Interviews de M. François Huwart, secrétaire d'Etat au commerce extérieur, dans "La Tribune", "Le Monde" et à France 2, le 6 décembre 1999, sur les raisons de l'échec de la conférence de l'OMC à Seattle.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission la politique de la France dans le monde - France 2 - La Tribune - Le Monde - Télévision

Texte intégral

La Tribune -  6 décembre 1999

« La Tribune ». – Quelles leçons tirez-vous de l'échec de Seattle ?

François Huwart. – Mieux vaut pas d'accord pour lancer un cycle de négociations qu'un mauvais accord. C'est d'ailleurs ce que j'avais dit en arrivant ici. La majorité des membres de l'OMC, en refusant de poursuivre les travaux, fait la même analyse. Les pays en voie de développement, en particulier, veulent être membres à part entière de l'OMC. C'est cela qui s'est affirmé à Seattle. Je crois donc qu'aujourd'hui, l'OMC a gagné en légitimité, même si le cycle n'a pas été lancé.

« La Tribune ». – Charlène Barshelsky, la représentante américaine, a déclaré qu'il y avait trop de dossiers, trop de pays, pour pouvoir faire avancer les choses...

Je ne suis pas d'accord avec Charlène Barshefsky. L'OMC doit couvrir l'ensemble des pays. C'est sa légitimité et c'est une nécessité. Raisonner autrement reviendrait à s'exonérer d'une vraie réflexion sur le fonctionnement du système. Et c'est parce que certains pays ont bloqué sur différents sujets que les autres membres se sont sentis non concernés par le processus général de négociation. C'est donc bien l'approche européenne, qui privilégiait un champ de négociation large, qui aurait permis de répondre aux aspirations de tous.

« La Tribune ». – Vous semblez reprocher aux Américains leur manque de flexibilité...

Absolument. Que ce soit sur la question de l'environnement ou celle des normes sociales par rapport aux pays en développement. Des thèmes qui sont autant de préoccupations de la société civile. Et si l'Union européenne a été amenée à prendre des initiatives telles que celle qui a été proposée pour les pays les plus pauvres, c'est bien la preuve que nous cherchions à débloquer la situation. Par ailleurs, je ne crois pas que c'est le dossier agricole qui a fait capoter ces négociations.

« La Tribune ». – Pourra-t-on néanmoins s'entendre prochainement, notamment sur le terrain agricole ?

La cristallisation sur un certain nombre de dossiers comme l'agriculture n'a pas été une bonne chose. Le différend transatlantique mis en avant, non par les Européens, mais par certains autres pays, a pris une place excessive à Seattle. Du coup, beaucoup de sujets comme la concurrence ou l'investissement, qui sont importants en termes de croissance économique et de contrôle des multinationales dans les pays en développement, n'ont pas pu être discutés suffisamment. Si les discussions peuvent reprendre sur ces bases plus tard, ce sera tant mieux.

« La Tribune ». – Nous avons observé au cours de cette conférence que le fonctionnement de l'OMC laissait à désirer...

Beaucoup de pays sont arrivés ici en disant qu'il fallait changer le fonctionnement de l'OMC. Je pense que la réunion de Seattle en aura apporté la preuve. Il faut plus de transparence pour ne pas exclure la majorité des pays du coeur de la négociation.

« La Tribune ». – Comment faut-il traiter les organisations de la société civile ?

Tous les jours j'ai fait le point avec elles ici. Je pense que les gouvernements et les parlements, légitimés par des élections, ne seraient pas suffisamment forts s'ils n'étaient pas capables d'organiser, en amont, une concertation avec ces organisations. En France, c'est exactement ce que le gouvernement a fait. Et c'est sans doute pour cela que la position française a été aussi consensuelle.


Le Monde - 6 décembre 1999

1. Secrétaire d'Etat au commerce extérieur, vous avez assisté à la négociation pour la France de bout en bout. Pensez-vous que l'échec de la nuit de vendredi à samedi soit grave pour la mondialisation et l'OMC ?

Il avait fallu trois réunions ministérielles pour lancer l'Uruguay Round. Bien entendu, quand on a pour objectif le lancement d'un cycle et que l'on constate qu'il n'a pas démarré. C'est un objectif raté. Mais il faut essayer de voir plus loin. Ce qui paraît en cause, c'est l'OMC. Ce que nous venons de vivre est à la fois une confirmation et un espoir. Contrairement à ce que beaucoup ont pu croire. L'OMC est une organisation qui fonctionne de manière démocratique.

Les 135 pays membre développés ou en voie de développement, ont clairement manifesté qu'il fallait les prendre en compte et qu'il ne s'agissait pas seulement d'une affaire entre puissances ou entre techniciens. Ce n'est pas un véritable échec mais une occasion de faire autrement et mieux, notamment sur le plan de l'organisation, pour que tous puissent s'exprimer. Ce qui serait un échec serait qu'avec ce non-lancement on assiste à un retour du bilatéralisme ou de l'unilatéralisme.

2. L'agriculture, que les Américains avaient voulu placer au coeur de la négociation, est-elle à l'origine de cet échec ?

Clairement non. L'Union européenne considérait l'agriculture comme un sujet important, mais elle a refusé que l'on enferme la négociation sur le cycle du Millénaire dans un débat préalable sur l'agriculture. Il y avait l'agriculture, mais aussi d'autres sujets : l'environnement, les normes sociales fondamentales... La démarche de l'UE était globale, dans le cadre d'un cycle large. Ce qui s'est passé montre le bien-fondé de cette démarche. On peut aisément imaginer que le choix des Etats-Unis était dicté par des raisons électorales.

3. Quelles conséquences peut-on en tirer pour la France, et pour l'Europe ?

Il n'y aura pas d'impact négatif significatif pour la France. Nous n'avons jamais pensé que les Etats-Unis pourraient nous imposer leurs vues. Nous ne sommes donc pas dans une situation dans laquelle on aurait pu se dire que l'on avait échappé à quelque chose. Je trouve que cette irruption de la société civile a été une bonne chose. Nous souhaitons une « OMC citoyenne ». Ce que j'ai entendu de la part de cette société civile confirme la position du gouvernement français, qui a organisé une concertation en amont avec les ONG et le Parlement. Leur démarche pour une mondialisation plus humaine correspond à ce que demandait l'UE.


France 2 – lundi 6 décembre 1999

Q - F. Huwart est l'homme qui a suivi l'ensemble de la conférence de l'OMC à Seattle la semaine dernière pour le compte du gouvernement français. De retour de Seattle, comment remettez-vous de cette conférence qui était mouvementée ?

- « Je m'en remets bien. Elle a été mouvementée, mais je crois que même si le résultat aboutit au non-lancement du cycle, je ne crois pas que ce soit une catastrophe. Nous allons en reparler prochainement. Et finalement ce que je retire de cette affaire, c'est que nous avions dit que : « Mieux ne valait pas d'accord qu'un mauvais accord », et je crois que la position qui était celle de la France et des Européens a finalement été comprise par une majorité de membres de l'OMC. »

Q - Pourtant certains parlent d'un fiasco ce matin, parce qu'il n'y a pas eu justement cet accord. Vous, vous dites qu'il n'était pas forcément prévu parce qu'il y aura d'autres rencontres. Alors pourquoi avoir tant espéré de la part de certains ?

- « Je crois qu'il ne faut pas perdre de vue et se souvenir que pour le lancement de l'Uruguay Round, il a fallu trois réunions. Nous voulions un cycle court avec des objectifs ambitieux. Manifestement, la plupart des pays n'étaient pas prêts à cela, à Seattle. Je crois donc qu'il faut comprendre que, nous n'avons pas réussi à lancer le cycle, mais que nous avons à tirer les enseignements de cet échec et à repartir du bon pied. Je crois que ce sera l'occasion, sans doute pour l'Europe et pour un certain nombre de pays de prendre conscience que la libéralisation du commerce est un objectif, mais que la maîtrise et l'humanisation de cette libéralisation en est un autre. »

Q - Donc, il faut à la fois de la liberté dans les échanges commerciaux et aussi de la régulation pour qu'on ne fasse pas n'importe quoi ?

- « Je crois que c'est très clair : c'est le message que nous a passé la société civile. C'est une exigence des peuples. Vous savez, cette transition entre des pratiques exclusivement commerciales et l'introduction d'une régulation et d'une humanisation, c'est quelque chose de difficile à faire. On l'a bien vu là. »

Q - C'est un effet de l'économie mixte qui doit maintenant introduire du social, de l'environnement, de l'aide au développement et pas simplement du progrès économique financier et commercial ?

- « Absolument, vous avez tout à fait raison ! Je crois que c'est bien ça l'enjeu et je crois que l'OMC avait l'habitude de travailler sur des questions purement commerciales. L'introduction de ces nouveaux sujets – environnement, normes sociales, principe de précaution – c'est difficile à faire. Il faut un travail préalable qui n'avait pas été fait à Genève, dans les mois qui précédaient, d'où l'échec. Je pense que maintenant nous devons nous donner le temps pour réussir cela. C'est indispensable si nous voulons que la mondialisation ne soit pas perçue comme quelque chose de négatif. Et je voudrais dire, aujourd'hui, que ce n'est pas un échec pour l'OMC. Aujourd'hui, c'est la confirmation que l'OMC est une instance démocratique, que c'est la seule qui puisse réguler le commerce mondial. Les pays se sont exprimés, je crois que c'est un message d'espoir en même temps. Il faut la réformer, qu'elle fonctionne mieux. Mais nous pouvons repartir, si nous tirons les enseignements sur de meilleures bases. »

Q - Donc l'Organisation mondiale du commerce, qui comprend 135 pays, qui ont, chacun une voix, pour la faire vivre et la rendre efficace, qu'est-ce qu'il faut faire ? Il faut lui donner un gouvernement, un exécutif, que faut-il faire ?

- « Je ne crois pas qu'il faille lui donner un gouvernement et ou un exécutif, je crois qu'il faut d'abord des procédures plus transparentes. Il faut ensuite qu'on perde l'habitude de considérer que ces affaires-là sont un débat entre pays industriels et puissants, un débat transatlantique. Il faut prendre en compte l'avis des pays en voie de développement... »

Q - Ce que la France veut faire donc.

- « Ce que la France et l'Union européenne ont toujours souhaité faire. »

Q - Mais les Américains aussi, Clinton l'a dit dans son discours.

- « Oui j'ai écouté le discours du président Clinton à ce déjeuner où j'étais, j'ai trouvé que c'était un excellent discours. Mais entre le discours de B. Clinton et la pratique de C. Barshefsky qui était chargée de négocier j'ai vu quand même quelques différences, et par conséquent une sorte d'inflexibilité de la partie américaine qui est sans doute à l'origine de cette difficulté que nous avons connue. »

Q - Est-ce qu'un jour il y aura une organisation mondiale de l'économie ? Certains disent un exécutif ou un législatif mondial, un parlement mondial. C'est J. Attali qui en parlait dans un article de Libération la semaine dernière, est-ce que c'est envisageable une telle organisation ?

- « Je crois que c'est à une échéance lointaine. Contentons-nous, pour l'instant, d'avoir un certain nombre de règles, applicables à tous, qui permettent de maîtriser l'évolution du commerce mondial, de le réguler, et faisons en sorte que ces règles fonctionnent. Et faisons en sorte surtout – c'est ce que nous avons retenu, Français, de Seattle – que ce monde soit multipolaire. »

Q - Le patron de la banque américaine, M. Greespan, dans un journal français ce matin, parle de « nouvelle économe. » On est entré dans une nouvelle ère ?

- « Je crois qu'on entre sans s'en rendre compte dans une nouvelle ère, oui. Je crois que la mondialisation de l'économie exige maintenant des institutions internationales où les pays s'expriment. On ne peut pas continuer de juger et de discuter de ces choses-là seulement au niveau de chacun des pays, de la France ou même de l'Europe, je crois qu'il faut s'organiser en créant des entités régionales et discuter, mais au niveau mondial. »

Q - Concrètement, votre prochaine action dans ce dossier du commerce mondial, F. Huwart, ce sera lequel ? Prendre votre bâton de pèlerin ?

- « Je crois qu'il faut discuter avec les pays en voie de développement de façon à ce dialogue s'instaure et que nous ne connaissions pas les mêmes difficultés que nous avons connues là. Nous devons promouvoir un certain nombre de thèmes, qui corresponde d'ailleurs à ce que souhaitait l'Europe – l'environnement, les normes sociales fondamentales, le principe de précaution -, toutes choses qui sont effectivement au départ mal reçues par ces pays-là, mal comprises. Si nous voulons que la prochaine réunion ne soit pas à nouveau un échec, nous avons un travail préparatoire important à faire. »

Q - A TotalFina, vous dites à M. Desmarest : « Donnez un coup de main, aidez à réparer ces dégâts ! » ?

- « Non seulement donner un coup de main parce que c'est la moindre des choses, mais dès que l'on aura les premiers résultats de l'enquête, début janvier, il faut que les pétroliers prennent en compte ces résultats pour modifier les procédures actuelles. Mais sans attendre, je suis pour que nous fixions une véritable charte de sécurité maritime pour ne finir avec cette insécurité sur la mer. »

Q - Est-ce que P. de Villiers et les Verts ont raison de boycotter Total ?

- « Ce sont tous les pétroliers qui sont concernés ! Je le répète, c'est le système qui est en cause. Ce sont toutes les compagnies pétrolières qui pratiquent la recherche des pavillons de complaisance et le système du transport à bas prix. On veut faire de l'argent et des profits au détriment des hommes et de l'environnement. »

Q - Ce sont les fêtes de fin d'année : réveillon, passage à l'an 2000 qui va mettre beaucoup de monde dans les rues avec un accroissement de la circulation et des risques d'accidents, avec des risques liés à l'alcool. Est-ce que vous dites : « Attention, prenez garde ! » ?

- « Rappelez-vous l'an dernier : 132 morts à l'occasion des fêtes de la Saint-Sylvestre. C'est absolument un appel à la vigilance et à la prudence. Nous avons pris des dispositions exceptionnelles. Bien sûr, il faut faire la fête ! On va faire la fête. Mais, ne prenez pas la voiture ! Les transports publics ont mis des moyens exceptionnels en oeuvre. Pour la région parisienne ce sera gratuit depuis la veille du jour de l'An jusqu'au 1er janvier midi. Tous les transports collectifs seront gratuits. »

Q - Oui, mais sur les routes de Montauban ou de Bourg-en-Bresse ce ne sera pas pareil !

- « Eh bien, la SNCF a mis en place un système du 31 décembre au 1er janvier 12 h 00 où avec 100 francs vous pourrez aller d'un côté de la France à l'autre et revenir. Laissez-vous transporter, ne prenez pas le volant. Faites la fête, mais ne vous tuez pas et ne tuez pas les autres après la fête ! »