Interviews de M. Franck Borotra, ministre de l'industrie de la poste et des télécommunications, dans "La Tribune Desfossés" du 1er octobre 1996 et à RTL le 3, sur les résultats positifs de la prime qualité automobile, sur l'ouverture du marché automobile européen au 1er janvier 2000 et la compétitivité de l'industrie française et sur la fiscalité sur le gazole.

Prononcé le 1er octobre 1996

Intervenant(s) : 

Média : Emission L'Invité de RTL - La Tribune Desfossés - RTL

Texte intégral

Date : 1er octobre 1996
Source : La Tribune Desfossés

La Tribune : Le marché automobile français vit sous perfusion d'aides gouvernementales depuis février 1994. Cette subvention ne comporte-t-elle pas des risques pour l'avenir ?

Franck Borotra : Il ne s'agit pas de perfusion, mais de vitamines. Nous avons constaté que la prime qualité automobile (PQA) instaurée par le gouvernement Juppé a joué un rôle important dans la croissance du marché automobile français, 25 % à 30 % des ventes durant la période d'application, depuis début octobre 1995, auront bénéficié des mesures gouvernementales. Et on estime à 15 % le solde net, c'est-à-dire le nombre de ventes supplémentaires qui ne se seraient pas concrétisées sans la PQA. Ces mesures gouvernementales permettent par ailleurs de poursuivre l’assainissement du parc automobile, en termes de sécurité et d’environnement.

La Tribune : La « prime qualité » n’a-t-elle pas surtout profité aux marques étrangères ?

Franck Borotra : Les marques françaises ont bénéficié de 120 000 commandes supplémentaires, et les importées de 110 000. Proportionnellement, compte tenu des parts de marché respectives, la prime a donc un peu plus bénéficié aux constructeurs étrangers. Mais il est abusif d'expliquer le recul de pénétration de Renault et PSA au premier semestre par la prime. Celle-ci s’est traduite, en réalité, par un glissement de pénétration de l'ordre de 0,2 % à peine en faveur des marques étrangères. On assiste, en fait, à une modification structurelle du marché automobile sous la pression d'une concurrence très forte. Le coup de pouce de la prime qualité aux marques étrangères tient au fait que les automobilistes qui ont changé de véhicule voulaient un petit modèle pas cher. II y a eu là un avantage donné aux marques bénéficiant d'une dévaluation compétitive de leur monnaie.

La Tribune : Ces mesures de soutien à l’automobile coûtent-elles de l’argent à l’État ?

Franck Borotra : Non, l’impact budgétaire est positif. Pour la prime Balladur, entre février 1994 et fin juin 1995, l’État a dépensé 4,4 milliards de francs, mais les recettes supplémentaires de TVA lui ont rapporté 5,5 milliards. Quant à la PQA, elle aura également généré un avantage net en termes de recettes de TVA.

La Tribune : Faut-il remplacer le principe de la prime ?

Franck Borotra : En tant que ministre de l'Industrie, mon seul objectif consiste à préparer les deux généralistes français au choc que représentera l'ouverture totale du marché au 1er janvier 2000. Le secteur automobile est l'un des fondements du socle industriel français. Directement ou non, ces entreprises font vivre un nombre important d'autres secteurs, probablement plus de 700 000 personnes. Nous discutons donc avec les industriels des moyens à mettre en place pour favoriser cette adaptation. Un dispositif pourrait être mis en place dans quelques semaines. Mais il faut en même temps maintenir la croissance. Il n'est pas fondamentalement sain de pérenniser une aide sous la forme de prime, mais elle peut se justifier transitoirement.

La Tribune : La Commission européenne peut-elle accepter un effort des pouvoirs publics en faveur de l’industrie automobile française ?

Franck Borotra : Tout dépend de la nature de ces efforts. Bruxelles a d'ailleurs déjà prévu des crédits pour la formation et la recherche dans la perspective de l'ouverture du marché en l'an 2000. Mais, pour l'instant, rien n'a été fait. Pour certains pays d'Europe, l'industrie automobile ne constitue pas un dossier prioritaire. Mais, pour le gouvernement français, elle l'est.

La Tribune : Un des problèmes de l’automobile française provient du regain de compétitivité dont bénéficient certains concurrents par le biais de dévaluations compétitives dans leurs pays. Comptez-vous saisir la Commission européenne ?

Franck Borotra : Le problème des dévaluations compétitives s'exprime de la même façon pour le textile, l'habillement, le cuir, la chaussure, l'électroménager, l'automobile et d'autres secteurs. C'est un problème de nature politique. Le gouvernement français n'accepte pas qu'on considère ce phénomène comme accessoire. Tout ce qui dévoie les conditions de la concurrence dans l'espace européen est inacceptable, car cela se traduit par une déstabilisation du marché unique. La mise en place de la monnaie unique ne doit pas se traduire par la consolidation des avantages que certains pays se sont octroyés par les dévaluations compétitives. La France ne peut accepter de voir ses emplois exportés dans d'autres pays de l'Europe.

La Tribune : L’État reste le principal actionnaire de Renault. Les résultats semestriels du constructeur sont mauvais. Comment voyez-vous son avenir ?

Franck Borotra : Renault a des atouts et doit pouvoir conserver ses positions en Europe et les développer sur le marché international. Mais l'entreprise est pénalisée par des coûts trop élevés. Le problème de l’industrie automobile française tient essentiellement à ses coûts.

La Tribune : Réclamez-vous à Louis Schweitzer, le patron de Renault, une accélération de la réduction de ses coûts ?

Franck Borotra : Nous sommes en train de discuter, tout en prenant en compte les dévaluations compétitives de certaines monnaies. Mais il est certain que la concurrence va être très forte et qu'elle ne portera pas seulement sur la qualité.

La Tribune : L’État actionnaire a-t-il, sur ces questions, la même attitude qu’un actionnaire privé ?

Franck Borotra : Il n'y a plus de tutelle de l'État au sens classique du terme, sur Renault SA. Il y a cinq représentants de l'actionnaire principal au conseil d'administration, et il y a un représentant patrimonial de l'actionnaire - le ministre de l'Industrie - qui discute avec le PDG de Renault de la stratégie industrielle et des moyens nécessaires. Il ne s'agit plus de bâtir la stratégie industrielle de Renault au ministère de l'Industrie. Mais l'État, qui reste propriétaire de 46 % de Renault SA, s'intéresse à son patrimoine. Et nous en discutons avec les administrateurs qui représentent cet actionnaire, pour qu'ils aient une action positive au service de l'entreprise.

La Tribune : Dans le cas de l’actionnariat de Valeo, vous semblez privilégier les solutions franco-françaises…

Franck Borotra : Je ne recherche pas obstinément les solutions franco-françaises. La dimension nationale n'est plus suffisante. Il faut au moins posséder la dimension européenne. Mais, dans une automobile, les achats représentent de 60 à 70 % du prix de revient industriel. Le secteur des équipementiers en France rassemble plus de trois cents entreprises et cent mille emplois, pour un chiffre d'affaires de l'ordre de 100 milliards de francs. C'est un secteur où les capitaux étrangers sont déjà très présents. Nous ne sommes pas contre des prises de participation d'actionnaires américains, mais nous sommes fondés à nous demander quels sont les objectifs poursuivis par ces investisseurs américains.

La Tribune : Le redéploiement des Français à l’International vous semble-t-il suffisamment rapide ?

Franck Borotra : Je pense que l'accord de 1991 est imprécis et qu'il fut mal négocié. L'Europe, dans sa discussion, s'est montrée particulièrement naïve au plan commercial. Mais on ne peut revenir en arrière. L'Europe doit savoir utiliser les armes de défense commerciale qu'elle laisse trop souvent au vestiaire. On pense que plus on ouvrira les frontières, plus les autres en feront autant Et ils ne le font pas, bien sûr. Il y a une exigence minimale de réciprocité. L'international est capital pour l'automobile française, qui est elle-même irremplaçable dans le commerce extérieur de la France. Elle a été le premier poste des exportations en 1995 avec 185 milliards de francs, avec un solde commercial positif de 26,4 milliards de francs. C'est certainement le seul secteur grand public dans lequel l'industrie française dispose d'une taille mondiale.

La Tribune : Le gouvernement français est-il disposé à accueillir des constructeurs étrangers prêts à s’implanter dans l’Hexagone ?

Franck Borotra : La France ne peut, en tous cas, pas empêcher leur implantation dans des pays voisins. Une question est posée à l'Europe : veut-elle préserver son socle industriel ?

La Tribune : Vous vous êtes prononcé en faveur d’une évolution de la fiscalité sur le gazole. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Franck Borotra : Dans le budget 1997, le gouvernement a décidé de relever les taxes sur les carburants dans les mêmes proportions que la hausse des prix. Le super plombé augmentera un peu plus que le sans-plomb, afin de stopper la réduction de l'écart entre les deux carburants. En revanche, la taxation progressera du même ordre en valeur sur le gazole et l'essence. En pourcentage, la hausse sera donc un peu supérieure pour le gazole. L'orientation du gouvernement aujourd'hui est de revaloriser de manière douce le prix du gazole. Le diesel soulève plusieurs problèmes, notamment celui des industries de raffinage. Le gouvernement ne veut pas qu'à cause de déséquilibres de consommation, ce soit l'industrie française du raffinage qui paye le prix fort des restructurations européennes. Le gouvernement doit aussi tenir compte de la compétitivité des transporteurs routiers, liée au prix du carburant. Mais il existe, c'est vrai, un réel enjeu financier de la fiscalité sur le gazole. L'alignement par le haut des taxes sur ce carburant se traduirait par un rattrapage de la moins-value des recettes enregistrées avec la diésélisation du parc. Mais nous n'en sommes pas là.

 

Date : jeudi 3 octobre 1996
Source : RTL/Édition du matin

M. Cotta : De balladurette en juppette, on a l'impression que l'automobile vit sous perfusion. Ce dopage ne masque-t-il pas une crise réelle de l'automobile française ?

F. Borotra : Non, d'abord parce que ce n'est pas sous perfusion mais sous vitamines. C'est une aide en particulier pour assainir le marché automobile, il y a plus de 30 % des véhicules qui ont plus de huit ans. Il faut savoir que 700 000 véhicules ont été sortis du marché, ce qui a des conséquences importantes à la fois pour la sécurité et pour l'environnement. Je voudrais attirer votre attention sur le fait qu'un véhicule qui a plus de huit ans est cinq fois plus polluant qu'un véhicule neuf, y compris un véhicule diesel.

M. Cotta : Mais lorsque J.-Y. Hollinger dit que ces primes coûtent cher au contribuable, est-ce qu'il a tort ?

F. Borotra : J.-Y. Hollinger n'a jamais tort, c'est un excellent journaliste économiste, mais ce n'est pas tout à fait vrai. L'affaire de la prime à la qualité automobile a rapporté de l'argent à l'État, environ 200 francs par véhicule. Pourquoi ? Parce que le marché a été formidablement dopé, au mois de septembre c'est 80 % de ventes en plus, au mois d'août c'est presque 40 %de ventes en plus. Et parmi ces véhicules, il y en a un très grand nombre qui n'auraient pas été vendus s'il n'y avait pas eu la prime. Par conséquent, c'est vrai que l'État n'aurait pas touché la TVA. J'ajoute que la prime a eu un avantage important, c'est qu'elle a été un élément de soutien fort à la consommation automobile.

M. Cotta : J. Calvet dit ce matin, tout de même, que la prime a eu deux effets pervers : elle a favorisé les petites voitures et elle a fait perdre à la clientèle la notion de prix véritable.

F. Borotra : Non, elle a favorisé les petits véhicules parce qu'il y a une partie des véhicules qui ont été achetés qui n'auraient pas été achetés s'il n'y avait pas eu de prime. Et du même coup, les acheteurs ont essayé de trouver les véhicules les moins chers et c'est vrai que ça s'est porté sur des petits véhicules et souvent étrangers, en particulier italiens, parce qu'on a profité des conditions de la dévaluation de la lire. Les petits véhicules ont profité de l'aide de la prime à la qualité et de la dévaluation de la lire.

M. Cotta : La baisse des prix est irréversible, comment comptez-vous protéger le marché français ?

F. Borotra : Il ne s'agit pas de protéger les voitures françaises. À partir de l'an 2000, le marché sera totalement ouvert à la concurrence puisque l'accord entre la CEE et le Japon se terminera. Il faut donc que les entreprises françaises se préparent à la concurrence totale à laquelle ils vont avoir à faire face. Par conséquent, il faut accélérer l'adaptation de l'outil industriel, gagner en compétitivité, gagner en innovation, gagner sur l'international pour que nos deux grands généralistes puissent se pérenniser sur le XXIe siècle.

M. Cotta : Vous prenez votre parti du fait que le consommateur français ait perdu son réflexe cocardier ?

F. Borotra : Pas du tout, je crois que les véhicules français sont, dans le domaine de la qualité et dans celui de l'innovation, des véhicules remarquables. C'est vrai sur le marché français, c'est vrai pour les succès de nos constructeurs à l'étranger, il faut simplement prendre en compte les goûts et les moyens des consommateurs pour maintenir sa position sur le marché. C'est ça le défi qui est proposé aux industriels de l'automobile.

M. Cotta : Face à cette concurrence internationale, que prévoyez-vous pour lutter contre un bulldozer comme Daewoo par exemple ?

F. Borotra : Dans le domaine des grandes technologies, les entreprises françaises sont parfaitement aptes à résister, que ce soit aux entreprises asiatiques ou aux entreprises américaines. Dans le domaine de l'automobile, c'est la même chose. Je crois que nos entreprises ont tous les moyens de faire face à la concurrence. Il faut qu'elles investissent beaucoup dans l'innovation. Je voudrais vous rappeler que 40 % de la valeur ajoutée provient des équipementiers. Par conséquent, il faut investir dans l'innovation et il faut gagner en compétitivité parce que, dans le domaine de la technologie, dans le domaine du design et aussi dans le domaine de la qualité, les entreprises françaises sont à l'égal des meilleurs du monde.

M. Cotta : Ceci étant, J. Calvet continue à vouloir la limitation stricte de l'importation de véhicules japonais. Est-ce compatible avec la politique des autres pays européens et de la France ?

F. Borotra : Non, ce n'est plus compatible. Je suis d'accord sur un point avec J. Calvet : je crois que cet accord avait été très mal négocié par la Commission européenne. Par la suite, il a été mieux appliqué car on s'est montré plus rigoureux dans nos relations avec les Japonais mais l'Europe a pris des engagements d'ouverture du marché. Sur ces engagements, aucun des pays européens ne peut revenir. Par conséquent, l'objectif est d'ouvrir le marché au 1er janvier de l'an 2000 et notre priorité, c'est d'adapter les deux grands généralistes français aux conditions de la concurrence, qui se trouvera encore accélérée à cette époque.

M. Cotta : Cette concurrence ne va-t-elle pas se retourner contre l'industrie française ? Par exemple, baisser le prix d'achat des voitures c'est baisser leur coût, donc obtenir des gains de productivité, est-ce que ça ne contraint pas à des licenciements ?

F. Borotra : L'innovation, voilà l'élément essentiel de réponse en termes de compétitivité. Cet après-midi, il va y avoir un comité interministériel sur la recherche scientifique et technique. On va y évoquer en particulier le grand programme de préparation de l'automobile et des transports terrestres pour le XXIe siècle. C'est un programme qui engage à la fois les pouvoirs publics et les constructeurs, c'est un programme de 7 milliards de francs. C'est dans cette direction que se trouve la voie du succès.

M. Cotta : Comment expliquez-vous que la rentabilité de Renault et PSA pour 95 ait été à peine de 1 % alors qu'elle est, par exemple, de 4,1 pour General Motors ?

F. Borotra : Tout simplement parce que les coûts de production en France sont très élevés. Il faut qu'on s'organise et qu'on améliore notre process de production, qu'on investisse pour effectivement baisser les prix de revient et donc les coûts de vente. Vous disiez que ça a profité aux étrangers. Ça a peu profité aux étrangers. C'est quelques dixièmes de point de perte sur le marché qui peuvent être expliqués par la prime à la qualité automobile. L'essentiel du défi des industries automobiles est un défi de coût. Il faut s'adapter parce que la concurrence, c'est ça.

M. Cotta : Dans dix ans, dans vingt ans, combien de firmes françaises existeront ?

F. Borotra : Je me battrai, comme ministre de l'Industrie, pour qu'à partir de l'an 2000 il reste, sur les six généralistes qui existent en Europe, les deux généralistes français. Ils y ont leur place et ils ont montré qu'au travers de leur technologie, la conception qui est la leur du véhicule et en particulier du véhicule moderne, ils doivent rester parmi ceux qui subsistent sur le marché européen et mondial.