Déclaration de M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale de la recherche et de la technologie, sur la politique scientifique, l'aide à la recherche et à la création d'entreprises innovantes, l'impossibilité du "risque zéro" et le rôle de l'enseignement scientifique, Paris le 3 décembre 1997.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Claude Allègre - ministre de l'éducation nationale de la recherche et de la technologie

Circonstance : Colloque sur la biogénétique à Paris le 3 décembre 1997

Texte intégral

Discours de Claude Allègre prononcé au colloque sur la biogénétique

Intervention préalable d’un représentant de Rhône-Poulenc :

Monsieur le ministre, un grand merci pour être venu, alors que je sais très bien que le mercredi est une journée particulièrement difficile, entre le Conseil des ministres et les séances de questions-réponses de début d’après-midi de l’Assemblée nationale. Cela prouve tout l’intérêt que vous portez à la portez à la biologie et à nos efforts. Je sais que vous avez de ce fait, très peu de temps et je vais être bref et irai directement aux quatre points que je souhaite souligner.

Le premier concerne Bio-avenir. L’objet de ces journée scientifiques était justement de faire le point sur ces cinq ans de travaux de Bio-avenir, et aussi d’en tirer un bilan pour tracer des perspectives. Il y a cinq ans, ce Bio-avenir paraissait un pari et on avait ne nombreuses réticences, tant dans les organismes de recherche publique que chez Rhône-Poulenc, du fait des cultures différentes des uns et des autres, on doutait de l’efficacité de Bio-avenir. Eh bien les résultats dépassent les espérances des uns et des autres, comme l’ont si bien illustré les présentations, notamment de ce matin, que j’ai écoutées. Pour Rhône-Poulenc en particulier, je ne reprendrai pas tous les avantages que nous avons retirés de ceci, mais je retiendrai quelques succès qui ont changé fortement la vie de Rhône-Poulenc. Le premier est que Bio-avenir a rendu possible l’introduction de la chimie combinatoire, grâce à la définition de nouvelles cibles qui ont permis et qui permettent une automatisation des tests. Ceci est un événement d’une ampleur considérable puisque cela révolutionne notre recherche fondamentale. Je citerai aussi le déclencheur que Bio-avenir a été pour tout ce qui concerne la biologie végétale dont on mesure aujourd’hui l’importance pour le siècle à venir et qui nous ouvre des perspectives considérables. Mais aussi très concrètement Bio-avenir a permis l’émergence de produits et d’applications qui sont aujourd’hui bientôt en voie de commercialisation. Je citerai le Phipronil, cet insecticide qui connaît un grand succès ; je citerai le gène P53 qui a donné naissance à un anticancéreux qui est en phase 2 de développement et qui a fait l’objet d’ailleurs de la couverture de « Nature » ; je citerai un fongicide en cours de développement. Bref, pour Rhône-Poulenc, Bio-avenir a été quelque chose de très important et on peut dire que notre recherche aujourd’hui n’est plus ce qu’elle était il y cinq ans, de ce fait.

Je crois que cela a été un succès aussi pour l’ensemble des organismes publics de recherche et j’en veux pour preuve le nombre de publications qui ont dépassé les cinq cents. Il faut souligner aussi les 172 brevets déposés pendant cette période concernant les programmes que nous avons développés pendant cette période concernant les programmes que nous avons développés ensemble, et je tiens surtout à souligner un succès qui est un succès d’apprentissage. Nous avons appris à travailler ensemble, mais plus que ça, nous avons appris à travailler ensemble efficacement. Et je crois que c’est un acquis qu’il ne faut pas perdre. C’est pourquoi je suis particulièrement heureux de féliciter tous ceux qui ont travaillé à ces programmes, ceux qui les guidaient, les auditeurs, ceux qui travaillaient, les chercheurs, tous les organismes publics qui y ont contribué, et je remercie aussi le ministère de la Recherche et de l’Industrie qui nous ont soutenus par leurs encouragements et financièrement. Ces journées ont aussi défini des voies du futur, j’y reviendrai.

Mon deuxième point, après Bio-avenir, concerne Rhône-Poulenc a aujourd’hui un budget de recherche et de développement qui avoisine 9 milliards de francs, donc qui a été multiplié par trois au cours de ces dernières années, budget qui est consacré de plus en plus aux coopérations extérieures et à l’effort de recherche en amont. Il est vrai qu’aujourd’hui les innovations vraiment fondamentales, celles qui apportent un plus, sont extrêmement liées à des découvertes scientifiques nouvelles. D’un autre côté, alors que Rhône-Poulenc a souffert de plus de quinze ans, voire vingt ans, de relative inefficacité en matière d’innovations, nous avons pour la première fois un nombre de produits en cours de développement et de commercialisation qui dépasse tout ce que nous avons connu dans le passé. Je citerai quelques produits : le Lovenox qui dès cette année va atteindre 500 millions de dollars de chiffres d’affaires. C’est le plus grand produit qui probablement va dépasser le milliard de dollars. Et ceci va permettre de générer des résultats pouvant alimenter nos recherches futures. Je veux citer le Taxoter, qui est aussi le produit d’une coopération université/Rhône-Poulenc et qui pour la première année de commercialisation complète, va dépasser les 200 millions de dollars, c’est un produit qui devrait atteindre 700 millions de dollars. Je veux citer aussi le Phipronil, cet insecticide dont les applications sont de plus en plus diversifiées et qui devrait atteindre, en régime de croisière, 700 millions de dollars de chiffres d’affaires. Bref, on voit qu’en terme industriel, en terme d’activité, notre effort de recherche donne aujourd’hui des succès. Je ne m’étends pas sur toute une série de produits qui vont être en cours de lancement, le nouvel antibiotique, le Cinercid qui, nous l’espérons, sera commercialisé l’année prochaine et qui n’aurait pas vu le jour sans Bio-avenir. Aussi un herbicide qui va être commercialisé l’année prochaine sur le maïs, particulièrement aux États-Unis. Un nouveau fongicide. Bref, c’est vrai, nous sommes pleins d’optimisme de ce point de vue. Mais comme l’a si bien illustré le professeur Axel Khan, il est clair que nous sommes aujourd’hui en face d’une explosion de découvertes scientifiques. Nous sommes en face d’un champ possible de découvertes qui n’a jamais existé. Et d’autre part nous avons à faire face à des exigences et des besoins en matière de santé, d’agriculture, d’environnement, de plus en plus importants et il y a une compétition mondiale qui s’instaure dans nos métiers qui est extraordinaire.

Il est clair que Rhône-Poulenc, malgré sa taille et malgré ses succès actuels, ne saurait seule relever tous ces défis et que c’est de la coopération, des réseaux que nous pouvons tisser avec l’extérieur que dépend notre succès futur. Et c’est de cette coopération, de ces réseaux que je veux parler maintenant, dans mes deux derniers points.

Le premier ce sont les suites Bio-avenir. J’ai vu l’enthousiasme des uns et des autres, il serait quand même triste que ceci s’arrêtât parce que les budgets de l’États se réduisent. Donc mon premier point, c’est de dire que, tant chez Rhône-Poulenc que dans les différents organismes publics concernés, CNRS, INSERM, INRA plus particulièrement, nous fassions ensemble l’effort d’affecter une partie de nos ressources à la poursuite de Bio-avenir, même s’il n’y a pas le même abondement financier de l’État par rapport au programme précédent. Mais Monsieur le ministre, permettez-moi aussi de vous dire qu’il me paraît très important que l’État continue à catalyser nos efforts sur un certain nombre d’autres programmes et d’ailleurs je constate que la plupart de nos pays, qui sont nos concurrents en matière de santé et d’innovation biologique, ces différents pays soutiennent très fortement les recherches dans ce domaine, tant en matière de santé qu’en matière d’agriculture et de plantes transgéniques. Il ne faut pas perdre de temps, j’espère que mon appel sera doublement entendu.

Le troisième point de coopération concerne les projets actuels de créations d’entreprises par les chercheurs. Il est clair que la dynamique de la recherche passe par la création d’entreprises très ciblées de haute technologie, nous le voyons très clairement aux États-Unis et il faut créer des conditions pour que ces entreprises foisonnent. C’est l’intérêt des grands groupes. Et de ce point de vue-là, Rhône-Poulenc est prêt à se mobiliser. Philippe de Marescot, que vous connaissez bien, a fait des propositions pour cela, sans attendre la mise en application des lois dont déjà nous avons eu un écho hier, venant du ministère des Finances. Je crois que d’autres dispositions se préparent et que ceci, Monsieur le ministre, vous l’avez particulièrement à cœur. Je dirai que sans attendre ceci, Rhône-Poulenc est prêt à contribuer à se lancer dans cette dynamique. Je sais que les organismes publics ont accueilli nos propositions avec beaucoup d’intérêt, l’important est que ces propositions d’un commun accord se précisent et deviennent rapidement opérationnelles.

Voici ce que je voulais essentiellement souligner. À tous, au nom de Rhône-Poulenc, je vous remercie de votre soutien, de votre participation et il va sans dire que nous comptons toujours plus sur vous pour nos efforts. Merci.


Claude Allègre :

Monsieur le président, mesdames, messieurs, je crois que si le siècle que s’achève a été le siècle de la physique, le siècle que s’annonce sera celui de la biologie et de la chimie. Cette grande évolution, finalement, a démarré il y a déjà très longtemps, quand le chevalier de Lamarcq a créé le mot biologie. Il a inventé ce mot parce qu’il chargé de faire un cours au Museum d’Histoire Naturelle. Étant botaniste à l’origine, il était chargé de faire un cours de zoologie. Il a alors émis l’hypothèse qui ne lui est pas suffisamment attribuée, qu’il y avait une unité du monde vivant et pour lui cette unité c’était l’organisation. Cette idée a traversé le temps puisqu’on a créé des chaires des êtres organisés, ce sont les êtres vivants. Ensuite, la deuxième grande date a été naturellement la synthèse de l’urée par Voler. Jusque-là et très longtemps, on a pensé qu’il y avait un monde distinct, puisqu’on appelait une partie de la chimie : la chimie organique. C’était la chimie des êtres organisés, dont parait-il l’homme était incapable de réaliser les principales réactions de laboratoire et c’était seulement la nature qui savait les réaliser. Nous avons alors eu une grande brisure qui était la synthèse de l’urée, et cela a duré très longtemps. Songez quand même que quand j’étais étudiant, c’est-à-dire à la fin des années 50, on nous disait encore qu’il y avait un certain nombre de molécules spécifiques du vivant et qu’on ne saurait pas les synthétiser. On nous disait presque qu’on ne se saurais pas les synthétiser. Naturellement la synthèse de la vitamine B12 par Woodward a été une grande rupture.  Synthèse à laquelle, comme vous savez, Jean-Marie Lehn a participé en tant que post-doc dans le laboratoire de Woodward. Et puis il y eu naturellement l’étape suivante qui a été l’étape de l’ADN. L’ADN c’était l’unité du vivant, affirmée, démontrée, touchée. Je rappelais l’autre jour que peu après la découverte de la structure de l’ADN, puis ensuite le développement de la biologie moléculaire, Jacques Monod, l’un des pionniers de cette aventure, et l’un des concepteurs de beaucoup de modèles, écrivait dans son fameux livre « Le Hasard et la nécessité » : quant à manipuler l’ADN, c’est un rêve qui restera réservé aux livres d’imagination scientifique, c’est quelque chose d’inaccessible. Cinq ans après, il y avait les premières manipulations génétiques. Montrant par-là que, que comme disait Nisbore, il est difficile de faire des prévisions, surtout lorsqu’il s’agit d’avenir. Et donc on a vu qu’on pouvait manipuler le vivant avec des techniques complètement indogènes à la biologie, alors qu’on s’imaginait que nous allions fabriquer des scalpels ioniques ou atomique. Petit à petit cette biotechnologie, ce génie biologique, a permis de montrer qu’il était possible de faire non seulement de la biologie mais de la chimie et les réacteurs chimiques pouvait être remplacés par des réacteurs biologiques. La synthèse était réalisée. Aujourd’hui, nous vivons dans ce monde dans lequel la limite est très floue, à tel point que le comité Nobel donne le prix Nobel de chimie à des biologistes, en attendant de donner le prix Nobel de biologie à des chimistes, ce qu’il a déjà fait. Donc ces deux domaines, tout au moins en ce qui concerne la partie organique de la chimie, ont convergé. Je crois qu’alors nous avons été – quand je dis, nous, je ne dis pas seulement la France, mais l’Europe – parmi les pionniers de la biologie moléculaire, du point de vue de la conception des modèles, car le rôle qu’ont joué des gens comme Jacques Monod, Francis Crick, Sydney Brener, a été absolument essentiel dans l’élaboration des modèles initiaux. Nous n’avons pas tiré tous les avantages, ni sur le plan scientifique, ni sur le plan industriel que cette position nous donnait. Et ceci a été dû à des tas de raisons. Vous savez qu’il a fallu, sur le plan universitaire, créer un cursus spécial de biologie moléculaire et non pas intégrer la biologie moléculaire à l’intérieur du cursus normal de biologie. Ceci a provoqué des retards. Ensuite les actions que nous avons cherché à entreprendre étaient sans doute trop imprégnées du colbertisme et pas assez de l’initiative individuelle des chercheurs. Pendant très longtemps nous avons été imprégnés par une administration de la technique des grands programmes et de l’organisation que devrait être la recherche. Je n’évoquerais pas ici le plan calcul qui est un exemple d’échec de cette politique, mais sur le plan de la biologie, on ne peut pas dire que nous avons été particulièrement efficaces. Et pourtant il y avait en France de grands groupes chimiques de premier plan internationaux, dont Rhône-Poulenc naturellement au premier chef, mais nous n’avons pas su développer suffisamment ce secteur. Les choses se sont un peu arrangées et je suis personnellement très content de voir et de lire que Rhône-Poulenc a décidé de faire de la biologie et des problèmes de la biochimie et de biotechnologie sa priorité et même sa reconversion, si j’ai lu correctement les déclarations du président Fourtou. Je dois dire qu’en ce qui concerne le gouvernement, ce secteur est un des secteurs prioritaires. La preuve en est que cette année nous attribué le double de postes à l’INSERM par rapport à ce qui nous était demandé, c’est quand même assez rare quand le gouvernement donne plus que ce qui est demandé. Donc pour nous c’est une priorité absolue. Nous voulons aider ce secteur de la biotechnologie, de la synthèse chimique par voie biologique, et de toutes les applications possibles.

Monsieur le président, ce que vous avez évoqué, à entraîner un certain nombre de remarques que j’ai eues l’occasion de faire ces derniers temps et sur lesquelles hier mon collègue Dominique Strauss-Kahn est revenu également dans une interview au journal « Le Monde ». Dans une période, dans un contexte, dans un état d’esprit le programme Bio-avenir a été créé. Il ne m’appartient pas de juger de son succès ou non, je confierai cela à une commission qui, comme c’est normal, lorsque l’argent de l’État est impliqué, fera un bilan de Bio-avenir et me donnera un rapport sur ce qu’il en est. Je vous fais confiance, je pense que cela a été un moment extrêmement important. Je me félicite que les organismes publics coopèrent avec l’industrie et je pense que c’est le signe d’un mouvement et de bonne santé. Mais en ce qui concerne l’État, je le dis et je le répète, nous n’avons pas l’intention de financer la recherche des grandes entreprises. La recherche des grandes entreprises doit être financée par les grandes entreprises. Et je souhaite par contre réserver l’argent de l’État au financement du développement des PME-PMI innovantes, des organismes de recherche, bien sûr, et de la création d'entreprises. Je pense que les grandes entreprises ont un rôle éminent à jouer, qu’elles doivent le jouer avec leurs moyens, on ne peut pas, dans un certain nombre de déclarations, se prétendre libéral et à chaque fois se tourner vers l’État. Ou bien on est libéral ou bien on ne l’est pas. Le gouvernement auquel j'appartiens est un gouvernement socialiste et réaliste, en conséquence de quoi nous souhaitons favoriser ce sur quoi nous avons un retard considérable, c'est la création de PME-PMI innovantes dans ce secteur. Pour cela nous avons pris un certain nombre de dispositions. La première c'est d’abord le rétablissement, pour ces entreprises, du système de stock-option qui avait été supprimé pour des raisons que j’ignore par la précédente majorité. La deuxième chose c'est que nous allons prendre un certain nombre de dispositions qui permettront aux chercheurs qui le désirent, d'être aidés pour créer ces entreprises, tant sur le financier, juridique, que de la gestion ; sur le plan financier par la mise en place de sociétés de capital-risque, auxquelles j'espère que, comme aux États-Unis, les grandes entreprises participeront. Je sais que vous êtes très sensibilisés à ce problème, dans lequel également nous allons essayer de voir comment il serait éventuellement possible, dans un certain nombre de zones qui restent à définir, de permettre l'installation de ces nouvelles entreprises. Nous aiderions au paiement de brevets puisque tout le monde me dit que dans les créations de ces nouvelles entreprises, un certain nombre de problèmes se posent pour le remboursement des brevets. Mais le point le plus nouveau probablement, est ce que nous avons décidé de faire en matière de création d’entreprises pour les jeunes docteurs. Ma conviction est qu’il est très difficile, souvent délicat de se mettre à devenir un entrepreneur après avoir fait dix années de recherche. Dans un organisme de recherche, où on est titulaire, où on est fonctionnaire. Dans une période où le chômage sévit, on est facilement conseillé, facilement expert, on est difficilement entrepreneur. Pour vous donner quand même un chiffre, cette année le CNRS en tout et pour tout a transféré sept chercheurs dans le secteur privé. Donc ce que j'affirme est attesté par des chiffres. Et je ne crois pas, que c'est avec des dispositions contraignantes qu’on cassera cette tendance. Je crois à l’inverse que les jeunes doctorants peuvent être amenés à créer des entreprises.

Deuxièmement, mise en place d'un système de post-doc, qui n'est pas des post-doc sur place et continuer à faire des thèses plus longues, mais pour aller avec des financements croisés ; apporter l'innovation à l’intérieur des PME-PMI. Il y a des tas de rapports qui nous parlent des problèmes de nos thésards et je sais que dans votre secteur, la chimie, ce n’est pas cette tendance qui est la plus développée. Je suis obligé de constater que chaque fois qu’on parle de l'avenir des thésards, tout le monde dit : on ne voit pas assez de postes dans la recherche publique. Je pense que si on a augmenté le nombre de thésards, ce n’est pas du tout pour augmenter le nombre de chercheurs publics, mais pour faire pénétrer, comme cela se passe dans d’autres pays, davantage de gens formés par la recherche dans le secteur industriel pour y apporter à la fois leurs compétences, et surtout leur esprit d'innovation. Parce qu'un chercheur qui a fait une thèse, peut être utilisé dans un secteur industriel, pas forcément pour faire de la recherche mais pour mettre à profit une attitude qu’on n'a pas lorsqu’on fait des études purement absorbantes. Se former en étudiant ce qu'on fait les autres, c'est une première phase, mais se former en créant soi-même quelque chose, ça donne une attitude par rapport à l’innovation, au développement, à la créativité, totalement différente. Donc système de post-doc pour aller vers les entreprises.

On envisage même actuellement, mais ce n’est pas du tout décidé, pour inciter ces docteurs, à utiliser le dispositif emplois-jeunes. Non pas pour laisser les salaires au niveau du SMIC, mais pour utiliser un dispositif législatif tel que des docteurs puissent en plus grand nombre aller vers les entreprises. Quand je vois actuellement j’ai un certain nombre de docteurs qui sont maîtres auxiliaires, je trouve qu’il y a un gâchis assez considérable. Si nous pouvons aider à ce transfert, nous sommes décidées à le faire. Je crois par contre que le contact scientifique, les échanges, les programmes croisés avec l’ensemble des partenaires sont naturellement quelque chose de tout à fait dans la ligne de ce que nous voulons encourager.

Enfin, je dirai, et je le dis aujourd’hui pour la première fois, que nous allons mettre sur pied une coordination de toutes les recherches sur le vivant, à l’échelle des organismes publics ? il aura non pas une structure de plus avec une administration, des règles et une bureaucratie, mais il y aura un structure qui permettre à tous les organismes de recherche qui travaillent sur le vivant, INSERM, CEA, INRA, Universités, de se concentrer, non pas pour faire disparaître la compétition, parce que la compétition, l’émulation, sont utiles, mais pour qu’il y ait une meilleure coordination. Et autour de cet organisme de coordination des organismes du vivant, nous développeront peut-être une structure commune pour aider à l’interface avec les industries, pour aider à mettre sur place, à informer tout le monde de ces systèmes de capital-risque, pour conseiller ceux qui veulent aller créer des entreprises.

Par conséquent, Monsieur le président, vous aviez des inquiétudes sur la volonté du gouvernement d’aider ce secteur, il n’y en a pas. Nous donnerons beaucoup plus de moyens. Que vous ayez des inquiétudes sur l’aide aux entreprises, je pense qu’elles sont légitimes, mais ceci est une philosophie générale qui s’applique à d’autres secteurs et pas seulement à celui-là. Ceci étant je crois que chacun dans cette compétition scientifique et économique fournit ses armes et développe son imagination. Je suis sûr, pour ma part, qu’avec ces nouvelles règles du jeu, Rhône-Poulenc, qui est une des entreprises les plus remarquables dans le secteur mondial, va faire de nouvelles propositions, et par conséquent vous êtes certain que l’État vous êtes certains que l’État se montrera attentif et possiblement réceptif. Il faudra regarder cas par cas. Je ne donne pas d’engagement en blanc. En tous les cas le fait que ce colloque se soit tenu, avec de nombreux participants, que vous ayez pu travailler dans des domaines multiples est une bonne chose. Je voudrais terminer sur ce point, pour vous dire le soutien que vous apportera le gouvernement dans un secteur qui m’inquiète beaucoup, qui est le secteur de l’éthique ou soi-disant éthique dans le domaine des biotechnologies. Je ne voudrais pas qu’en se fixant des règles de purisme, de précautions, etc., nous nous handicapions et nous handicapions nos entreprises dans la compétition mondiale dans ce domaine, et que cela se termine par le fait qu’on interdise aux Français de faire du maïs transgénique mais qu’on importe le maïs transgénique américain. Je voudrais dire là-dessus que vous avez, les uns et les autres, à jouer autour de vous, en public, en privé, un rôle essentiel pour expliquer que la notion de risque zéro n’existe pas. Le seul risque zéro, c’est quand on est mort. Il n’y a pas d’autre risque, encore que récemment on vient de voir que même mort il y avait des risques ! Donc je crois qu’il faut apprendre à tout le monde à dire : oui il y a des risques, comme il y avait des risques qui ont été les plus meurtriers, pour les chauffeurs dans les locomotives à charbon quand les locomotives leur explosaient à la figure, et néanmoins on a continué le chemin de fer. Le progrès est fait de risques. Si nous prenions le risque zéro, comme j’ai eu l’occasion de le dire pour autre chose, sous prétexte que la silicose est une maladie terrible, il faudrait interdire d’envoyer les enfants sur les plages sous prétexte qu’ils respirent de la silice. Car c’est vrai, ils respirent de la silice. Il suffit de les faire ressouffler sur un mouchoir pour analyser le nombre de particules de quartz qui sont inhalées par les enfants sur les plages. Mais je ne crois pas que pour l’instant ont ai envisagé ce genre de chose. Donc il faut bien dire que le risque zéro n’existe pas mais que nous prenons des précautions et que les scientifiques prennent les précautions nécessaires. Je crois que la discussion publique est importante et je dirais que nous étudions en ce moment, sans avoir vraiment conclu, cette idée développée au Danemark, qui sont les conférences de consensus pour essayer de faire parler publiquement et faire décroître cette crainte. Je crois que le total de ce problème est l’ignorance. Et la grande question, la seule manière de combattre cela, c’est l’éducation. Et je voudrais terminer sur ce point.

Nous avons fait fausse route, en tous cas je le crois, dans notre enseignement scientifique de base, parce que nous sommes mis dans la tête que l’enseignement scientifique de base, je parle au lycée et au collège, était fait pour sélectionner des scientifiques. Je pense que c’est exactement l’inverse. L’enseignement scientifique de base est fait pour donner une culture scientifique et il faut que dans un monde de plus en plus compliqué, nous donnions une culture scientifique à tout le monde. Et culture scientifique, ce n’est pas une culture mathématique, c’est une culture scientifique, dans laquelle l’observation, l’expérience, le va-et-vient entre la théorie et l’expérience jouent ensemble. Nous devons donner cela comme base commune, c’est comme ça que nous formerons des citoyens du XXIe siècle. Lorsque je dis que l’école doit former des citoyens, cela veut dire pas seulement des gens qui connaissent l’existence du président de la République, du premier ministre, de l’Assemblée et du Sénat. Cela veut dire former des gens qui vivent dans un monde dans lequel ils comprennent ; ils apprécient les réalités de l’évolution. Quant aux scientifiques, bien sûr, ce processus de culture scientifique provoquera chez un certain nombre de nos élèves le goût des sciences. Et alors, dans les études supérieures, ils apprendront les sciences. Mais cela veut dire que nos manuels scientifiques doivent être plus culturels, montrer les contextes historiques, montrer quels sont les grands enjeux, montrer un certains nombres de mécanismes fondamentaux, mais pas tomber dans le détail qui est bon pour un biologiste. À ce sujet, vous qui êtes d’éminents biologistes, je vous recommande une lecture du manuel des sciences naturelles de classe de terminale sur la biologie moléculaire et vous verrez tout de suite de quoi je veux parler.

Je vous invite donc, les uns et les autres, à participer au grand colloque qui durera au moins six mois, sur « que faut-il enseigner dans les lycées ? » Ce n’est pas quelque chose qui concerne seulement les enseignants, ça concerne au premier chef les professionnels, ça concerne tous les citoyens et tous les scientifiques. Car, encore une fois, plus nous aurons un pays cultivé, plus nous aurons des gens conscients, c’est-à-dire qui n’ont pas peur, moins nous nous trouverons dans la situation d’interdire telle et telle chose par la suite d’une réaction de peur qui finalement nous retomber sur le nez sur le plan du chômage et sur le plan de notre vie. Donc je pense que tout cela est lié, c’est ce que J’ai voulu vous dire aujourd’hui.

Encore une fois bravo pour la biotechnologie, bravo pour la synthèse entre la biologie et la chimie, et vous pouvez être assuré que vous aurez, dans cet effort, dans cette perspective, le soutien du gouvernement de la France.

Merci.