Déclaration de M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication, sur le plan d'action culturel pour l'outre-mer, Cayenne le 3 septembre 2010.

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Circonstance : Déplacement en Guyane du 3 au 5 septembre 2010

Texte intégral

M. le Préfet,
Messieurs les Présidents de la Région et du Département,
Mme le Maire de Cayenne,
Chers amis,


Je suis particulièrement heureux de pouvoir venir enfin en Guyane Ce déplacement me permet en effet de faire le point avec vous sur un potentiel considérable, celui d’une région à la diversité culturelle et linguistique unique pour la France et l’Union Européenne. D’un potentiel qui n’a pas été pleinement exploité, puisque la Guyane est longtemps restée à l'écart du développement culturel entrepris dans le reste de la France depuis Malraux. Il est temps d'y remédier. Pour ce faire, je voudrais évoquer avec vous un certain nombre de pistes qui s’offrent à nous. Les circonstances budgétaires actuelles sont, on le sait, défavorables : raison de plus pour que les projets soient audacieux, aussi bien dans leurs objectifs culturels que dans leurs modalités d’application.

* Le Plan d’action pour l’ Outre-mer

Dans la suite logique des États généraux de l'Outre-mer, initiés par le président de la République et en application du Comité interministériel de l'Outre-mer du 6 novembre 2009, j'ai donc décidé d'élaborer, après avoir fait étudier en profondeur la situation des Outre-mer français par Michel COLARDELLE avant qu'il ne soit nommé DRAC de Guyane, un « Plan Outre-mer pour la Culture ». Ce Plan comprend deux actions emblématiques : une « Année des Outre-mer » en 2011 qui donnera une lisibilité forte, en métropole particulièrement, aux cultures ultra-marines ; la création d'une agence de promotion de la culture de l'Outre-mer. L'une et l'autre sont actuellement en cours de préparation.

Mon « Plan Outre-mer » que je présenterai en détail à la presse demain, repose sur les principes suivants :

Il viendra soutenir et accompagner des projets élaborés par les collectivités territoriales, les professionnels et les associations, dans le but de donner les moyens aux populations ultramarines de prendre en charge leur propre développement dans les domaines de la culture ;
Il visera à construire et renforcer les capacités culturelles dans une logique de partenariat ;
Il devra s'inscrire dans une démarche de long terme, dans une vision pluriannuelle ;
Il fera, enfin, de la formation sa priorité absolue.

Il y a urgence pour le Gouvernement à mettre en œuvre ces principes. Valoriser la culture dans les territoires ultra-marins, c’est d’abord se donner les moyens d’effectuer un travail de mémoire spécifique sur une histoire singulière et douloureuse. C’est aussi se donner pour ambition une reconnaissance partagée des identités, des altérités et des métissages. Cette reconnaissance est au cœur de ma priorité nationale de la « culture pour chacun », qui vise à recréer les conditions d’une réappropriation des pratiques culturelles par tous les publics. Ici en Guyane, je pense tout particulièrement aux publics jeunes.

* Le contexte guyanais

La croissance démographique exceptionnelle de la Guyane constitue en effet, vous le savez mieux que moi, un potentiel considérable pour l’avenir. Elle souffre aujourd’hui de l'insuffisance des formations dont elle bénéficie, dans le système scolaire d'abord bien sûr, mais aussi dans ces véritables écoles de la seconde chance que peuvent représenter les formations et activités culturelles. Et cela malgré le dynamisme et le volontarisme remarquable des communes et associations qui les organisent ou les financent, et qui doivent faire face à une demande en perpétuelle augmentation. La Guyane connaît un retard dans les infrastructures culturelles, dû autant à l'insuffisante initiative de l'État qu'aux difficultés financières dans laquelle se trouvent les Collectivités territoriales de Guyane, contraintes, j’en suis bien conscient, de parer au plus pressé dans un climat de perpétuelle urgence. Dotée d’une diversité patrimoniale exceptionnelle, ancrée dans un continent sud-américain en plein essor, la culture en Guyane doit pouvoir être en mesure de se projeter vers un développement international plus large. L’Etat et la Collectivité régionale doivent partager la responsabilité de cette ambition.

* Le plan Outre-mer pour la Guyane

J'ai donc décidé de donner une véritable priorité à la Guyane, en partenariat avec les deux Collectivités territoriales majeures que sont le Conseil régional de Guyane, présidé par M. Rodolphe ALEXANDRE, et le Conseil général de Guyane, présidé par M. Alain TIEN-LIONG ; en partenariat également avec les autres départements ministériels essentiels que sont l'Éducation nationale - dont le Recteur, Mme Florence ROBINE, est fortement impliqué dans l'enseignement artistique et dans le développement du plurilinguisme -, Jeunesse et Sports, Santé, Justice et Agriculture.

L'originalité de la Guyane doit mobiliser des dispositions spécifiques. La persistance de disparités sociales majeures dans la société guyanaise oblige moralement à privilégier une action publique déterminée. Cela a bien entendu des implications majeures dans les domaines couverts par mon Ministère.

Autre particularité dans l'espace national, la diversité linguistique, qui fait coexister une vingtaine de langues aux côtés du français et du créole guyanais. Cette diversité exige un traitement particulier, non seulement pour sa richesse patrimoniale, mais aussi comme formidable outil d'apprentissage pour d'autres langues plus internationales, en premier lieu le Français. C’est dans cette perspective, à laquelle je suis très attaché, d’une mise en valeur dynamique de la diversité linguistique que sera créé un pôle d’excellence du plurilinguisme et que se tiendront, en 2011, ici à Cayenne, les états généraux du plurilinguisme en Outre-mer.

C’est dans cette même perspective que je souhaite voir se développer nos actions dans les domaines du patrimoine immatériel. Mon ministère s'est engagé par exemple, aux côtés des communautés Wayana et Appalai, en partenariat avec le Parc national Amazonien de Guyane et avec l'expertise de chercheurs appartenant notamment au CNRS et à l'IRD, à présenter à l'UNESCO la candidature du rituel du maraké au Patrimoine culturel immatériel de l'Humanité.

Le plan Outre-mer pour la Guyane se décline en 4 volets principaux, dont je vais vous présenter les grandes lignes :

1/ Accroître l'offre culturelle - lecture, spectacle, enseignement artistique - avec la conception et la mise en œuvre d'un schéma de développement pluriannuel faisant l'objet d'une convention de développement culturel pluri-partenariale.

L'historique bibliothèque Franconie, aujourd'hui à l'étroit, sera doublée, selon le vœu du Président du Conseil général, M. Alain TIEN-LIONG, et son rôle de bibliothèque de lecture publique de Cayenne sera développé. Par ailleurs, ainsi que Mme Marie-Laure PHILERA-HORTH, Maire de Cayenne, le souhaite, un plan de renforcement de la lecture publique dans les quartiers sera conduit, sous la forme de bibliobus.

Un contrat territoire-lecture, avec le Conseil général et les communes de moins de 10000 habitants, peut aussi permettre de consolider le réseau des bibliothèques-médiathèques en milieu rural, réseau qui, même s’il est encore insuffisant, constitue aujourd'hui l'armature de base de la culture en Guyane.

L'hypothèse de la création d'une scène nationale qui devra agir en réseau afin de mieux couvrir le territoire va être étudiée avec le Conseil régional, et je souhaite que soit élaboré, conformément à la loi, un schéma régional et départemental des enseignements artistiques.

Enfin, il serait important que soit étudiée, toujours selon le même processus partenarial, la création d'un Fonds régional d'Art contemporain, afin que la création régionale, dans la diversité de ses inspirations et de ses métissages, puisse s'exposer, se faire connaître, être mise en confrontation avec celle des pays voisins et d'autres régions du monde.

La création cinématographique et audiovisuelle sera aussi encouragée par la signature prochaine d'une convention tripartite Région Guyane/Centre national du Cinéma/MCC créant un fonds pour la création cinématographique, permettant à des auteurs et réalisateurs guyanais d'entreprendre, avec des concours financiers sûrs, des productions de haut niveau dont le succès du long métrage Orpailleurs de Marc Barrat, que je salue ici, a par exemple montré le chemin.

2/ Doter la Guyane d'une grande « Maison des cultures et des mémoires de la Guyane ». Ce projet, initié par le Conseil régional et le Conseil général, regroupera au cœur de la métropole cayennaise, dans l'ancien hôpital Jean Martial sauvé de la destruction et restauré, les supports de son identité passée et présente : le patrimoine oral et linguistique, le patrimoine matériel, le patrimoine écrit de la Guyane à travers toutes les périodes de son histoire, toutes les cultures qui l'ont fait naître - amérindiennes, bushinengé, créole, européennes, hmong ou encore brésilienne.

Ce centre, réalisé par regroupement des collections complémentaires mais aujourd'hui réparties entre trois institutions, augmentées de dépôts de l'État et de collections récentes, rayonnera sur toute la Guyane. Il lui offrira de nouvelles possibilités en matière d'actions culturelles décentralisées, comme ce qui a été initié avec succès à Regina, où a été créé le bel écomusée de l'Approuague-Kaw, et ce qui est en projet à Awala.

Il pourra accueillir le Pôle du plurilinguisme actuellement en projet selon les conclusions de l'atelier culturel des États généraux de l'Outre-mer en Guyane. Grâce à l'affectation de crédits exceptionnels, les études de programmation architecturale et culturelle vont être entreprises dès cette année, selon les termes d'un protocole d'accord que nous allons signer avec nos deux partenaires principaux, auxquels pourront ensuite s'en ajouter d'autres.

Il sera également possible, pour cette institution, de participer au grand mouvement des expositions temporaires, en recevant des œuvres des musées français et étrangers qu'il est aujourd'hui techniquement impossible d'accueillir en Guyane. La lisibilité internationale de la Région en sera d’autant plus accrue.

3/ Développer le patrimoine scientifique et technologique : Kourou et son célèbre Centre spatial, fleuron de la haute technologie européenne, sont des atouts maîtres pour développer l'information et la formation de la jeunesse en matière de sciences et de techniques. Nous étudions actuellement la possibilité, en rénovant le Musée de l'Espace, qui pourra aisément acquérir le statut de « Musée de France », de concevoir un Centre de Culture scientifique, technique et industrielle. Ce Centre sera le fruit encore une fois d'un partenariat avec bien entendu le Centre spatial guyanais dont le directeur, Joël Barre, est fortement impliqué, mais également avec le Ministère de l'Éducation nationale et celui de la Recherche. J'ai confié pour cela une mission de longue durée à un conservateur de mon ministère, sachant que cette démarche aura pour contrepartie l'engagement de ce chantier essentiel pour les jeunes Guyanais mais aussi pour l'attractivité et la notoriété de la Guyane au plan international.

4/ Enfin, il me semble essentiel de mieux mettre en valeur les patrimoines témoignant des blessures de la mémoire que sont les vestiges du bagne et ceux de la plantation. Il est temps que le Camp de la Transportation de Saint-Laurent du Maroni, le bagne des Îles du Salut et leurs prisonniers célèbres, dont le capitaine Dreyfus est devenu l'emblème, ou encore le Bagne des Annamites puisse aller au-delà de l’« effet Papillon » et de l’anecdote pénitentiaire. Développer plus avant leur potentiel de témoignage sur les formes d’organisation de la société, sur l'enfermement et la coercition, telle pourrait être l’ambition de ces monuments historiques, à la fois pour le visiteur guyanais et métropolitain, mais aussi pour un public plus international.

La question de la mémoire de la conquête et de la relégation des populations amérindiennes, celles de l'esclavage, de la traite négrière et de l'économie de plantation doivent être considérées de la même manière : connaissance par l'archéologie et par l'histoire ; reconnaissance, comme partie intégrante de l'édifice historique national, d’une mémoire collective qui ne doit rien occulter : ni les faits glorieux, ni les souffrances subies.

Il faudrait encore parler de la protection de l'architecture coloniale, créole et vernaculaire, de la création architecturale, de la recherche, de bien d'autres sujets. En matière de culture, il n'y a pas de sujet secondaire. Mais il me faut conclure après ces quelques grands traits jetés d'une action déjà commencée et qui va s'épanouir en 2011, durant l'Année des Outre-mer.

Ce projet national pour la Guyane est un projet équilibré entre mémoire et création. C’est un projet mesuré, mais déterminé et ambitieux. C’est un projet respectueux des particularités guyanaises saisies comme des éléments constitutifs de la culture nationale et de la culture universelle ; telle sont les principes que nous devons garder en tête.

Je remercie chaleureusement les artisans de cette entreprise : collectivités publiques, fonctionnaires de l'État, associations et professionnels de la culture. Je prends encore plus ces jours-ci la mesure de leur compétence, de leur engagement et de leur enthousiasme.

Cet enthousiasme, je le partage pleinement avec vous, et je tiens à vous renouveler aujourd’hui le plein engagement de l'État dans la réalisation de ce projet pour la Guyane et pour les Guyanais.


Je vous remercie.


Source http://www.culture.gouv.fr, le 23 septembre 2010