Texte intégral
Monsieur le Président de la Caisse Nationale d'Assurance Maladie des Travailleurs Salariés,
Monsieur le Président de la Conférence Nationale de Santé,
Monsieur le Président de la Ligue contre le Cancer, Professeur PUJOL,
Mesdames,Messieurs,
Je vous remercie d'être présent tous ici pour cette conférence de presse qui s'inscrit dans la Journée Mondiale sans Tabac.
Nous sommes tous ici présents pour témoigner de notre engagement et de nos actions dans la lutte contre ce véritable fléau qu'est le tabagisme. Et, je remercie tout particulièrement M. Jean-Marie SPAETH d'être présent à mes côtés pour présenter nos actions dans ce domaine.
Je tiens à remercier aussi pour leur action, les « sages » et, en particulier, les Professeurs Maurice TUBIANA et HIRSCH ici présents. Ils ont l'habitude de dire, pour frapper les esprits, que les décès liés au tabagisme en Europe, représentent l'équivalent d'un Boeing 747 qui s'écraserait chaque jour !
Car il est vrai que, malheureusement, les morts du tabac sont anonymes, isolés et qu'on ne prend pas suffisamment la mesure des drames dont est responsable le tabac.
Mais les chiffres et ces drames ne doivent pas nous conduire au défaitisme ou au découragement, bien au contraire. Et je dirai qu'au cours des derniers mois, certains signes concrets doivent nous encourager.
D'une part, vous avez tous en mémoire les actions engagées aux Etats-Unis contre les fabricants de tabac. Je ne veux pas ici discuter des accords fédéraux qui sont, du reste, remis en question.
Ce qui me paraît devoir être relevé avant tout, c'est que les fabricants ont reconnu publiquement avoir menti. Oui, ils savaient la dangerosité du tabac, même s'ils ont tout fait pour la minorer.
Oui, ils ont organisé, de manière directe ou indirecte, des publicités en direction des jeunes, les incitant à fumer pour des raisons de marketing.
Certains même ont, semble-t-il, manipulé les taux de nicotine afin d'accroître la dépendance des fumeurs.
II s'agit certes des Etats Unis, mais cela fait réfléchir.
La lutte contre le tabagisme continue d'être une exigence essentielle pour diminuer la mortalité évitable dans le monde, c'est ce que vient de rappeler la nouvelle présidente de l'OMS, Mme BRUNDTLAND. En effet, ce qui est frappant et choquant, c'est qu'au moment où, d'après l'OMS, on assiste à une augmentation de l'espérance de vie, celle-ci est amputée par les morts du tabac !
Les chiffres sont éloquents : environ 10 000 personnes meurent victimes du tabac chaque jour dans le monde. Dans notre pays, même s'il est vrai que des éléments encourageants sont observés depuis quelques années, diminution sensible de la vente de tabac depuis 1991, diminution du tabagisme chez les hommes et stabilisation chez les femmes, il n'importe de ne pas relâcher l'effort et de l'amplifier.
Le Pr François BONNET DE PAILLERETS va, dans quelques instants, détailler le résultat de l'enquête réalisée par le Comité Français d'Education à la Santé (CFES).
Il faut bien naturellement être prudent mais il semble qu'une légère décroissance de la proportion d'adolescents (12-18 ans) qui déclarent fumer, est observée. Il reste cependant que 25 % de ces adolescents fument, chiffre bien évidemment trop élevé. De même que chez les adultes, la prévalence du tabagisme est supérieure à 30 % mais il faut noter que c'est chez les 19-34 ans que la fréquence du tabagisme est la plus élevée, supérieure à 50 %.
Pour réduire significativement la mortalité liée au tabac (60 000 morts en France chaque année), c'est donc aujourd'hui qu'il faut agir.
La politique nationale de lutte contre le tabagisme s'appuie sur trois axes essentiels.
Le premier concerne les fumeurs et les fumeurs potentiels, il s'agit de limiter et de dissuader la consommation :
– en encadrant l'offre de tabac, sous toutes ses formes ;
– en prévenant l'initiation de la consommation, et en diffusant une information large sur ses risques.
Le deuxième vise à protéger la santé des fumeurs avec :
– la réduction des risques liés à la consommation de tabac et l'information du consommateur sur le produit lui-même ;
– l'initiation et l'aide la plus précoce possible à l'arrêt de la consommation de tabac ;
Le troisième, le plus récent mais non le moindre, c'est la protection des non-fumeurs.
I. LIMITER ET DISSUADER L'USAGE DU TABAC
Vis-à-vis de l'offre, la réglementation française, pionnière en la matière, a posé des 1976 le principe de la limitation de la publicité pour le tabac, c'était à l'époque Mme Simone VEIL. Au début des années 90, c'est le principe de l'interdiction totale de la publicité directe et indirecte pour le tabac et les produits du tabac qui a été décidé avec courage par Claude EVIN, et appliqué à partir de 1993, j'étais à l'époque Ministre de la Santé.
Après de nombreuses années de négociations difficiles qui se sont poursuivies pendant plus de 10 ans, dans lesquelles la France a joué un rôle décisif, l'Europe vient d'adopter une directive qui va généraliser progressivement cette interdiction à l'ensemble des pays de la communauté. Cette bataille est récente puisque, comme vous le savez, cette directive a été adoptée en décembre dernier lors du Conseil Santé et vient d'être votée la semaine dernière par le Parlement Européen.
L'augmentation régulière et importante du prix du tabac depuis 1991 a, d'une façon certaine, contribué à la régression de la consommation du tabac ; L'élasticité de la consommation des cigarettes aux prix a d'ailleurs été récemment confirmée par une étude de l'INSEE que vous trouverez dans votre dossier de presse. Les augmentations ont porté tant sur le prix fabricant que sur le montant des taxes.
Je précise que la modification du mode de calcul des taxes que nous avons proposée au Parlement et qui a été inscrite dans la loi de Finances pour 1998 permet d'éviter une baisse des prix de vente décidés par les fabricants pour relancer la consommation.
Le Gouvernement a aussi souhaité que ces modifications de taxation concernent également le tabac à rouler, un produit très attractif pour les jeunes.
Le second volet de cette action, c'est la prévention, et plus précisément l'éducation à la santé. Le Pr Henri PUJOL va nous présenter l'action menée par la Ligue qui s'adresse spécifiquement au 10-14 ans, âge cible où la prévention primaire du tabagisme et plus globalement l'éducation à la santé est efficace.
Les campagnes nationales, mises en oeuvres par le CFES et financées par la CNAM, vont connaître dès cette année un nouvel essor. Nous savons, en effet, obtenu que pour 1998, 50 MF du produit des taxes sur le tabac soient affectés cette année à la prévention du tabagisme.
En outre, comme le préconisait la Conférence nationale de la Santé, grâce aux 20 heures annuelles d'éducation à la santé qui vont être dorénavant dispensées dans les établissements scolaires, les plus jeunes vont désormais bénéficier d'une information et d'une réflexion propres à réduire l'attrait et la séduction du tabac.
Un volet essentiel de la prévention réside bien sûr dans l'information du consommateur. Aujourd'hui les mentions qui figurent sur les paquets de cigarettes, messages sanitaires et composition, se sont progressivement banalisés et leur visibilité est trop faible.
Il faut réfléchir à de nouveaux messages, et augmenter significativement la taille et la lisibilité. Ce pourrait être en doublant la taille des lettres, en utilisant une écriture noir sur fond blanc, plutôt que des lettres « dorées ». Là encore, il nous faut modifier.
Il n'était pas possible de mener de front cette action avec celle sur la directive « publicité » mais je souhaite maintenant engager des discussions avec nos partenaires sur ce point.
II. – PROTÉGER LA SANTÉ DES FUMEURS
Une fois que l'habitude de fumer est contractée, il s'agit au minimum de réduire les risques liés à cette consommation et, idéalement, d'aider le fumeur à y renoncer.
La composition des produits doit tout d'abord, dans cette perspective, continuer à évoluer. Les taux maximaux de goudrons doivent être abaissés progressivement en dessous du plafond, fixé aujourd'hui à 12 mg. Il faudra également s'intéresser à la composition en oxyde de carbone de la fumée qui est un facteur important d'atteinte cardio-vasculaire.
Dans ce domaine, c'est aussi au niveau européen qu'il faut sans tarder rouvrir le chantier. Les directives de 1989 et de 1990 qui régissent l'étiquetage des paquets de tabac et la composition en goudron doivent être modifiées.
Il faut aussi, absolument, inciter plus activement les fumeurs à l'arrêt du tabac.
L'action en faveur du sevrage tabagique laisse encore trop souvent sceptique. L'action commune est que : « c'est difficile, ça ne marche pas longtemps, et d'ailleurs les fumeurs qui le veulent vraiment s'arrêtent tous seuls ».
II faut modifier cette image. Arrêter de fumer, même provisoirement, est toujours bénéfique. Et un gros fumeur à souvent besoin d'une aide pour arrêter.
Des arrêts et des reprises se succèdent souvent, avant l'arrêt définitif. C'est le tribu et l'histoire de nombreuses dépendances, de nombreuses toxicomanies. Le tabac trop souvent banalisé est objectivement une drogue.
Les connaissances sur les comportements tabagiques et sur les différents stades de réceptivité du fumeur aux messages qui lui sont adressés, se sont du reste considérablement affinées.
À la lumière de ces connaissances, il est possible aujourd'hui d'établir des stratégies d'aide à l'arrêt. Il faut donc affiner les messages, et en même temps offrir des solutions adaptées.
L'aide au sevrage doit donc devenir une véritable priorité et l'objectif c'est qu'il intervienne le plus précocement possible.
De nombreux fumeurs, c'est vrai, peuvent arrêter seuls. Mais il est possible de les y inciter, de les aider à évaluer leur mode de consommation, et de les accompagner par des conseils simples et déculpabilisant, tout en reconnaissant la difficulté de leur démarche d'arrêt.
Pour d'autres, dont la dépendance au tabac, et en particulier à la nicotine, est importante, l'arrêt demande un accompagnement important, nécessite parfois une médicalisation, et plusieurs mois d'efforts.
La substitution du manque, par la nicotine, sous forme de gommes ou de patchs cutanés, peut être, dans le cadre d'un accompagnement attentif et compétent, utile au succès du sevrage.
Il est nécessaire de s'appuyer sur la prochaine conférence sur le sevrage tabagique, afin de mieux définir des protocoles de sevrages reconnus et précis. II faudra que ces connaissances soient largement diffusées auprès des médecins.
Les médecins généralistes ont un rôle important à jouer, du fait de leur contact régulier avec la population dans son ensemble. Ils peuvent et doivent favoriser chez le fumeur le désir d'arrêter de fumer.
Ils doivent pouvoir aider les fumeurs à évaluer leur dépendance et établir avec eux une stratégie d'arrêt.
Pour les fumeurs les plus dépendants, des consultations spécialisées, telles qu'elles commencent à exister, avec des professionnels expérimentés serviront de relais, en offrant un éventail de méthodes et d'accompagnement plus large.
Dès à présent, l'objectif doit être de pouvoir offrir au public et aux professionnels la liste aussi exhaustive que possible des centres qui sont spécialisés dans le sevrage. Ces listes doivent être accessibles, sur minitel et sur internet. Certaines choses existent déjà, mais il faut aller plus loin.
C'est pourquoi j'ai décidé qu'un site sur le tabac sera prochainement accessible sur l'internet de notre ministère.
III. – PROTÉGER LES NON-FUMEURS
Le dernier volet est celui de la lutte contre le tabagisme passif initiée dès 1976 par la mise en place des interdictions de fumer.
Progressivement de plus en plus d'éléments scientifiques sont venus démontrer qu'au-delà de la gêne, importante, les personnes exposées passivement à la fumée du tabac, le sont aussi à de véritables problèmes de santé : augmentation du risque cardio-vasculaire, augmentation du risque de cancer des poumons ; chez le petit enfant augmentation du risque de mort subite du nourrisson, du risque d'infection ORL, avec chez les foetus exposé pendant la grossesse, un risque de petit poids de naissance.
En 1991, le principe de protection du non fumeur a été renforcé et le principe de l'interdiction de fumer dans les lieux à usage collectif a été posé.
La mise en place depuis 1992 de la protection des non-fumeurs dans les lieux à usage collectif ne s'est pas fait sans difficultés. Mais aujourd'hui, le principe en semble à la fois acquis et globalement accepté
Il reste, par une action plus constructive à dépasser les difficultés qui subsistent, pour inscrire définitivement dans les faits la protection des non fumeurs.
La liberté de ceux qui ne fument pas doit être protégée. Il s'agit là d'un droit élémentaire. Je souhaite, au-delà de cette journée que la loi soit mieux appliquée et mieux respectée, en particulier dans les gares, les aéroports, mais aussi dans les lycées et collèges, et bien sûr dans les hôpitaux.
Des instructions seront données en ce sens en lien avec les collègues du Gouvernement concernés. Il me semble très important que la campagne contre le tabagisme puisse aider à ne plus fumer dans les lieux publics, en dehors des zones réservées aux fumeurs.
C'est dans cet esprit que j'ai décidé de faire du Ministère de l'emploi et de la solidarité un « ministère sans tabac » car il me semble que nous devons montrer l'exemple.
Certes, la situation, dans nos services, n'est pas mauvaise. Mais il est possible de faire mieux, de dépasser les difficultés qui persistent ici ou là, soit du fait de la distribution des locaux, soit du fait d'une ventilation insuffisante.
Aménagement des locaux, signalisation renforcée et positive, campagnes d'information seront les pierres angulaires de ce travail ; mais sa clé de voûte sera d'aider les fumeurs qui le souhaitent à arrêter de fumer.
Une consultation d'aide à l'arrêt sera donc proposée aux agents du ministère qui le souhaiteront.
J'ai décidé de créer un comité de pilotage anti-tabac au ministère, qui sera présidé par le Pr LAGRUE. Cette action sera lancée par une journée de sensibilisation au début du mois de juin.
La consommation de tabac est encore largement répandue dans la population, les fumeurs n'ont, pendant longtemps, conscience que du plaisir qu'ils en retirent. C'est pourquoi lutter contre le tabagisme est tout particulièrement difficile. Pour être efficace, cette lutte doit être globale, s'exercer aussi bien que l'offre que sur la demande du tabac. C'est ainsi que des premiers résultats ont déjà été obtenus. Vigilance et continuité sont nécessaires pour les conforter.