Interviews de M. François Hollande, porte-parole et secrétaire national du PS, dans "Valeurs actuelles" du 1er juin et à RMC le 14 juin 1996, sur l'action du gouvernement en Corse, la gestion de l'affaire de la "maladie de la vache folle", le financement de la Sécurité sociale et la baisse des impôts.

Prononcé le 1er juin 1996

Intervenant(s) : 

Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC - Valeurs actuelles

Texte intégral

Valeurs Actuelles : 1er juin 1996

Valeurs Actuelles : Que vous inspire la gestion du dossier corse ?

François Hollande : Je relève une contradiction flagrante entre les appels réitérés à la fermeté lancés par Alain Juppé et les discussions secrètes organisées ces dernières semaines avec la Cuncolta.

Ce double langage est irresponsable. Tout comme la polémique engagée par le garde des Sceaux, Jacques Toubon, concernant nos prétendues largesses à l'égard des nationalistes corses !

Valeurs Actuelles : Bien des ministres de l'Intérieur à poigne, comme Defferre, Joxe ou Pasqua, ont échoué en Corse. Quelles conclusions en tirez-vous ?

François Hollande : Ne soyons pas trop sévères avec eux ! Le statut Joxe, notamment, s'est appliqué. Certes, il n'est pas parfait. Mais il a conféré des pouvoirs à une assemblée locale délibérante. Ce qui a donné satisfaction à un grand nombre d'élus qui se recrutent aussi bien dans la majorité que dans l'opposition et même chez les autonomistes.

Valeurs Actuelles : Mais sur l'île, l'ordre républicain ne règne plus depuis longtemps…

François Hollande : C'est vrai. Sur ce point, l'échec est patent. Toute la difficulté aujourd'hui est de trouver une solution politique qui ne laisse pas en jachère le dossier de la sécurité.

Valeurs Actuelles : Quelles mesures préconisez-vous ?

François Hollande : D'abord, réunir tous les acteurs autour d'une table.

Valeurs Actuelles : Y compris les indépendantistes purs et durs ?

François Hollande : Bien entendu. Assez de rencontres secrètes ! Il faut discuter au grand jour. L'État doit être prêt à négocier sur tout. Sauf sur les affaires judiciaires. Car les délits et crimes de droit commun ne doivent pas être absous sous prétexte qu'ils auraient été commis par des nationalistes. Enfin, si cela ressort de la discussion, la population pourrait être consultée, peut-être à travers l'assemblée régionale ou l'assemblée nouvelle si un nouveau statut était adopté.

Valeurs Actuelles : La position du PS sur le vote des immigrés est-elle aussi arrêtée que vos idées sur la Corse ?

François Hollande : La discussion n'est pas close. Mais Lionel Jospin a donné son point de vue : dans le cadre des législatives et d'une cohabitation en 1998, ce projet se heurte à des contraintes constitutionnelles, mais le droit de vote des immigrés reste la perspective pour la présidentielle de 2002. La démarche de notre premier secrétaire est donc réaliste.

Valeurs Actuelles : On lui reproche néanmoins un manque de combativité…

François Hollande : Que je sache, aucune élection générale n'est prévue cette année. Nous devons donc maintenir notre double posture : critique par rapport à l'action du gouvernement et du président de la République, et réflexion. Celle-ci connaîtra son terme au début de l'année 1997, lorsque se tiendra notre congrès qui adoptera notre programme législatif. Pas de précipitation !


RMC : vendredi 14 juin 1996

RMC : Dans l'affaire de la « vache folle », les Français ont l'inquiétude de savoir si, dans cette affaire, la santé publique a bien été la première préoccupation des dirigeants, notamment après les accusations qui ont été portées par M. Vasseur l'autre jour. Est-ce qu'à votre connaissance, le gouvernement Rocard a fait ce qu'il fallait ou est-ce qu'il n'a pas un peu oublié la santé des Français, dans cette affaire ?

F. Hollande : Non, pas du tout. Depuis 1986 qu'existe cette maladie, en tout cas animale, tous les gouvernements qui se sont succédé ont fait ce qu'ils avaient à faire pour lutter contre les importations ou de farine ou de produits qui pouvaient être entachés… Dès 1988, puis en 1989, puis encore en 1990, on a cessé les importations de farine qui pouvaient avoir un quelconque danger pour la santé animale. Nous n'étions, à ce moment-là, que sur une maladie animale. Ce n'est que ces dernières semaines que nous avons pu penser qu'il y avait un risque de transmission de la maladie de l'animal à l'homme. Jusqu'à présent, c'était une maladie qui ne se transférait que dans la sphère animale. Donc, toutes les précautions étaient prises. Je ferais observer d'ailleurs à M. Vasseur que les importations de farine sur ces produits dangereux ont continué jusqu'à récemment, pour satisfaire la nourriture des poulets et des porcs.

Donc, il faut faire attention de ne pas, comme le dit M. Juppé un peu tard, affoler les populations maintenant. Car si on doit nous reprocher quelque chose de 1989, que doit-on reprocher à tous les gouvernements qui se sont succédé par rapport à ces importations-là, qui étaient jusque-là considérées comme non dangereuses ? Alors pourquoi nous, socialistes, avons-nous parlé ces dernières semaines par rapport à ce sujet ? C'est tout simplement que, compte tenu des informations dont on dispose au plan scientifique ces dernières semaines, c'est-à-dire le risque de transmission de la maladie à l'homme, il faut prendre encore plus de précautions et qu'il nous semblait, et pas simplement à nous, aussi aux consommateurs, aussi aux éleveurs, que la levée partielle de l'embargo que la France avait acceptée – notamment au début du mois de juin dans le cadre de l'Europe – la levée partielle de l'embargo sur les produits comme la gélatine, ce qu'on appelle les dérivés des bovins britanniques, présentait des risques et donc n'était pas opportune. Et grâce à notre intervention, grâce aussi à la position des Allemands, cette levée partielle de l'embargo n'a pas eu lieu. Donc, je trouve que l'opposition a fait ce qu'elle devait par rapport au dossier de la santé publique et que le souci de polémique de la part du Gouvernement est apparu complètement dépassé.

RMC : Les socialistes acceptent-ils l'espèce d'appel au calme lancé par M. Juppé hier, en disant qu'il ne fallait pas que ce sujet-là soit l'objet de polémiques politiques ?

F. Hollande : Il est bien temps, de la part de M. Juppé, mais mieux vaut tard que jamais. Nous, nous n'avons comme souci que la seule santé publique. Si M. Juppé veut cesser de faire confusion et ne se préoccuper, là encore, que des règles de santé publique, les vaches s'en trouveront mieux gardées.

RMC : Le PS dépose une motion de censure contre la politique économique et sociale du Gouvernement en début de semaine prochaine à l'Assemblée nationale. On ne comprend pas très bien pourquoi déposer une motion de censure alors qu'elle n'a strictement aucune chance d'aboutir ?

F. Hollande : C'est vrai, elle n'a aucune chance d'aboutir.

RMC : Les actes gratuits, c'est bien mais…

F. Hollande : Oui, mais il y a des actes gratuits qui sont nécessaires. Il y a un moment où il faut exprimer, dans l'enceinte qui est faite pour cela, qui est l'enceinte parlementaire, nos positions. Vous avez entendu le PS beaucoup s'exprimer ces jours derniers, certains l'ont relevé avec faveur, d'autres avec défaveur, mais en tout cas, ça a été une ligne de conduite et il était normal de lui trouver un prolongement dans le cadre parlementaire. Et nous parlerons de quoi, au cours de cette motion de censure ? Nous parlerons à la fois de la politique économique et sociale…

RMC : De ce dont vous parlez tous les jours ?

F. Hollande : Oui, il y a beaucoup à dire mais par exemple, encore aujourd'hui, il y a le Sommet pour les jeunes, il y a les retraits des livrets de Caisse d'épargne, il y a la hausse des tarifs publics, notamment en matière de transport et de transport urbain, bref, il y a tellement de sujets qu'il convient d'aborder et sur lesquels les Français méritent d'être informés que le Parlement doit être saisi lorsque, régulièrement, il peut l'être, c'est-à-dire à peu près tous les six mois sur une motion de censure.

RMC : Le chômage est le sujet n° 1 des Français et le chômage des jeunes est encore plus prioritaire que le chômage tout court. M. Juppé a déjà tenu une réunion à laquelle tout le monde était là. Est-ce que ce qu'on sait de ce qui en est sorti vous paraît aller dans la bonne direction ?

F. Hollande : D'abord, il n'y a rien de concret et je pense qu'il n'est pas normal de réunir tant de personnalités, tant de responsables syndicaux et même laisser beaucoup d'espoir chez les jeunes et ne rien sortir comme mesures concrètes, précises permettant de trouver, là où on peut, des solutions.

RMC : Vous savez mieux que personne qu'on ne peut pas trouver du travail aux jeunes en une réunion à Matignon ?

F. Hollande : Personne ne demandait cela, ni les jeunes qui ont été invités et tant mieux pour eux, à déjeuner ; ils ne pensaient pas trouver, en plus du dessert, un emploi dans leur rond de serviette. Il n'y avait pas d'illusion à avoir. Mais je pense qu'on attendait des mesures en termes d'insertion, des mesures en termes de contrats qui permettaient aux jeunes de trouver plus rapidement un travail. Ce n'est pas le cas. La deuxième observation que je veux faire là-dessus, c'est qu'on ne peut pas multiplier les dispositifs. C'est-à-dire qu'on ne peut pas faire des dispositifs pour les jeunes, pour les moins jeunes, pour les plus vieux, pour les chômeurs dont on ne sait pas très bien quelle est la durée qui doit être retenue pour les aider. Bref, ce qu'il faut, c'est une politique globale, une politique économique et éviter que la politique de l'emploi, comme c'est le cas aujourd'hui, soit totalement illisible.

RMC : Et le patronat dans cette affaire ?

F. Hollande : Le patronat a trouvé un bon moyen, une nouvelle fois, de s'exonérer de toute responsabilité et en plus de bénéficier de nouvelles exonérations de charges. Avouez que le patronat n'en demandait pas tant.

RMC : La Sécurité sociale et le déficit prévu cette année de près de 50 milliards de francs : M. Juppé lui-même, pour la première fois, a redit hier qu'il n'y aurait ni prélèvement supplémentaire ni déremboursement supplémentaire. Est-ce que l'équation est possible ?

F. Hollande : Non, l'équation n'est pas possible. C'est-à-dire qu'on ne peut pas, à la fois, laisser penser qu'il y aura un déficit supérieur à ce qui était prévu, c'est-à-dire près de 50 milliards au lieu des 17, laisser également penser, et toutes les estimations et les prévisions vont dans ce sens, qu'il y aura un nouveau déficit en 1997, on parle de 30 à 40 milliards et ne pas imaginer des mesures de redressement. Et donc, ce que le Gouvernement ne nous dit pas, je vais vous le dire : on va allonger la période de remboursement de la dette sociale, c'était conçu sur 13 ans, cela va être sur 15, sur 16 et dans une certaine mesure, on aura inventé l'impôt perpétuel. On ne dit pas qu'on va augmenter une cotisation, il vaudrait mieux que le Gouvernement ait la franchise de nous dire : on va allonger la durée du paiement du RDS.

RMC : C'est M. Juppé qui vous l'a dit ?

F. Hollande : Non, mais en tout cas, je le dis à M. Juppé pour qu'il nous le dise enfin.

RMC : M. Juppé a promis une chose, c'est que les impôts allaient commencer à baisser dès l'an prochain et pendant cinq ans. Est-ce que, si vous étiez au pouvoir, vous baisseriez aussi les impôts ?

F. Hollande : La réponse est oui et nous le ferions avant toute chose. Nous le ferions même avant d'obtenir les économies budgétaires. Parce que, ce qui manque aujourd'hui, c'est de l'activité, c'est de la croissance, c'est donc de l'emploi. Et s'il n'y a pas de résultat sur les déficits, c'est précisément parce qu'il nous manque les rentrées fiscales faute de croissance. Et l'impôt que nous baisserions est le seul, à notre sens, qui pourrait avoir quelque effet sur l'activité économique, c'est la TVA, parce que c'est sur la consommation que les prélèvements sont les plus importants, et il convient de les baisser pour, justement, relancer l'activité.

RMC : Le groupe Action pour le renouveau socialiste, qui regroupe un peu les rocardiens de votre parti, demande au PS d'avoir un cadre défini et vous demande la cohérence. Ils n'ont pas avalé le coup du rétablissement de l'autorisation administrative de licenciement ?

F. Hollande : Oui, mais c'était une position qui se dégageait du PS, en tout cas de ceux qui étaient chargés de préparer un texte qui va être soumis à nos adhérents ces jours-ci, sur la démocratie. Il nous semblait qu'il fallait donner un coup d'arrêt à cette facilité que se donnent beaucoup de chefs d'entreprise, qui est de recourir au licenciement avant même d'étudier d'autres solutions – et il y en a d'autres – et donc certains ont trouvé que la mesure ressemblait étrangement à ce que nous avions pu nous-mêmes faire lorsque nous étions aux responsabilités, ce que la droite avait défait. Mais je crois que, quelle que soit la modalité – celle-là me paraît bonne –, il fallait donner un signal à la fois aux chefs d'entreprise en disant : attention, ça ne peut plus durer, et aux salariés pour leur dire : oui, les socialistes sont préoccupés de la situation de l'emploi, ils ne pensent pas que cette mesure va, en elle-même, changer la donne en matière économique, mais en même temps, elle a le mérite de pousser à la négociation et au compromis. Dans le PS, ce qui est d'ailleurs son charme, il y en a toujours qui ont une position de sensibilité, une position différente : eh bien, à chacun d'être plus convaincant que d'autres.