Extraits de l'interview de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, au "Forum RMC-Le Figaro" le 28 mai 1998, sur la réforme du scrutin des élections européennes, les conséquences de l'introduction de l'euro, et la nécessité de réformer le fonctionnement des institutions européennes avant l'élargissement de l'Union.

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Texte intégral

Q. – Vous parliez, il y a un instant des élections européennes, prévues pour le printemps 1999.
On parle beaucoup de la réforme de scrutin pour ces élections. Vous-même avez proposé votre projet, et voici qu’arrive celui de Jean-Pierre Chevènement, ministre de l’Intérieur, qui parle de sept grandes régions, circonscriptions, et du maintien de la proportionnelle. Pourquoi pas votre projet à vous ? Quelle est la différence ? Faisons le point sur cette question-là.

R. – Mais, il n’y a pas de différence, tout simplement.
J’ai été le premier, j’en revendique la paternité, à proposer cette réforme, dès le mois de  janvier, parce que je croyais qu’il n’était pas bon que les députés européens soient élus dans le cadre d’une proportionnelle nationale, car ils n’étaient pas identifiables pas les électeurs. J’ai été député européen, et je sais qu’un élu doit rendre des comptes à quelqu’un. Il a donc besoin d’avoir un corps électoral, d’où le fait que j’ai proposé la régionalisation du scrutin, tout en gardant la proportionnelle. A partir de ce moment-là, le gouvernement travaillé. J’avais effectivement proposé un peu plus de régions…

Q. – Treize, c’est ce que vous vouliez ?

R. – Dont l’Outre-mer, alors que là, c’est sept plus une, sept pour la France métropolitaine, plus une. J’avais le souhait que l’électeur soit encore plus rapproché du député européen.

Q. – Là, ils vont être noyés dans une géographie très large.

R. – N’exagérons pas, je pense que c’est quelque chose de très positif, parce que cela va permettre d’identifier de façon précise, et des enjeux, et des élus. Je suis, moi-même, élu de Franche-Comté, et j’ai été sur cette liste. J’ai été parlementaire européen un peu par hasard, parce que j’étais bien placé sur une liste nationale. Demain, on saura combien d’élus de Corse, combien d’élus de Languedoc-Roussillon, combien de PACA, de Bourgogne, etc… et cela permettra d’avoir une répartition sur le territoire qui sera plus harmonieuse. Je me suis rallié bien volontiers à ce découpage. C’est, encore une fois, exactement le même principe de réforme : je suis totalement solidaire de ce qui a été fait là-dessus. Et j’ajoute que ce découpage est très proche de ce qui avait été proposé par mon prédécesseur, Michel Barnier, et cela devrait peut-être convaincre son parti, le RPR, que cette réforme est bonne : d’autant que c’est une réforme qui est aussi souhaitée par le président de la République.

Q. – Donc, pas l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarette entre Chevènement et vous, là-dessus ?

R. – Aucune. S’il y a feuille de papier à cigarette, c’est peut-être dans l’autre sens, car j’ai proposé cette réforme dès l’origine. Lui, en tant que président du Mouvement des citoyens, n’est peut-être pas aussi séduit par cela. Mais c’est aussi cela,la discipline républicaine. J’ai proposé la réforme avec un autre découpage. Il accepte la réforme avec son découpage et tout cela est parfait : nous serons ensemble au banc du gouvernement pour défendre le projet.

Q. – Pour les partis de gauche, comment est-ce que cela va se passer ? Il va y avoir une seule liste, chacun va aller sous son drapeau ? Comment cela va-t-il se passer ?

R. –Il est un peu tôt pour en parler, mais je crois pouvoir dire, sans risque de me tromper outre mesure, qu’il y aura plusieurs listes de la gauche plurielle sur l’Europe. La gauche plurielle, ce n’est pas la confusion des partis politiques. Ce n’est pas l’uniformité, ce n’est pas l’uniformisation. Nous conservons des sensibilités différentes, notamment sur l’Europe. Et nous nous sommes présentés comme tels dans la campagne des élections législatives de 1997.
Donc, j’ai tendance à dire qu’une chose au moins est claire : il y aura une liste du Parti communiste. Et cela ne me paraît pas quelque chose de criminel : nous n’avons pas tout à fait les mêmes conceptions des choses. Et puis une élection à la proportionnelle est faite aussi pour cela, c’est-à-dire pour représenter les différentes sensibilités.
Pour le reste, les autres partis de la majorité, les Verts, le Mouvement des citoyens, les Radicaux, le Parti socialiste, les choses ne me paraissent pas si figées. Nous pouvons discuter, mais les conditions pour faire des listes communes, ce sont quand même d’avoir des convergences de fond sur l’Europe.
Le Parti socialiste a son identité sur ce sujet-là, les uns et les autres ont leurs idées. Nous allons les confronter et nous verrons bien. Je ne serai pas du tout opposé à des listes de rassemblement, les plus larges possibles, au sein de la gauche plurielle.

Q. – Pourquoi avoir gardé la proportionnelle, avec les dangers que l’on connaît, et qui n’a pas toujours très bonne presse ? Vous-même dans votre projet initial, vous l’aviez gardé ?

R. – Je l’ai gardé, pour une raison d’abord très simple, qu’on doit savoir, c’est que l’Assemblée européenne ne fonctionne pas exactement comme une Assemblée nationale. Le but n’est pas d’y dégager des majorités, en tout cas pas à partir de confrontations de grands partis, et à l’échelle européenne, la règle est la proportionnelle. On veut représenter la diversité de l’Europe. Il aurait été paradoxal que nous, nous allions vers un scrutin majoritaire dans le cadre des élections européennes, alors que d’autres, qui avaient un scrutin majoritaire, viennent vers la proportionnelle. Le Parlement européen lui-même a fait un rapport expliquant qu’il fallait qu’il y ait à la fois de la proportionnelle et des régions dans ce mode de scrutin. Donc, nous allons vers ce mode de scrutin. Cela me paraît plutôt, bien d’ailleurs, que la France aille vers le mode européen.Et pour le reste, je crois que ces élections sont des élections, encore une fois, qui ont un enjeu thématique, fondamental, qui est celui de l’Europe et que les Français doivent pouvoir être représentés par une diversité, et la proportionnelle permet de le faire. Soyons clairs, le but de cette réforme n’est pas d’agir contre le Front national, ce n’est pas l’enjeu. L’enjeu, c’est de faire en sorte que les Français comprennent mieux l’Europe, et qu’ils l’incarnent dans des figures, dans des visages qui soient ceux des parlementaires européens, donc, que ces parlementaires européens soient plus proches d’eux. C’est la finalité de cette réforme.
Il fallait combiner les deux éléments : plus de régions, et, en même temps, plus de proportionnelle.

Q. – Il y aura quand même une lecture franco-française des résultats. Donc, proportionnelle plus des régions. Ne risque-t-on pas de voir sur la carte électorale des « zones brunes », si j’ose dire ?

R. – Vous savez, je pense que le combat contre le Front national ne se fait pas principalement par la réforme des modes de
scrutin. Il faut une réforme des modes de scrutin, notamment pour les régionales – elle est proposée – parce que, dans ce cas-là, il faut rendre les régions gouvernables. Ce sont des institutions qui sont aujourd’hui ingouvernables du fait de la proportionnelle. Le problème n’est pas l’importance du Front national mais que le Front national est à même de paralyser de très nombreux, de trop nombreux exécutifs régionaux en France.
Pour les élections européennes, la donne est toute autre, puisque le Front national existe à Strasbourg et Bruxelles, mais il est très marginal. Alors, oui, il y aura sans doute des « taches brunes », comme vous dites, qui sont des taches de vieillesse ou de sénescence, sur le territoire national, et donc le combat sur le Front national est autre ; il passe par la réponse de fond aux questions des Français, d’abord les problèmes du chômage, les problèmes de l’insécurité, et retrouver aussi une morale politique, faire en sorte qu’on réforme les institutions françaises, par exemple par la limite du cumul des mandats. Je suis pour des réponses de fond, pas seulement pour les réponses de forme.

Q. – Tout cela, toute cette période va coïncider avec la mise en place progressive de l’euro.
Cela ne risque-t-il pas de créer quelques chaos sur la route ? Cela sera-t-il un chemin à peu près tranquille, d’après vous ?

R. – Tranquille, je ne crois pas. Je pense que nous avons passé l’essentiel, c’est-à-dire la période où il y avait un débat théorique sur l’euro : va-t-on le faire ou pas ? Les fameux critères macro-économiques… Maintenant, nous entrons dans un débat très concret, pratique, mais pas facile. Je vais essayer d’en donner les dimensions.
Première dimension, c’est : comment fait-on techniquement ? Comment passe-t-on du franc à l’euro, dans les années qui viennent, pour les compatibilités des entreprises ? Pour les feuilles de sécurité sociale ? Pour les prix ? Pour l’affichage des prix ? Là, il y a un travail de transposition considérable qui doit être fait avec le souci de l’information.

Q. – Là, c’est l’Europe concrète ?

R. – Tout à fait.

Q. – C’est votre « job », aussi ?

R. – Absolument. Je pense aux personnes âgées qui ont vécu déjà le passage des anciens francs aux nouveaux francs, qui vont voir revenir des centimes, ce n’est pas simple.

Q. – Et qui comptent encore en anciens francs !

R. – Absolument, et qui vont compter en nouvel euro. Ce n’est pas évident. Et il va falloir, là, un travail d’information massif, qui soit fait partout, par le ministère des finances, dans les trésoreries générales, dans les mairies, par les services de l’État mais aussi par les collectivités locales, dans les entreprises. Et c’est fondamental, parce que c’est un enjeu pédagogique ; si c’est mal compris, cela ne passera pas.

Q. – Et comment cela se passe-t-il en ce moment ? Vous sentez que les Français accrochent à cette idée-là ?

R. – Sur le fond, je ne suis pas pessimiste. Sur le concret,c’est encore un peu tôt. On vient de décider il y a un mois qu’il y aurait un euro. C’est à partir de 1999 que les choses vont se lancer à fond. Jusqu’à présent, on a communiqué sur le thème :
pourquoi faire l’euro ?
Maintenant, il faut communiquer sur le thème : comment faire l’euro ? Comment vivre avec l’euro ? C’est mon souci, c’est le souci de la vie quotidienne. Voilà pour l’enjeu technique.
Il y a des enjeux qui sont des enjeux politiques. J’en vois deux principaux.
Le premier : comment domestique-t-on l’euro ? Comment le gère-t-on politiquement ? Il y a cette question de la Banque centrale, elle est indépendante. Mais je pense qu’à côté de l’indépendance de la Banque centrale, il faut aussi des pouvoirs politiques qui discutent des politiques budgétaires, des politiques fiscales, des politiques de change. Quel est le cours de l’euro par rapport au dollar, etc… C’est tout l’enjeu du pôle économique que nous voulons, du Conseil de l’euro qui a été créé grâce à l’action de Dominique Strauss-Kahn en la matière, qui va réunir les gouvernements des onze pays membres de l’euro. C’est déterminant car il faut, comme dans tout pays, qu’il y ait un pouvoir monétaire, mais aussi un pouvoir politique. Et il y a encore un autre enjeu politique, c’est le second : que va-t-on faire justement en terme d’harmonisation parce qu’à partir du moment où l’on a l’euro, les prix sont immédiatement comparables dans les différents pays. Mais pour cela, il faut aussi, sans doute, qu’on harmonise les coûts.

Q. – Dans combien de temps, harmonisera-t-on tout cela ?

R. – Je pense que l’enjeu, c’est de le faire dans la période transitoire, c’est-à-dire jusqu’en 2002. Mais on peut harmoniser par le bas, c’est-à-dire sur un modèle strictement libéral, où on considère qu’on doit déréguler à tout va, diminuer tous les impôts, notamment les impôts qui pèsent sur les entreprises, alors qu’il faut un effort de solidarité, il faut des règles de bonne conduite. Je pense par exemple à la fiscalité de l’épargne. Il ne peut pas y avoir de paradis fiscaux en Europe.

Q. – Au fond, vous êtes un peu « Monsieur Europe » et vous le serez de plus en plus, dans le gouvernement ?

R. – Oui, et j’insiste sur le « Monsieur Europe » et pas seulement sur le « Monsieur euro ». L’euro est fondamental, il faut arriver à l’acclimater, il faut le réussir. Ce n’est pas évident, ce sera une route qui sera pavée d’un certain nombre d’obstacles, parce que si les Français ne l’acceptent pas, s’ils le perçoivent comme un facteur d’inégalité, par exemple, alors, il peut être rejeté. Il faut arriver à montrer à chaque fois que l’euro est un facteur favorable à la croissance et à l’emploi. L’euro n’est pas une fin en soi. C’est un instrument.
Mais j’insiste sur le « Monsieur Europe », parce qu’il n’y a pas que l’euro. Il y a aussi bien d’autres aspects. Je pense à tout ce qui est l’Europe politique, qu’il va falloir bâtir maintenant. Il faut absolument réformer les institutions.

Q. – Vous êtes pour, vous. Vous poussez les feux sur la politique ?

R. – Oui, la politique, la politique étrangère et de sécurité, la défense et d’autres dimensions qui rendent à l’Europe une âme. Je pense à la culture, aller vers l’université européenne – il y a eu un grand colloque au début de semaine organisé par Claude Allègre, qui va dans ce sens-là.
Nous devons être capables de bâtir une Europe dans laquelle tout est mobile. Pas seulement les capitaux, pas seulement les travailleurs, mais aussi les chercheurs, les enseignants, les étudiants, où tout est comparable, où nous parlons tous plusieurs langues étrangères, pas seulement notre langue et l’anglais, mais au moins une autre deuxième langue. C’est à ces conditions-là qu’on aura une Europe qui sera vraiment populaire et qui sera aussi capable de faire pièce aux États-Unis. C’est une grande puissance que nous voulons.

Q. – Faut-il relancer en permanence comme cela, ou faut-il passer par des phases de digestion, par exemple la digestion économique en ce moment ?

R. – Je pense que nous sommes à un moment un peu paradoxal, c’est-à-dire que l’Europe est en train de faire des choses extrêmement importantes, comme peut-être elle ne l’a jamais fait.
L’euro, c’est un acte d’une portée considérable, car c’est onze pays qui renoncent à leur souveraineté monétaire et quand on sait ce qu’est la souveraineté monétaire par rapport à l’identité nationale, c’est invraisemblable.

Q. – D’où les deux questions…

R. – Attendez, deuxième chose que nous devons faire dans les années qui viennent, qui peut être aussi d’une portée historique, c’est l’élargissement de l’Europe aux pays d’Europe centrale et orientale, libérés du communisme, après le schisme de la guerre froide. Ces pays reviennent vers l’Europe. On crée une Europe à 25 ou 30. C’est absolument extraordinaire.
En même temps – et c’est pour cela que je dis qu’il y a paradoxe – il y a quand même un blocage politique. L’Europe telle que je la vis, dans les Conseils des ministres européens, dans les Conseils européens, c’est une Europe où la décision est quasi paralysée, par le vote à l’unanimité, par le fait qu’on est quinze, parce que la Commission ne fonctionne pas comme elle devrait – la Commission, c’est un peu l’exécutif de l’Europe – parce que le Conseil n’a pas de bons mécanismes de décision. Donc, si on veut résoudre ce paradoxe de façon positive, il ne faut pas seulement « digérer », il faut bâtir une Europe politique, et cette Europe politique passe par, sinon de nouvelles institutions, du moins une réforme des institutions actuelles, sans quoi nous allons vers des blocages très importants, et la digestion sera difficile à ce moment-là.

Q. – Dans le genre indigeste, il y a quand même eu le cafouillage de Bruxelles à l’occasion de la nomination de Duisenberg à la tête de la Banque centrale, avec en compétition, M. Trichet, du côté français. De l’autre côté du Rhin en ce moment, Jacques Chirac n’a pas trop bonne presse. On l’accuse d’avoir voté indirectement pour Schröder, le rival de Kohl dans la campagne électorale…

R. – Je ne crois pas.

Q. – Vous avez affaibli le chancelier Kohl sans le vouloir. Comment cela s’est-il passé ? Comment voyez-vous tout cela ?

R. – Je pense que les préoccupations de la politique allemande ne sont pas exactement les nôtres. Je ne crois pas que Jacques Chirac soit un chaud partisan de Gehrard Schröder, ni que Lionel Jospin soit un partisan d’Helmut Kohl. Logiquement, cela ne devrait pas se passer comme cela, et donc, il n’y a pas eu ces arrière-pensées.

Q. –Il y a des choses bizarres parfois. Vous vous souvenez qu’entre Kohl et Mitterrand, cela marchait très bien.

R. – Oui, c’est vrai, les couples ont plutôt toujours été des couples inversés. Je n’en déduis pas pour autant… un jour il faudra des socialistes en France et des socialistes en Allemagne. Mais nous verrons pour beaucoup plus tard.

Q. – Vous connaissez Gehrard Schröder ?

R. – Oui, un peu, mais c’est vrai qu’on a encore besoin de le découvrir.
J’en reviens à Bruxelles. Je veux dire que quelles que soient ses arrière-pensées ou l’absence d’arrière-pensées, je partage le point de vue de Jacques Chirac, parce qu’au fond, il a défendu avant tout un principe. Et ce principe, c’est que c’est le champ du politique, que ceux sont les chefs d’Etat et de gouvernement qui décident politiquement des nominations, et pas des gouverneurs de banques centrales qui cooptent l’un d’entre eux, ce qui avait été le cas de M. Duisenberg, qui avait été en quelque sorte coopté président de l’Institut monétaire européen.
On espérait du coup qu’il serait prolongé automatiquement. Il n’y a rien contre M. Duisenberg, qui est une personnalité remarquable, d’ailleurs un social-démocrate. Jean-Claude Trichet n’a pas d’engagement politique. Lui aussi, d’ailleurs, est tout à fait compétent.Et la deuxième chose, que défendait le président de la République, c’est la place de la France dans les institutions financières européennes : à partir du moment où la Banque centrale est à Francfort, il n’était pas illogique qu’un Français soit rapidement gouverneur. Je crois que le Président de la République a eu raison de défendre ces principes et qu’en Allemagne, c’est peut-être le fait qu’il y ait ce contexte électoral chez eux, qui a été utilisé, dans la fragilisation du chancelier Kohl.

Q. – En lui faisant plier le genou, tout de même…

R. – Non…

Q. – N’a-t-on pas entamé la solidité du fameux couple franco-allemand ?

R. – D’abord, il y a lesélections dans quelques mois, et celui qui sortira vainqueur de ces élections, soit M. Schröder, soit M.Kohl, sera de toute façon conforté par le verdict des élections, et les choses pourront repartir.
Deuxièmement, je ne crois pas que le couple franco-allemand a été atteint. Nous nous sommes vus quatre jours après à Avignon, et tout se passait tout à fait bien dans un climat non seulement cordial mais amical. Donc, je ne vois pas ce genre de problème.
Mais il s’est passé des choses en Allemagne pendant cette journée de Bruxelles, parce que je ne sais pas si vous le savez, mais c’est quand même le chancelier Kohl qui a proposé la solution Duisenberg, puis Trichet, Duisenberg pendant quatre ans, puis Trichet pendant 8 ans.

Q. – On ne l’a pas dit beaucoup, cela…

R. –On ne l’a pas dit beaucoup mais cela s’est passé ainsi. Ensuite, nous nous sommes aperçus qu’au sein de son gouvernement, il y avait certaines réticences de ses partenaires de la CSU, M. Waigel par exemple, celle du gouverneur de la Banque centrale allemande, M. Tietmayer, qui estimaient qu’en faisant cette solution, l’indépendance n’était pas suffisamment préservée.

Q. – Mais, même si la France n’avait pas tort sur le fond, cela n’a peut-être pas été géré très habilement, cette affaire, non ?

R. – Cela n’a pas été géré habilement, et là, cela renvoie à ce que je disais auparavant, c’est-à-dire sur une espèce de crise des institutions européennes. Il faut que ce genre d’affaires soit plus préparé en amont, qu’on échange des textes, que les Conseil européens soient des moments brefs, où on prend des décisions, et non pas que tout remonte aux chefs d’État et de
gouvernement, qui tranchent entre eux à quinze, dans une pièce, de tous les problèmes. Ce n’est pas leur rôle. Ce n’est pas ainsi que cela doit se passer. Ils doivent être les décideurs suprêmes de points bien isolés qu’on tranche politiquement. Et là c’en était une nouvelle illustration. Encore une fois, on savait avant ce qui allait se passer ; c’est ce qui s’est passé à la fin ; mais entre les deux, entre l’avant, qu’on connaissait, et l’après, qu’on a constaté, il y a eu des moments de flottement dans la décision. C’est pour cela qu’il faut absolument…

Q. – Des flottements, du côté français ?

R. – Je pense que du côté français, honnêtement, nous avions été clairs, nous avions une thèse, nous avions un candidat, nous nous y sommes tenus et c’était autour de la position française que les choses se sont articulées ; les contradictions n’étaient pas chez nous.

Q. – Monsieur Moscovici, les Danois votent aujourd’hui, à propos du Traité d’Amsterdam, par référendum. Selon les derniers sondages, on pense que c’est plutôt le oui qui l’emporterait. Et si c’était le non, que se passerait-il ? Ce serait un facteur de blocage ?

R. – Si c’était le non, soyons clairs, cela voudrait dire que le Traité d’Amsterdam aurait du plomb dans l’aile, parce que vous savez que pour qu’un traité soit ratifié, il faut qu’il soit ratifié par la totalité des États qui l’ont signé. Et on ne peut pas faire à chaque fois ce qu’on a pu faire dans le passé, ce qu’on appelle des « opting-out », des exceptions, pour le Danemark, pour la Grande-Bretagne, pour tel ou tel. Et donc, il faudra à ce moment-là renégocier ou abandonner le Traité d’Amsterdam. Et honnêtement, la renégociation ne serait pas facile, compte tenu du fait que ce Traité n’a pas été accueilli dans un grand enthousiasme et qu’il comporte, par ailleurs, un certain nombre de manques.
Donc, ce serait ennuyeux. Ce ne serait pas gravissime, car nous avons vécu sans le Traité d’Amsterdam, et nous pouvons encore vivre sans le Traité d’Amsterdam, mais ce serait un symptôme d’un état de l’Europe, de cette incapacité à décider.
Cela dit, les sondages – il faut toujours se méfier des sondages – les sondages sont ce qu’ils sont, et on peut penser que les Danois perçoivent positivement ce Traité d’Amsterdam. Ils sont en train de voter, on va connaître le résultat mais j’ai bon espoir, à l’heure où nous parlons.

Q. – Ce n’est pas formidablement démocratique, finalement, ce que font les Danois, c'est-à-dire, régulièrement, dès qu’il y a un problème, ils consultent le peuple par référendum ?

R. – C’est une autre logique institutionnelle que la nôtre.

Q. – Cela ne vous plaît pas ?

R. – Non, cela ne se fera pas. Je pense que dans le contexte français, dans le contexte européen, un référendum est dangereux, parce qu’on pose une question : « voulez-vous ratifier le Traité d’Amsterdam ? ». Et derrière cette question, tout rentre, toutes les peurs françaises par rapport à l’Europe ; pensez-vous que c’est l’Europe des technocrates ?

Q. – C’est aussi la démocratie, cela ?

R. – C’est une certaine forme de démocratie, qui passe par la consultation référendaire, et je pense que, quand la question n’est pas précise, quand elle n’a pas un enjeu de pouvoir :
« souhaitez-vous que le président reste ou pas ? », c’est toujours la question qu’on pose au fond dans un référendum, et bien les résultats sont un peu simples.
Vous savez, au moment du référendum de Maastricht, je n’ai pas la sensation que les Français avaient voté à 49 % « non » à Maastricht. Il y en avait beaucoup à l’époque qui était fatigués de nous, de François Mitterrand, des socialistes, de la gauche,et ils avaient aussi manifesté cela.
Le risque du référendum, c’est la confusion des enjeux. Je pense que là, si l’on veut préserver l’Europe, il faut avoir un travail sérieux sur un texte qui est technique, et le Parlement me paraît tout indiqué, d’où le Congrès.

Q. – On va rester dans l’Europe, mais sous un autre point de vue. Il y a eu un coup de filet qu’on peut qualifié d’européen contre les réseaux pro-GIA, en Allemagne, en Italie, en Suisse, en France, pour contrer quelques funestes projets dans le cadre du Mondial. C’est bien de faire ainsi ? Cela prouve que là-dessus aussi, l’Europe fonctionne ? Comment voyez-vous cela ?

R. – D’abord, c’était la réponse à des menaces qui étaient perçues, par rapport à une grande compétition. Nous voulons qu’elle réussisse, qu’elle soit populaire, et qu’elle se passe dans la sécurité.

Q. – Vous craigniez des incidents au sein du Gouvernement, des coups durs ?

R. – Il y avait des indices suffisamment sérieux pour que Jean-Pierre Chevènement propose cette procédure. Il y avait d’ailleurs eu un projet d’attentat, ou un début d’attentat, qui avait été relevé…

Q. – Juste un point. Vous venez dire « pour que Jean-Pierre Chevènement propose cette procédure ». Vous voulez dire que c’est lui qui l’a proposé au niveau européen ?

R. – Je vais revenir au niveau européen après. Pour qu’il propose ce coup de filet, d’abord au niveau français, par rapport au Mondial. Vous savez que ces compétitions sportives sont souvent tentantes pour les terroristes. Souvenons-nous de ce qui a pu se passer aux jeux d’Atlanta. Et on voit que ce sont des compétitions, des fêtes qui sont formidables et en même temps qui peuvent être gâchées par…

Q. – Ce sont des caisses de résonance.

R. – Absolument. Tout le monde est là. Vous savez qu’il y aura au total 37 milliards de téléspectateurs pendant le Mondial. Le jour de la finale, il y en aura 1,7 milliard, c'est-à-dire qu’un humain sur trois sera devant son poste de télévision. Et la France sera à ce moment-là sous les yeux du monde entier. Donc, il fallait le parce qu’il fallait être capable de démanteler, en tout cas de prévenir par rapport à toute une série de filières.
Alors, j’en viens à l’Europe. Aujourd’hui, on le sait, les filières du crime organisé – cela vaut aussi pour le trafic de drogue –, sont des filières internationales. Ce sont des filières qui se déploient au moins à l’échelle européenne, et cela vaut aussi pour les réseaux terroristes. C’est pour cela que, de plus en plus, on doit aller vers la coopération entre les polices. On doit mettre en place Europol, qui permettra justement les échanges d’informations, les échanges de fichiers, des coopérations entre les polices. C’est absolument indispensable, et on voit là ce que peut apporter l’Europe, car un pays seul ne peut pas lutter contre des filières internationales. C’est vrai que ce coup de filet est l’illustration de ce qui se passera sans doute de plus en plus, c'est-à-dire de capacité de travail entre les différentes polices européennes.C’est une bonne chose.

Q. – C’est assez passionnant, parce que là, c’est quand même l’Europe très concrète. Pouvez-vous nous expliquer un peu comment cela se passe ? Les ministres de l’Intérieur des pays concernés se téléphonent ? Étiez-vous au courant de ces décisions ?

R. – Je ne peux pas vous expliquer comment cela se passe.
Il y a des choses, dans ces matières anti-terroristes, qui doivent rester tout à fait discrètes, qu’on ne peut pas expliquer.
Ce qui est clair, c’est qu’effectivement, il y a des réunions des ministres de l’Intérieur, et de la Justice d’ailleurs – il y a un Conseil qui s’appelle le Conseil Justice et Affaires intérieures, où l’on s’occupe de ces affaires-là. Il y a un autre Conseil, qui s’appelle le Comité Schengen, où, effectivement, je représente la France, qui discuter de la façon dont on traite les questions de libre-circulation et de sécurité en Europe. Il y a un ministre de l’Intérieur au sein du Gouvernement. Donc, il est à la fois en contact avec ses homologues européens, au sein de ce Conseil, et de façon plus informelle entre eux, et les polices travaillent ensemble. Et il y a un Gouvernement, c'est-à-dire un chef de Gouvernement, qui prend les décisions au moment voulu, car tout cela doit être fait en concertation. Et il y a le président de la République, qui doit être informé de tout cela. Voilà un peu comment cela fonctionne.
Vous comprenez, par ailleurs, qu’on ne peut pas en dire beaucoup plus par rapport à des affaires qui touchent la sécurité des Français, qui demandent une certaine discrétion.