Interview de M. Claude Bartolone, ministre délégué à la ville, dans "La Croix" le 20 juin 1998, sur l'action gouvernementale pour les quartiers en difficulté, le développement des partenariats locaux et de l'intercommunalité au niveau des agglomérations.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Installation du nouveau Conseil national des villes et du développement social urbain (CNV) à Paris le 25 juin 1998. Réunion du Conseil interministériel de la ville à Paris le 30 juin

Média : La Croix

Texte intégral

Q. : Quelles solutions préconisez-vous pour les quartiers en difficulté ?

Claude Bartolone : Pour donner une nouvelle impulsion à la politique de la ville, nous disposons de plusieurs atouts. Depuis vingt ans, elle est passée par la réhabilitation du bâti, le développement social des quartiers et les contrats de villes. Sur ce plan, il y a maintenant, et à tous les niveaux, un vrai savoir-faire qui est d’ailleurs reconnu au niveau européen. Le rapport de Jean-Pierre Sueur, et le projet de loi contre l’exclusion de Martine Aubry servent également de base à notre travail. Mais la politique de la ville, menée depuis un an, se caractérise aussi par les contrats locaux de sécurité et l’aide au logement social.

Lors du conseil interministériel à la ville, prévu le 30 juin à Paris, Lionel Jospin aura une parole forte afin de montrer que nous avons aussi une conception transversale de la politique de la ville. Il s’agira, non pas d’annoncer un énième plan mais de redonner aux acteurs du terrain les moyens de réfléchir, d’évaluer leur action et d’agir. Nous devons saisir l’occasion de la reprise économique afin que les six millions de personnes qui vivent dans ces quartiers n’aient pas le sentiment que tout s’améliore pour les autres, tandis que leur quotidien reste désespérément le même.

Q. : Quels vont être les grands axes de votre action ?

Claude Bartolone : Pour relever le défi de la ségrégation urbaine, il est nécessaire que l’ensemble des acteurs de la politique de la ville agisse désormais en partenariat. Cela au plan gouvernemental : le ministre délégué à la ville ne sera pas le seul ministre à agir. Cela aussi sur le terrain : élus, enseignants, policiers, intervenants sociaux, habitants, tous seront concernés. En outre, il faut que l’État républicain soit à la fois volontaire pour rétablir l’égalité des chances et l’égalité devant le service public et qu’il soit capable de déconcentrer son action. Ainsi, sur le terrain, les acteurs doivent voir leurs démarches administratives simplifiées.

Enfin, le Gouvernement doit s’appuyer davantage sur les élus locaux grâce à la nouvelle étape de décentralisation qui se traduira par un développement de l’intercommunalité au niveau des agglomérations. Et donner aux communes les plus pauvres qui ont les charges les plus lourdes davantage de moyens d’agir, sans trop peser sur la contribution des ménages et des entreprises.

De leur côté, les élus doivent, par un développement de la démocratie locale, associer l’ensemble des habitants des quartiers à l’amélioration de leur quotidien et de leur cadre de vie. Une chose est sûre : le temps du décalage entre l’espérance par effet d’annonce étatique et la réalisation est aujourd’hui révolu.

Q. : N’y a-t-il pas quand même aujourd’hui des quartiers où la situation s’améliore ?

Claude Bartolone : Lorsqu’on va sur le terrain, comme je le fais régulièrement, on s’aperçoit effectivement que les municipalités qui mettent tout en œuvre pour améliorer la situation obtiennent des résultats très probants. Des exemples ? Il y a trois semaines, j’étais à Angoulême dans un quartier où avaient eu lieu de graves incidents en début d’année. Les conditions de vie ont sensiblement changé depuis grâce à la création d’une maison du service public, d’une maison de la justice et du droit, et d’emplois d’adjoint de sécurité.

Même constat à Grenoble grâce au développement des comités de quartier, des emplois-jeunes et du partenariat avec les établissements scolaires. À Nantes, la consultation en cours de la population, à propos d’un projet de réhabilitation, se révèle déjà bénéfique. Preuve qu’à partir du moment où les collectivités locales se saisissent des outils et des financements de la politique de la ville mis en place par l’État, elles obtiennent des résultats. C’est une voie que nous allons encourager. Il faut maintenant agir non seulement dans les quartiers, mais aussi au niveau de la ville, voire au niveau de plusieurs villes. Les problèmes d’emploi, d’environnement, d’habitat ou de culture ne peuvent trouver de solution que dans la coordination. Sinon, nous ne nous en sortirons pas.

Q. : Quelle est la plus grande urgence ?

Claude Bartolone : C’est d’obtenir 20 % des emplois-jeunes pour les jeunes de ces quartiers. Comme leurs parents, ils doivent comprendre que nous faisons tout pour qu’ils aient un présent et un avenir.

Q. : Comment comptez-vous associer les parents à votre politique ?

Claude Bartolone : Dans les quartiers, les parents sont souvent dévalorisés dans leur statut d’adulte en raison des conditions matérielles difficiles.

Cette image parentale dégradée nuit aux enfants qui ont besoin de figures d’adultes construits et assumant leur autorité. Il faut donc faciliter l’accès des parents dans l’école, mais aussi démultiplier les lieux d’écoute, d’information et de rencontre dans la ville avec les acteurs du système éducatif, mais aussi avec l’aide de médiateurs.

Q. : Vous dites croire beaucoup au partenariat et à la solidarité. Ne peut-on pas craindre que cela soit pris comme un ensemble de bonnes paroles qui ne concrétiseront pas vraiment sur le terrain ?

Claude Bartolone : Je suis convaincu qu’il faut redonner un sens à la réponse collective. Cela correspond à une attente de la société d’aujourd’hui, au regard de la dernière décennie qui a été très fortement marquée par l’individualisme. Aujourd’hui, il me semble que la société a redécouvert la nécessité du collectif. Nous devons en tenir compte.

Q. : Très récemment, il y a eu deux débats importants. L’un sur la famille, à l’initiative du Premier ministre, et l’autre sur la préférence nationale, relancé par Édouard Balladur. Comment la politique de la ville se positionnelle-t-elle sur ces deux points particulièrement ?

Claude Bartolone : Sur la famille, il était indispensable, comme l’a fait le Premier ministre, de trouver un discours collectif : on ne peut assister aux évolutions de la structure familiale sans avoir une analyse de ce qu’elles impliquent de nouveau dans la ville et, plus globalement, dans la société. C’est un domaine sur lequel je compte être très attentif afin que chacun trouve sa place. Quant aux propos sur la préférence nationale d’Édouard Balladur, ils s’inscrivent dans une logique antirépublicaine puisqu’ils reposent sur l’inégalité érigée en système, dans le logement, l’emploi, l’aide sociale, la culture… Je n’en dirai pas plus..