Déclaration de M. Hervé Gaymard, secrétaire d'État à la santé et à la Sécurité sociale, sur la recherche relative à la maladie de Creutzfeldt-Jakob et l'ESB, et les mesures de sécurité sanitaire autour de "la crise de la vache folle" depuis 1991, Paris le 16 juillet 1996.

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Intervenant(s) : 
  • Hervé Gaymard - Secrétaire d'État à la santé et à la Sécurité sociale

Circonstance : Réunion de la Mission d'information parlementaire sur "la crise de la vache folle" à Paris le 16 juillet 1996

Texte intégral

La maladie de Creutzfeldt-Jakob, décrite en 1920, est une maladie rare dont l’incidence est d’environ un cas par million d’habitants et par an. Cependant, la mise en parallèle de cette maladie avec la tremblante du mouton, décrite presque deux siècles plus tôt, permet aux scientifiques, au début des années 80, de définir le groupe des encéphalopathies subaiguës spongiformes transmissibles, en précisant leurs similitudes cliniques et anatomopathologiques, et en précisant expérimentalement les conditions de transmission et le niveau d’infectiosité des différents organes.

C’est dans le contexte de l’apparition des premiers cas de maladie de Creutzfeldt-Jakob liée à l’hormone de croissance extractive (1986 aux USA et 1989 en France), aux greffes de dure-mère et à certains actes de neurochirurgie qu’intervient, lors d’une session générale de l’Organisation internationale des épizooties en juin 1988, la première présentation, par le responsable des services vétérinaires britanniques, d’une nouvelle encéphalopathie subaiguë spongiforme transmissible chez les bovins, dénommée encéphalopathie spongiforme bovine. 455 cas sont alors disséminés sur le territoire anglais et l’hypothèse d’un lien avec la tremblante du mouton, par l’intermédiaire d’aliments protidiques issus de sous-produits d’abattoirs ovins (dont le processus de fabrication a été modifié en 1981), est évoqué.

Dès cette annonce à l’Organisation internationale des épizooties, des mesures sont prises par la Grande-Bretagne (déclaration obligatoire, abattage et destruction des cas, abattage des bovins suspects, interdiction des protéines de ruminants dans l’alimentation des bovins, …), suivies par la France et la Communauté européenne.

À cette époque, les données expérimentales sur les encéphalopathies subaiguës spongiformes transmissibles vont dans le sens de l’existence d’une barrière d’espèce forte, surtout lorsque la voie d’introduction est orale. Les maladies naturelles semblent ne se transmettre que dans la même espèce et les études épidémiologique sur la maladie de Creutzfeldt-Jakob n’ont jamais mis en évidence de lien avec la tremblante du mouton (élevage ou consommation).

Les mesures prises en France concernent alors, essentiellement, le ministère de l’Agriculture, chargé de la santé animale et de la qualité de l’alimentation. Sur le plan sanitaire, un réseau national de surveillance de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, coordonné par une unité de l’INSERM et participant à un réseau européen est mis en place (1991), ainsi qu’un Centre national de référence de la maladie de Creutzfeldt-Jakob iatrogène (1993).

En juin 1992, le professeur Dominique Dormont remet au ministre de la Recherche, un rapport sur les encéphalopathies subaiguës spongiformes transmissibles et leurs conséquences sur la santé publique et la recherche. En septembre de cette même année, il remet à la direction de la pharmacie et du médicament, un rapport sur l’hormone de croissance. Ces synthèses des données expérimentales et extractive épidémiologiques mettent en question l’intangibilité de la barrière d’espèce, notamment lorsque les tissus contaminés sont administrés par voie parentérale, mais aussi par voie orale dans certaines conditions. Les transmissions interhumaines iatrogènes sont aussi mieux établies.

Deux séries de mesures sont alors prises à partir de ces constatations :
     – les unes visent à maîtriser les risques de transmission interhumaine lors de don du sang et d’organes, de greffes, de soins et actes invasifs ou d’administration de produits d’origine humaine entrant dans la fabrication de médicament ;
     – les autres ont pour objectif de réduire au maximum, dans le domaine de compétence du ministère chargé de la santé, les risques de transmissions du bovin vers l’homme. Les préparations magistrales, les médicaments et préparations homéopathiques, les dispositifs médicaux, les cosmétiques, les compléments alimentaires et l’alimentation infantile font l’objet d’avis, de notes et d’arrêtés successifs.

Les spécialités pharmaceutiques sont réétudiées par les experts en sécurité virale en tenant compte, au cas par cas, des critères établis par le Comité des spécialités pharmaceutiques européen et du rapport bénéfice-risque. Sont exclus tous les produits de classe I et II d’après la classification de l’OMS de 1992. Cette révision aboutit à des suspensions ou des modifications de formule d’une vingtaine de spécialités. Pour étudier les dispositifs médicaux selon des critères équivalents à ceux utilisés pour les médicaments, un groupe d’experts en sécurité microbiologique est mis en place auprès de la direction générale de la santé en 1994 et examine tous les dossiers de dispositifs demandant une inscription au tarif interministériel des prestations sanitaires, une homologation, une autorisation pour essais thérapeutiques ou un marquage CE (certification européenne obligatoire à partir de juillet 1998).

Au cours du dernier trimestre 93 et du premier semestre 94, le ministère chargé de la Santé, qui n’a jamais écarté la possibilité d’une transmission des encéphalopathies spongiformes bovines à l’homme, insiste à nouveau pour un renforcement des mesures européennes d’autant que deux éléments nouveaux sont constatés : l’apparition de cas d’encéphalopathie subaiguë spongiforme transmissible chez les chats élevés au Royaume-Uni et l’existence de nouveaux cas d’encéphalopathie spongiforme bovine chez les bovins nés en Grande-Bretagne après la date d’interdiction des farines de viandes et d’os dans l’alimentation des ruminants dans ce pays. Ces éléments conduisent à relativiser l’efficacité de la barrière d’espèce et de la barrière digestive ainsi que l’efficacité de la mesure d’interdiction de la source de contamination.

Le 20 mars 1996 la Grande-Bretagne annonce l’identification de 10 cas d’une nouvelle variante de maladie de Creutzfeldt-Jakob, dont la spécificité repose sur l’âge des malades qui ont moins de quarante ans et des caractéristiques anatomopathologiques (c’est-à-dire des images particulières à l’examen microscopique) des lésions du cerveau.

Un cas similaire est identifié en France le mois suivant.

Plusieurs éléments sont considérés par les scientifiques comme allant dans le sens d’un lien entre l’encéphalopathie bovine et la nouvelle variante de maladie de Creutzfeldt-Jakob :
     – la coexistence temporelle et géographique des 10 cas de cette nouvelle maladie humaine et de nombreux cas d’encéphalopathies bovines dans un même pays, la Grande-Bretagne ;
     – la similitude des lésions cérébrales obtenues chez des singes macaques avec celles des cas humains britanniques par inoculation de fragments de cervelle bovine infectée ;
     – la facilité avec laquelle la maladie se transmet par voie digestive à d’autres espèces animales puisque 1 g. de cerveau bovin infecté transmet la maladie par voie alimentaire à un bovin et 0,5 g. à un ovin ;
     – la proximité génétique du gène contrôlant la synthèse de la protéine du prion chez le bovin et chez l’homme.

Pour sa part et dans son domaine de compétence, le ministère chargé de la Santé a pris des mesures spécifiques :
     – surveillance épidémiologique de la maladie de Creutzfeldt-Jakob ;
     – décisions concernant les médicaments et dispositifs médicaux contenant des extraits d’origine bovine.

S’agissant de la surveillance épidémiologique de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, le dispositif mis en place en 1991, actuellement effectué sur une base volontaire, va être renforcé par l’inscription de cette maladie sur la liste des maladies à déclaration obligatoire, ce qui implique l’intervention du Réseau national de santé publique. Cette épidémie surveillance a bénéficié depuis trois mois d’un caractère rétrospectif puisqu’il a été demandé aux laboratoires d’anatomopathologie de relire les lames microscopiques de maladie de Creutzfeldt-Jakob à la recherche de cas de la nouvelle variante de la maladie qui aurait pu échapper à leur attention. À ce jour, aucun cas n’a été retrouvé rétrospectivement sur les 200 dossiers réétudiés.

S’agissant des médicaments, les mesures prises depuis 1992 qui reposent sur l’analyse du risque en tenant compte de l’origine de la bête, de l’organe utilisé et du processus de fabrication paraissent satisfaisantes. Par contre, un arrêté du 15 mai 1996 interdit l’exécution de préparations magistrales à base de produit d’origine bovine. Un arrêté du 3 mai 1996 interdit la mise sur le marché et l’utilisation de dispositifs médicaux d’origine bovine (substituts osseux, valves cardiaques) qui ne figure pas sur une liste établie après avis d’un groupe d’experts en sécurité microbiologique.

Il reste le problème des cosmétiques dont on ne peut affirmer aujourd’hui la totale innocuité du fait qu’ils peuvent être appliqués sur une peau présentant des lésions ou en association avec des produits favorisant le transport transcutané. Il semble donc nécessaire de renforcer les conditions règlementaires de leur fabrication.

J’ai saisi, le 20 juin 1996, le commissaire européen compétent pour lui demander que le comité scientifique de cosmétologie de Bruxelles revoit sa position. Je prendrai des initiatives adaptées dans les jours qui viennent, qui consisteront à rendre obligatoire en cosmétologie, l’utilisation de produits bovins venant d’un cheptel indemne d’encéphalopathie bovine, l’exclusion des organes dangereux et l’exigence d’une méthode d’inactivation des prions dans le processus de fabrication du produit.

En conclusion, le ministère chargé de la Santé a joué dans cette affaire son rôle de veille sanitaire, d’alerte des autres ministères concernés sur les précautions nécessaires au maintien de la santé publique et de décision dans le domaine qui lui est propre qui est notamment celui des médicaments.