Texte intégral
Les Echos - 22 juillet 1996
Marie-Laure Cittanova : La création de la Banque de développement des PME vient d’être décidée. Qu’en attendez-vous exactement ?
Jean-Pierre Raffarin : Nous voulons traiter en profondeur les problèmes d’incompréhension qui s’accumulent entre les banques et les PME. Cette incompréhension, qui n’est pas un signe de bonne santé de l’économie, est due à deux facteurs : le manque de fonds propres des PME et le manque de crédits pour financer des projets. Il faut donc résoudre ces problèmes et faciliter l’accès au crédit et la constitution de fonds propres. Sur ce dernier point, nous allons, dans la loi de Finance, achever le plan PME en instituant, sous certaines conditions une taxation réduite à 19 % pour les bénéfices incorporés au capital de la PME. Pour l’accès au crédit, nous avons conçu la Banque des PME comme « un médiateur » dans les relations entre banques et PME. Nous souhaitons ainsi mieux cibler les interventions de l’Etat vers les entreprises qui ont des difficultés d’accès au crédit. La BDPME doit aider les PME à soutenir leur dossier auprès des banques, elle pourra être leur interlocuteur préalable au contact avec les banques et leur donner accès au crédit des CEPME et aux garanties de la Sofaris, mais aussi aux aides de l’Anvar et de la Coface.
Marie-Laure Cittanova : Dans quel délai les responsables de PME pourront-ils s’adresser à la Banque des PME ?
Jean-Pierre Raffarin : Le montage juridique devrait être prêt à la rentrée. Il faudra que la BDPME soit totalement opérationnelle à la fin de l’année. Et cela dans ses trois domaines d’intervention : cofinancement, garantie et fonds propres. Pour l’anniversaire du plan PME fin novembre, je souhaite que l’ensemble des décisions aient été prises. Tous mes engagements auront ainsi été tenus.
Marie-Laure Cittanova : Quels seront les montants alloués au CEPME et à la Sofaris pour leurs augmentations de capital tant par l’Etat que par la Caisse des Dépôts ? Et combien la Caisse des Dépôts mettra-t-elle de fonds dans les actions en fonds propres ? Enfin, en combien de temps le montant des codevi à disposition du CEPME passera-t-il de 12 à 30 milliards de francs ?
Jean-Pierre Raffarin : Tous ces points vont être précisés dans les semaines qui viennent en tenant compte des points de vue de l’ensemble des actionnaires actuels du CEPME et la Sofaris. Je pense en particulier à la Caisse des Dépôts et aux Banques Populaires. L’Etat saura afficher sa détermination.
Marie-Laure Cittanova : Avec cette nouvelle structure, pensez-vous que la France offrira à ses PME un soutien public équivalent à celui des pays étrangers ?
Jean-Pierre Raffarin : C’est en effet un des objectifs du plan PME de mettre les petites et moyennes entreprises françaises à égalités de chances avec leurs homologues européennes, notamment allemandes. L’existence de la BDPME devrait en particulier contribuer à résoudre le problème de « l’infidélité » des PME à leurs banques. Car cette pathologie bien française a pour conséquence, en cas de difficultés, une désertion des partenaires financiers. La situation actuelle, de ce point de vue, n’est satisfaisante ni pour les entreprises ni pour les banques qui se livrent à une concurrence inutile sur les dossiers. Par ailleurs, la BDPME sera fortement décentralisée et devra être capable de mobiliser les moyens de la Coface, de l’Anvar, grâce à des accords de partenariat, mais aussi, au niveau local, des SDR et des sociétés capital-risque. Il ne s’agit pas d’un simple toilettage du CEPME, mais d’un projet porteur d’une très grande ambition : doper la relation entre banques et entreprises.
Marie-Laure Cittanova : Les banques, qui estiment que le marché du crédit est stagnant, craignent que l’expansion du CEPME ne se fasse à leurs dépens…
Jean-Pierre Raffarin : L’objectif est que la BDPME soit surtout présente là où les besoins ne sont pas satisfaits. Prenons la création d’entreprise : il n’y a pas de dispositif adapté. La mortalité des jeunes entreprises est très élevée en France, puisque la moitié d’entre elles disparaissent au bout de trois ans. Il faudrait diviser ce chiffre par deux d’ici à cinq ans. Pour cela, nous souhaitons bâtir un programme national pour la création d’entreprise qui fera de la qualification des projets une priorité grâce au réseau Entreprendre en France. Les deux autres priorités de ce programme seront « l’accompagnement postnatal » durant trois ans et l’accès au crédit. Sur ce terrain, les banques sont peu présentes. Même chose pour l’innovation : les possibilités d’aides sont multiples, il faut les rendre plus lisibles. Deuxième champ d’action pour les Banques de développement des PME : l’emploi et les projets liés à l’emploi. Cela doit être, comme l’a dit Jacques-Henri David, une priorité de la BDPME. Pour ces projets, l’intervention de l’Etat légitime un niveau de risque plus élevé. Celui-ci sera pris en charge par la Sofaris, mais aussi par d’autres types d’intervention, comme les prêts bonifiés aux très petites entreprises, pour lesquelles nous avons débloqué 1 milliard de francs à 3,5 %. La Banque de développement des PME mènera ainsi son développement à l’extérieur du marché des banques, qui est stabilisé.
Marie-Laure Cittanova : Compte tenu de ces missions, le CEPME pourra-t-il revenir à l’équilibre et conserver l’ensemble de son personnel ?
Jean-Pierre Raffarin : Il faudra bien sûr que la nouvelle organisation parvienne à concilier deux objectifs : faire revenir à l’équilibre le CEPME et tirer les leçons des expériences précédentes pour améliorer le rapport de force des PME avec leurs partenaires.
Europe 1 - 25 juillet 1996
Europe 1 : Que va dire J. Chirac aux entrepreneurs ?
Jean-Pierre Raffarin : Il va, je crois, d’abord envoyer un signal. Il est clair que la politique PME pour la France a besoin de l’engagement du Président et du Premier ministre. Pour libérer l’énergie des quatre millions d’entrepreneurs, il faut faire gagner le camp du mouvement contre les résistances de la bureaucratie. C’est ce que répète le Président et c’est très important. L’engagement du Président dans ce camp du mouvement pour les PME est essentiel. Il mobilise, il montre bien que ce dossier est un dossier qui doit faire appel à la mobilisation générale. Le ministère des PME est un ministère de mission sans grande puissance administrative, il faut mobiliser le fiscal, le social, le financier et donc décréter la mobilisation générale en faveur des PME. C’est le message du Président.
Europe 1 : Mais ce sont des phrases que l’on a déjà beaucoup entendues et on sait que les patrons attendent des actes concrets, notamment la baisse du taux de l’impôt sur les sociétés promise par A. Juppé à l’automne dernier ?
Jean-Pierre Raffarin : On a entendu ces messages mais il faut qu’ils soient placés au sommet de l’Etat, c’est ce que fait le chef de l’Etat. Et puis il y a quand même eu beaucoup de choses concrètes qui ont été engagées aujourd’hui. Les nouvelles lois sur l’urbanisme commercial, la concurrence, la qualification artisanale, la transmission d’entreprise, l’apprentissage, un certain nombre de dossiers ont été réglés, qui sont le socle d’une politique en faveur des PME. Mais c’est vrai, il faut aller plus loin aujourd’hui. La réforme fiscale se fera. Les PME seront concernées et dès la prochaine loi de Finances, avec les taux allégés pour les bénéfices réinvestis dans le capital de l’entreprise ; la création de la banque des PME pour améliorer les relations qui ne sont pas satisfaisantes aujourd’hui entre le système bancaire et les PME ; la réforme des marchés publics ; la simplification des déclarations sociales…
Europe 1 : Tout cela se fera mais visiblement plus tard. On ne doit pas attendre de cette journée des déclarations tonitruantes ?
Jean-Pierre Raffarin : C’est une journée d’articulation entre un plan qui a été déjà en grande partie bâti, la plan PME, et cette mobilisation générale que souhaite engager le Gouvernement avec la mobilisation de tous les ministres, les finances, l’industrie, le commerce extérieur. Tout le monde doit se sentir concerné par cette mobilisation. Depuis quinze ans, les rapports de forces des PME vis-à-vis de leurs habituels partenaires se sont dégradés, rapports avec les banques, avec les administrations, les organismes sociaux, avec les donneurs d’ordre. Il faut redonner des chances aux PME pour gagner la bataille de l’emploi. C’est le message du Président.