Texte intégral
France 2 - mardi 13 mai 1997
G. Leclerc : Nous voilà en milieu de campagne et on ne discerne pas toujours quels vont être les changements à venir. Faut-il, comme l’a dit Nicolas Sarkozy hier, une véritable rupture avec ce qui a été fait depuis quatre ans ?
J. Toubon : Je pense que la dissolution est faite pour donner au président de la République, au gouvernement et à la nouvelle majorité, une force politique, une vigueur qui est nécessaire. Une Assemblée en bout de course, avec dix mois de campagne électorale en perspective, ce n’est pas un pouvoir politique qui a la force suffisante pour, à l’intérieur comme à l’extérieur, faire les changements qui sont nécessaires. Alors, je crois que ce que nous allons faire, et c’est ce que souhaitent les Français, c’est qu’à partir des résultats déjà atteints et qui ne sont pas négligeables – je n’en prendrais qu’un seul exemple : nous sommes passés, de 1993 à 1997, de la récession à la croissance et nous avons stoppé la dégradation de l’emploi – donc, à partir de ces résultats, agir plus vite et plus fort dans des domaines qui sont des domaines de l’économie, de la société, pour la diminution des charges, des impôts. C’est-à-dire en fait, objectif : relance de la croissance pour l’emploi. Et puis, dans des domaines comme par exemple celui dont je m’occupe, la réforme de la justice. Ce ne sont pas des domaines, contrairement à ce qu’on pense, institutionnels, ils concernent très directement la vie quotidienne de nos concitoyens. C’est pour ça qu’il faut une nouvelle majorité avec laquelle le président de la République puisse travailler.
G. Leclerc : Concrètement, ça veut dire des mesures prioritaires, à prendre très vite, dès les élections passées ?
J. Toubon : Oui, par exemple, nous avons aujourd’hui, pour les entreprises, un problème fiscal très important : c’est la fiscalité locale, la taxe professionnelle. On parle toujours des impôts d’État Eh bien, je pense qu’une nouvelle majorité, dotée d’une force politique très grande, pourra enfin réformer la fiscalité locale. Et à ce moment-là, en particulier pour les PME, la taxe professionnelle pèsera moins qu’elle pèse aujourd’hui.
G. Leclerc : Alors qui, pour conduire cette politique ? Certains leaders de la majorité, même des ministres, comme Éric Raoult, ont dit clairement qu’il fallait un nouveau Premier ministre. Est-ce déjà l’ère de l’après-Juppé et peut-être le début de l’ère Séguin ?
J. Toubon : C’est une façon tout à fait fausse, à mon avis, de voir cette campagne. Ce n’est pas une campagne présidentielle. Ce n’est pas une élection dans laquelle il faut choisir entre M. Jospin et M. Juppé. C’est 577 élections de 577 députés dans 577 circonscriptions.
G. Leclerc : Oui, mais il n’est pas inutile de savoir qui va conduire la politique.
J. Toubon : Lorsque toutes les élections seront faites, on déterminera la majorité et le président de la République, lui-même, choisira le Premier ministre. Je crois, pour ma part, qu’à partir du moment où nous avons derrière nous les élections, le choix pour le président de la République est relativement ouvert entre différents hommes politiques du RPR ou de l’UDF et même, comme j’ai eu l’occasion de le dire, entre des politiques ou des non-politiques, des personnalités de ce que l’on appelle la société civile. Alors donc, je crois qu’il ne faut pas aujourd’hui se battre pour quelque chose qui n’est qu’éventuel. Il faut aujourd’hui dire : Alain Juppé, comme chef du gouvernement, arrive avec un bilan, que personnellement je considère comme très positif. Je prends un autre exemple : il n’y a pas eu de baisse de la criminalité, de la délinquance dans ce pays pendant 25 ans, ça a augmenté de manière continue. Eh bien, cette majorité et ce gouvernement en particulier arrivent sur ce point avec un bilan très positif : - 12 % de délits et de crimes pendant deux ans en Corse. Autre exemple : la situation de l’ordre public aujourd’hui est largement maîtrisée…
G. Leclerc : Il y a toujours des attentats.
J. Toubon : Oui, mais la situation est très largement maîtrisée. Nous avons commencé à emprisonner, à juger des terroristes. Est-ce que c’était comme ça il y a quelques années ? Sûrement pas.
G. Leclerc : Jacques Chirac doit-il intervenir de nouveau dans cette campagne ou, compte tenu des sondages qui sont plutôt bons, finalement, ce n’est pas nécessaire ?
J. Toubon : C’est à lui de le déterminer, moi personnellement je n’ai pas d’opinion là-dessus. Je pense que cette élection est très importante pour lui, simplement parce que c’est clair que la France n’aura pas les mêmes perspectives si on est en cohabitation ou pas. Si la majorité revient comme je le souhaite, conforme au souhait de Jacques Chirac, nous pourrons à ce moment-là lancer cette nouvelle étape de notre action : première phase, que nous avons accomplie, de remise en ordre, qui n’est pas encore terminée mais qui a largement avancé ; deuxième phase maintenant, l’approfondissement des changements pour préparer l’an 2000. Donc, il est important pour Jacques Chirac qu’il ait cette nouvelle majorité. Qu’il prenne position est donc parfaitement normal mais je crois, de mon point de vue, qu’il ne faut pas le faire à partir des sondages. Les sondages sont un élément. J’écoutais ce matin qu’on est en train de faire des sondages auprès des sondés sur ce qu’ils pensent des sondages. Mais franchement, c’est le Sapeur Camembert ! Donc, il faut véritablement aujourd’hui qu’on soit sérieux. Moi, je pense très clairement, et je le pense depuis toujours, que la majorité reviendra à la majorité tout simplement parce qu’une majorité des Français font confiance au chef de l’État et au gouvernement actuel pour accentuer, renforcer l’effort que nous avons accompli depuis quatre ans, que les Français ont accompli depuis quatre ans. Car il ne faut jamais oublier que tous les résultats que nous avons atteints, nous les avons atteints grâce à l’effort des Français.
G. Leclerc : 103 magistrats ont lancé un appel en faveur d’une justice indépendante. Comment réagissez-vous ?
J. Toubon : Moi je réagis très bien dans la mesure où ce que demandent ces magistrats, si j’ose dire, Jacques Chirac l’a anticipé. Les magistrats disent : une justice indépendante, un débat sur la justice. Depuis le mois de janvier, Jacques Chirac a lancé ce débat et une commission de réflexion travaille, elle remettra son rapport au mois de juillet et, croyez-moi, elle travaille bien et on tirera des conséquences de cette réflexion.
G. Leclerc : Mais il y a un soupçon qui existe sur l’étouffement des affaires, sur une éventuelle loi d’amnistie, sur une réforme de la loi de l’abus de bien social.
J. Toubon : J’ai déjà eu l’occasion de le dire et je le répète ce matin : il n’y aura pas d’amnistie parce qu’il n’y a pas lieu à l’amnistie. La justice doit passer et en particulier dans ce qu’on appelle les dossiers économiques et financiers. La loi doit passer telle qu’elle est et la justice doit être appliquée telle qu’elle est.
G. Leclerc : Et pas de réforme de la loi de l’abus de bien social par exemple ?
J. Toubon : Moi je prépare une réforme du droit des sociétés dans laquelle il n’y a pas de réforme de l’abus de bien social tel qu’on l’entend. Et d’autre part, je pense que cette initiative a déjà reçu satisfaction à travers le débat que nous avons lancé, le plan d’action que je suis en train de préparer. Ce que je regrette simplement, c’est qu’une telle prise de position intervienne en plein milieu de la campagne. Forcément, elle a une petite tonalité électorale qui n’est pas bonne et je suis persuadé que beaucoup de ceux qui ont signé ce texte ne souhaitaient pas en réalité donner une tournure électorale à cette prise de position qui, sur le fond, est tout à fait fondée. Et personnellement, je dirais que je suis d’accord avec ces 105 magistrats.
G. Leclerc : Jacques Chirac s’est dit hier révolté par ces affaires de pédophilie. Il a dit qu’il fallait tout mettre en œuvre pour lutter contre cette pédophilie. Cela passe par une répression, des sanctions plus sévères ?
J. Toubon : Je suis révolté, je suis écœuré moi aussi et ce qu’a dit Jacques Chirac est tout à fait exact. Nous avons d’ores et déjà agi puisque nous avons adopté, à la fin janvier, un projet de loi qui crée, innovation considérable, une peine de suivi pour ces criminels. Ce texte a été examiné par la Commission des lois, il a été renforcé par la Commission avec l’accord du gouvernement, nous l’examinerons certainement en juin à l’Assemblée nationale, après qu’il ait été redéposé. Je pense aussi qu’il faut renforcer toutes les mesures qui permettent d’assurer une meilleure expression. Vous savez, on le voit bien avec l’affaire de la Nièvre, c’est la parole qui compte, l’expression. Donc, favoriser la parole des enfants, favoriser l’écoute des enfants et des parents est une chose essentielle et je sais que Jacques Chirac y est aussi très attaché.
France 3 - mercredi 14 mai 1997
E. Lucet : Puisqu’on parle beaucoup d’une nouvelle intervention du chef de l’État dans la campagne, va-t-il comme on le dit, intervenir à son retour de son voyage en Chine ?
J. Toubon : Je pense qu’il en jugera la nécessité à ce moment-là. Je pense aussi que c’est une question qui relève de la conception qu’il peut se faire de l’exercice de sa fonction, et ce, par rapport aux résultats. Je crois que, dans la mesure où le président de la République pense que, comme nous le pensons tous, le destin de la France peut être engagé par cette élection, il est tout à fait logique qu’il intervienne. Mais je n’ai pas de prévision à faire sur ce point.
E. Lucet : C’est vous qui en premier avez parlé de la possibilité d’un Premier ministre de la société civile. C’est un peu un aveu d’échec pour les « politiques professionnels » entre guillemets ?
J. Toubon : Pas du tout parce que, au contraire, cette élection a pour objectif, mettant les législatives derrière nous et ouvrant une longue période – cinq ans –, une longue durée pour la réforme, il n’est pas exclu de penser à ce moment-là que notre vision de l’an 2000, tout ce que nous avons à faire pour faire la France de l’an 2000, on puisse le confier aussi bien à quelqu’un qui est un politique issu du sérail qu’à quelqu’un qui est ce que j’ai appelé un « manager de la réforme ». Moi je ne suis pas de ceux qui pensent qu’entre les politiques, les citoyens, la société civile, il y a une frontière étanche. Pourquoi est-ce que la politique, qui est la gestion de la cité au sens le plus noble du mot, ne serait pas entre les mains de ceux dont ce n’est pas le métier ? De la même façon, croyez-vous que nous ne sommes pas capables aussi de comprendre le point de vue des citoyens et des entreprises ?
E. Lucet : On a un peu parlé des affaires dans cette campagne, et notamment d’une éventuelle amnistie après le scrutin, qu’en est-il ?
J. Toubon : Là-dessus c’est clair, j’ai déjà eu l’occasion de le dire publiquement dès le début du mois d’avril où cette idée était sortie dans la presse : il n’y aura pas d’amnistie. Je ne prépare pas d’amnistie à la Chancellerie. Pour une raison simple : c’est parce que dans les affaires économiques et financières, comme dans toutes les autres, la justice doit passer. Elle doit appliquer la loi telle qu’elle existe.
E. Lucet : Vous êtes très catégorique sur l’amnistie, pouvez-vous l’être sur une réforme du Code des sociétés, et notamment à propos de l’abus de bien social ?
J. Toubon : Je prépare une réforme de la loi de 1966, c’est-à-dire de l’ensemble du droit des sociétés, pour assurer plus de transparence à la gestion des entreprises françaises, et pour faire en sorte que notre droit des sociétés soit plus compétitif. Dans cet avant-projet, qui est actuellement soumis à la concertation entre les différents ministères – donc qui est proche d’aboutir –, il n’y a pas de réforme de l’abus de biens sociaux. Voilà !
E. Lucet : Qu’est-ce que vous répondez à Lionel Jospin quand il dit qu’entre Alain Juppé, Philippe Séguin ou Alain Madelin, on ne sait pas quel est le programme réel de la majorité ?
J. Toubon : Je dis deux choses. Nous avons un programme très clair et notre programme tient en quelques mots. La croissance pour l’emploi et pour avoir la croissance, faire en sorte de libérer les initiatives et de créer plus de solidarité entre les Français qui en ont besoin. Et je dis, deuxième chose, quel est le programme de M. Jospin ? La déclaration commune PS-PC, le contrat PS ou la « Lettre aux Français » qui est une sorte de guimauve dans laquelle on trouve n’importe quoi ?