Article de M. Robert Hue, secrétaire national du PCF, dans "L'Elu d'aujourd'hui" de novembre 1999, sur la démocratie locale, le rôle et les compétences des élus locaux, la gestion locale et la réforme de la fiscalité locale.

Prononcé le 1er novembre 1999

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Média : L'Elu d'aujourd'hui

Texte intégral

C’est toujours avec une grande satisfaction que je participe - un trop court moment à mon gré - aux travaux du congrès de l’ANECR. Je veux donc tout d’abord remercier notre président, André Lajoinie, et notre secrétaire général, Jean-Louis Bargero, de leur invitation à me joindre à vous ce matin, et de l’occasion qui m’est ainsi procurée de vous adresser quelques mots.

Vous comprenez que je débute mon propose en évoquant l’évènement politique qu’a constitué la grande manifestation pour l’emploi de samedi dernier. Tous les observateurs en ont souligné l’ampleur et la force des exigences qu’elle a permis d’exprimer. Il nous faut bien mesurer, nous aussi, grâce notamment - et je veux les en remercier - à la mobilisation exceptionnelle des élus communistes et républicains avec l’ensemble des militants de notre parti.

C’est une première en quelque sorte. Face à la logique destructrice, inhumaine, de ce que l’on appelle le « nouveau capitalisme » et les dogmes de la mondialisation ultralibérale, des forces politiques de gauche et des organisations du mouvement social ont élevé, ensemble, une immense protestation.

D’autre part, j’y insiste car cela me semble très important, la manifestation du 16 octobre était co-organisée par trois formations sur cinq de la majorité plurielle, par des associations de chômeurs, de jeunes, de lutte contre les discriminations. Des militants syndicaux de toutes appartenances, des citoyens de diverses sensibilités de gauche ont répondu à leur appel.

Nous avons fait, ensemble, mieux, beaucoup mieux que le Medef de Monsieur Seillières ! Et c’est tant mieux pour la gauche, tant mieux pour le mouvement populaire, tant mieux pour avancer plus résolument dans la politique de changement !

Ceux qui ont tenu, la chronique de notre échec annoncé en ont été pour leurs frais. Ils se sont étonné qu’un parti comme le nôtre, appartenant à la majorité, assurant des responsabilités gouvernementales en appelle, en même temps, au développement du mouvement populaire et contribue à son expression combative. Il faudra s’y habituer pourtant.

Pour nous, en effet, il n’y a pas d’une part le temps de la contestation, du rassemblement et de l’action contre les ravages du capitalisme et, d’autre part, le temps de la gestion « réaliste » des affaires du pays. Il n’y a pas davantage l’exercice des responsabilités politiques confié à quelques-uns tandis que les autres devraient se cantonner dans un rôle d’aiguillon social.

Nous savons d’expérience - et les élus sont bien placés pour le voir - que ce « découplage » entretient et renforce la défiance à l’égard de la politique et des responsables politiques.

Nous voulons sans réserve, passionnément, la réussite de l’expérience engagée par la « gauche plurielle ». Les parlementaires et les ministres communistes agissent là où ils sont, au service de cette ambition. Mais la gauche ne peut ignorer le mouvement populaire ou, pis encore, tenter de s’y opposer.

Au contraire, elle a absolument besoin pour répondre aux aspirations des français, d’être en phase avec lui. D’ailleurs, l’histoire nous l’enseigne, toutes les grandes réformes sociales de ce siècle ont toujours rencontré l’hostilité des milieux conservateurs, l’opposition des milieux conservateurs, l’opposition acharnée des forces de droite et du patronat. Ce fut le cas en 1936, à la libération, en 1968. Et à chaque fois il a fallu l’intervention du mouvement populaire pour les imposer.

C’est encore le cas aujourd’hui. Ainsi, le 4 octobre dernier, la mobilisation du Medef orchestrée par Seillière avait pour but, non seulement de peser contre les 35 heures, mais aussi, au-delà, de convaincre que rien n’est possible sans l’obéissance aveugle aux règles de fer des puissances financières. Il s’agissait donc d’une initiative très politique, spéculant sur la frilosité de la gauche et visant à l’affaiblir.

Et il aurait fallu les laisser occuper le terrain ? Il aurait fallu, face à un patronat présentant la suppression de 7 500 emplois chez Michelin comme le symbole de la modernité, que la gauche se contente de protester par des communiqués ? Poser la question c’est y répondre : il était absolument indispensable de riposter à cette insupportable arrogance. C’est ce que nous avons fait il y a une semaine et heureusement ! Car nous sommes à présent dans une situation nouvelle, où le mouvement populaire a repris l’initiative. C’est un coup porté à la stratégie du Medef, et c’est un atout pour la gauche afin d’aller de l’avant.

Je l’ai dit avant la manifestation, je le confirme aujourd’hui : le rassemblement du 16 octobre est de nature à changer beaucoup de choses. Il avait pour objectif de faire grandir la résistance à la véritable dictature que les puissances financières veulent faire peser sur toute la société. Incontestablement elles ont pu mesurer qu’une très large partie de l’opinion, des citoyens, des organisations et des associations de gauche de notre pays ne sont pas prêts à s’en laisser conter. Elle était, en même temps, inséparablement, un appel à l’audace adressé au gouvernement de gauche plurielle. Oui, il faut avoir le courage de refuser la politique du fait accompli, les plans sociaux, les suppressions d’emplois pour faire prospérer la bourse. Oui, il faut un contrôle rigoureux et exigeant de l’ensemble des aides publiques à l’emploi est à la formation. Oui, il est nécessaire de s’engager dans la transformation des emplois-jeunes en emplois durables. Ces grandes réformes de structures sont possibles avec le retour d’une certaine croissance, et elle la stimulera en retour. Ce débat est installé dans la société, parmi les salariés, les citoyens. La manifestation du 16 octobre lui a donné une nouvelle vigueur. Nous avons la ferme intention de poursuivre nos efforts en ce sens. Oui, en effet, la manifestation aura d’importants prolongements. Car elle ne constitue nullement un épisode sans lendemain, mais l’annonce d’un mouvement large et positif ; l’émergence possible d’une véritable dynamique progressiste face à la mondialisation capitaliste et à ses ravages.

J’ai évoqué précédemment vos expériences d’élus à propos de la coupure entre les citoyens et les responsables politiques.

Le congrès de l’ANECR est organisé autour de l’idée selon laquelle pour changer vraiment il faut donner un nouvel élan à la démocratie locale. Les élus communistes, leurs amis et partenaires ont, de ce point de vue, une très riche expérience, qu’ils soient en charge de la direction des affaires, qu’ils y soient associés et même quand ils sont dans l’opposition. C’est qu’ils occupent une place particulière dans la vie politique. Chaque jour, ils sont directement confrontés à l’expression exigeante des attentes des citoyens, des salariés, des familles.

Et pour y répondre, ils s’efforcent de mobiliser tous les moyens dont ils peuvent disposer afin d’avancer, si peu que ce soit, dans le règlement des problèmes qu’ils rencontrent. Mais pas seulement. Les élus, tous les élus, sont placés au point de convergence entre les citoyens d’une part, les diverses institutions et les instances politiques où se prennent les décisions d’autre part. Mais tous, bien sûr, ne sont pas engagés de la même façon dans l’élaboration de ces décisions.

Quant à nous, et c’est la dimension essentielle de la spécificité des élus communistes, nous voulons qu’elles procèdent d’une dynamique démocratique appuyée sur le développement de l’initiative populaire. Pour les élus communistes et républicains, l’intervention des citoyens eux-mêmes sur tout ce qui intéresse leur vie quotidienne et leur avenir est la condition décisive d’une gestion locale - à tous les niveaux - permettant de répondre positivement à leurs attentes.

Et plus encore : c’est le moyen de faire progresser le débat, le rassemblement et l’action sur les choix de gestion locale et les choix politiques pris aux autre niveaux - au parlement et au gouvernement en particulier - qui en conditionnent la réalisation.

Permettez-moi de prendre deux exemples. Depuis des années, nous plaidons en faveur d’une grande réforme de la fiscalité locale, en particulier de la taxe professionnelle. Nos critiques sur son mode actuel de prélèvement et nos propositions pour le faire évoluer sont susceptibles de contribuer à d’utiles rassemblements pour qu’il en soit tenu compte.

D’autant plus que la course folle à la rentabilité financière suscite de nombreuses questions et, de plus en plus souvent, une véritable indignation devant les gâchis économiques et humains qu’elle entraîne. Or, précisément, nous savons que les actifs financiers des entreprises ne participent aucunement à abonder la fiscalité locale. Non seulement ils gonflent constamment, aux dépens de l’investissement utile, du développement de l’emploi et des formations mais, en outre, ils n’apportent aucune contribution à l’équipement des collectivités locales, qui stimulerait l’activité économique réelle, créatrice de richesse et d’emplois.

Autrement dit, aujourd’hui tout le monde est perdant sur tous les tableaux : les citoyens dans les collectivités aussi bien que les salariés dans les entreprises. Ce système est incohérent, injuste et profondément inefficace. Nous pouvons, aujourd’hui, en faire la démonstration convaincante et permettre ainsi de fortifier la revendication de choix radicalement nouveaux en matière d’orientation de l’argent.

Deuxième exemple que je tiens à évoquer devant vous, particulièrement après le vote récent de la seconde loi sur les 35 heures : il s’agit des conditions de son application aux personnels des collectivités territoriales.

Jusqu’à présent le gouvernement se refuse à apporter sa contribution au surcoût financier qu’elle va entraîner pour les collectivités. Eh bien, là encore, on ne peut en rester là.

Les 35 heures sont tout à la fois une avancée de civilisation et un moyen de contribuer de façon significative à la lutte pour faire reculer le chômage. Et vous me permettrez, à ce propos, une courte parenthèse pour me féliciter de l’action des députés communistes lors du débat parlementaire. Ils ont obtenu, par le vote de leur amendement visant à assortir l’octroi des aides publiques à l’obligation contrôlée de créations d’emplois, que la loi soit mise au service de ce grand objectif national.

Mais ce que l’on n’hésite pas à consentir au secteur privé, pourquoi le secteur public n’y aurait-il pas droit ? Jusqu’à présent la masse considérable des aides de toutes sortes est distribuée sans contrôle, sans cohérence, sans vérification de son utilisation. Résultat : elle est détournée de l’objectif qui lui est assigné et les plans sociaux, les licenciements, se succèdent tandis que la précarité ne cesse de grandir.

On peut être sûr, et vous êtes bien placés pour le savoir, que tel ne serait pas le cas dans les collectivités. Les besoins à satisfaire sont considérables et les agents qui sont affectés à ces tâches ne sont pas trop nombreux. Dans les villes, les départements et les régions, l’accompagnement financier par l’État du passage aux 35 heures serait un investissement utile pour moderniser les services et satisfaire un certain nombre des attentes des personnels et des administrés.

Telle est notre exigence. Et nous sommes en mesure de proposer aux salariés, à leurs organisations, aux habitants, d’interpeller ensemble les pouvoirs publics afin qu’ils y donnent une suite favorable. Si j’ai voulu, chers amis et camarades, aborder ces deux questions c’est qu’elles sont dans l’actualité immédiate. Mais c’est aussi parce qu’elles illustrent bien les espaces qui nous sont ouverts pour exprimer très offensivement notre identité d’élus communistes.


Pierre Mauroy, maire de Lille, sénateur et ancien premier ministre, est venu saluer le congrès de l’ANECR. Il était accompagné de Michel Delebarre, président du conseil régional Nord - Pas-de-Calais et de Bernard Derosier, président du conseil général du Nord. Lionel Jospin vient de lui confier la responsabilité d’une mission de travail sur la décentralisation. Il a assuré les congressistes de la participation d’élus communistes et républicains au groupe de travail chargé de faire des propositions au Premier ministre.

Oui, nous sommes des gestionnaires rigoureux des deniers publics. Oui, nous faisons le maximum, dans des cadres souvent très contraignants, pour animer des politiques locales ambitieuses, novatrices, solidaires. Oui, nous sommes des élus responsables, dont le dynamisme et la compétence dans les institutions, les instances diverses sont, je crois, largement reconnus. Mais nous voulons faire davantage encore. Nous voulons que la démocratie représentative soit, en permanence et de plus en plus, nourrie de la participation active de toutes les citoyennes et tous les citoyens. Pas de façon formelle, pour sacrifier en quelque sorte à une obligation qui serait dans l’air du temps.

Nous voulons faire ainsi parce que notre conception de l’action pour le changement l’exige. Rien ne vaut durablement en politique sans la proximité entre élus et citoyens, sans que la réflexion et l’action des premiers partent toujours des problèmes et des attentes des seconds, pour y faire toujours retour. Et cela, à tous les niveaux : dans les villes, les villages et les départements, dans les conseils régionaux, dans les assemblées parlementaires et au gouvernement. Je veux enfin, avant de conclure cette intervention, redire devant vous brièvement dans quel esprit nous abordons les futures échéances électorales, notamment les élections municipales de 2001.

Vous le savez, nous l’avons réaffirmé le 20 septembre à l’issue d’une rencontre entre le Parti socialiste et notre parti, la volonté des forces de la majorité plurielle est, partout, de conserver et d’élargir leur implantation municipale. Dans cet esprit, nous souhaitons la reconduction des têtes de liste de notre sensibilité dans toutes les communes où elles assurent aujourd’hui la direction de l’équipe municipale d’union.

Notre ambition est de créer les conditions pour battre la droite dans le plus grand nombre possible des villes et villages qu’elle dirige aujourd’hui. Nous proposons, pour atteindre cet objectif, de réaliser partout des listes de très large union de toutes les forces de gauche. Des listes ouvertes, également, à des personnalités du milieu associatif, à des citoyens représentatifs de la diversité de nos villes. Des listes, faisant une large place aux jeunes pour leur donner concrètement la possibilité d’accéder à des responsabilités. Des listes, enfin, permettant de consacrer définitivement qu’il faut en politique la stricte égalité entre les hommes et les femmes. Des listes par conséquent, construites sur le principe de la parité. C’est dans cet esprit que vont s’engager, partout - et c’est parfois déjà commencé - des discussions avec nos partenaires des différentes formations de gauche et écologistes. J’ai confiance : nous pouvons rapidement aller vers la conclusion de bons accords, avec l’objectif de faire gagner la gauche, de conserver nos positions, d’en gagner un certain nombre sur la droite.

Vous allez poursuivre vos travaux cet après-midi dans les divers ateliers qui permettront, j’en suis sûr, d’enrichir encore la réflexion des élus communistes et de leurs amis. Vous connaissez mon attachement à notre association. J’y ai énormément appris. Et en particulier ceci : les élus communistes sont des femmes et des hommes dont le dévouement et la capacité de travail forcent le respect, bien au-delà de ceux qui partagent leur sensibilité.

Ils sont « immergés » constamment dans ce qui fait la chair de la politique : les préoccupations des habitants, leurs aspirations et leurs idées sur ce qu’il faudrait faire, ou faire autrement, pour y apporter des réponses positives.

L’expérience engagée depuis plus de deux ans dans notre pays montre qu’il est besoin de fortifier encore davantage ces liens entre les citoyens et les militants, les responsables politiques que sont les élus.

C’est même une belle perspective d’avenir. Il s’agit d’aller à la rencontre de ce qui monte dans le pays : le besoin d’être écouté, entendu, sollicité en citoyen responsable. C’est un atout pour peser efficacement dans le sens d’une politique de changement résolument orientée à gauche. Oui, vraiment, vous avez eu bien raison d’articuler ce congrès autour du nécessaire développement de la démocratie locale. Je souhaite plein succès au congrès de l’ANECR. Je forme des vœux de réussite pour sa future direction et pour vous toutes, vous tous, dans ce que vous allez avoir à entreprendre.

J’ai confiance. Notre combativité, la qualité de nos liens avec les françaises et les français, le renouvellement de nos pratiques politiques, la force de nos convictions ouvrent de belles, de grandes possibilités à ce qui nous tient le plus à cœur : la réussite de la gauche, la réussite du changement ! Pour la France ! Pour notre peuple !