Interview de M. Brice Lalonde, président de Génération écologie, à France-Inter le 28 juin 1996, sur le problème de la qualité de la production agricole soulevé par la crise de la "vache folle".

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Média : France Inter

Texte intégral

France Inter : Vous avez été un des premiers à dénoncer les conditions d’élevage des bestiaux dans l’affaire de la « vache folle » et à demander un certain nombre de mesures de précaution, notamment un rapport. Êtes-vous satisfait ce matin de ce que la transparence soit faite sur toutes les études commandées par le gouvernement ?

B. Lalonde : Oui. Je trouve que finalement on va finir par prendre un certain nombre de bonnes décisions et je trouve que le rapport Dormont, pour ce que j’en ai pu connaître, est bon. Il était temps de prendre cette décision que Génération écologie demandait depuis quelque temps. Comme tout le monde, nous avons été stupéfaits d’apprendre que les animaux qui sont à l’équarrissage, c’est-à-dire les animaux malades, n’étaient pas incinérés et qu’ils étaient recyclés et transformés en alimentation. C’est invraisemblable. C’est un premier point. Le deuxième point, c’est qu’à partir du moment où on sait que c’était recyclé, ça veut sans doute dire qu’il n’y a pas de four pour les incinérer ou je ne sais quoi. Donc il faut que le gouvernement, très rapidement, fasse connaître les lieux où sont incinérés ces animaux. Il n’y a pas longtemps, nous avons appris qu’une querelle entre deux ministères posait problème pour savoir où les troupeaux abattus – parce qu’ils étaient soupçonnés de contamination par l’encéphalite – étaient incinérés. Il n’y avait pas de four, donc on ne sait même pas si les troupeaux ont été incinérés. Donc, il faudrait quand même, maintenant, qu’on ait des informations sur la totalité.

France Inter : Vous estimez qu’il n’y a pas suffisamment de transparence ?

B. Lalonde : Je pense que nous sommes, en France, dans un système où toute l’agriculture industrielle moderne est une forteresse dans laquelle les Français n’ont pas le droit de jeter un coup d’œil. Je pense qu’il faut absolument stopper ce système fou, infernal, où c’était le ministère de l’Agriculture et la FNSEA, pour être clair et simple, qui faisaient toute la politique agricole française. Ça ne va pas. Ce développement insensé de l’agro-alimentaire a perverti complètement notre système agricole, et si vous regardez actuellement, aujourd’hui, quelle est la contribution réelle de l’agriculture française à l’emploi, à l’aménagement du territoire et à l’environnement, le bilan n’est pas très bon. Par conséquent, je trouve dommage qu’il faille attendre des crises aussi graves pour prendre des mesures de bons sens. L’élevage industriel français, entre nous soit dit, provoque des conséquences graves pour l’environnement. On le voit avec les lisiers, avec la pollution de l’eau, avec cette maladie. Et par conséquent, je crois qu’il faudrait une espèce de grande conférence nationale pour mettre à plat tous les problèmes.

France Inter : Vous disiez vous-même qu’il y a un certain nombre de choses que vous ignoriez. Est-ce que les écologistes n’ont pas justement une espèce de rôle de comité de vigilance ?

B. Lalonde : J’aimerais bien. Par exemple, prenons un problème. La réaction des autorités françaises à l’encéphalite a été quand même très rapide. Simplement, nous avons créé un label « vache française ». Entre nous soit dit, quand nous créons un label « vache française » et que nous apprenons qu’il y a eu aussi des cas en France, nous nous rendons bien compte que le problème c’est l’alimentation. Je crois qu’aujourd’hui, ce que le ministère de l’Agriculture devrait prendre comme mesure, c’est un label qui indique clairement que la vache a été nourrie à l’herbe, au fourrage et indique exactement quelle est la nature de complément, parce qu’on donne souvent du concentré. Et dans ce concentré, il y a eu jusqu’à présent, mais c’est interdit aujourd’hui, des farines animales où il peut y avoir même des produits alcoolisés parce qu’on fait fermenter du maïs. Donc, il faudrait qu’on sache exactement ce qu’il y a dedans, qu’on ait un label et que la politique agricole commune européenne devienne réellement la PAC de la santé et non de la production à tout crin et qu’on favorise l’herbe. Aujourd’hui, un agriculteur qui se met à l’herbe a 300 francs par hectare, tandis que quelqu’un qui fait du maïs et de la jachère a 2 000 francs. Et donc l’herbe n’est pas favorisée. Il faut absolument se remettre à l’herbe et favoriser en effet la viande produite dans de bonnes conditions, ce qui rétablira la confiance.

France Inter : En tant que consommateur, on ne demande que ça. Mais il faut savoir aussi que les prix seront beaucoup plus élevés et que la nourriture en général, si elle est faite de manière disons plus écologique, sans parler d’agriculture biologique, est plus chère ?

B. Lalonde : Tout a un coût. Le problème est que le système inverse, qui nous a conduit à la « vache folle », il a un coût aussi. Et vous pouvez voir en ce moment que ce coût est excessif. C’est considérable. Maintenant, les problèmes, la crise économique, la crise de la viande bovine, tout ceci est considérable et pèse sur le revenu des agriculteurs. Donc je crois en effet qu’un système différent, une réorientation majeure de l’agriculture sera de nature à la fois à nous rendre confiance, à nous consommateurs, et à garantir un revenu aux éleveurs. Je ne pense pas que ça soit facile. Mais est-ce que vous savez qu’aujourd’hui en France, nous avons des problèmes nouveaux avec l’eau potable parce qu’il y a des pesticides, c’est-à-dire des insecticides, des herbicides dans l’eau, plus qu’il ne devrait y en avoir ? Les compagnies d’eau ont envoyé une lettre récemment au ministre de la Santé pour le dire et pour dire : attention il y a un problème. Et d’où tout cela vient ? Ça vient de tout ce que l’on envoie partout dans les cultures. Donc les scientifiques aujourd’hui se demandent si cette présence massive, cette imprégnation par des pesticides n’est pas responsable d’un autre phénomène sur lequel on discute beaucoup et qui est la baisse continue de la fertilité masculine depuis une trentaine d’années. Il y a un moment donné où l’argent de l’absence de précaution ne finit pas être beaucoup plus lourd et difficile à payer que l’argent de la précaution.

France Inter : Un certain nombre de gens sont partisans d’un organisme indépendant, comparable à l’administration américaine, qui surveille la nourriture, les produits chimiques, les modes d’élevage, etc. Est-ce que vous êtes pour ?

B. Lalonde : Je crois qu’il faut rendre hommage au système vétérinaire français quand même. Parce qu’il surveille la qualité de l’alimentation, les maladies comme la rage, la listéria, tout cela. C’est quand même pas mal fait, et le rapport Dormont est un bon rapport. En revanche, le problème en France est que nous n’avons pas un institut de la santé publique qui rassemble à la fois les problèmes animaux et les problèmes de santé humaine. D’ailleurs, on l’a vu dans cette crise, il y a eu une espèce d’hésitation et de flottement et on ne savait pas si les responsables de la santé humaine étaient impliqués dans les décisions, car on a eu l’impression que c’était purement une affaire agricole et vétérinaire, au départ.

France Inter : Vous, vous réclamez que ce genre de problème soit traité par le ministère de la Santé ?

B. Lalonde : Oui, en effet. Moi, je suis préoccupé. Il y a eu hier un colloque à l’Institut Pasteur sur les nouveaux virus, les nouvelles pestes qui sont en train d’émerger et on va parler certainement de la maladie de la « vache folle ». En réalité, il faut bien se rendre compte que nous sommes de plus en plus nombreux, nous avons des conditions de vie et d’environnement complètement différentes et nous entrons en contact, tout d’un coup, avec des bactéries ou des virus parce qu’on ne sait même pas quel est l’agent infectieux. Et par notre système où l’on recycle et l’on mélange tout, au bout d’un certain temps, on a des ennuis considérables. Et donc je crois que nous avons devant nous, si nous n’y prenons garde, des nouveaux problèmes de santé publique. Alors c’est vrai, il faut des sentinelles parfaitement indépendantes qui alertent et qui disent attention, là on va trop loin, là on fait des bêtises.

France Inter : Est-ce que, depuis le début de cette affaire, vous avez vu les adhésions gonfler chez vous ?

B. Lalonde : Oui. Nous avons en effet de plus en plus de membres à Génération écologie et nous travaillons de plus en plus avec des agriculteurs. Et les agriculteurs sont demandeurs. Réellement, ils ont besoin d’aide. Ils attirent notre attention pas simplement donc sur les farines, mais sur l’urée, sur le traitement des fourrages à l’ammoniaque, sur un certain nombre de problèmes dont nous n’étions finalement pas tous conscients. Je crois réellement qu’aujourd’hui, il y a une espèce de mise à plat de l’alimentation, de l’agro-alimentaire, de l’agriculture qui est indispensable.