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Le Monde : Vous avez pris l’initiative de relancer l’idée d’une université européenne par un « club des quatre » grands pays de l’union. Pourquoi avoir, d’emblée, écarté les autres ?
Claude Allègre : Ce sont, sans conteste, les grands pays producteurs scientifiques en Europe. Les ministres concernés avaient entamé un dialogue qu’ils ont décidé de poursuivre ensemble. À des degrés divers, ces pays sont engagés dans un processus de réforme de leur enseignement supérieur. Pour ne pas entrer dans une discussion formaliste, nous avons préféré cette initiative à « géométrie variable ».
En fait, nous ne souhaitons pas passer par les mécanismes bruxellois extraordinairement bureaucratiques et lents. Cela dit, le Portugal et la Suède souhaitent se joindre à ce « club » – et ils sont les bienvenus. D’autres viendront. Après la Sorbonne, des rencontres suivront, chaque année, à Bologne, Oxford ou Heidelgerg. Nous démarrons à quatre. Nous serons vite dix ou quinze.
Le Monde : Pouvez-vous ignorer les initiatives européennes existantes. Le conseil des ministres de l’éducation n’est-il pas le lieu approprié ?
Claude Allègre : Ce que je veux, c’est construire l’Europe de la culture, de la recherche, de la jeunesse. Depuis quinze ans, toutes les tentatives d’harmonisation n’ont guère progressé car elles ont été menées d’une manière trop rigide. Elles se sont heurtées à l’autonomie des universités et aux traditions de chaque pays. Il faut aborder les problèmes autrement.
En France, nous sommes confrontés à une double difficulté. Le système des diplômes est illisible, avec douze ou treize appellations différentes. Il faut le simplifier. De plus, la dualité universités-grandes écoles n’est pas compréhensible en Europe. Si l’on n’y prend garde, ces dernières risquent d’être laminées dans les échanges. Ce ne sera peut-être pas le cas de Polytechnique mais des autres, dont les diplômés ne bénéficient d’aucune reconnaissance universitaire. Ma philosophie n’est pas de les laisser à l’écart. Cela affaiblirait notre système d’enseignement supérieur.
Le Monde : Cette initiative ne serait donc qu’un prétexte pour régler une question française ?
Claude Allègre : En partie, oui, mais dans une perspective européenne. L’objectif n’est pas d’unifier les systèmes, mais de proposer une trame commune et simplifiée de lecture des parcours de formation et des diplômes. Il faut que les universités sachent à quoi s’en tenir lorsqu’elles accueillent un étudiant d’un autre pays. Prenons l’exemple des États-Unis : les universités sont autonomes, mais tout le monde sait ce que signifient les trois niveaux de diplômes : l’undergraduate, le master et le Phd.
Le Monde : Ce serait dont plutôt une sorte de « norme » européenne admise dans les différents pays ?
Claude Allègre : Une norme européenne que l’on pourra rendre facilement compatible avec le système américain. La déclaration commune adoptée à l’issue de la rencontre de la Sorbonne devrait traduire cette volonté.
Le Monde : Dans son rapport, Jacques Attali préconise une réorganisation des cycles d’études. Cette proposition est-elle conforme aux réflexions des autres pays ?
Claude Allègre : La vraie division, en réalité, porte sur le niveau du premier grade, autour de la licence, puis le master dans le cycle post-licence des études courtes, ou le doctorat pour les études longues. En France, nous nous sommes fixés sur la licence, trois ans après le baccalauréat. Elle correspond au futur Bachelor allemand et à la dernière année de l’undergraduate en Grande-Bretagne.
Cet effort d’harmonisation ne sera pas facile à mettre en œuvre. On ne supprimera aucun diplôme, ni le DEUG ni le DUT. En revanche, il faudra réorganiser la nébuleuse des formations autour du « master » [bac + 5] pour inclure de la recherche, du travail personnel, des stages en entreprise.
Après le colloque de la Sorbonne, j’ai l’intention de provoquer rapidement des discussions avec les présidents d’université, les responsables des grandes écoles, les conférences disciplinaires, avant toute décision législative ou réglementaire.
Le Monde : Comptez-vous reprendre les recommandations de M. Attali sur le rapprochement entre les universités et les grandes écoles ?
Claude Allègre : L’université a le monopole des grades et de la délivrance des diplômes. Elle ne lâchera pas sans contrepartie. Si les grandes écoles veulent bénéficier de la reconnaissance universitaire qui leur ouvrira les portes de l’Europe, elles devront donner quelque chose, par exemple systématiser le concours d’entrée sur titre après la licence, conclure des accords de troisième cycle et de recherche… Cette négociation devra s’engager rapidement sous l’égide du ministère.
Le Monde : Les syndicats considèrent que la formule du « 3, 5 ou 8 » ne réduira pas l’échec en premier cycle. Ce système ne risque-t-il pas de se traduire par un allongement des études ?
Claude Allègre : Au contraire. Avec un système d’unités capitalisables, il ne sera plus nécessaire de redoubler le DEUG avant d’accéder à la licence. Pour le master, il y aura une année de maîtrise et une année de recherche, avec des ajustements selon les disciplines. En lettres, il n’est pas question de réformer l’agrégation. En sciences, on remplacera peut-être une année de cours par l’initiative à la recherche après la maîtrise. Les ingénieurs bénéficieront d’un « master », internationalement reconnu, après avoir eux aussi effectué une année de recherche.
Pour lutter contre l’échec en premier cycle, j’ai prévu des moyens importants, avec le renforcement d’un enseignement par petites classes, d’abord en sciences, puis en droit. Nous allons aussi nous y attaquer par la réforme des lycées, avec une année de terminale qui sera vraiment préuniversitaire.
Le Monde : L’insuffisance des aides financières est aussi un obstacle à la mobilité des étudiants en Europe. Envisagez-vous, avec vos collègues, en engagement « volontariste ? »
Claude Allègre : Le programme d’échange européen Erasmus a produit de bons résultats. L’effort n’est pas à la hauteur et doit être complété. Nous sommes, sur ce point, parvenus à un accord. Le pays d’accueil prendra en charge les frais d’inscription, le logement, éventuellement des bourses. Pour éviter les déséquilibres dans les échanges – le principal reproche des Britanniques –, des accords de réciprocité pourraient être conclus sur des flux équivalents, y compris avec des quotas.
Pour la France, nous avons prévu la construction de logements en faveur des étudiants européens dans le schéma université du troisième millénaire ainsi que des laboratoires de langues sur le campus et des locaux d’accueil.
Le Monde : Concernant la mobilité des enseignants, une réforme des statuts est-elle envisagée ?
Claude Allègre : L’idéal serait qu’un professeur puisse enseigner six mois à Montpellier, six mois à Bologne… Cela suppose que soient réglées des questions statutaires, les indemnités de déplacement, la prise en charge du logement. Il serait aussi souhaitable qu’un étudiant français puisse avoir pour directeur de thèse un enseignant d’une université européenne. La préparation d’une charte générale et des accords bilatéraux seront à l’ordre du jour de la prochaine rencontre.