Texte intégral
Introduction
L’université d'été d'Hourtin est, en écho aux multiples annonces et initiatives qui ont ponctué les premiers mois de l'année 96, l'occasion de prendre le pouls d'un marché de l'audiovisuel dont le cœur bat désormais au rythme des progrès du numérique.
La révolution du numérique, enjeu économique et culturel majeur pour notre pays, est riche d'opportunités nouvelles pour les acteurs de l'audiovisuel français.
1996 aura aussi été une année déterminante pour l'avenir du secteur des télécoms : l'adoption de la LRT et de la loi prévoyant le changement de statut de France Télécom sont autant d'avancées essentielles pour préparer notre pays à l'avènement de la société de l'information et pour donner à France Télécom les moyens d'en être un des grands acteurs. Une année qui a été aussi celle du développement foudroyant de l'Internet dans notre pays, celle du déploiement de multiples expérimentations de technologies innovantes ...
Nous ne pouvons plus en douter : « l'invention de la Cité numérique » est déjà largement engagée, et il s'agit d'un des grands chantiers de cette fin de XXe siècle.
Si le progrès des télécommunications est un élément moteur de la construction de la « société de l'information », il appartient aussi aux nouvelles technologies de l'audiovisuel de la faire entre : dans les foyers de nos concitoyens. Ce sont les perspectives de développement de ces technologies – en particulier dans les trois grands secteurs que sont la TV numérique par satellite, le câble et la TV numérique hertzienne – que je souhaite évoquer devant vous aujourd'hui.
Face au défi qui nous est lancé, ma conviction est que la France dispose de tous les atouts nécessaires pour devenir un des fers de lance de cette révolution du numérique, qu'il s'agisse de sa maîtrise des technologies en présence ou de sa capacité à développer des contenus attractifs et de qualité.
1. Satellite et numérique : un foisonnement d'initiatives
a) 96 : l'année du lancement du numérique
Nous assistons désormais à une véritable effervescence, à l'échelle mondiale, dans un domaine dont les acteurs du marché audiovisuel français ont perçu toutes les promesses et qu'ils ont su aborder avec dynamisme et efficacité.
En témoigne notamment le succès de Thomson Multimédia, qui a su, rappelons-le, jouer un rôle important dans le lancement du numérique aux États-Unis, dès 1994, en remportant un contrat d'exclusivité pour la fourniture des terminaux d'accès au système Direct TV.
Ce n'est pas d'ailleurs pas seulement outre Atlantique que les initiatives foisonnent : nous savons tous que l'audiovisuel français s'apprête activement à vivre lui aussi à l'heure du numérique. Car la télévision numérique par satellite n'est plus dans notre pays, en 1996, seulement une affaire de visionnaires et de pionniers : elle était une réalité technique, elle devient désormais une réalité commerciale avec, et je m'en réjouis, la présence prochaine de trois bouquets satellitaires numériques dans notre ciel.
b) Les trois initiatives françaises
Le lancement du bouquet de services numériques par satellite de Canal + le 27 avril dernier et le succès qu'il connaît déjà sont une démonstration concrète de cette évolution.
Il sera prochainement suivi par un second bouquet d'une trentaine de chaînes que prépare activement AB productions, en partenariat avec France Télécom.
Enfin , il convient également de saluer la mobilisation des autres grands acteurs français du secteur– TF1, la Lyonnaise des Eaux, M6, la CLT, France Télévision et France Télécom – qui ont choisi de se lancer ensemble dans l'aventure du numérique en créant la société TPS qui a fait le choix de lancer ce bouquet sur Eutelsat, en retenant le système d'accès conditionnel Viaccess, développé par France Télécom.
En décidant de s'engager dans la voie du développement et de la diversification hors du domaine des télécoms, France Télécom, forte de son excellence technologique et de son savoir-faire commercial, opère un choix stratégique essentiel pour son avenir. Le MPTE ne peut qu'apporter son soutien à une initiative qui répond à son souci de donner à l'opérateur les moyens de ses ambitions ; souci qui nous a conduit à le doter d'un statut d'entreprise commerciale avec l'impératif de lui permettre d'aborder tous les marchés prometteurs avec la capacité d'innovation et le dynamisme nécessaires, et avec les mêmes armes que ses concurrents mondiaux ... qui, rappelons-le, n'ont pas hésité à investir ce secteur partout où il se développe.
c) L'unification des décodeurs pour le numérique : une nécessité pour répondre à l'attente des consommateurs
Le foisonnement d'initiatives que je viens d'évoquer démontre qu'un marché de la télévision numérique est en train de se dessiner en France. Sur ce marché émergent dont les enjeux économiques ne peuvent que stimuler une vive compétition, il est inévitable que se livre une bataille pour séduire les consommateurs.
Bataille d'autant plus rude que les investissements à consentir pour élaborer et diffuser des bouquets numériques restent très importants, que le- coût des terminaux reste élevé et que les ressources publicitaires devraient rester modiques dans un premier temps. Il est, dans ces conditions, tout à fait normal que ceux qui ont investi dans la mise en place d'un parc cherchent à se rémunérer sur ces investissements, par exemple en faisant payer un « droit d'entrée » pour l'accès aux terminaux loués.
La coexistence de systèmes concurrents, si elle est le gage d'une saine émulation, présente néanmoins un risque que les acteurs du secteur connaissent et doivent chercher à éviter : il ne faudrait pas en effet que les consommateurs finaux se trouvent enfermés dans un système et n'aient accès qu'à un nombre réduit de programmes, qu'ils aient à accumuler les boîtiers sur leurs téléviseurs, ou encore qu'ils soient contraints de changer leurs équipements pour recevoir de nouveaux programmes.
Chacun sait que l'incompatibilité des différents décodeurs, notamment, risque de désorienter et de décourager durablement le consommateur. Une concurrence qui prendrait la forme d'une « bataille des standards » au lieu de porter sur les contenus n'aurait pour conséquence que de détourner du numérique des téléspectateurs peu enclins à accepter une surenchère technologique s'ils l'estimaient stérile. Une telle situation se révélerait dommageable pour tous les acteurs du secteur.
Face à ce risque, la volonté des pouvoirs publics, qui ont par ailleurs entrepris de favoriser les investissements et les innovations dans la télévision numérique, est claire : leur souci est d'encourager une unification, ou tout au moins une compatibilité, des décodeurs qui permettra, dès lors que les standards techniques resteront transparents pour l'utilisateur, de faire en sorte que la télévision numérique soit à la fois une réalité technique et un succès commercial. C'est d'ailleurs ce que nos voisins allemands ont compris en cherchant à mettre à fin à la guerre des décodeurs qui s'annonçait chez eux.
L'une de nos ambitions doit en effet être que les contenus puissent toucher potentiellement le maximum de consommateurs. Et c'est pour cela que les pouvoirs publics veilleront :
– à ce que l'accès aux parcs s'effectue dans des conditions équitables et non discriminatoires,
– et à ce que la reprise des programmes sur les réseaux câblés soit aisée et puisse s'effectuer dans des conditions économiques raisonnables.
2. Le Câble : un support adapté à la révolution du numérique
a) Un support adapté aux nouvelles applications multimédias
Loin d'annoncer le déclin du câble, la numérisation va d'ailleurs lui donner un nouveau souffle. Par les hauts débits et l'interactivité qu'il autorise, il s'agit en effet d'un support particulièrement bien adapté aux nouvelles applications multimédias.
La liste des services accessibles sur les réseaux câblés ne cesse ainsi de s'allonger, démontrant que ce support conserve aujourd'hui toute son actualité : au-delà de chaînes toujours plus nombreuses, le câble va donner accès à des services multimédias particulièrement attractifs et permettre la consultation d'Internet dans des conditions de confort sans comparaison. Ces possibilités sont d'ores et déjà exploitées dans le cadre d'expérimentations soutenues par les pouvoirs publics, comme celles de Multicâble dans le 7ème arrondissement de Paris, de Riviera à Nice et de Connexion 92 dans les Hauts-de-Seine.
b) La LRT a par ailleurs créé les conditions d'une rentabilisation accrue du câble et des opportunités nouvelles de développement économique
Enfin, la LRT a créé les conditions d'une rentabilisation accrue du câble et des opportunités nouvelles de développement économique, en permettant une exploitation du service téléphonique vocal sur ce support – exploitation qui sera bientôt une réalité, à titre expérimental, grâce à la loi sur les expérimentations adoptée en avril dernier.
3. La TV hertzienne numérique : des incertitudes qui exigent que la réflexion soit poursuivie
L'avenir de l'hertzien numérique terrestre suscite, face aux bouleversements que connaissent le marché et les technologies de l'audiovisuel, bien des interrogations. J'ai souhaité que les pouvoirs publics disposent rapidement d'éléments d'appréciation plus précis sur ses perspectives de développement.
C'est dans cette optique que j'ai confié au début de l'année une mission à M. Philippe Lévrier, ancien Directeur Général de TDF, avec pour objectif d'éclairer les pouvoirs publics sur les enjeux techniques, économiques et juridiques de la diffusion numérique terrestre. Ce sont les principales conclusions de ce rapport que je voudrais évoquer devant vous aujourd'hui.
a) Il y a un intérêt stratégique réel à s'intéresser à la TV hertzienne numérique
Le rapport confirme tout d'abord qu'il y a un intérêt stratégique réel à s'intéresser au développement de la télévision hertzienne numérique. En effet, l'hertzien est de loin le support de diffusion le plus répandu en France : la vitesse et l'ampleur de la pénétration de la télévision numérique dans les foyers français dépendent donc pour une large part de la généralisation de ce nouveau mode de diffusion.
D'autre part, la numérisation de l'hertzien – technologie qui permet notamment, on le sait, de diffuser plusieurs programmes sur un même canal – peut entraîner à terme des gains de fréquence non négligeables. Or, la possibilité de disposer d'une plage de fréquences plus large est précieuse à l'heure où émergent simultanément des technologies de télécommunications, en particulier mobiles, toujours plus consommatrices de spectre ...
Si le rapport insiste sur ces opportunités, il ne manque pas cependant de rappeler les obstacles à un déploiement rapide de l'hertzien numérique terrestre dans notre pays.
b) Mais il apparaît que les solutions technologiques et les acteurs économiques ne sont pas prêts
Le premier obstacle est d'ordre technique : la faisabilité du scénario de conversion des normes avec passage au tout numérique n'est pas démontrée. D'une part, les performances des spécifications techniques retenues par la norme européenne DVB récemment adoptée méritent d'être validées, d'autre part, les possibilités françaises en termes de planification des fréquences doivent être étudiées.
En outre, il apparaît que, face à ces incertitudes technologiques, les acteurs français n'ont pas à ce jour décidé d'engager les investissements nécessaires et ne sont pas prêts pour l'instant à arrêter des stratégies claires dans le domaine de l'hertzien numérique terrestre.
c) Il est dès lors prématuré que les pouvoirs publics prennent une décision sur ce sujet et la réflexion doit être poursuivie
Dans ces conditions, il est prématuré pour les pouvoirs publics de prendre position sur cette question. Il est en revanche indispensable d'engager dès aujourd'hui les travaux nécessaires pour que des choix adéquats soient effectués le jour où les techniques et le marché seront prêts.
C'est pourquoi j'ai demandé à M. Lévrier de bien vouloir mettre en place un programme de travail, dont la présidence lui sera confiée et qui rassemblera l'ensemble des partenaires concernés : pouvoirs publics, CSA, Agence des fréquences dès qu'elle sera créée, opérateurs, diffuseurs, industriels. Ce groupe aura pour mission de poursuivre les études dans trois directions :
– sa première tâche sera de vérifier la faisabilité de la numérisation des réseaux : un gros travail de qualification de la norme et de planification prévisionnelle des fréquences doit être accompli sous l'égide la future Agence des Fréquences ;
– il s'agira ensuite de définir en liaison avec les industriels et les diffuseurs les caractéristiques techniques et commerciales des futurs récepteurs et des nouveaux services qui pourraient être introduits ;
– enfin, il conviendra de déterminer les adaptations juridiques nécessaires à la numérisation de l'hertzien et de nature à favoriser la transition.
Les conclusions des travaux de ces différents groupes devront être remises aux pouvoirs publics sous 18 mois, afin que ceux-ci puissent prendre les décisions qui s'imposent.
4. Les expérimentations d'autres technologies (MMDS, DAB)
Le choix de poursuivre la réflexion sur l'hertzien numérique terrestre ne signifie pas que les pouvoirs publics ont renoncé à explorer l'ensemble des autres possibilités offertes par le numérique, ni à tester dès aujourd'hui les technologies de demain. Bien au contraire, libérer les initiatives et favoriser l'innovation, dans le domaine de l'audiovisuel comme dans celui des télécommunications, reste l'ambition première du MPTE.
Les expérimentations déployées partout dans notre pays dans le sillage de l'appel à propositions sur les autoroutes de l'information – expérimentations qui bénéficient pour nombre d'entre elles d'un soutien financier du MPTE – sont ainsi l'occasion de tester en grandeur réelle un certain nombre de technologies audiovisuelles innovantes.
J'ai en particulier veillé à ce que la « loi sur les expérimentations », adoptée le 10 avril dernier, rende possible l'expérimentation du MMDS. Ainsi, le CSA peut désormais, à titre dérogatoire, autoriser sans recourir à un appel à candidatures, le déploiement d'un système de diffusion MMDS pour un site géographique limité et en dehors des zones desservies par un réseau de distribution par câble. Cette disposition répond à la vocation naturelle du MMDS qui réside dans sa complémentarité avec les autres supports, et en particulier avec le câble. Des licences expérimentales vont ainsi être attribuées à quelques expérimentations MMDS en numérique, telles que le projet de TDF dans la Vienne, conçu en liaison avec la plateforme du Futuroscope.
Par ailleurs, j'ai tenu à ce que les conditions d'un développement rapide de la radiodiffusion numérique soient réunies, en veillant à ce qu'un soutien financier soit apporté au développement du DAB dans le cadre des expérimentations en cours et à ce que la loi sur les expérimentations permette d'autoriser l'exploitation de services audionumériques. Je me réjouis en outre du récent appel à candidatures lancé par le CSA qui a déjà suscité plusieurs réponses intéressantes d'acteurs du secteur. Le Mondial de l'Automobile sera d'ailleurs l'occasion de découvrir, en octobre prochain, l'intérêt des technologies développées par le Club DAB.
Conclusion
La mobilisation des acteurs de l'audiovisuel français et le foisonnement d'initiatives auxquels nous assistons aujourd'hui le confirment : notre pays a l'ambition et les moyens de jouer un rôle de premier plan dans la révolution du numérique, d'assurer la place qu'elles méritent à sa créativité et sa culture sur « l'autoroute des images » de demain.