Déclaration de M. Hervé de Charette, ministre des affaires étrangères, sur l'importance des relations culturelles internationales pour la diplomatie française, la protection et la gestion des droits d'auteurs face aux nouveaux moyens de communication et la promotion de la culture française, Paris le 18 septembre 1996.

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Circonstance : 40ème congrès de la confédération internationale des sociétés d'auteurs et de compositeurs (CISAL) à Paris le 18 septembre 1996

Texte intégral

Madame le président,
Mesdames, Messieurs,

C'est pour moi un privilège que d'accueillir ce soir les membres du congrès mondial de la Confédération internationale des sociétés d'auteurs et de compositeurs.

Hommes de lettres, musiciens, plasticiens ou cinéastes, vous voici réunis à Paris afin de célébrer le 70e anniversaire de la CISAC. Je me réjouis de voir les salons de ce ministère abriter un tel rassemblement de talents, venus de tous les horizons et représentatifs de toutes les disciplines.

Mais j'attache également à votre présence une importance politique. Comme vous le savez, les relations culturelles internationales constituent une priorité de la diplomatie française et même une de ses singularités les plus précieuses, à laquelle je suis personnellement très attaché, en tant que ministre des Affaires étrangères, c'est-à-dire ministre de la Culture française à l'étranger.

L'existence d'une organisation comme la vôtre témoigne de la circulation internationale toujours plus intense des oeuvres de création.

Ce phénomène répond à des désirs anciens, à la volonté de connaître les oeuvres forgées dans le creuset d'autres traditions culturelles. Mais satisfaire à cette curiosité est demeuré longtemps un songe impossible, du moins pour le plus grand nombre, faute de disposer des moyens de diffusion indispensables. Il a pris une ampleur particulière au XXe siècle, avec le développement des moyens de communication de masse : le cinéma, puis la radio et la télévision.

C'est parce qu'ils observaient ce changement avec enthousiasme, tout en mesurant la nécessité de défendre la création et les créateurs dans ce nouveau contexte, que quelques esprits visionnaires ont pris l'initiative de créer votre confédération.

Depuis lors, la CISAC n'a cessé de remplir ses deux missions fondamentales. Elle a contribué à l'amélioration de la gestion du droit d'auteur partout dans le monde, en organisant des accords de représentation réciproque ou en harmonisant les procédures de tarification. Elle s'est aussi employée à favoriser l'adoption, à l'échelon international, de normes protectrices. Regroupant aujourd'hui 165 sociétés d'auteurs, réparties au sein de 90 pays, elle dispose d'une légitimité incontestable et rassemble une expertise technique qui lui permet d'oeuvrer efficacement en ce sens.

Votre organisation est pourtant confrontée aujourd'hui à de nouveaux défis, nés une nouvelle fois du changement de l'environnement technique. La numérisation, en modifiant les conditions d'exploitation et de diffusion des oeuvres, appelle en effet des réponses techniques et juridiques que vos travaux permettent d'entrevoir. Face aux opportunités et aux risques que vous mesurez ainsi, vous appelez à bon droit l'attention du public, des gouvernements et des instances internationales sur l'exigence de ne pas tenir les oeuvres pour de banales marchandises et pour préserver les règles qui garantissent les droits de la création.

La France a mis son action diplomatique au service des mêmes convictions.

Comme vous le savez, nous avons livré bataille, lors de la phase finale des négociations du GATT. Nous avons ainsi préservé la faculté de soutenir notre potentiel créatif, selon les moyens que nous jugeons appropriés. Mais ce combat n'a pas été livré pour notre bénéfice exclusif : il concerne toutes les cultures et toutes les langues menacées par les forces d'uniformisation.

Les discussions qui s'engagent aujourd'hui, quant à la modernisation des règles internationales relatives au droit d'auteur, soulèvent des questions du même ordre.

Nous savons que le risque existe de voir réserver une certaine priorité aux conditions matérielles de la distribution des biens culturels. Les propriétaires de réseaux de communication ou les fabricants de matériels, anxieux d'alimenter à moindre coût les « tuyaux » dont ils disposent, tentent, en effet, de faire valoir que les règles protégeant les auteurs retardent ou contrarient le développement des nouveaux services et des infrastructures.

Comme beaucoup d'autres, nous n'accepterons pas une telle remise en cause. Le développement des échanges permis par les nouveaux moyens de communication est, selon nous, compatible avec le respect des droits du créateur. C'est une affaire d'équilibre entre celui-ci et l'exploitant ou le diffuseur de son oeuvre. Une marge existe, au demeurant, pour adapter les règles actuelles, afin de répondre au développement des nouveaux réseaux et supports multimédias : la simplification de l'administration des droits, par exemple, à laquelle les représentants des auteurs français ont déjà contribué avec la création d'une société commune, la SESAM, ou bien, sur le plan technique, la recherche et l'harmonisation de procédés permettant de suivre l'utilisation des oeuvres diffusées numériquement.

Telle est l'approche pragmatique, attentive aux évolutions en cours, mais ferme sur le plan des principes, que la France entend faire prévaloir au sein des enceintes qui connaissent des questions relatives au droit d'auteur, notamment l'Union européenne avec le Livre vert de la Commission et l'OMPI.

Mais notre volonté de soustraire au jeu brutal des intérêts économiques le commerce des oeuvres de l'esprit a pour contrepartie un engagement à favoriser leur diffusion la plus large. Le combat pour « l'exception culturelle » ne se comprend que dans cette perspective : il ne s'agit pas d'élever des barrières, mais de s'assurer que les règles existantes favorisent l'expression de toutes les cultures, ainsi que leur connaissance réciproque.

Au sein de l'Union européenne, la France a ainsi placé l'an passé la promotion d'une Europe plurielle et féconde parmi les priorités de sa présidence. Nos efforts ont permis l'adoption de plusieurs programmes importants, comme Kaléidoscope (soutien aux activités artistiques), Ariane (livre et traduction), Rafaël (patrimoine) ou Media II (audiovisuel). Nous sommes résolus, dans le cadre de la révision de la directive « télévision sans frontières », à préserver, et si possible renforcer les règles communautaires dans ce domaine, comme le succès des négociations du GATT nous le permet.

Je mentionnerai encore une initiative française plus récente, dont nos amis de la SACEM connaissent bien les enjeux. Il s'agit de l'application aux disques et aux cassettes sonores du taux réduit de TVA, dont bénéficient le livre ou les spectacles. Une telle mesure ne pouvant être adoptée qu'avec l'accord unanime de nos partenaires, le gouvernement a confié à André Larquier une démarche auprès de l'ensemble des capitales européennes. La question doit à présent être officiellement examinée par la Commission.

Hors d'Europe, la francophonie constitue également une enceinte privilégiée pour la promotion et la diffusion des oeuvres. Le français n'est pas, en effet, la langue d'une culture, retranchée sur elle-même et attachée à l'idée fausse de sa propre permanence. Sur les cinq continents, notre langue a trouvé, au contraire, d'autres manières de dire et de penser les éléments d'une créativité nouvelle. Renforcer les échanges au sein de la famille francophone, faire entendre sa voix singulière sur la scène internationale constitue donc un autre objectif fort pour notre diplomatie culturelle. Les engagements pris lors du dernier sommet de Cotonou, qui concernent notamment la place du français et des contenus francophones sur les autoroutes de l'information, s'inscrivent dans cette perspective.

Partout dans le monde, enfin, il est de la responsabilité de ce ministère de promouvoir la culture française, de valoriser un patrimoine qui jouit d'un véritable prestige, mais aussi de faire connaître les nouveaux talents représentatifs de notre création. Cette mission incombe à la Direction générale des relations culturelles, scientifiques et techniques, dont nous avons célébré l'an passé le 50e anniversaire, et à l'AFAA. Vous êtes nombreux, dans cette salle, à avoir accepté de lui prêter votre concours. Je vous en remercie très sincèrement. Sachez que j'y attache une très grande importance, en France comme lors de mes déplacements à l'étranger.

L'ampleur de cet effort témoigne d'une conviction forte : je suis persuadé que l'influence de la France dans le monde dépend plus que jamais du rayonnement de sa culture, de sa langue et donc de ses créateurs.

Madame le président,

Votre organisation est l'incarnation d'un vieux rêve, celui d'une internationale de l'esprit.

Je ne peux donc me défendre de songer, en vous accueillant ce soir, aux réactions qu'avait inspirées à André Malraux, au lendemain de la Seconde guerre mondiale, une projection d'Anna Karénine : « En même temps que chaque homme était rejeté dans sa patrie, une profusion d'oeuvres faisait irruption dans la civilisation. La musique et les arts plastiques venaient d'inventer leur imprimerie. Les traductions entraient dans chaque pays à porte ouverte. Enfin, le cinéma est né. Et à cette heure, une femme hindoue qui regarde Anna Karénine pleure peut-être en voyant exprimer, par une actrice suédoise et un metteur en scène américain, l'idée que le Russe Tolstoï se faisait de l'amour… ».

Au lendemain de la guerre froide et à l'heure de la mondialisation, les diplomates doivent mesurer ce que la préservation de la paix doit encore aujourd'hui au dialogue des cultures, au commerce des oeuvres. C'est pourquoi j'ai voulu vous rendre, ce soir, un hommage qui ne soit pas seulement personnel, mais authentiquement politique.