Article de M. Jean-Claude Tricoche, secrétaire national de la FEN, et Mme Françoise Bottin, secrétaire régionale, dans "FEN Hebdo" du 20 septembre 1996, sur le rapport d'évaluation des politiques régionales de formation professionnelle des jeunes adopté par le Comité de Coordination des programmes régionaux d'apprentissage et de formation professionnelle continue (en annexe, extraits du rapport).

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : FEN Hebdo

Texte intégral

Françoise Bottin et Jean-Claude Tricoche

Le premier rapport d’évaluation des politiques régionales de formation professionnelle a été adopté par le Comité de coordination, en séance plénière le 26 juin 1996. Il vient d’être remis au Premier ministre

La loi quinquennale de décembre 1993 a confié au Comité de coordination des programmes régionaux d’apprentissage et de formation professionnelle continue, dans lequel siège la FEN, la responsabilité d’évaluer les politiques régionales de formation professionnelle des jeunes et les conditions d’élaboration des PRDF.

Pour piloter cette évaluation, le Comité de coordination avait mis en place un groupe composé de façon tripartite : régions, État, partenaires sociaux (dont la FEN).

Les politiques menées en matière de formation professionnelle des jeunes, par les 26 régions, ont été évaluées en prenant pour critère l’égalité des chances d’accès à la formation professionnelle et à l’emploi.

Défini et réalisé à partir d’une procédure concertée et partenariale cette évaluation constitue un processus d’élaboration d’une connaissance partagée entre tous les acteurs (État-régions, partenaires sociaux) afin d’orienter utilement leurs choix et leurs actions.

Le rapport d’évaluation comporte deux parties.

La première partie constitue une synthèse des travaux d’enquêtes conduits dans les régions. Le rôle pivot du Conseil régional dans la recherche de cohérence entre les quatre dispositifs de formation professionnelle des jeunes est souligné ainsi que l’évolution des rapports entre acteurs régionaux. Le Conseil régional et l’État sont identifiés comme les principaux acteurs du PRDF.

Mais la diversité des contextes régionaux apparaît.

On observe des logiques différentes, en matière de concertation entre les acteurs, de rapports entre l’État et la région, de mise en cohérence des actions suivant les objectifs et les publics jeunes, d’élaboration des outils d’information nécessaires à la construction des politiques.

Deux enjeux se dégagent du constat effectué dans les régions :

Le premier concerne les compétences respectives des régions et de l’État. Le second, la mission de service public, aujourd’hui partagée entre l’État et les régions, qui doit assurer correctement la prise en charge des jeunes en difficulté sortant du système éducatif sans qualification.

La seconde partie du rapport présente les portraits statistiques des 26 régions, pour l’année 93. Ils regroupent des données concernant la formation professionnelle initiale, les dispositifs pour les jeunes sortis de l’appareil éducatif, leur insertion, les divers financements, au regard du marché du travail, de l’emploi et de l’activité de ces régions.

Ce rassemblement d’informations constitue l’esquisse d’une base de données. Ce travail a le mérite d’enclencher une démarche d’évaluation des politiques régionales qui devra se poursuivre.

Enfin, le rapport propose une série de recommandations : meilleure articulation entre politiques nationales et régionales, coordination des services déconcentrés de l’État, affirmation du rôle du COREF, prise en compte de l’enseignement supérieur dans les PRDF, identification des divers financements, réorganisation des réseaux d’accueil, d’information et d’orientation…

Au sein du Comité de coordination, la FEN a participé activement à l’élaboration des orientations et au suivi de la démarche d’évaluation dans le comité de pilotage. Elle a veillé à ce que les prérogatives de l’État ne soient pas réduites.

Le CFN de juin a eu communication et a débattu de ce rapport remis préalablement aux syndicats nationaux, sections régionales et représentants FEN aux CESR, CAEN, COREF (des exemplaires sont encore disponibles). Notre action doit se poursuivre maintenant dans les différentes instances régionales où nos représentants continueront à œuvrer afin que le service public, garant de l’égalité des chances d’accès à la formation, puisse exercer sa mission dans le cadre d’une planification régionale concertée et partenariale.


Extraits du rapport d’évaluation des politiques régionales de formation professionnelle

Diversité régionale

« Les politiques régionales de formation s’inscrivent dans des contextes régionaux très diversifiés. Ceux-ci ne peuvent se réduire à des différences de développement. Leur caractérisation passe également par la prise en considération des différences structurelles, parfois accentuées, des marchés régionaux de l’emploi et des systèmes éducatifs et de formation.

Quatre regroupements principaux de régions sont mis en évidence.

Le premier ensemble régional rassemble les régions de la France du Nord (Nord Pas-de-Calais, Picardie, Champagne-Ardenne). Il est caractérisé par un système éducatif marqué par de faibles taux de scolarisation à tous âges et par un taux d’échecs scolaires élevé. Que ce soit à l’issue de la voie scolaire ou de l’apprentissage, l’insertion des jeunes est en général difficile. En corollaire, l’État, au travers des formations alternées et du Crédit Formation Individualisé est l’acteur dominant des politiques en direction des jeunes sortis du système éducatif. Par ses caractéristiques du système éducatif la Corse s’apparente à ce groupe. Hormis le cas de cette dernière, où l’activité repose davantage sur un tissu de petites et moyennes entreprises tertiaires ou agricoles, les autres régions de cet ensemble enregistrent une prédominance des activités et des formations industrielles.

Le deuxième regroupement régional, qui est composé des régions de la France du Sud (Provence-Alpes Côte d’Azur, Languedoc-Roussillon, Rhône-Alpes, Midi Pyrénées, Aquitaine, le Limousin), la Bretagne et l’Ile-de-France, est caractérisé par une forte scolarisation à tous les âges et par un poids fort des activités tertiaires. Il s’oppose donc au précédent par l’importance de la scolarisation et de la poursuite d’études et généralement par un contexte de tertiairisation prononcée de l’emploi.

Le troisième ensemble régional concerne l’Alsace, la Lorraine, la Franche-Comté, le Centre, la Bourgogne, la Basse-Normandie et la Haute-Normandie, Pays-de-la-Loire et Poitou-Charentes, caractérisé par des formations professionnelles courtes dans un environnement industriel ou agricole. Le système éducatif y est marqué par un fort développement des formations professionnelles en milieu scolaire ou par apprentissage. Parallèlement, les poursuites d’études au-delà du baccalauréat sont limitées. Bien que cet ensemble soit relativement composite, les régions qui le constituent ont pour trait commun d’être de petite ou de moyenne taille et d’enregistrer un rôle important tenu par les emplois agricoles et industriels. À l’inverse du deuxième regroupement, les activités tertiaires sont nettement moins prédominantes. Enfin, pour les régions de ce troisième ensemble, toutes les pratiques vis-à-vis des formations alternées ou des contrats d’insertion en alternance sont mises en œuvre.

Le quatrième ensemble régional est constitué des régions d’outre-mer qui sont caractérisées par un cumul des handicaps. Les traits dominants du système éducatif y sont dissemblables de ceux prédominant en France métropolitaine. L’ampleur de la scolarisation n’est pas aisée à évaluer dans la mesure où les informations, lorsqu’elles existent, ne sont pas exhaustives. On note néanmoins que l’intensité de la scolarisation, surtout pour les jeunes âgés de plus de 20 ans, est nettement inférieure à celle observée en métropole. Malgré des efforts incontestables pour développer les formations en lycée professionnel, la situation des plus jeunes est marquée par des difficultés scolaires importantes, comme en témoigne la part élevée des sections d’éducation spécialisée (SES) ou des classes préprofessionnelles de niveau (CPPN). La part des jeunes dans l’ensemble de la population ou dans celle des actifs est très importante, comparativement à la métropole, en raison des rythmes élevés de croissance démographique. La plupart des jeunes actifs sont non diplômés et se dirigent vers des emplois dans les secteurs tertiaire ou agricole. La faible dynamique de création d’emplois contribue à maintenir le chômage à des niveaux élevés, malgré une intervention étatique visant à le résorber, notamment en développant de manière intensive les formations en alternance. L’État et la région assument la quasi-totalité du financement des dispositifs en faveur de l’insertion professionnelle des jeunes, suppléant ainsi à la faible capacité de financement d’un tissu économique fragile ».

Les acteurs régionaux

« Des convergences fortes des différents acteurs de la formation professionnelle sont perceptibles dans la plupart des régions sur plusieurs points :
    – la formation professionnelle doit favoriser l’insertion des jeunes dans l’emploi et évoluer en conséquence ;
    – les quatre dispositifs de formation professionnelle des jeunes (enseignement professionnel, formation continue des jeunes de 16 à 25 ans, apprentissage, autres formations alternés sous contrat de travail) doivent être mis en cohérence sur une base territoriale ;
    – l’organisation des différents dispositifs de formation professionnelle doit permettre la construction de parcours dans la formation et dans l’emploi des jeunes, ce qui suppose une mise en cohérence et une complémentarité des dispositifs.

Toutefois, ces convergences ne signifient pas nécessairement un consensus des acteurs sur les objectifs principaux des politiques ou sur les modalités de leur mise en œuvre.

Le principe d’une reconnaissance des Conseils régionaux comme acteurs pivots et légitimes pour mettre en œuvre les objectifs de la loi est désormais un fait largement reconnu. Le Conseil régional est par ailleurs tenu comme le mieux positionné pour rapprocher les acteurs de l’économie régionale, de l’enseignement et de la formation professionnelle. Quelles que soient les difficultés formulées par certains acteurs, on constate une acceptation large de la décentralisation en matière de formation professionnelle ».

Le repositionnement des services déconcentrés de l’État

« Conservant la maîtrise d’œuvre dans leur domaine de compétence, les services déconcentrés de l’État orientent la plupart du temps les objectifs de leur action en fonction des objectifs de la région. Toutefois, dans certains espaces régionaux, les services de l’État sont dans l’expectative, voire parfois en situation d’opposition au Conseil régional. De telles situations peuvent avoir de nombreuses causes, tenant à l’histoire passée des relations entre les services de l’État et le Conseil régional ou à l’importance accordée par le Conseil régional à l’élaboration d’objectifs communs et à la concertation.

Ainsi, les Rectorats, acteurs essentiels en matière de formation professionnelle, sont majoritairement engagés depuis de nombreuses années dans une coopération fréquemment bilatérale avec le Conseil régional dans le cadre de leurs compétences partagées et pour leur capacité d’expertise. Néanmoins dans certains cas, des oppositions fortes existent, en particulier, lorsque le Conseil régional considère l’apprentissage comme la seule priorité de la formation professionnelle pour les jeunes ».

La difficile organisation territoriale des milieux économiques et des représentants des salariés

« Les différentes organisations professionnelles, et syndicales, sont encore très inégalement organisées en vue de la concertation et de l’expression de leurs besoins en matière de formation professionnelle aux niveaux local et régional. Certaines branches professionnelles semblent s’engager dans une coopération croissante avec les Conseils régionaux, mouvement lent comme en témoigne la croissance très inégale d’une région à l’autre des contrats d’objectifs. À la fin de 1995, moins de la moitié des régions était signataire d’un ou plusieurs contrats d’objectifs.

Les organisations interprofessionnelles s’organisent, et souhaitent intervenir avec un poids plus affirmé dans les processus de concertation. Les organisations syndicales, pour leur part, expriment leur volonté d’être présentes dans la consultation sur les objectifs car elles accordent une attention particulière à la question de la prise en compte des publics les plus en difficulté : le processus d’implication des diverses organisations professionnelles et syndicales semble aujourd’hui engagé malgré une certaine dispersion des organisations représentatives des professions et leur capacité différente d’expertise au niveau régional. Ce processus dépend toutefois du fonctionnement des instances de concertation. Sur ce point, on doit remarquer la faiblesse du rôle joué par les COREF alors que les COPIRE s’affirment manifestement comme un lieu de représentation coordonnée des entreprises et des salariés, et le CESR, comme un lieu de discussion et de réflexion au niveau régional pour les différents acteurs ».

Vers l’émergence de points communs de référence

« Le rôle pivot des Conseils régionaux, la concertation et la coopération entre acteurs de la formation professionnelle conduit à l’émergence progressive de points communs de référence qui sont autant de conditions d’une élaboration d’objectifs cohérents de politiques de formation ».

La dimension économique qui recouvre les questions d’emploi et d’insertion des jeunes, de compétitivité des entreprises par l’accroissement des compétences, d’appui au développement local par la formation et la qualification.

L’aménagement du territoire qui renvoie à une offre de formation utilisée comme un instrument de lutte contre les inégalités territoriales.

La qualification qui repose sur un objectif de hausse générale du niveau de scolarisation.

La dimension sociale qui vise notamment au maintien de la cohésion sociale en luttant contre le chômage et l’exclusion ».