Interviews de M. Alain Madelin, vice président du PR, à Europe 1 le 4 juin 1996 et dans "Valeurs actuelles" du 8 juin, sur la réforme fiscale.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Europe 1 - Valeurs actuelles

Texte intégral

Europe 1 : mardi 4 juin 1996

Europe 1 : La réforme fiscale sur 5 ans présentée par Alain Juppé vous semble-t-elle aller dans le bon sens ?

A. Madelin : J'applaudis des deux mains la réforme fiscale et, d'une façon générale aussi, l'orientation qui consiste à baisser les dépenses publiques. Ça fait des années que je dis que le problème de l'État, ce n'est pas lui demander ce qu'il doit faire, mais ce qu'il doit cesser de faire ; ce n'est pas lui demander ce qu'il doit prendre, mais c'est lui demander ce qu'il doit cesser de prendre. J'ai même un regret, vous le savez, c'est qu'il y a un an, quand j'ai eu un différend avec le Premier ministre, je souhaitais justement, que l'on puisse engager dès septembre dernier, la réforme fiscale. Un an plus tard nous y voici.

Europe 1 : Est-ce du Madelin un an après ?

A. Madelin : On va voir le contenu de la réforme fiscale. Le Premier ministre a donné des orientations générales.

Europe 1 : Fallait-il chiffrer ?

A. Madelin : Pas forcément, mais il s'agit de fixer les orientations et j'ai déjà une orientation très différente de celle du Premier ministre. Je crois qu'on est en train d'expliquer, de faire fausse route, de dire que la baisse des impôts, ce sera en quelque sorte la récompense de nos efforts de rigueur, d'assainissement financier. Ce sera le point d'arrivée. Je pense au contraire que la baisse des impôts, c'est le point de départ. Dans tous les pays au monde, il y a des gens qui sont porteurs d'initiatives, créateurs de richesses, d'emplois, des cadres, des entreprenants et d'autres. Et il se trouve qu'en France, nous avons la fiscalité la plus décourageante sur l'initiative : sur 100 francs de richesse produite en plus, on peut arriver à prélever 75 ou 80 francs. Et ce que je crois, c'est que quand on a le record de la surtaxation de l'initiative et de l'esprit d'entreprise, il ne faut pas s'étonner si la machine tourne au ralenti. Desserrer les freins, c'est le moyen d'augmenter la croissance, d'augmenter les recettes fiscales et de favoriser l'assainissement financier. C'est pourquoi, je fais de cela un point de départ et non pas un point d'arrivée.

Europe 1 : Alain Juppé vous dirait que vous mettez la charrue avant les boeufs.

A. Madelin : Je pense exactement le contraire. Nous avons un problème économique compliqué : d'un côté, nous avons une dette énorme, 4 000 milliards, et la charge de la dette augmente tous les ans. C'est presque les deux tiers d'impôts sur le revenu qui, chaque année, sont consacrés à rembourser la dette ! De l'autre côté, nous avons un phénomène, depuis quelques années, qui est grave : la chute des recettes fiscales. En réalité, les impôts diminuent globalement, car les recettes fiscales sont mauvaises, elles chutent d'année en année. On est obligé de compenser cette explosion de la dette et cette chute des recettes fiscales par une série d'efforts d'économie et de rigueur. Bref, on se serre toujours de plus en plus la ceinture. C'est pourquoi je pense que la réforme fiscale, c'est le moyen de se retrousser les manches, d'augmenter la croissance, de faire tourner plus vite la machine, de retrouver les recettes fiscales qu'il nous manque. Et je répète que c'est un point de départ. Aujourd'hui, investir dans la réforme de la fiscalité personnelle, notamment sur la France la plus entreprenante, c'est le meilleur investissement.

Europe 1 : Que manque-t-il de fortement incitatif dans le dispositif Juppé qui prévoit quand même un calendrier de baisse des tranches, entre autres ?

A. Madelin : Il y a un an, j'avais proposé que l'on fasse la toilette de toutes les séries d'avantages d'abattements fiscaux. Il y en a un peu trop en France et notre fiscalité est compliquée. En échange, j'avais proposé que l'on baisse le barème de l'impôt sur le revenu de 20 à 25 % pour tous les Français. Ce que je regrette, c'est que depuis un an, au lieu d'aller dans cette direction, on a pris une direction différente, puisque l'on a multiplié les exonérations fiscales de toutes sortes, pour les gens qui ont beaucoup d'argent, ceux qui ont des bateaux, les exonérations sur les valeurs mobilières, pour les landaus, poussettes, matelas, sommiers que l'on pouvait acheter pour relancer la consommation, les zones franches entre autres. C'est vrai qu'on peut baisser le barème de l'impôt pour tous les Français, mais en échange il faut une toilette des avantages fiscaux.

Europe 1 : La « technique Juppé », la formule de la cotisation maladie universelle déductible, ça vous semble justifié, simplificateur ?

A. Madelin : Réservé, car je suis, d'une façon générale, plutôt contre la fiscalisation du financement de la Sécurité sociale. J'ai la vieille conception française selon laquelle les cotisations sociales, c'est un salaire indirect qui est la propriété du salarié. On peut faire quelques pas dans ce sens pour clarifier le financement de notre protection sociale. Il est vrai qu'en France, beaucoup de Français ont le sentiment de ne pas payer d'impôts, car on leur fait payer ce qui est ailleurs. Oui à cette clarification, à condition que l'on n'aille pas trop loin. Je me méfie un peu d'une sorte d'impôt supplémentaire qui va s'ajouter après le RDS. Au fond, il ne s'agit en réalité que d'une transmutation des cotisations sociales en impôts. 100 kg de plumes ça pèse toujours autant que 100 kg de plomb !

Europe 1 : Et la réforme de la taxe professionnelle, c'est le nettoyage des écuries d'Augias ?

A. Madelin : Attendons de voir, car pour baisser la taxe professionnelle pour les uns, il faut pouvoir augmenter l'impôt sur les autres. Soyons prudents. Mais ça va dans la bonne direction.

Europe 1 : Y a-t-il des vertus politiques à cette réforme fiscale ?

A. Madelin : Je cherche surtout des vertus économiques, alors, d'une façon générale, tout ce qui va dans le sens de la clarification, de la simplification, c'est une bonne chose. Ce dont nous avons besoin aujourd'hui, c'est de doper un peu la croissance, que les gens retrouvent un peu confiance et fassent preuve d'initiatives et de créativité. Regardez ce que l'on fait dans des régions qui sont un peu sinistrées : on fait des zones franches, on baisse les impôts, les réglementations, pour doper l'initiative. C'est la France entière qui a besoin de ça ! Doper l'initiative pour se sortir de nos difficultés, en investissant massivement dans la baisse de la fiscalité personnelle. Si j'avais une proposition à faire, ce serait de dire aux gens qui sont les plus entreprenants : si l'année prochaine vous renoncez à une série d'exonérations fiscales, en échange nous vous appliquerons un barème d'impôt très simple, très allégé, sur le revenu. Voilà qui serait de nature à redonner confiance et à libérer les initiatives dans ce pays.


Valeurs actuelles : 8 juin 1996

Valeurs actuelles : Que pensez-vous de la réforme fiscale telle que l'envisage Alain Juppé ?

A. Madelin : Quel doit être l'objectif ? Le moteur de notre économie marchande est trop petit. Il ne tourne pas assez vite. Le carburant est trop cher, tout cela pour tirer un secteur public trop lourd. Il faut donc baisser le prix du carburant, c'est-à-dire les taux d'intérêt, réduire la charge à tirer, c'est-à-dire les dépenses publiques, rendre enfin plus de puissance au moteur, et pour cela multiplier le nombre de ceux qui produisent de la richesse et des emplois.

Toute réforme fiscale doit avoir pour objectif premier de stimuler cette transformation et d'amplifier la croissance de l'économie marchande.

Méfions-nous d'une approche strictement comptable de l'économie, selon laquelle l'assainissement financier serait le préalable à la baisse des impôts. L'économie, c'est une dynamique qui repose sur des hommes et se nourrit de leur motivation. La rigueur ne nous permettra pas, à elle seule, de faire redémarrer le moteur de l'économie.

Il faut d'abord diminuer les impôts, là où le retour sur investissement est le meilleur, pour augmenter la richesse et par conséquent, ensuite, avoir plus de recettes fiscales. L'objectif de la réforme, ce doit être de desserrer les freins fiscaux qui bloquent l'initiative, la croissance, la création d'emplois.

Il y a deux moyens de réduire la part de l'État dans l'économie. Ou serrer la ceinture du secteur public ou augmenter la taille du secteur marchand. Les libéraux privilégient la seconde.

Valeurs actuelles : Mais Alain Juppé le dit, il n'y a pas de réforme fiscale sans baisse des impôts…

A. Madelin : Trop d'impôt tue l'impôt. Il y a aujourd'hui une baisse des recettes fiscales, due pour partie à la déflation mais aussi à l'excès d'impôt. Il faut donc baisser le taux de l'impôt pour améliorer son rendement.

Un dirigeant sportif a récemment déclaré que l'embauche d'un joueur de football en Europe était aujourd'hui déterminée par son salaire net d'impôt et qu'en France – record absolu – il lui en coûtait 170 francs pour un salaire net de 35 francs.

Aujourd'hui, pour beaucoup de Français, la tentation est forte de fuir vers des activités économiques à l'étranger ou vers l'économie parallèle selon ses possibilités.

Valeurs actuelles : Aujourd'hui, Alain Juppé prend appui sur le rapport La Martinière. Qu'en retenez-vous ?

A. Madelin : Les propositions de M. de La Martinière sont très proches des projets que j'avais élaborés avec les services du ministère des Finances, avant mon départ du gouvernement. Je souhaitais dès 1996 une baisse pour tous du barème de l'impôt, de 20 à 25 %, avec un taux maximal de 45 %, en échange de la suppression d'un certain nombre d'exonérations fiscales. C'était à mon sens jouable dans l'élan de l'élection présidentielle. Nous aurions pu faire accepter cet effort collectif, chacun prenant sa part.

Aujourd'hui, ce sera plus difficile, parce que les groupes de pression se sont renforcés et que le gouvernement a multiplié les exonérations fiscales en tout genre. Il est difficile de changer de cap. Comment expliquer que l'on va taxer les allocations familiales quand on détaxe les plus-values d'OPCVM pour l'achat de landaus, de poussettes et de tondeuses à gazon ?

Je proposais l'an dernier de faire en une fois ce que l'on envisage actuellement de faire en cinq ans. Si, compte tenu des difficultés et du temps perdu, la réforme fiscale doit aujourd'hui être étalée sur plusieurs années, je proposerais volontiers, pour ceux qui verraient leurs revenus augmenter, une formule optionnelle à taux réduit  en échange d'une renonciation à toute une série d'avantages fiscaux. L'État n'y perdrait rien, au contraire, et il y aurait là une forte incitation à créer des richesses nouvelles.

Valeurs actuelles : Votre projet est-il suffisamment ambitieux ?

A. Madelin : Il faut se donner des priorités, dans une situation où les marges de manoeuvre sont étroites. C'est pour cela que je dis que la priorité est de recréer des marges de manoeuvre en stimulant la croissance et la création de richesse.

Valeurs actuelles : Il faut aussi réduire les dépenses publiques…

A. Madelin : Oui. Mais je ne crois guère à la technique de la « hache budgétaire ». On est parfois obligé de l'employer, mais ce n'est pas une politique durable. Pour baisser les dépenses publiques, il faut réformer en profondeur les structures et les interventions de l'État, procéder à ce « reengineering » du secteur public que j'appelais de mes voeux. Pour dépenser moins, il faut dépenser autrement.

Valeurs actuelles : On ne peut pas faire du gel des salaires une politique durable…

A. Madelin : Effectivement, car c'est périlleux. C'est une fausse bonne nouvelle pour les contribuables, car la masse salariale augmente mécaniquement, et c'est une nouvelle désespérante pour les fonctionnaires, qui ont eux aussi besoin d'être motivés.

Il y a d'importants gains de productivité à réaliser en réformant et en modernisant l'État. J'aimerais offrir aux fonctionnaires un intéressement à ces bénéfices.

Valeurs actuelles : Ce sont les contraintes de l'Union européenne qui ont jusqu'à présent retardé la réforme fiscale…

A. Madelin : Non, car, comme je l'ai déjà dit, la réforme fiscale est l'un des moyens de l'assainissement financier que nous impose l'Union européenne, comme d'ailleurs le simple bon sens.

Valeurs actuelles : Et que pensez-vous de la réforme de la taxe professionnelle et des cotisations sociales ?

A. Madelin : Sur la taxe professionnelle, le rapport La Martinière est prudent, comme je le suis moi-même. Je ne crois pas qu'il soit possible de réformer la taxe professionnelle sans une réforme globale de la fiscalité locale. Il faut reprendre la décentralisation, clarifier les responsabilités et les financements et établir un lien entre les recettes locales et les dépenses. En un mot, refonder ce système qui confie les impôts modernes à l'État, laissant les recettes archaïques aux collectivités locales.

Quant à la nouvelle cotisation maladie universelle, c'est une transmutation d'une cotisation sociale en un nouvel impôt. Cela ne change rien globalement à la pression fiscale : un kilo de plumes pèse autant qu'un kilo de plomb.

Il est vrai qu'en France, si un ménage sur deux seulement paie l'impôt, c'est parce qu'une part des dépenses de solidarité nationale est financée par les cotisations d'assurance, alors qu'elles devraient normalement relever de l'impôt, comme chez beaucoup de nos partenaires. Je suis donc depuis longtemps partisan d'une clarification des comptes visant à assurer le financement des allocations familiales par l'impôt de même qu'une soixantaine de milliards de francs de nos dépenses d'assurance maladie.

En revanche, je reste très opposé à un projet qui viserait à fiscaliser l'ensemble de nos cotisations sociales. Celles-ci, dans notre conception libérale, doivent rester des cotisations d'assurance, un salaire différé, propriété des salariés, reversé à un organisme d'assurance. Étatiser l'assurance maladie, transformer ces cotisations en impôts indirects, ce serait à contre-courant du monde, renforcer l'État-providence.