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Les Échos : Quelles sont les principales orientations de la réforme des arsenaux français ?
Charles Millon : Le gouvernement français, la direction de la DCN, les partenaires de la DCN veulent constituer une entreprise compétitive à l’échelle mondiale. Les objectifs de cet acte de foi sont évidents. Il s’agit d’abord de distinguer une DCN étatique et une DCN industrielle. La première pour se charger des commandes de la Marine nationale, du suivi des achats, du développement spécifique lié à la marine. La seconde pour construire en tenant compte des lois du marché et s’efforcer d’élargir son emprise à l’international. Le deuxième objectif est d’augmenter la compétitivité. Cela exige des réformes de structures économiques et une réorganisation pour les personnels.
Les Échos : Vous confirmez que vous ne touchez ni au statut des ouvriers ni à celui de la DCN ?
Charles Millon : Pour ce qui est de l’entité, il n’est pas question de toucher aux statuts. En revanche, il faut adapter les structures de l’entreprise à ses objectifs. D’où la séparation entre structure étatique et structure industrielle. D’où aussi une gestion par objectif qui est en train d’être mise en place. Une comptabilité analytique sera introduite. La DCN aura recours aux outils qui sont ceux d’une entreprise publique ou privée, tant comptables, financiers qu’économiques. La DCN étatique devra réduire ses coûts et adopter une gestion rationnelle permettant de dégager des économies sensibles.
Les Échos : La DCN n’a-t-elle pas à terme vocation à devenir une société anonyme ?
Charles Millon : La solution proposée permettra aux acteurs de la DCN eux-mêmes d’identifier les adaptations structurelles et statutaires nécessaires. Ce sera aux acteurs économiques et sociaux, dont les syndicats, de déterminer les moyens juridiques les mieux adaptés aux objectifs. Pour que la DCN puisse s’aligner sur les entreprises du secteur concurrentiel, certains outils vont lui être apportés, comme certains assouplissements en matière de marchés publics. D’autres outils l’aideront à conquérir des marchés à l’export, qui feront partie du plan de soutien à l’exportation qui sera présenté avant la fin de l’année au président de la République et au Premier ministre. S’agissant des statuts du personnel, la démarche est la même. Nous mettrons en œuvre quelques réformes, comme une nouvelle organisation du temps de travail. Le président de la République y a fait référence le 14 juin à Brest. Il m’a demandé d’étudier le dossier en songeant à des solutions innovantes. Là aussi, si des obstacles surgissent, les organes représentatifs du personnel désigneront les modifications de leurs statuts à envisager pour permettre aux salariés d’améliorer leur position.
Les Échos : Jusqu’à présent, l’annonce des restructurations n’a pas ébranlé la paix sociale. Cela peut-il durer ?
Charles Millon : La méthode employée pour Giat a servi de modèle pour la DCN. Après l’audit et l’annonce d’une situation financière grave, nous avons constaté que l’organisation industrielle, juridique, économique de Giat devait être revue. C’est alors qu’est intervenue une longue phase de réflexion et de concertation. Les responsables et les organisations représentatives ont mis au point un plan d’avenir et organisé la transition vers la situation future. Pour gagner la paix sociale, il faut qu’un plan intègre ces deux éléments. Pour adapter les effectifs au plan de charge, nous pourrions procéder à des licenciements secs, comme cela se voit ailleurs. Il ne sera au contraire procédé à aucun licenciement sec et nous nous occuperons cas par cas des personnes, soit en leur proposant un reclassement au sein du ministère de la Défense, soit par aménagement du temps de travail. Cela demande des efforts et du temps, mais c’est indispensable.
Les Échos : Les sous-traitants des arsenaux ne sont-ils pas les grands oubliés ?
Charles Millon : C’est une de mes grandes préoccupations. J’ai demandé à mes services de vérifier le paiement des sous-traitants. Cette question a même provoqué des interpellations à l’Assemblée. Les sous-traitants supportent malheureusement de plein fouet les gels de crédits. C’est la raison pour laquelle 5 milliards ont été débloqués il y a quinze jours pour faire face aux situations délicates. Ensuite, j’ai demandé au chargé des restructurations industrielles et à tous les délégués régionaux et de site de traiter de la même manière la question de la sous-traitance et celle des établissements qui relèvent du ministère. D’étudier leur situation, de les aider à se diversifier, à ne plus dépendre de la DCN, du Giat ou d’un autre établissement. Une grande partie du Fonds de restructuration des entreprises de défense de 2,2 milliards leur sera prioritairement affectée.
Les Échos : Souhaitez-vous toujours la constitution d’une Agence européenne de l’armement ?
Charles Millon : La France a présidé le GAEO, groupement des directeurs de l’armement parallèle à l’UEO. À Madrid, il y a quatre mois, je suis arrivé avec une proposition d’agence européenne de l’armement. Je n’ai pas été suivi et je le regrette. C’est alors qu’avec l’Allemagne nous avons mis en place une structure franco-allemande d’armement. Immédiatement, les Anglais et les Italiens se sont portés candidats. D’autres suivront et se constituera alors le noyau dur de l’agence européenne, matérialisation de l’identité européenne de défense. La démarche française est coordonnée et cohérente. C’est pourquoi la loi de programmation prévoit le renforcement d’une industrie d’armement et souligne la nécessité d’une rénovation de l’Alliance atlantique. Avec l’affirmation d’une identité européenne de défense ; l’enracinement de cette identité passe par la consolidation de l’industrie d’armement.
Les Échos : En avez-vous fini avec l’incompréhension qui semble avoir entouré vos rapports avec le ministre allemand de la Défense ?
Charles Millon : Il y a eu un certain nombre de malentendus. Le premier a porté sur le service national. Nos amis allemands ont cru que la France allait opter pour un système de service civil obligatoire. Lorsque notre inclination pour le volontariat est devenue claire, ils nous ont fait part de leur surprise. Le président de la République s’est lui-même investi pour expliquer au chancelier Kohl ce qu’il en était. Notre explication a été claire et franche et les malentendus sont dissipés depuis le sommet de Dijon ? La seconde difficulté à trait aux programmes. La France et l’Allemagne ont de graves contraintes budgétaires. Des soupçons sont apparus sur la volonté de tel ou tel d’aller jusqu’au bout des programmes. Ce qui nous a amenés, à Strasbourg, à faire l’inventaire de tous les programmes en partenariat, à voir ensemble quel sera leur sort. Un groupe de travail a été mis en place au niveau de la DGA. Un protocole a été signé à Dijon sur une démarche commune.
Les Échos : À propos du rapport Europe-États-Unis, certains assurent que vous préparez une politique d’achats sur étagères ?
Charles Millon : Quand j’ai pris en charge ce ministère, j’ai constaté que des programmes d’hélicoptères avaient été élaborés en coopération européenne et que, lorsque venait le temps de passer commande, certains pays européens le faisaient aux États-Unis. À quoi sert de lancer des programmes, de mettre des équipes en commun, de créer des synergies européennes au niveau de l’offre, de construire un équipement s’il n’y a personne au moment où la demande doit s’exprimer ? Les avantages de la série sont perdus et l’outil qui avait été construit est détruit. Je n’aborderai plus jamais les programmes de la sorte.
Les Échos : Notamment pour l’ATF ?
Charles Millon : Je me félicite que le chancelier Kohl et mon homologue allemand se soient engagés au sommet de Dijon à suivre notre méthode. L’ATF doit donner l’exemple, montrer qu’une offre européenne peut être bâtie à partir des entreprises européennes, à partir d’un développement européen, à partir de l’utilisation des atouts de nos développements civils. Les États européens doivent constituer une demande européenne au moins équivalente à l’offre européenne pour permettre à leur industrie de défense d’exister face à celle des États-Unis. Quand l’Europe l’a fait avec Airbus, avec Ariane, elle a remporté un franc succès. Quand l’Europe maîtrise l’offre d’un côté, la demande de l’autre, il ne peut en être autrement.
Les Échos : Si Aerospatiale, Dasa et British Airways ne parviennent pas à lever le financement du développement, l’ATF se fera-t-il ?
Charles Millon : Les gouvernements ne laisseront pas tomber les industriels. Ils demandent qu’un consortium européen se mette en place, qui ne prépare pas un avion sophistiqué au point d’être invendable ou inachetable. Ce consortium industriel doit élaborer un produit adapté à ses missions. Les gouvernements demandent qu’en face de cette offre, une demande s’exprime, qui mette de calculer des prix de série.
Les Échos : Comment avance le dossier du mariage Aerospatiale-Dassault ?
Charles Millon : Ce dossier progresse comme prévu. Le comité de pilotage mis en place le 21 février dernier a travaillé activement. Nous serons en mesure, je pense, d’aller de l’avant dans ce grand projet industriel pour la France et l’Europe.
Les Échos : Il s’agit bien de fusion ?
Charles Millon : Oui. Certains, qui auraient tant espéré être à l’origine de cette fusion au cours des quinze dernières années, se permettent aujourd’hui d’ironiser. Si ce projet était si facile, pourquoi n’a-t-il pas été réalisé plus tôt ? L’opération est délicate, les cultures d’entreprises sont différentes. D’un côté, il y a ce qui est sans doute la première entreprise du monde pour les avions de combat ; de l’autre, un groupe qui fait des missiles, du civil, du spatial, des hélicoptères et aussi des avions. Il va bien falloir faire vivre ensemble ces deux cultures.
Les Échos : La création prochaine d’un nouveau groupe aéronautique français pesant 60 milliards de francs interpelle nos partenaires. En Allemagne, on évoque la forteresse France, en Grande-Bretagne, on aurait préféré une rationalisation par produits qui serait soldée par l’éclatement d’Aerospatiale. Que répondez-vous aux sceptiques ?
Charles Millon : Que je soutiens la création d’un pôle aéronautique européen comprenant Dasa, British Aerospace et la future structure française, qui ont des tailles insuffisantes aujourd’hui au regard des groupes américains. Avec la baisse des budgets et la mondialisation des marchés, il faut des groupes dotés de capacité de recherche. La taille ne sert pas uniquement à fabriquer en série, mais les besoins de la recherche.
Les Échos : Vous avez déjà une idée du rôle qu’on pourrait confier à Airbus dans la restructuration européenne ?
Charles Millon : Airbus a déjà un rôle éminent en matière civile. Il faut se donner les moyens pour en faire le noyau de l’organisation de l’aviation civile en Europe.
Les Échos : Mènerez-vous l’hélicoptère NH90 à son terme et lancerez-vous l’industrialisation du Tigre pour la fin de l’année ?
Charles Millon : C’est évident, je l’ai dit à plusieurs reprises. Nous conduirons le programme NH90 jusqu’à son terme. Nos besoins sont de 160 appareils environ. De même pour le Tigre qui va constituer, avec le Leclerc, l’ossature de notre armée de terre. Nos besoins sont de 215 appareils et nous lancerons très prochainement l’industrialisation avec nos partenaires allemands. L’exécution de la programmation qui vient d’être présentée dépend de la volonté de mettre en place une industrie d’armement compétitive. Cette volonté s’accompagne de l’action efficace et quotidienne de la DGA pour réduire les coûts et les délais de réalisation des programmes de 30%. Pour ce qui est des exportations, un plan de soutien au développement des exportations d’armement et aéronautique sera présenté avant la fin de l’année.