui fait 70 heures par semaine, un congé sabbatique peut être plus intéressant. Pour quelqu’un de cinquante ans, il peut s’agir d’une cessation progressive d’activité. Il va donc falloir négocier les modalités. L’idée est une diminution suffisamment importante pour permettre de créer des emplois, ce que n’avait pas permis le passage de 40 heures à 39 en 1981. Quand ? Tout de suite, par le biais d’une loi-cadre, laissant aux branches professionnelles le soin de négocier des modalités d’application, en quelque dix-huit mois. Et, aussitôt, seront engagées des négociations pour le passage à la semaine de 4 jours dans le courant de la législature. Avec maintien du salaire pour les bas salaires, inférieurs au plafond de la Sécurité sociale.
Les Échos : Cela fait autour de 13.500 francs. Ce sont des bas salaires plutôt élevés…
Dominique Voynet : Trente pour cent des hommes, 15 % des femmes gagnent plus. En Ile-de-France, ce n’est pas non plus un haut niveau de vie. Quand je suggère de ne pas s’arc-bouter sur la défense salariale au-dessus du plafond de la Sécurité sociale, c’est avec le souci, aussi, de réduire l’échelle des salaires. Les gens qui ont des salaires supérieurs, leur problème, c’est qu’ils n’ont pas le temps pour vivre, ou que leurs enfants ne trouvent pas d’emploi.
Les Échos : Les Verts et les socialistes promettent la création de 700.00 emplois, dont 350.000 publics. Est-ce une proposition qui vous tient vraiment à cœur ? Comment les financez-vous ?
Dominique Voynet : Au Parti socialiste de défendre certains aspects qui me semblent peu réalisables. Cela me fait sourire quand le PS insiste sur ces 700.000 jeunes, comme si la chômeuse de trente-cinq ans avec des enfants à charge ne vivait pas une situation aussi dramatique. Le passage à 35 heures de travail hebdomadaires entraînera, selon l’OFCE, quelque 2 millions d’embauches : dans ces embauches, il y aura bien 350.000 jeunes. Déjà, la loi Robien sert à rajeunir les effectifs. Quant aux 350.000 emplois publics ou parapublics, c’est tout à fait possible. On peut même faire encore mieux, en développant un « tiers-secteur » d’utilité sociale. Je note, d’ailleurs, que la droite juge irresponsable de créer 350.000 emplois quand c’est la gauche qui le propose, mais qu’elle trouvait tout à fait normal de faire 350.000 emplois en collectivités locales dans son projet de loi de cohésion sociale !
Les Échos : Mais elle les finançait par une activation des dépenses du RMI. Sur le RMI, vous avez, d’ailleurs, une position inverse, qui est de l’ouvrir dès l’âge de dix-huit ans, au lieu de vingt-cinq ans. N’est-ce pas une forme de démission de la société ?
Dominique Voynet : Non, non. Je vais m’expliquer. Il faudrait être complètement cinglé pour considérer que le RMI est un avenir pour les dix-huit - vingt-cinq ans, ou, d’ailleurs, à vingt-six ou trente-cinq ans. Ce n’est pas une solution d’avenir, c’est une solution d’urgence, parce qu’il y a de plus en plus de familles incapables d’assumer leurs grands enfants. La solution de fond est évidemment dans l’insertion des jeunes. C’est ce que proposait le rapport Schwartz de 1982. Le « tiers-secteur » est un ensemble d’activités sociales au statut et aux salaires normaux, mais subventionnés. Cela ne représente donc aucune dépense nouvelle pour l’État : ou le jeune est au chômage, et il reçoit le RMI, ou il est dans ce « tiers-secteur » et il reçoit la même subvention.
Les Échos : Vos propositions de relance n’entraîneront-elles pas une hausse des dépenses publiques ?
Dominique Voynet : Les 350.000 emplois publics, par exemple ? Mais ils existent pratiquement déjà. Dans tous les hôpitaux, vous avez des CES qui balaient les couloirs… Je constate que, d’une part, il existe d’immenses besoins sociaux qui ne sont pas satisfaits et que, d’autre part, des gens ne demandent qu’à travailler et ne peuvent pas le faire parce que ces besoins ne correspondent pas à des activités qui soient solvabilisées. Nos propositions entraîneront sans doute un peu de dépenses supplémentaires, mais je demande qu’on internalise tous les coûts, qu’on voie aussi ce que représentent le mal de vivre dans les cités, l’impact désastreux sur le niveau général de l’économie du fait que 15 % des consommateurs potentiels ne peuvent pas consommer. Je demande que l’on regarde aussi l’impact sur leur santé, sur l’éducation de leurs enfants.
Les Échos : Pensez-vous, néanmoins, qu’il faille couper dans certaines dépenses ?
Dominique Voynet : Oui, les dépenses d’armement sans doute. Je pense qu’il est temps qu’on touche les dividendes de la guerre froide. Je pense, aussi, qu’on doit faire des choix moins gaspilleurs dans le domaine des grandes infrastructures. Il semblerait qu’il y ait un début de prise de conscience ; un bout d’autoroute comme Annemasse-Thonon, qui ne menait nulle part et qui devait faire circuler quelques milliers de véhicules par jour, a été retoqué au motif de son coût exorbitant. On doit regarder de près l’utilité sociale des grands projets en fonction de leur coût : je pense au pharaonique canal Rhin-Rhône.
Les Échos : L’idée d’un moratoire sur les autoroutes entre-t-elle dans ce cadre ?
Dominique Voynet : Oui. L’idée du moratoire ne consiste pas à décréter que l’on ne va plus faire d’autoroute du tout. C’est simplement se donner le temps de la réflexion, pour ne pas développer en concurrence différents modes de transport, comme c’est souvent le cas, sur les mêmes itinéraires. Et je veux aussi insister sur le fait qu’en matière énergétique le coût du nucléaire, dénoncé par les Verts depuis longtemps, est en train d’être réévalué à la hausse. Aujourd’hui, le débat, c’est à EDF qu’il fait rage, c’est au ministre de l’Industrie ! Désormais, il est possible de rencontrer des cadres d’EDF qui trouvent intéressantes nos propositions de cogénération, de turbine à gaz.
Les Échos : Le programme que vous proposez est-il applicable compte tenu de l’ouverture des frontières et de la liberté des mouvements de capitaux ?
Dominique Voynet : Idéalement, c’est au niveau du continent européen qu’un certain nombre de ces politiques devraient être menées avec des clauses sociales et environnementales imposées à l’Organisation mondiale du commerce. Il se trouve que, en ce qui concerne l’indispensable réforme de la politique agricole commune, la nécessité d’avoir une charte sociale, la discussion évolue dans la plupart des pays en même temps et dans les mêmes termes. Ce qui s’est passé en Angleterre récemment, c’est sans doute la possibilité de débloquer l’idée de charte sociale et de mettre en place un salaire minimum au niveau européen.
J’ai l’impression qu’on souffre quand même plus de faiblesse des politiques que de pression des marchés financiers ou des « puissances de l’argent ». La marge de manœuvre d’un chef de gouvernement face à Jean-Claude Trichet est bien plus grande que Chirac ne le dit. Simplement, il faut qu’il ose, qu’il tape du poing sur la table et qu’il fasse ce qu’il dit.
Les Échos : Selon vous, les engagements européens de la France pour 1998 doivent-ils être tenus, ou faut-il envisager une renégociation des termes du traité de Maastricht ?
Dominique Voynet : Aucun pays important ne fera face aux critères de convergence. À partir de là, plus rien n’est vraiment obligatoire : on peut revoir les critères si on les interprète en tendance, ou revoir le calendrier. Dans tous les cas, on viole le traité. Cela laisse une marge aux politiques pour rediscuter, renégocier. Cela paraissait surréaliste il y a quelques mois. Maintenant qu’il y a une majorité progressiste en Grande-Bretagne et qu’il pourrait bien y en avoir une aussi en Allemagne d’ici à quelques mois, il devient possible de construire, enfin, après l’Acte unique et le traité de Maastricht, une Europe sociale, une Europe de l’environnement et une Europe démocratique. Ça ne veut pas dire qu’il faut abroger tout ce qui a été ratifié. Mais il faut négocier des correctifs à l’Acte unique et au traité de Maastricht. Nous sommes particulièrement satisfaits de l’accord réalisé avec le PS sur les termes de cette renégociation : Europe sociale, politique monétaire sous contrôle d’un gouvernement économique. Les Verts sont résolument pour la poursuite de la construction européenne. Les Verts sont résolument pour la poursuite de la construction européenne. Nous n’avons pas d’états d’âme à l’idée de dépasser le franc pour compter en euros. Nous sommes favorables à une intégration plus poussée sur le terrain social, mais aussi sur le terrain environnemental. Si on ne met pas en place une réglementation européenne, il est évident qu’en Allemagne, où il y a une réglementation forte, des lobbys puissants et des citoyens qui ont les moyens, il y aura très peu d’installations polluantes, mais on traitera les déchets hospitaliers allemands en France.
Les Échos : Est-ce que les grandes menaces écologiques ne dépassent pas le cadre européen ?
Dominique Voynet : Elles sont à la fois planétaires et très locales. En Bretagne, on ne peut plus boire l’eau du robinet et la gestion de l’eau peut conduire, à moyen terme, à des guerres pour l’eau. Même chose pour le climat. Nous sommes favorables à une loi sur l’air dans nos villes, mais aussi à l’écotaxe européenne contre l’effet de serre. Il faut que l’Europe donne l’exemple, et se cherche des alliés, dans les ONG, aux États-Unis comme dans le tiers-monde, pour imposer, à terme, des accords internationaux écologiques globaux.
Le Journal du dimanche - 18 mai 1997
Le Journal du dimanche : Concrètement, Dominique Voynet, si vous deveniez ministre de l’Environnement d’un gouvernement de gauche, quelles seraient vos premières mesures ?
Dominique Voynet : Les Verts n’ont pas vocation à se cantonner à « l’environnement ». Les propositions que nous portons, sur le développement des transports collectifs, la réduction du temps de travail, la parité hommes-femmes, la construction européenne nous légitiment, si nous décidons de participer à un gouvernement, pour occuper des fonctions dans de nombreux secteurs. En tout état de cause, nous ne saurions accepter de voir le ministère de l’Environnement confiné au rôle qui lui est aujourd’hui attribué. La loi sur l’air vidée de son contenu, le redémarrage de Superphénix, le creusement du tunnel autoroutier du Somport, l’arrêt du programme européen Natura 2000 de protection de la faune et de la flore démontrent que ce ministère ne sert aujourd’hui que de caution à un gouvernement qui n’a que faire de l’environnement.
C’est pourquoi, les premières mesures que nous mettrions en œuvre en matière d’environnement couvrent un large champ. La priorité immédiate irait évidemment à l’arrêt de projets les plus destructeurs et les plus dangereux, et au développement d’alternatives moins coûteuses, moins destructrices pour la nature, et… plus utiles :
L’arrêt immédiat de Superphénix – dont le coût atteint les 50 milliards de francs – et du retraitement des déchets nucléaires à La Hague, dont les dangers ont été largement démontrés. La multiplication des crédits (recherche et développement) des énergies renouvelables et des économies d’énergie pour permettre de sortir du piège nucléaire.
L’abrogation de la déclaration d’utilité publique du canal Rhin-Rhône à grand gabarit, désastre écologique et gabegie économique. L’alternative ? Un programme d’envergure en faveur du transport des marchandises par rail.
Un moratoire sur la construction d’autoroutes, permettant le réexamen des projets actuel (trafic envisagé, coût au km, impact sur les milieux). Bien des tronçons peuvent être remplacés par des 2 × 2 voies, qui limitent les nuisances et assurent une desserte plus fine des zones traversées. Les fonds ainsi économisés seront reconvertis dans l’appui aux transports en commun, notamment dans les grandes villes et dans les TER, pour améliorer la vie quotidienne des usagers et porter un coup d’arrêt à la pollution de l’air.
La mise en chantier d’un grand service public décentralisé de l’eau, notamment financé grâce à l’application du principe « pollueur-payeur ».
Le lancement d’une nouvelle politique agricole qui privilégie la qualité des produits, le respect de l’environnement, l’installation et le maintien de nombreux paysans.
La révision de la politique des déchets, en favorisant la collecte sélective et le recyclage et en arrêtant la multiplication des incinérateurs. Le lancement d’une politique incitative pour diminuer les déchets « à la source », notamment les emballages.
La révision du schéma directeur d’aménagement du territoire, en favorisant la déconcentration et le maintien des services publics partout.
La mise en œuvre de moyens permettant à la France de respecter ses engagements internationaux : limitation des émissions de gaz à effet de serre, protection de la biodiversité, application de la direction Natura 2000.
La Nouvelle République du Centre-Ouest - mardi 20 mai 1997
La Nouvelle République du Centre-Ouest : En quoi la monnaie unique peut-elle rétablir l’Europe à une place dominante dans la mondialisation de l’économie ?
Dominique Voynet : Notre objectif n’est pas que l’Europe ait une place dominante, mais d’établir un ordre international non agressif qui permette à chaque peuple de choisir le mode de développement qu’il souhaite.
Ce qui implique de contrôler la spéculation grâce, entre autres, à une taxe sur les transactions monétaires internes (taxe de Tobin) et par une coordination internationale des taux de change.
La Nouvelle République du Centre-Ouest : Comment garantir la protection sociale face à la maîtrise difficile des dépenses de santé et à la réduction constante de la proportion des actifs ?
Dominique Voynet : Il existe différents moyens de maîtriser les dépenses d’assurance maladie. Jusqu’à présent, on a visé le pire moyen, c’est-à-dire la hausse du ticket modérateur et du forfait hospitalier. Or, ces mesures pénalisent les plus pauvres. C’est pourquoi les Verts proposent de diminuer le ticket modérateur. Parallèlement, les dépenses de santé relevant de la médecine de ville doivent être maîtrisées par la modification du système de paiement des médecins. L’actuel paiement à l’acte pousse à augmenter les dépenses. La qualité des soins n’est pas optimale si le médecin raccourcit les consultations pour rentabiliser son temps de travail. Il faut donc tendre à remplacer le paiement de l’acte par le paiement à la fonction.
Par ailleurs, les Verts entendent mettre l’accent sur la prévention en instituant un système de sécurité sanitaire : cancer, asthme et allergies ne résultent-ils pas en partie d’un environnement et d’un mode de vie agressifs ?
En ce qui concerne le problème de la réduction des actifs, les gains de productivité et l’augmentation des cotisations retraites doivent permettre de compenser la diminution d’une part des actifs. Mais l’équilibre des comptes de la Sécurité sociale dépend avant tout du niveau de chômage.
La Nouvelle République du Centre-Ouest : Toutes les politiques de l’emploi conduites par les gouvernements de gauche ou de droite ont été vaines à lutter efficacement contre le chômage. Existe-t-il encore des solutions novatrices ?
Dominique Voynet : Trois pistes restent encore inédites :
a) Le partage du temps de travail.
b) La création d’un tiers secteur non précaire d’utilité écologique et sociale.
c) Dans le domaine agricole et dans l’industrie, le recours à des techniques moins productivistes.
Les Verts proposent :
La réduction massive, rapide et générale du temps de travail, mise en œuvre immédiatement par une loi-cadre sur les 35 heures, avec passage à la semaine de quatre jours en 32 heures le plus rapidement possible. La réduction du temps de travail doit mettre à contribution les profits, réduire l’échelle des salaires et s’accompagner d’une extension des droits des salariés dans l’entreprise.
La transformation des emplois précaires (CES, CDD, etc.) en emplois stables et durables, correctement rémunérés.
Des relances ciblées permettant à la fois de créer de vrais emplois, d’agir pour l’environnement et d’améliorer la qualité de vie des citoyens les plus démunis.
Le développement d’un troisième secteur, ni marchand ni étatique, visant à la fois à recréer le lien social, à couvrir des besoins aujourd’hui non satisfaits et à porter un autre projet de société.
La Nouvelle République du Centre-Ouest : La sécurité pose problème en ce qui concerne la petite et moyenne délinquance. Que proposez-vous, alors que l’encadrement prévu des dépenses publiques ne saurait autoriser d’accroître significativement les effectifs de police ?
Dominique Voynet : Les Verts pensent que les effectifs de police sont suffisants et proposent de s’attaquer aux causes structurelles de la délinquance, qui provient du chômage et des inégalités. Mieux vaut prévenir que guérir : par le RMI pour les 18-25 ans et par la médication des drogues dures.
Sud-Ouest - vendredi 23 mai 1997
Sud-Ouest : Il y a décidément beaucoup de candidats écologistes. Quels sont vos conseils pour reconnaître les vrais des faux ?
Dominique Voynet : Pour voter Vert, c’est facile : « Les Verts », c’est écrit sur le bulletin de vote, avec notre emblème, le tournesol ! Notre mouvement représente depuis longtemps l’écologie politique en France et en Europe : il regroupe la quasi-totalité des militants et des élus écologistes, de René Dumont à Marie-Christine Blandin, en passant par Dany Cohn-Bendit. La multiplication des étiquettes est, tout d’abord, un effet pervers de la loi sur le financement public. Ainsi, Nature et animaux ou Génération Ecologie par exemple, qui a complètement éclaté depuis que Brice Lalonde est devenu chiraquien et ami de Madelin, après avoir été mitterrandiste puis balladurien ! Ces pseudo-écologistes ne cherchent qu’à bénéficier du financement public des partis !
D’autres, isolés, proclament que l’écologie n’a pas d’alliés ou qu’elle peut aussi bien être de gauche que de droite. C’est ne rien comprendre aux logiques économiques qui empoisonnent notre santé, ravagent nos paysages, dérèglent notre climat. C’est ne rien comprendre à la logique du profit à tout prix, des grandes technostructures, sourdes aux objections des habitants, des usagers.
La droite représente les intérêts de l’argent-roi. Mais la gauche prête aussi trop souvent l’oreille aux conseils mégalomanes des technocrates. Nous avons pu, grâce à des années de luttes autonomes et de critiques, lui faire un peu entendre raison. Cette inflexion se reflète dans le texte commun des Verts et du Parti socialiste. Mais cela demande une vigilance de chaque instant !
L’écologie ne peut trouver d’alliés qu’à gauche. Mais, pour cela, il faut que les Verts soient forts. Et ce rapport de forces dépendra d’abord des électeurs !
Sud-Ouest : Si l’opposition l’emporte, vous allez siéger au conseil des ministres à la fois avec Jacques Chirac et avec des communistes. Quelle est, de ces deux perspectives, celle qui vous enchante de plus ?
Dominique Voynet : Doucement ! Dans la nouvelle majorité de gauche et des écologistes, nous serons des partenaires exigeants pour faire valoir notre point de vue et d’abord pour faire respecter des accords portant notamment sur la réduction rapide de la durée du travail (les 35 heures à partir d’une loi-cadre), la semaine de quatre jours dans le cours de la législature, l’arrêt des projets pharaoniques inutiles ou dangereux comme Superphénix, le renouveau de la citoyenneté par le non-cumul des mandats, la parité hommes-femmes, une législation humaine pour les étrangers, etc.
Mais serons-nous au gouvernement ? Si nous avons rédigé un accord avec les socialistes, c’est pour l’appliquer, parce qu’il y a urgence. Et nous sommes prêts à mettre la main à la pâte. Nous avons prouvé que nous étions capables d’assumer nos responsabilités comme Marie-Christine Blandin, présidente Verte de la région Nord-Pas-de-Calais. Pourrons-nous appliquer ce programme ? L’imposer à Chirac ? Convaincre l’ensemble des partis de gauche de sa popularité et de sa justesse ? Cela dépendra de trois choses : le poids que les électeurs donneront aux candidates et candidats Verts, le poids de cette nouvelle majorité de gauche et enfin et surtout la mobilisation citoyenne pour obliger « notre » gouvernement à tenir ses promesses.
Sud-Ouest : Les Verts français semblent moins européens que les Verts allemands, tel Daniel Cohn-Bendit. N’est-ce qu’une impression ?
Dominique Voynet : C’est une fausse impression. Les Verts sont résolument européens, ils veulent un monde sans guerre et sans frontières et pour commencer une Europe des peuples et des régions solidaires. Les Verts français comme les Verts allemands, qui ont de la mémoire, jouent en plus l’Europe contre le nationalisme allemand. L’Europe est pour eux un antidote aux poisons d’un passé pas si lointain. Mais cela concerne aussi les Français : l’Europe solidaire est la nouvelle frontière à établir contre les poisons d’un repli sur soi peureux et égoïste.
Mais tous les Verts d’Europe, en particulier tous ceux du Parlement européen, ont rejeté le traité de Maastricht. Parce qu’il ne prévoyait rien pour promouvoir le progrès social et la défense de l’environnement, ni la solidarité avec les peuples du Sud. Parce qu’il livrait la monnaie, ce levier si décisif des politiques publiques, au seul contrôle de la « communauté financière ».
Maintenant, nous sommes dans l’Europe telle qu’elle est et nous luttons pour qu’elle évolue dans le bon sens. La conférence intergouvernementale de Turin renégocie le traité de Maastricht, elle rendra son rapport en juin. L’an prochain, les conditions de passage à la monnaie unique seront réexaminées, puisque aucun grand pays ne satisfera aux « critères de Maastricht ».
La majorité dont nous ferons partie ira à ces deux négociations avec des propositions, pour que l’Europe soit enfin digne d’être aimée. Une Europe sociale et écologiste, une Europe qui reconnaisse la nécessité des services publics, une Europe de l’emploi et du bien-être, avec une monnaie au service de cette ambition. Il n’y a pas de différence entre Dany Cohn-Bendit et moi sur ce point !
Sud-Ouest : À quoi tient selon vous l’indifférence des Français dans cette campagne ?
Dominique Voynet : Au fait que les « grands partis » n’abattent pas leurs cartes ! La droite rêve d’une politique de coupes sauvages dans les budgets sociaux, de précarisation générale des travailleurs (des femmes spécialement). Mais elle ne le dit pas. Elle veut aligner la France sur la Grande-Bretagne de Margaret Thatcher mais elle sait trop que les électeurs de ce pays viennent de rejeter ce modèle exécrable.
À gauche, c’est pareil. Le PS a signé avec nous pour la révolution du partage du travail mais il ne la met pas en avant, parlant toujours de « relancer la consommation », comme le PC, d’ailleurs. Bien sûr que, si l’on passe aux 35 heures avec maintien du pouvoir d’achat pour tous les travailleurs, il y aura moins de chômeurs dans chaque famille, et le niveau de vie s’élèvera !
Plus la gauche et les écologistes avanceront leurs solutions et plus les électeurs retrouveront l’espoir car ils verront que l’avenir a un sens. Les Verts y travaillent.