Déclarations de MM. Julien Denormandie, ministre chargé de la ville et du logement et Mounir Mahjoubi, secrétaire d'Etat au numérique, sur la fracture numérique et les inégalités d'accès aux services publics, au Sénat le 20 février 2019.

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Circonstance : Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains, au Sénat le 20 février 2019

Texte intégral

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur la fracture numérique et les inégalités d'accès aux services publics.

Nous allons procéder au débat sous la forme d'une série de questions-réponses, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

Je rappelle que l'auteur de la demande du débat dispose d'un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.

À l'issue du débat, l'auteur de la demande dispose d'un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.

(…)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à vous remercier d'avoir pris l'initiative de ce débat sur le numérique, sujet ô combien important et sur lequel Mounir Mahjoubi et moi-même sommes pleinement engagés depuis près de deux ans.

Contrairement à une idée reçue, le numérique n'a pas constitué, jusqu'à présent, un facteur permettant de limiter la fracture territoriale. Bien au contraire, il s'avère être, à l'instant où je vous parle, un facteur d'aggravation de cette fracture. C'est un constat qu'il nous faut partager : trop souvent, on s'est dit que, grâce au numérique, on trouverait des solutions pour, ici, améliorer un service public, là, apporter un élément de réponse au sentiment de relégation ou d'abandon.

La réalité est tout autre. Aujourd'hui, le numérique a accentué les fractures territoriales, et ce pour une raison très simple : vous ne connaissez pas d'égalité d'accès au numérique en fonction du territoire où vous vivez.

J'en veux pour preuve de nombreuses décisions prises au cours de ces dernières années, ou même de ces derniers mois.

Le Parlement a ainsi récemment adopté une loi permettant de rendre opposable le télétravail. Désormais, la loi offre la possibilité à un salarié de demander à son employeur le droit de pratiquer le télétravail. Toutefois, seule une personne sur deux a accès, dans notre pays, au bon débit ou au très haut débit ; par conséquent, une personne sur deux est incapable de bénéficier de cette avancée.

De la même manière, Mounir Mahjoubi affronte tous les jours le problème de l'illectronisme : à l'heure actuelle, 13 millions de nos concitoyens sont éloignés de l'usage du numérique.

Que faut-il faire face à ces problèmes ? Comment peut-on concilier – c'est la question posée par M. le sénateur Patrick Chaize – la dématérialisation et l'accès aux services publics ?

Tout d'abord, il faut considérer, dans un projet politique, que le numérique et la téléphonie mobile de bonne qualité sont non pas des luxes, mais un droit.

Ensuite, avec une grande détermination, il faut développer les infrastructures partout sur le territoire où elles sont nécessaires.

Concernant le déploiement du numérique, vous le savez, nous nous sommes fixé des objectifs. Le premier d'entre eux est d'apporter à tous nos concitoyens du bon débit d'ici à 2020. Le second est de leur offrir du très haut débit – soit un minimum de 30 mégabits par seconde – d'ici à 2022.

À cette fin, depuis presque deux ans, nous avons déployé une méthode spécifique : à la fois, sécuriser le cadre législatif – ainsi, nous n'avons pas remis en cause les réseaux d'initiative publique, que certains décriaient abondamment, mais que nous avons choisi de consolider – et accélérer le déploiement des financements. Plusieurs centaines de millions d'euros ont été engagées au titre du plan très haut débit depuis janvier 2018. Par ailleurs, la première enveloppe de ce plan a été sécurisée.

Notre méthode passe également par une transparence largement accrue. Nous avons rendu contraignants les engagements souscrits par les opérateurs du déploiement de la fibre.

Les chiffres dont nous disposons quant à l'ensemble de l'action que nous avons menée montrent que, depuis le 1er janvier 2018, 11 000 lignes à très haut débit FTTH – Fiber To The Home – ont été raccordées ou sont rendues raccordables chaque jour ouvré. On avance donc très vite et avec beaucoup de détermination.

Venons-en au détail. Dans les zones très denses, on ne rencontre pas de difficultés ; d'ici à la fin de cette année, toutes ces zones devraient a priori être couvertes.

Les zones dites AMII connaissaient quant à elles un problème spécifique : les engagements pris par les opérateurs dans ces zones n'étaient pas contraignants. Citons la loi Montagne et le fameux article L. 33–13 du code des postes et des communications électroniques. Ce point a été modifié par voie législative. Dorénavant, les engagements pris par les opérateurs dans ces zones sont contraignants et contrôlés par l'Arcep, l'Autorité de régulation des communications électroniques. Cela aussi permet d'accélérer le déploiement.

Restent les zones relevant des réseaux d'initiative publique, dites zones RIP. M. le sénateur Chaize, avec lequel nous échangeons avec un plaisir extrême de manière presque quotidienne, met en avant plusieurs interrogations et points d'attention concernant ces zones. Les nouvelles procédures que nous avons permises pour accélérer le déploiement dans ces zones, dites « procédures Amel », ne sont absolument pas obligatoires, mais elles fonctionnent bien dans un certain nombre de territoires.

Vous avez également évoqué, monsieur Chaize, dans votre propos introductif, la fameuse réouverture du guichet. Nous avons, pour notre part, pris l'engagement d'analyser au cours de 2019, soit dans les dix prochains mois, l'ensemble des besoins, afin que des financements puissent être débloqués à destination des phases ultérieures des RIP, entre 2023 et 2025. Nous procédons actuellement à cette évaluation, afin de pouvoir prendre au plus vite les autorisations d'engagement qui sont nécessaires ; ainsi sera réalisée la réactivation pleine et entière de ce guichet, que vous appelez de vos voeux.

Vous avez enfin évoqué le sujet ô combien important de la téléphonie mobile. Il n'est pas acceptable, pour la vitalité et l'attractivité de nos territoires, pour que les enfants de la République continuent à habiter dans certains territoires, que votre téléphone portable n'affiche pas toutes les barres disponibles. Aujourd'hui, il est trop souvent nécessaire d'aller au fond du jardin et de lever la jambe droite, le pied gauche pour espérer pouvoir capter un réseau sur son téléphone ! (Sourires et marques d'approbation sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.) Cela n'est plus supportable !

L'origine de ce problème est la suivante : jusqu'à présent, lorsque l'État octroyait les fréquences, cette fameuse électricité dont les opérateurs ont besoin pour fonctionner, il les mettait aux enchères. On demandait ainsi aux opérateurs toujours plus d'argent, qui aboutissait dans le budget de l'État. Or les opérateurs, après avoir remporté ces enchères, recherchaient la rentabilité de leurs opérations et se concentraient donc sur les zones les plus denses. Nous avions nous-mêmes organisé leur concentration de facto sur ces zones !

Voilà ce que Mounir Mahjoubi et moi-même avons changé en janvier 2018 lorsque nous avons conclu le new deal qu'évoquait M. Chaize. Nous avons déclaré aux opérateurs que les fréquences qui seraient octroyées à l'été 2018 le seraient sur le fondement, non pas d'enchères, mais d'engagements contraignants et contrôlés par l'Arcep de déploiement d'infrastructures dans les territoires les plus ruraux.

Depuis le 1er janvier 2018, environ 3 500 points fixes sont passés des anciennes générations aux nouvelles générations d'antenne ; d'ici à la fin de 2020, ce sera le cas de 10 000 antennes.

En outre, 600 zones blanches ont été identifiées l'année dernière et feront l'objet d'un traitement spécifique, soumis à un engagement contraignant, dans un délai de douze ou de vingt-quatre mois, selon que le terrain sera, ou non, mis à disposition par la collectivité locale.

Cette année, 700 nouveaux sites qualifiés de zones blanches seront identifiés ; nous y travaillons en donnant le choix de ces identifications aux opérateurs, comme cela se faisait auparavant, mais aussi aux collectivités locales.

C'est ainsi que, chaque année, on traitera entre 600 et 800 zones blanches de manière très déterminée, avec un volet contraignant : ces accords sont signés sous le sceau de l'Arcep, gendarme des télécoms, qui vérifiera si ces engagements sont tenus et pourra prendre des sanctions s'ils ne le sont pas.

Un déploiement très important est également engagé sur les axes routiers ; un autre, tout aussi important, sur les axes ferrés.

Un deuxième grand axe de notre débat, sur lequel je le suppose, beaucoup de vos questions porteront, mesdames, messieurs les sénateurs, concerne l'utilisation de ces infrastructures. Une fois qu'elles sont construites, comment faire pour renforcer l'usage ? C'est tout l'objet du travail engagé par Mounir Mahjoubi : déterminer comment lutter avec efficacité contre l'illectronisme sans pour autant considérer que le numérique et la dématérialisation seraient la solution miracle à tous les problèmes d'accessibilité.

En conclusion, je tiens à réaffirmer ma conviction absolue qu'il faut partir des territoires et des projets territoriaux. Les maisons de services au public, ou MSAP, que j'ai beaucoup défendues, sont de très bonnes structures, mais dans certains endroits seulement. Leur forme même dépend des territoires. Ailleurs, il faudra trouver autre chose. En somme, il faut se fonder sur les réalités territoriales. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe Union Centriste. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)


- Débat interactif - 

Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes maximum pour présenter sa question, suivie d'une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.

Dans le cas où l'auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n'ait pas été dépassé.

Dans le débat interactif, la parole est à M. Guillaume Gontard.

M. Guillaume Gontard. Je sais bien que la tendance du nouveau monde est à la numérisation des services publics. De fait, celle-ci constitue une formidable opportunité de simplification des démarches administratives.

Nombreux sont ceux qui ont l'impression de ne pas parler le même langage que l'administration et qui se découragent devant la multiplicité et la complexité des démarches, allant parfois jusqu'à renoncer aux droits qui leur sont dus. Nombreux sont ceux qui bénéficieront de cette formidable possibilité de réaliser leurs démarches administratives à toute heure du jour ou de la nuit, sans attendre une RTT ou poser une demi-journée de congé.

Mais c'est une lame à double tranchant. La technologie numérique ne doit pas être un outil d'amoindrissement du service public et d'économies de bouts de chandelle au détriment des plus fragiles.

L'enquête du Défenseur des droits sur les impacts de la numérisation des services publics a révélé en juin dernier que celle-ci ne rend pas service à ceux qui en auraient le plus besoin lorsqu'elle se substitue à l'accueil humain. Elle revient alors à ériger un nouveau fossé entre l'administration et les citoyens.

Numérisation ne doit pas rimer avec désertification, car internet n'est qu'un outil qui ne peut se substituer intégralement à l'humain.

Tel est le cas, tout d'abord, parce que 8 % des Français, soit plus de 5 millions de nos compatriotes, n'ont pas accès à internet, mais aussi parce que des millions d'autres ne sont pas suffisamment familiarisés avec cet outil ou ne sont pas en mesure de l'utiliser seuls.

Aussi, la numérisation progressive de l'administration doit être accompagnée par des agents répartis le plus finement possible sur le territoire. Quoi de plus efficace, pour ce faire, que les mairies de nos 36 000 communes, qui sont le maillage le plus fin possible du territoire ?

On pourrait imaginer – cela a même déjà eu lieu – des permanences hebdomadaires ou plurihebdomadaires, assurées par des agents et des travailleurs sociaux. On accompagnerait ainsi toutes celles et tous ceux qui ne sont pas en mesure d'effectuer seuls leurs démarches en ligne.

Dès lors, monsieur le secrétaire d'État, ma question est simple : quelles assurances et quels moyens pouvez-vous donner pour garantir, dans toutes les communes de France, un accompagnement humain et de proximité au service public dématérialisé ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances et du ministre de l'action et des comptes publics, chargé du numérique. Pendant ce débat, de nombreuses questions aborderont le sujet visé sous différents angles. Je me permettrai donc, à chaque fois, d'apporter des réponses qui n'en couvriront pas la totalité, mais qui concerneront un point précis.

Monsieur le sénateur, vous me posez une question sur la numérisation des services publics. Vous avez rappelé que, pour beaucoup de Français, l'outil numérique, quand on sait l'utiliser, qu'il fonctionne bien et qu'on a accès au réseau, est une révolution.

C'est le cas pour les cartes grises, si on sait se connecter à internet…

M. Joël Bigot. Et si on ne sait pas ?

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État. … et que l'on ne rencontre aucun bug. Chaque année, plusieurs millions de cartes grises sont obtenues par ce biais ; en revanche, quelques milliers de nos concitoyens connaissent des difficultés et il faut dans ce cas que nous soyons capables d'être présents.

Rappelons que les services publics numériques apportent un bien-être dans la vie. Cependant – vous savez que cela a été une de mes inquiétudes dès mon arrivée au Gouvernement –, selon des analyses et des rapports que nous avons nous-mêmes produits, 20 % des Français sont confrontés à une difficulté majeure dans le domaine du numérique ; pour eux, il faudra toujours que l'on apporte des solutions.

Le Président de la République nous a fixé un objectif : permettre que 100 % des services publics soient disponibles en ligne d'ici à 2022. Cela ne signifie surtout pas que tous les services publics deviendront numériques à 100 %. Ce n'est pas la même chose ! Cela implique simplement qu'ils seront tous disponibles en ligne.

Mais nous avons rappelé que, pour tous les services publics qui seront disponibles en ligne, il y aura la chaleur d'un être humain pour accompagner. (Sourires.)

M. Jean-François Husson. C'est beau, mais c'est moins simple !

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État. Il s'agit d'être là pour ceux qui ne savent pas du tout se servir du numérique, ou pour ceux qui ont besoin d'être orientés.

C'est aussi le travail qu'ont mené les équipes de la mission Société numérique, toute l'année dernière, en collaboration avec les départements et les régions de France : déterminer, en toute finesse, qui sont ces oubliés du numérique. Quels sont ceux qui n'ont pas le réseau ? Quels sont ceux qui n'apprendront jamais ? Quels sont ceux que l'on peut former ? Enfin, quels sont ceux qui, mieux encore, peuvent profiter de cet apprentissage du numérique pour en retirer une compétence personnelle ?

Nous reviendrons sur chacun de ces points à l'occasion des prochaines questions, mais je répète que nous partageons trois convictions : quand le numérique fonctionne, il faut l'utiliser ; il faut être très présents pour ceux qui ne le maîtrisent pas ; enfin, pour celui qui est perdu, on ne remplacera jamais un être humain.

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour la réplique.

M. Guillaume Gontard. Monsieur le secrétaire d'État, vous n'avez pas tout à fait répondu à ma question. Vous venez de terminer votre propos en affirmant qu'on ne remplacera jamais l'être humain. Or on le constate bien, sur l'ensemble des territoires, tel n'est pas le cas. J'en veux pour exemple les MSAP. Certes, ce sont de jolis outils, mais en vérité, faute de présence humaine, d'accompagnement, de moyens, ils ne fonctionnent pas. Les MSAP peuvent être un plus, elles peuvent être intéressantes, elles peuvent apporter un service supplémentaire, mais à la condition qu'on leur consacre un minimum de moyens. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Joël Bigot. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Joël Bigot. Cela a été dit : deux Français sur dix demeurent éloignés de l'outil numérique, soit parce qu'ils n'y ont pas accès, soit parce qu'ils n'en maîtrisent pas les usages. En parallèle, la dématérialisation des services publics, si elle répond à un besoin d'efficacité et d'efficience que nul ne conteste, ne doit pas entraîner une déresponsabilisation des pouvoirs publics renvoyant à la sphère associative l'accompagnement des usagers.

Le rapport récent sur le sujet du Défenseur des droits sonne l'alerte et relève très justement le risque de privation de droits liée à la déconnexion ou à l'illectronisme des usagers.

Il faut donc conserver une présence physique du service public, car elle est conforme au principe constitutionnel d'égalité devant le service public.

L'association Emmaüs Connect, très impliquée dans l'inclusion des plus fragiles, estime qu'il faudrait un milliard d'euros, sur sept ans, pour financer l'inclusion numérique, tandis que le Gouvernement prévoit de mobiliser à peine 100 millions d'euros. Est-ce bien suffisant, au regard du risque de décrochement numérique, aussi bien en ville qu'en zone rurale ?

Par ailleurs, le développement de ce qu'il est convenu d'appeler les smart safe cities, ou villes sûres et intelligentes, comme Angers, va transformer profondément nos services publics par la numérisation généralisée. Il faudra bien sûr veiller à l'inclusion sociale et technologique des habitants.

Aussi la numérisation pose-t-elle également la question de la souveraineté, ce qui avait bien été mis en exergue par le rapport parlementaire de M. Luc Belot, paru en avril 2017.

En effet, la mise à disposition de data – données stratégiques utilisées par des applications en tous genres – pourrait, à terme, déposséder les collectivités de leurs services publics locaux.

Devant cette nouvelle menace de fracture numérique, l'État prévoit-il d'attribuer des aides financières spécifiques aux collectivités, afin de les accompagner dans la création de logiciels interopérables, de leur permettre ainsi de conserver la maîtrise de leurs données, et d'éviter une privatisation rampante de nos villes ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances et du ministre de l'action et des comptes publics, chargé du numérique. Monsieur le sénateur, prolongeons cette discussion sur le diagnostic et venons-en à la méthode.

Depuis deux ans, le sujet de l'inclusion numérique des plus éloignés est une priorité du Gouvernement. Une méthode que nous avons adoptée très tôt part du principe qu'aucune solution venant d'en haut ne peut fonctionner.

Pendant près d'un an et demi, nous avons travaillé avec l'Assemblée des départements de France et avec de nombreux présidents de département, qui sont venus eux-mêmes participer aux groupes de travail, ainsi qu'avec l'Association des régions de France.

Nous avons aussi travaillé avec la coopérative MedNum. En un an, elle a réuni autour d'elle tous les acteurs de la médiation numérique qui opèrent sur le territoire : Emmaüs Connect, que vous avez évoqué, la Ligue de l'enseignement, ou encore tous ceux qui, dans tous nos territoires, créent des points de formation, d'accueil et de transmission de compétences, tous ces acteurs qui constituent le maillage social et associatif de notre pays. Et c'est tous ensemble que nous avons construit, pendant cette année, la stratégie nationale pour un numérique inclusif.

Cette stratégie met en valeur l'idée selon laquelle chaque territoire doit recevoir une réponse particulière, parce que tous les territoires n'ont pas les mêmes besoins.

Précédemment, on rappelait que deux Français sur dix sont exclus d'internet. Malheureusement, dans certains départements, cette proportion s'élève à quatre Français sur dix. Dans ce cas-là, il faut une mobilisation différente.

Lors de l'élaboration de cette stratégie, nous nous sommes posé la question du financement et de la compétence en la matière. La compétence numérique inclusive est à la fois la plus partagée et la moins financée : elle relève de la compétence du département, de la compétence de la région, de la compétence de l'État, de la compétence de tous ceux qui sont en train de transformer le monde autour de nous.

Une autre étude qu'il est important de noter est celle que j'ai commandée à France Stratégie. J'ai demandé à cet organisme d'estimer combien cela coûte à une personne de ne pas savoir utiliser le numérique et combien cela coûte à la France. En effet, si vous êtes dans ce cas, il n'y a pas que les services publics numériques qui vous sont rendus inaccessibles, mais aussi les services offerts par le privé. Quand on ne sait pas utiliser internet, on est moins informé. Quand on ne sait pas utiliser internet, on communique moins avec son entourage. Quand on ne sait pas utiliser internet, c'est la double peine, et on paye tout plus cher : statistiquement, dès que les Français achètent un objet d'une valeur supérieure à 100 euros, ils comparent toujours en ligne.

Mme la présidente. Monsieur le secrétaire d'État, il faut conclure !

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État. On souffre de tous ces éléments à la fois. Je reviendrai dans un instant sur les différentes réponses que nous avons apportées à l'échelon territorial et sur le financement.

Mme la présidente. La parole est à M. Joël Bigot, pour la réplique.

M. Joël Bigot. J'avais posé des questions sur le détournement des données qui pouvaient être collectées par les collectivités locales, notamment les data. Je pense que vous aurez l'occasion de répondre sur ce point, monsieur le secrétaire d'État. Là aussi, beaucoup de gens s'autocensurent dans l'utilisation des services numériques, tout simplement parce qu'ils ne sont pas familiarisés avec cet outil. Or face à l'explosion des données qu'on observe aujourd'hui, des personnes restent véritablement en retrait. Cela risque de créer des citoyens de seconde zone.

Mme la présidente. La parole est à Mme Véronique Guillotin.

Mme Véronique Guillotin. S'il est un sujet qui continue de préoccuper particulièrement les Français et dont les imbrications avec le numérique se font de plus en plus prégnantes, c'est bien la santé.

Numérique et santé sont, en effet, de plus en plus indissociables.

Utilisées à leur plein potentiel, les nouvelles technologies contribueraient – le conditionnel est important – à améliorer l'innovation, la recherche et le parcours de soins, et à réduire la fracture territoriale par un meilleur accès aux soins, notamment grâce à la télémédecine, dans toutes ses composantes, de la téléconsultation à la téléexpertise.

Les ambitions de la France en la matière sont immenses, de même que ses atouts, avec un système de santé de qualité reconnu dans le monde entier. Mais le déploiement de la télémédecine se heurte encore à plusieurs difficultés, notamment, au manque d'efficience du réseau sur certains territoires.

Dans le Grand Est, par exemple, nous avons lancé un plan massif visant à doter de la fibre optique, d'ici à 2023, chaque habitation de la région.

Au-delà du déploiement du très haut débit, les professionnels de santé éprouvent néanmoins des difficultés à s'organiser. Seuls 35 % d'entre eux disent connaître correctement les technologies de santé connectée. Ils ont besoin de plus d'ingénierie, de plus d'accompagnement et de plus de formation pour mettre en place les outils et les organisations nécessaires et ainsi faire profiter pleinement leurs patients des atouts du numérique.

Pouvez-vous nous dire, monsieur le secrétaire d'État, quelles sont les ambitions de l'État en la matière et quels sont les moyens que vous comptez déployer pour y parvenir ?

Le second point de ma question concerne le remboursement de la téléconsultation.

J'ai soutenu le basculement de la téléconsultation dans le droit commun, lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018, et j'ai salué la déclaration du directeur de la caisse nationale d'assurance maladie relative à la signature de l'avenant : « Tout assuré, quel que soit son lieu de résidence, et tout médecin, quelle que soit sa spécialité, pourra y recourir. » Je considère toujours cette mesure comme une réponse, parmi d'autres, au phénomène de désertification médicale.

Toutefois, des freins semblent exister. La CNAM a récemment annulé le remboursement des consultations effectuées par des patients n'étant pas domiciliés à proximité du médecin qui assure la téléconsultation. Quel est l'état d'esprit du Gouvernement sur ce sujet, et quelles pistes sont envisagées pour lever ces freins ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances et du ministre de l'action et des comptes publics, chargé du numérique. Madame la sénatrice, vous avez raison : la télémédecine est une opportunité incroyable.

C'est le fait, d'abord, de la téléconsultation, qui rend accessible un médecin à une personne à un moment où, physiquement, celui-ci n'aurait pas pu être près d'elle. Cela évite au patient de devoir parcourir une distance qu'il n'aurait peut-être pas pu franchir seul et met à sa disposition, près de chez lui, un médecin par le biais du téléphone ou de la visioconférence. Ce médecin va pouvoir établir un diagnostic, apporter des réponses, et rédiger une ordonnance ; le patient pourra, ensuite, aller récupérer les médicaments à la pharmacie.

Même si la volonté du Gouvernement a été de généraliser le remboursement de ces téléconsultations, la forme de ces dernières revêt une diversité incroyable à travers le territoire.

J'ai eu la chance de faire tout le tour de la France et de me familiariser avec de nombreuses initiatives engagées dans les départements, en milieu rural comme en milieu urbain. À chaque fois, le dispositif est différent. Pour ma part, je crois que c'est dans cette diversité que l'on va trouver les différentes solutions. Il n'y a pas de solution universelle !

Il y aura la téléconsultation que les gens pourront faire de chez eux, mais elle ne sera jamais de la même nature que celle qui s'effectuera dans une cabine, en compagnie de quelqu'un – aide-soignante ou infirmière – qui jouera un rôle de médiation médicale.

Ces téléconsultations de demain posent de très nombreuses questions. Des expérimentations ont été réalisées pendant plusieurs années. Aujourd'hui, nous en sommes à la généralisation, mais seulement à l'an 1 de la généralisation.

Madame la sénatrice, oui, la CNAM, notamment, a estimé que le médecin consulté était trop éloigné. En effet, pour cet an 1 de la téléconsultation, nous avons souhaité qu'elle soit réservée à la relation entre un médecin généraliste et un patient qu'il a l'habitude de recevoir ou qu'il pourrait avoir l'habitude de recevoir. Il a donc été considéré que, au vu de la distance, il était peu probable qu'une telle relation puisse s'instaurer.

Cela étant, le modèle que nous ne souhaitons pas est le modèle américain selon lequel, à travers une application, on peut zapper d'un médecin vers un autre, avec un forfait illimité de consultations. Si nous l'adoptions, nous dénaturerions le fameux lien humain dont nous parlions précédemment.

Une téléconsultation avec des humains, une téléconsultation remboursée, une téléconsultation reconnue par l'Ordre des médecins comme étant une consultation médicale de qualité, voilà l'ambition ! Rappelons que 2019 est l'année du remboursement de toutes ces téléconsultations. Certains patients vont vivre des changements impressionnants.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson.

M. Jean Louis Masson. Je veux, pour ma part, évoquer les problèmes que pose la politique de l'administration consistant à systématiquement obliger les citoyens à passer par internet pour accomplir leurs formalités, qu'elles soient administratives ou autres.

Actuellement, on n'arrive plus à obtenir un renseignement par téléphone. On nous rétorque : « Regardez le site internet ! » C'est scandaleux, c'est la négation même du service public ! Que faites-vous des gens qui ont 75, 80, ou 95 ans, ne savent pas se servir d'internet, ou n'ont pas eu de formation ?

Je crois, monsieur le secrétaire d'État, qu'il faut absolument présenter un texte législatif aux termes duquel toutes les personnes de plus de 70 ans, par exemple, doivent pouvoir avoir des contacts avec l'administration et faire leurs formalités de manière traditionnelle, comme c'était le cas auparavant.

J'admets qu'on demande à un jeune de 20 ans de recourir à internet, parce que ces jeunes en savent au moins autant qu'un spécialiste de 60 ans !

Comprenez en revanche que c'est absolument dramatique pour certaines personnes de se retrouver complètement démunies.

J'aimerais bien, monsieur le secrétaire d'État, que vous nous disiez si le Gouvernement serait d'accord pour élaborer une loi à caractère général qui disposerait que les personnes dont l'âge dépasserait un certain seuil, ou qui seraient nées avant une certaine date, auraient le droit de ne pas recourir à internet. Et, petit à petit, au fur et à mesure que les plus jeunes atteindraient un âge plus avancé, on pourrait progressivement remonter l'âge butoir.

M. Philippe Adnot. M. Masson est très raisonnable !

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances et du ministre de l'action et des comptes publics, chargé du numérique. Monsieur le sénateur, je partage votre colère. Il est inadmissible d'imposer un outil à quelqu'un qui ne sait pas l'utiliser.

À chaque fois qu'on répond au téléphone à quelqu'un : « Mais vous n'avez qu'à aller sur le site internet, ma bonne dame, mon bon monsieur », on insulte et on méprise cette personne.

En outre, on entretient le sentiment d'humiliation que beaucoup de Français qui ne maîtrisent pas particulièrement la langue écrite ressentent depuis des décennies face à un formulaire trop compliqué pour eux. On a transmis avec le numérique toutes les incompréhensions de ceux qui ne maîtrisaient pas la langue. De surcroît, on ajoute à ces derniers, quel que soit leur âge, ceux qui ne maîtrisent pas le numérique. C'est la double punition !

Qu'avons-nous fait évoluer ? Je vais reprendre l'exemple de la carte grise. Quand nous sommes arrivés au Gouvernement, plusieurs milliers de dossiers étaient en attente dans une grande pile et on ne savait plus trop comment traiter le problème. Quand vous vous présentiez à la préfecture, on vous disait : « On est désolé, il n'y a plus de guichet qui s'occupe de ce sujet et on ne sait pas où en est votre dossier. »

En un an, nous avons mis en place une équipe spécialisée qui a traité cette pile de dossiers en attente. Surtout, nous avons créé des équipes régionales d'expertise qui s'occupent de toutes les demandes qui sont faites dans la région. Enfin, dans chaque préfecture de France, nous avons instauré un lieu d'accueil avec un véritable être humain à qui on peut parler et demander d'appeler la plateforme d'expertise régionale. Or celle-ci, désormais, ne vous répond pas d'aller sur le site internet, mais elle explique : « Oui, votre dossier fait partie de ceux qui étaient bloqués pour telle ou telle raison. »

Nous allons généraliser cet exemple. Il ne peut pas y avoir numérisation sans inclusion. Si on numérise à tout prix, en condamnant, on est sûr de créer des résistances. Ceux qui croient au progrès et au numérique doivent donc être ceux qui, avec vous, affirment qu'on devrait toujours avoir la capacité de parler à un humain.

Par ailleurs, le numérique peut lui aussi apporter des solutions. En effet, pour que l'être humain présent dans la préfecture puisse répondre à la personne en détresse numérique qui vient le voir, il faut qu'on mette en place des systèmes d'information qui lui donnent la capacité de le faire.

C'est tout le travail que nous menons à l'heure actuelle, dans tous les services publics, de façon transverse, pour que toutes les personnes qui accueillent à la préfecture, dans les MSAP d'aujourd'hui ou de demain, dans les lieux de médiation numérique, dans les lieux d'accompagnement, puissent vraiment vous renseigner et vous accompagner.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour la réplique.

M. Jean Louis Masson. Monsieur le secrétaire d'État, c'est une vue de l'esprit ! Actuellement, vous ne trouvez personne dans les administrations. Lorsque vous téléphonez, vous n'avez plus personne !

C'est sympathique de dire qu'il y aura quelqu'un, mais vous savez comment cela se passe. Les préfectures planquent même leur numéro de téléphone ! Obtenir ce numéro relève désormais quasiment du parcours du combattant. On tombe sur un « 08 », sur je ne sais quelle plateforme ! C'est extraordinaire !

Et pour ce qui concerne les impôts, on est obligé de payer par internet ! Ce n'est pas possible !

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Delcros.

M. Bernard Delcros. Je souhaite associer à ma question ma collègue Nadia Sollogoub, élue du département rural de la Nièvre.

L'arrivée du numérique a ouvert le champ des possibles pour les territoires ruraux. En effaçant la distance, elle a offert la possibilité de placer tous les territoires sur un pied d'égalité et donc de désenclaver des territoires ruraux.

Or c'est trop souvent l'inverse qui s'est produit : ces quinze dernières années, le déploiement des infrastructures numériques et de téléphonie mobile a été mené à un rythme très inégal selon les territoires. La fracture territoriale s'est ainsi accentuée par l'effet de la fracture numérique.

Nous avons même subi une double peine : aux retards d'installation des équipements s'est ajoutée l'obligation faite aux collectivités, pourtant les moins riches, de participer à leur financement, en raison d'une trop faible densité de population. Telle a été la réalité de ces quinze dernières années.

Nous savons cependant que le progrès technologique ne cesse d'avancer et va créer de nouvelles opportunités. La ruralité ne doit pas être tenue à l'écart de ces rendez-vous futurs. Dans les territoires à faible densité de population, on ne peut plus se contenter de courir sans cesse derrière la technologie, avec cinq ou dix ans de retard !

Êtes-vous prêt, monsieur le ministre, à inverser la logique qui a creusé ces inégalités territoriales quand on aurait dû les réduire ?

Êtes-vous prêt, à l'avenir, à avancer au même rythme partout en France, dans une perspective d'aménagement du territoire national fondée sur l'équité, par exemple pour le déploiement de la 5G, qui arrive sur le marché ? (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

M. Michel Canevet. Excellent !

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement. Monsieur le sénateur Delcros, l'exemple que vous donnez peut être dupliqué dans beaucoup de territoires.

J'étais moi-même dans le Cantal, il y a quelque temps, auprès d'un ami cher (Sourires.), pour évoquer le déploiement du numérique, mais aussi de la téléphonie mobile. Il faut affronter tous les sujets, y compris celui dont nous n'avons pas parlé, mais qui a fait couler beaucoup d'encre dans le Cantal : le téléphone fixe. Il n'est pas normal que, quand un opérateur a remport�� le contrat de service public universel, il faille, pour de multiples raisons, attendre des semaines, voire des mois, avant que le service soit rétabli. L'Arcep s'est saisie de la question pour faire émerger une solution.

Venons-en au déploiement du numérique et de la téléphonie mobile. Sur le premier, nous travaillons beaucoup, et votre département a fait le choix, avec la région, d'un plan régional mené par une équipe très déterminée à trouver des solutions avec pour objectif d'apporter le très haut débit dès 2022, puis le FTTH, c'est-à-dire la fibre jusqu'à l'abonné, en 2025. Nous avons réalisé, il y a quelques mois, un point de situation sur place et nous continuons à accompagner cet effort, notamment par les financements de l'État au titre du plan très haut débit.

S'agissant, enfin, de la téléphonie mobile, le département du Cantal a, comme tous les départements, reçu à ce titre des dotations de l'État pour l'année 2018, puis pour l'année 2019. Nous voulons même passer à des dotations pluriannuelles, en disant aux collectivités – il s'agit souvent du département, mais il faut parfois sélectionner un échelon plus vaste – qu'il leur revient de choisir où elles souhaitent les utiliser ; cela, ni moi ni Mounir Mahjoubi ne pouvons le faire.

Nous allons finaliser l'apport du numérique avec beaucoup de volonté, en accompagnant les collectivités, mais aussi en déployant les points fixes, c'est-à-dire les antennes, là où c'est nécessaire, avec de la visibilité. Notre détermination reste donc totale.

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Delcros, pour la réplique.

M. Bernard Delcros. Merci, monsieur le ministre, de ces réponses. À mon sens, il est toutefois urgent de changer de logiciel. Le plan que vous décrivez est ambitieux, pour le Cantal comme pour d'autres départements, et je veux le saluer, mais, comme les précédents, il sert d'abord à rattraper le retard.

S'agissant des avancées technologiques qui sont devant nous et qui arrivent sur le marché, il faut que tous les territoires puissent en bénéficier dès qu'elles seront opérationnelles.

Aujourd'hui, le coût de la connexion et de l'abonnement est le même pour tout le monde en France, mais tout le monde n'a pas accès aux mêmes services. Il y a une inégalité de traitement.

À l'heure où l'on veut envoyer des messages forts à la ruralité, l'importance qu'y prend le numérique devrait vous conduire à ne pas oublier ces territoires quand une avancée technologique se produit.

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Fouché.

M. Alain Fouché. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le numérique est aujourd'hui omniprésent dans nos vies quotidiennes : smartphones, réseaux sociaux, e-services, web, paiements en ligne, éducation, emplois…

Il constitue, sans aucun doute, l'un des défis majeurs de notre époque ; une chance, autant qu'un risque. Il représente une chance pour chacun d'accéder à de nouveaux services, à de nouvelles technologies, de gagner du temps, de rester en contact avec l'autre, mais aussi une opportunité pour les services publics, qui doivent se moderniser. Certains pays, comme l'Estonie, y parviennent très bien. C'est un enjeu politique et social pour simplifier la vie des citoyens et améliorer leur quotidien, comme pour permettre à l'État de faire des économies.

Le numérique peut également, toutefois, représenter un risque : celui de provoquer une exclusion plus forte de certains citoyens, ceux qui vivent en zone blanche, ceux qui sont mal ou pas équipés, ceux qui n'ont pas les connaissances nécessaires pour utiliser ces nouvelles technologies. Les recommandations du Défenseur des droits à ce sujet sont nombreuses et dressent un bilan assez mitigé de la situation. Il importe donc de rester prudent quant à la dématérialisation totale des services publics. Ainsi, selon un sondage récent, 36 % des Français sont inquiets à l'idée d'effectuer toutes leurs démarches administratives en ligne, comme le Président de la République souhaite que ce soit le cas à partir de 2022.

Monsieur le secrétaire d'État, face à cette inéluctable révolution numérique, face aux risques inhérents d'inégalité d'accès aux services publics dématérialisés, comment comptez-vous accompagner chaque citoyen pour que le numérique soit une chance et cette dématérialisation une opportunité de simplifier la vie de chacun en prenant en compte les spécificités de tous nos territoires ? (M. Daniel Chasseing applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances et du ministre de l'action et des comptes publics, chargé du numérique. Monsieur le sénateur Fouché, vous avez raison, la seule question à laquelle nous devons répondre est la suivante : comment faire du numérique une chance pour tous et éviter qu'il n'y ait, en France, des oubliés du numérique ?

J'ai évoqué étape par étape le sujet des services publics ; abordons maintenant les dispositifs opérationnels.

Sur ces 20 % de Français qui ne maîtrisent pas le numérique, il faut distinguer ceux qui peuvent être formés et les autres. Je vais consacrer un peu de temps à cette seconde catégorie. Ce sont les Français qui rencontrent les plus grandes difficultés, parce qu'ils ne maîtrisent pas la langue, parce qu'ils cumulent d'autres handicaps ou parce que, en raison de leur très grand âge, ils ne peuvent plus accéder à ces services. La seule option possible est de les accueillir, physiquement ou au téléphone, et de s'assurer qu'un être humain sera toujours là pour assurer la médiation finale.

Cela pose plusieurs questions : où situer ce lieu ? À quel moment de la démarche quelqu'un qui est perdu peut-il contacter un être humain ? Comment rassurer, accompagner et former ceux qui sont chargés de l'accueil ?

Ces dernières années, certaines dispositions ont bien fonctionné, d'autres non. On a ainsi voulu créer des agents territoriaux multispécialistes au sein des MSAP, mais on a parfois oublié de les former. Résultat : la personne chargée de vous accompagner dans toutes vos démarches ne les maîtrisait pas elle-même et ne pouvait donc pas remplir sa mission ; pis encore, on ne lui a pas toujours donné les outils nécessaires pour la mener à bien. Elle devait donc se connecter à votre place à vos services publics en ligne et essayer, comme elle le pouvait, de vous aider.

Nous sommes en train de mettre en oeuvre des outils et des formations pour ces accompagnants présents dans les MSAP ou dans les centres sociaux.

Nous évoquions à l'instant l'identifiant unique pour les personnes qui sont autonomes numériquement, j'y reviendrai ; nous sommes en train de constituer FranceConnect Aidants, qui doit permettre à un aidant de se connecter à votre place en assurant une plus grande sécurité dans l'accès à votre dossier et dans l'accompagnement.

Nous continuerons, de plus, à pousser plus loin la formation de ces agents publics de proximité chargés de vous accompagner dans toutes les procédures. De cette manière, quand vous serez face à un agent de médiation de la caisse d'allocations familiales, la CAF, celui-ci ne vous répondra pas : « Pour une demande de carte grise, allez voir l'agent de médiation de la préfecture ! » Ces agents s'occuperont de tout pour vous. Voilà ce que je peux vous répondre, s'agissant de l'accueil humain de proximité.

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Fouché, pour la réplique.

M. Alain Fouché. Les problèmes ne datent pas d'aujourd'hui, mais j'ai bien noté, monsieur le secrétaire d'État, votre volonté de trouver des solutions, de donner des moyens et de former les gens, même dans les cas les plus difficiles, voire presque impossibles ! Votre réponse me satisfait donc.

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Laurent.

M. Daniel Laurent. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la couverture en services numériques est un enjeu majeur d'attractivité pour les activités économiques et pour l'installation des familles. Ce n'est pas par hasard que les trois principales demandes d'information dans nos communes concernent le numérique, l'école et l'accès aux soins !

Le Sénat n'a pas manqué d'alerter les gouvernements successifs sur les risques de fracture territoriale et sociale dans notre pays. La réorganisation des services publics et les réformes territoriales additionnées à l'absence de politique d'aménagement du territoire ont été vécues douloureusement, notamment par les communes concernées, qui avaient le sentiment d'être les seules à en être affectées, s'agissant de la justice, des armées, des finances publiques ou de la santé.

Enfin, je veux évoquer le droit des usagers face à la dématérialisation des formalités administratives : 27 % d'entre eux sont dépourvus d'accès à internet et 33 % ne maîtrisent pas l'outil, ce qui fait peser un risque de non-recours aux droits.

La dématérialisation de l'obtention des permis de conduire est symptomatique : on a supprimé ce service, avec pour résultat des délais excessifs. Les services de l'Agence nationale des titres sécurisés, l'ANTS, sont injoignables et une simple erreur matérielle dans la demande nécessite un renouvellement total et non une rectification simple à la charge de l'administration. C'est inadmissible !

Pour conclure, nous ne pouvons rester sur un constat d'échec. Fort heureusement, ça bouge dans nos départements ! En Charente-Maritime, nous avons pour ambition de couvrir 100 % du territoire en fibre optique d'ici à 2022, la désertification médicale fait l'objet d'un accompagnement des zones les plus isolées et les maisons de services au public sont au plus près des citoyens. Nous avons une obligation de réussite.

Monsieur le secrétaire d'État, la verticalité a ses limites et peut empêcher de voir l'horizon. Au Sénat, nous sommes la voix des territoires, merci de nous entendre !

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances et du ministre de l'action et des comptes publics, chargé du numérique. Monsieur le sénateur Laurent, vous avez raison : la verticalité a ses limites et quand on pilote de trop haut, on tombe aussi de très haut.

C'est pour cela que je serai le 18 mars avec le président Dominique Bussereau, pour signer la charte Territoires d'actions pour un numérique inclusif, car, comme vous le dites très justement, votre département figure parmi ceux qui sont les plus avancés en la matière.

La signature de cette charte soulignera les accomplissements déjà réalisés ces dernières années par le département et permettra d'annoncer les ambitions pour les années à venir. Nous évoquerons ainsi le sujet de l'accueil physique : comment le met-on en place ? Comment structurer localement les associations, les points d'accueil et leur conférer des compétences partagées ? Nous devrons déterminer comment le département, l'État et les services sociaux déconcentrés vont, ensemble, participer, financièrement et en termes d'orientation, afin d'accompagner les personnes qui peuvent être formées.

Dans votre département, en effet, différents diagnostics ont permis de confirmer qu'une grande partie des personnes qui ne maîtrisent pas le numérique aujourd'hui pouvaient être formées en dix à vingt heures aux usages de base : se connecter à internet ou utiliser un login et un mot de passe.

C'est pour cela que votre département a mis en place, avec Pôle emploi, le fameux Pass numérique, sur lequel je reviendrai tout à l'heure, et que nous allons faire passer, cette année, à l'échelle nationale. Ainsi, nous formerons les agents de Pôle emploi à détecter une personne qui se présente, mais qui ne se connecte jamais au site ou qui n'a pas d'adresse e-mail, pour lui proposer ce Pass utilisable dans une association ou dans un lieu de médiation numérique proche de son domicile, afin qu'elle soit accompagnée dans cette phase d'accélération.

Ce dispositif concerne bien les Français identifiés comme étant capables de se former au numérique. Il est important, dès lors que l'on reconnaît cette capacité, de la nourrir plutôt que d'orienter immédiatement ces personnes vers quelqu'un qui ferait les démarches à leur place.

C'est vrai, l'inclusion numérique doit être une priorité, mais pour tous. C'est pour cela que l'illustration offerte par votre département est très importante à mes yeux. Ce 18 mars, nous en profiterons pour relater le travail que nous avons mené pendant dix-huit mois pour en arriver à cette signature.

Merci encore de votre question. J'espère vous retrouver à cette date autour du président Bussereau !

M. Daniel Laurent. Merci pour mon département.

Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Cartron.

Mme Françoise Cartron. Monsieur le secrétaire d'État, depuis de nombreuses années maintenant, le numérique prend une importance considérable dans notre quotidien. Les infrastructures, leur implantation et leur accessibilité sont une problématique que nous abordons souvent dans cet hémicycle, afin de réduire ce que l'on appelle la fracture numérique.

Se posent également aujourd'hui, de façon systématique, la question des usages ainsi que celle de l'inclusion numérique.

Jeudi dernier, vous étiez en déplacement à Labège, près de Toulouse, pour échanger avec des acteurs impliqués dans ce domaine dans le cadre d'une étape du Tour de France des oubliés du numérique, visant à identifier les problématiques, mais aussi les initiatives remarquables en la matière.

À l'issue de ces présentations, une charte Territoires d'actions pour un numérique inclusif a été signée, prévoyant la prise en compte de l'ensemble des publics possiblement éloignés, des plus jeunes générations aux plus âgées.

Dans mon département, la Gironde, des assises des solidarités numériques étaient organisées au mois de décembre dernier. Dédiées au développement social, elles avaient pour objectif d'apporter aux collectivités et aux associations les outils nécessaires pour tendre vers un usage du numérique facilitant le lien social.

Alors que l'administration française migre de plus en plus vers des services numériques, alors qu'une directive européenne introduit l'obligation, pour les sites appartenant à une instance publique, d'être accessibles aux personnes handicapées, est-il prévu de mettre en place une plateforme d'échanges unique et identifiée ? Celle-ci pourrait regrouper les initiatives dans ce domaine, afin que chaque collectivité puisse prendre connaissance des bonnes pratiques et des projets développés à travers le pays et s'en inspirer. (Mme Noëlle Rauscent applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances et du ministre de l'action et des comptes publics, chargé du numérique. Madame la sénatrice, merci d'avoir rappelé l'actualité de ce Tour de France des oubliés du numérique et d'avoir évoqué les chartes que nous avons signées avec les dix premiers territoires qui se sont engagés à travailler avec nous : la Creuse, les Pyrénées-Atlantiques, la Gironde, la Drôme, l'Ardèche, la Charente-Maritime, les régions Bourgogne-Franche-Comté, Hauts-de-France et Centre-Val de Loire et une intercommunalité, le Sicoval, près de Toulouse, où je me trouvais la semaine dernière.

Avec ces chartes, nous nous inscrivons dans une démarche gagnant-gagnant qui permet la mise à disposition d'une expertise de niveau national, issue de l'État, pour accompagner les collectivités locales concernées dans la définition d'un plan stratégique d'inclusion.

Ces plans, ces techniques et ces méthodes ont été développés non pas par la seule équipe de Société Numérique, à Paris, mais également avec les experts de ces territoires, qui se réunissent régulièrement à Paris et organisent aussi des ateliers en régions, auxquels j'ai eu l'occasion de participer. La personne qui dirige cette équipe est d'ailleurs à mes côtés et je l'en remercie.

Le travail de la mission Société Numérique, c'est le partage des connaissances et des communs. La MedNum, cette coopérative dont l'État et chacun des membres sont actionnaires, est là pour créer des outils communs partagés par tous. Une plateforme est née, inclusion.societenumerique.gouv.fr, sur laquelle on trouve des kits clés en main pour permettre aux petites collectivités de débattre d'une stratégie d'inclusion numérique locale, ainsi que des dossiers plus complets, destinés à aider les collectivités qui ont plus de moyens à identifier les interlocuteurs, les intermédiaires et les acteurs avec lesquels elles peuvent démarrer, prolonger ou amplifier leur stratégie. On y trouve, enfin, un benchmark, une analyse des meilleures pratiques des départements et des régions de France qui ont un pas d'avance sur ce sujet.

Vous avez raison, nous ne réussirons que grâce au maillage et à la dentelle locale. Aucun territoire ne ressemble à un autre, mais quelques solutions fonctionnent très bien et nous devons être capables de les partager.

Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Cartron, pour la réplique.

Mme Françoise Cartron. Les maires ruraux sont de bons artisans de cette dentelle locale. J'étais hier avec le président de l'Association des maires ruraux de Gironde, laquelle met en place un wiki des maires, conçu comme une plateforme des bonnes pratiques issues du monde rural. Quand on fait appel à l'intelligence des territoires, beaucoup de choses sont possibles, en particulier dans le domaine du numérique !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Tissot.

M. Jean-Claude Tissot. Quand on parle de fracture numérique, on a tous en tête les difficultés induites par l'inégale couverture du territoire et les zones blanches. Je voudrais plutôt revenir sur un autre aspect de cette fracture : les difficultés liées à l'usage, que certains dénomment l'illettrisme numérique, ou l'illectronisme.

Aujourd'hui, 20 % de nos concitoyens ne savent pas utiliser internet, soit 13 millions de personnes, dont plus de la moitié ne se connecte jamais. Le coût de l'équipement est aussi un frein : selon une étude d'Emmaüs, 35 % des personnes vivant sous le seuil de pauvreté n'utilisent jamais internet.

Alors que le mot d'ordre est la dématérialisation des services publics, cela pose une sérieuse question d'accès aux droits dans un nombre croissant de secteurs – la sécurité sociale, la recherche d'emploi, les déclarations PAC, pour les agriculteurs, l'orientation universitaire avec Parcoursup –, voire un problème d'accès à la démocratie, puisque même l'organisation du grand débat se fait essentiellement via internet.

La réforme de la justice, notamment, est une source d'inquiétude de ce point de vue, puisqu'elle comporte un large volet consacré à la dématérialisation de l'accès à la justice. En remettant en cause l'accès direct au juge, on fait reposer la garantie du respect des droits fondamentaux des citoyens sur le postulat d'un accès universel à l'outil informatique.

À l'heure où l'État tend à s'appuyer de plus en plus sur le numérique pour améliorer l'accès au droit, il doit absolument garantir à chaque individu, dans le même temps, la possibilité de disposer d'un accès à internet et de la capacité à l'utiliser.

Aujourd'hui, force est de constater que les réponses ne sont pas à la hauteur des besoins. Ainsi, le plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté prévoyait, certes, des bornes d'accès au droit dans des lieux d'accueil de personnes en grande difficulté, mais pas l'accompagnement nécessaire pour que l'accès à ces bornes soit effectif.

De même, le Gouvernement présentera prochainement une liste d'une dizaine de lieux de médiation numérique pour conseiller et former les populations les plus éloignées d'internet, soit même pas un par grande région !

Pour que les progrès techniques soient véritablement synonymes de progrès social et non source d'une exclusion supplémentaire, le volontarisme des pouvoirs publics doit être identique à celui qui avait été déployé pour combattre l'illettrisme.

Monsieur le secrétaire d'État, quelles sont les intentions du Gouvernement pour répondre à ces enjeux ? Mettrez-vous en place un véritable plan national d'alphabétisation digitale, comme le demandent les associations de lutte contre l'exclusion depuis plusieurs années ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances et du ministre de l'action et des comptes publics, chargé du numérique. Monsieur le sénateur Tissot, quelle tristesse de vous entendre dire que nous allons ouvrir seulement dix lieux ! C'est beaucoup plus que cela : l'appel à projets prévoyait la création de dix hubs, de dix lieux de multiplication. Il s'agissait d'identifier, dans les territoires, les structures volontaires susceptibles d'animer les lieux présents partout, mais trop petits pour disposer des bonnes expertises.

Dans une commune rurale, par exemple, la médiation numérique passera souvent par une association, par un prestataire, voire par les services de la mairie, pour quelques heures par semaine. Ces lieux n'auront pas toujours les outils de bon niveau, les expertises pertinentes, la capacité d'accompagner le public. Dès lors, le hub le plus proche, dans le département ou dans la région, assistera et formera ces accompagnants, leur donnera les outils et mettra à jour régulièrement leur connaissance des procédures. Ces dix hubs ont donc vocation à rayonner et à avoir un effet multiplicateur.

À l'issue du travail que nous avons mené avec les territoires, nous avons pris conscience que le numérique des services publics et de l'inclusion allait aussi vite que celui des réseaux sociaux et du commerce : un an après, on est un has been, deux ans après, on est vraiment très éloigné et trois ans après, le monde numérique que l'on a connu ne ressemble plus à celui qui se trouve sur l'écran. Ces hubs ont pour mission de donner à tous la capacité d'être toujours au meilleur niveau.

L'objectif est donc de créer non pas dix lieux, mais bien des milliers à travers le territoire. Dans les départements et les territoires dont j'ai fait la liste, la première mission assignée à la stratégie locale d'inclusion numérique est l'identification et la cartographie des acteurs.

Dès la mi-mars, nous mettrons en ligne une cartographie open source, donc librement disponible pour tous, de tous les lieux de médiation numérique. Chacun des départements pourra contribuer à cette carte nationale, afin de produire une photographie très claire des acteurs de l'accompagnement et des besoins des accompagnés comme des accompagnants. Le hub jouera alors un rôle d'accélération de l'expertise et des compétences.

Notre ambition est partagée et ce plan est national, avec 100 millions d'euros apportés par l'État et les collectivités, et certaines d'entre elles contribueront encore plus que prévu. Cela ne sera jamais assez, mais l'année 2019, c'est l'année de l'action !

Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier.

Mme Anne-Catherine Loisier. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, pour avoir accès aux services publics numériques, il faut remplir deux conditions : être connecté et savoir se servir d'internet.

Concernant le premier point, nous sommes tous vigilants pour assurer au plus vite une couverture opérationnelle sur l'ensemble du territoire et la loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, dite loi ÉLAN, nous permettra d'accélérer ce déploiement.

Monsieur le ministre, vous avez évoqué les dispositifs Amel, pour appel à manifestation des engagements locaux. Combien en a-t-il été conclu à ce jour ?

En pratique, nous le savons, certains de nos concitoyens sont déjà pris en otage, victimes de la suppression de services publics au profit de leur version numérisée, avant même que ceux-ci ne leur soient accessibles. La méthode est quand même surprenante et fait peu de cas des usagers. Chez moi, on appelle cela mettre la charrue avant les boeufs !

Quant aux usages, le Gouvernement a lancé en septembre la stratégie nationale pour un numérique inclusif, comportant, notamment, les deux mesures phares que sont le Pass numérique pour 10 millions d'euros et la structuration des hubs pour, avais-je noté, 5 millions d'euros. Ce plan vous semble-t-il suffisant ? En réalité, nous le savons, il agrège des dispositions disparates dont la plupart existent déjà sur le territoire, mais qui ont échoué à régler la question de fond de l'illectronisme, qui conjugue fracture sociale, difficultés de mobilité, problèmes territoriaux, illettrisme et isolement.

Il est vrai que seules des actions de proximité menées dans la durée sont à même de faire évoluer les comportements. Je salue, à ce titre, tout ce qui est fait dans les établissements scolaires, dans les MSAP – encore faut-il pouvoir s'y rendre, et c'est un problème réel dans les territoires ruraux –, ou encore l'initiative Ardoiz, menée par La Poste, tablette qui accompagne les personnes âgées à leur domicile.

Je rends hommage, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, à la volonté de proximité et de formation que vous affirmez ; elle est essentielle à ce stade des déploiements et des besoins. Comment, cependant, l'État va-t-il assurer la mise en oeuvre opérationnelle de son plan dans les délais impartis ? D'après votre stratégie, l'intégralité des services publics doit passer à internet en 2022. Cela va arriver vite !

Enfin, l'État prévoit-il une clause de protection, telle qu'évoquée par le Défenseur des droits, afin de sécuriser les usagers mal à l'aise et de leur éviter d'être tenus pour responsables d'éventuels problèmes techniques ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement. Madame la sénatrice, vous posez beaucoup de questions, je vais répondre à plusieurs d'entre elles et M. Mahjoubi complétera mon propos lors de prochaines questions sur des sujets proches.

Je vous remercie d'évoquer les Amel ; nous en avons peu parlé, mais ce dispositif a en effet créé des inquiétudes. Il visait à donner la possibilité à certains maîtres d'ouvrage, dans les zones d'initiative publique, de faire appel à des financements privés. Des appréhensions sont nées parce que certains ont craint de voir remis en cause l'équilibre existant dans les contrats passés. Je veux les rassurer sur ce point : nous avons toujours dit que les Amel n'étaient pas obligatoires et que, à la fin, le décideur restait le maître d'ouvrage, donc la collectivité.

Pour répondre à votre question, nous avons reçu une quarantaine de manifestations d'intérêt. Certains des volontaires ont renoncé après analyse, et nous envisageons aujourd'hui le financement d'un million de prises – c'est important ! – grâce à ce nouveau dispositif, donc par le privé, dans les zones d'initiative publique.

Vous abordez ensuite la question des MSAP. M. Mahjoubi et moi-même disons depuis le début de ce débat qu'il n'existe pas de solution unique, mais qu'il faut faire de la dentelle territoriale. Les MSAP sont elles-mêmes toutes différentes : certaines sont mises en oeuvre par La Poste, d'autres sont dans des mairies ou dans des gares SNCF, d'autres encore sont créées par les communes dans un lieu dédié. Certaines proposent de nombreux services publics, d'autres seulement quelques-uns. Nous essayons toujours de partir du territoire.

Dans la loi de finances, nous avons consolidé les financements des MSAP, avec 15 millions d'euros, tout en entamant une réflexion sur leur accessibilité et sur les services de demain, afin d'améliorer la qualité de leur apport dès 2020, en partant du territoire.

Mme la présidente. La parole est à M. Yves Bouloux.

M. Yves Bouloux. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, vous savez combien le Sénat est attaché au respect effectif du principe d'égalité devant le service public sur l'ensemble de nos territoires et pour tous nos concitoyens. J'y suis particulièrement sensible et attentif : je représente un territoire, la Vienne, dont les habitants sont directement concernés par les fractures territoriales, la fracture numérique et la fermeture ou l'éloignement des services publics.

Lorsque l'on évoque la fracture numérique, s'agissant de l'accès aux services publics, on pense spontanément à la dématérialisation des démarches et des formalités administratives. De très nombreux services sont concernés, tant pour les particuliers que pour les professionnels et les associations. Il suffit de se rendre sur les sites service-public.fr et justice.fr pour en prendre la mesure. Cette tendance devrait s'accentuer prochainement dans le cadre du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.

Deux grands obstacles doivent être pris en compte : la qualité trop souvent aléatoire des réseaux numériques dans certains territoires, et – ce n'est pas moins problématique – la part non négligeable de la population qui reste réfractaire à cet outil. Les troubles subis dans notre pays doivent faire comprendre à tous que les plus mal lotis, dans la France périphérique, doivent aussi être écoutés.

Aussi, monsieur le secrétaire d'État, jusqu'où le Gouvernement projette-t-il d'aller en matière de dématérialisation, tout particulièrement en ce qui concerne les fonctions régaliennes de l'État que sont la police et la justice ?

Le passage au tout-numérique reste éloigné et une approche humaine suppose des solutions complémentaires. Le Défenseur des droits recommande de préserver plusieurs modalités d'accès aux services publics, afin qu'aucune démarche administrative ne soit accessible uniquement par voie dématérialisée. Cela me semble indispensable.

Quelles synergies envisagez-vous entre numérique et points de rencontre physiques, en particulier avec le réseau des MSAP ? Ces synergies doivent permettre de garantir l'accès aux services publics aux Français porteurs de différents handicaps. Comment intégrez-vous cette réalité ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances et du ministre de l'action et des comptes publics, chargé du numérique. Monsieur le sénateur, je me permettrai de considérer plus spécifiquement une autre des missions dont je suis responsable, celle de la numérisation des services publics. Quelles règles président à cette numérisation ? Comment anime-t-on le travail interministériel entre les différentes administrations ? Quelles sont les règles communes et quelles sont celles que nous avons mises en oeuvre depuis deux ans, depuis que le Gouvernement est en place ?

La première d'entre elles, vous l'avez rappelée. J'ai reçu trois fois le Défenseur des droits, j'ai rencontré en sa présence tous les délégués territoriaux qui, chacun, ont témoigné d'histoires terribles, où l'on se retrouve face à un mur : un répondeur – jamais aucun être humain ne répond –, un site internet sur lequel on ne peut envoyer aucun message. Nous avons été très clairs sur ce sujet : il ne peut y avoir de service public en ligne qui ne propose pas d'être mis en relation avec un être humain, que ce soit physiquement, par téléphone, par le biais d'une réponse à un message ou au moyen de la médiation d'une autre personne.

J'ai pris précédemment l'exemple de l'ANTS et de la carte grise. Pour certaines démarches, nous ne pouvions à aucun moment entrer en relation avec un être humain. Aujourd'hui, c'en est fini ; nous faisons tout pour que, dans toutes les démarches en ligne, cela n'arrive plus jamais. Comment fait-on ?

Au sein de la Dinsic, la Direction interministérielle du numérique et du système d'information et de communication de l'État, nous analysons les 200 démarches en ligne – nous rendrons bientôt public le tableau qui sera réalisé –, qui correspondent à plus de 90 % des démarches réalisées par les Français. Pour ce faire, nous regardons une liste de critères. Le premier d'entre eux concerne l'accessibilité.

Premier élément, la démarche en ligne est-elle bien accessible depuis un téléphone mobile, pour une personne en situation de handicap qui utiliserait un logiciel particulier ? Deuxième élément, utilise-t-elle FranceConnect, qui permet de se connecter à tous les services publics avec un seul login et un seul mot de passe ? Il n'est plus besoin de connaître tous les mots de passe pour tous les services publics. Troisième élément, on vérifie, pour chacun de ces services publics, à quel moment la mise en relation avec un être humain est proposée si la personne en a besoin. Le quatrième élément que vous allez voir apparaître dans tous les services publics en ligne dans les prochains mois, c'est la possibilité donnée à tous les Français de partager leur avis en disant à quel moment le service en ligne leur a posé problème. Cette option aujourd'hui facultative deviendra demain obligatoire pour toutes les démarches. Ce sera une manière pour nous de bien piloter les démarches qui excluent et celles qui ont les bonnes recettes pour accueillir. Vous l'avez redit précédemment, l'ingrédient majeur pour que tout se passe bien, c'est qu'un être humain soit là en cas de besoin.

Mme la présidente. La parole est à Mme Viviane Artigalas.

Mme Viviane Artigalas. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, alors que de nombreux services publics poursuivent leur développement vers le tout-numérique, la dématérialisation de nombreuses démarches administratives suppose de bonnes conditions de connexion au réseau de téléphonie ou d'accès à internet.

Or une partie des territoires est encore, nous l'avons déjà dit, mal équipée, voire sous-équipée, rendant ces conditions difficiles, voire impossibles.

Dans certaines communes rurales d'Occitanie, notamment dans les Hautes-Pyrénées, le manque de couverture réseau pour les téléphones portables et les débits trop faibles d'accès à internet constituent une réelle fracture numérique pour un grand nombre de nos concitoyens.

L'aménagement des réseaux en très haut débit des Hautes-Pyrénées doit être finalisé d'ici à cinq ans. Cependant, on peut douter que les équipements soient totalement opérationnels en un laps de temps si court.

C'est une fracture à la fois sociale et territoriale.

En effet, les projets de fermeture ou d'éloignement des services publics traditionnels, comme les trésoreries ou les bureaux de poste, ainsi que la disparition de certaines compétences municipales, comme l'instruction des cartes nationales d'identité et des passeports, ajoutent de nouvelles difficultés.

C'est aussi une fracture sociale qui frappe surtout nos concitoyens les plus fragiles, les personnes âgées ou au chômage, qui ne sont pas toujours à l'aise avec les nouveaux usages numériques ou qui n'ont pas toujours les moyens de posséder un ordinateur et de se former à son utilisation.

Le désert numérique, qui s'ajoute très souvent à un désert médical, aggrave une inégalité territoriale totalement inconcevable et un sentiment d'abandon chez nombre de nos concitoyens.

Monsieur le ministre, le tout-numérique ne peut être l'unique solution. Si la préservation de l'accès aux services publics, y compris dans les zones rurales les plus reculées, constitue bien une priorité pour le Gouvernement, il lui faudra conserver une diversité d'approches. Que comptez-vous faire alors pour le maintien, le développement et l'évolution des autres moyens d'accès aux services publics que le numérique ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement. Madame la sénatrice, vous avez évoqué le manque de développement de la téléphonie mobile, notamment, dans le territoire des Hautes-Pyrénées.

Songez que, si l'on considère les chiffres officiels, l'accessibilité à la téléphonie mobile est assurée dans quasiment 99 % du territoire.

L'une des premières choses que Mounir Mahjoubi et moi-même avons faites il y a deux ans a été de revoir la définition même d'un territoire couvert. Aujourd'hui, lorsque l'on parle de l'accessibilité à la téléphonie mobile, on n'évoque pas les fameux 500 mètres autour du clocher du village, mais on prend en compte la véritable perception de l'usager : à l'échelle d'un village, la personne est-elle connectée, dispose-t-elle de toutes les barres sur son téléphone ou pas.

Concernant la qualité de la couverture, il n'en reste pas moins vrai, comme vous l'avez dit, que certains sites n'ont aucun accès à la téléphonie mobile.

Songez également que, lorsque Mounir Mahjoubi et moi-même nous sommes saisis de ce dossier, voilà deux ans, je le répète, officiellement, en France, 600 sites étaient des zones blanches. Rien qu'au cours de l'année 2018 on a entrepris la couverture de ces 600 sites. (M. Michel Savin acquiesce.) Cela veut-il dire que l'on aurait éradiqué toutes les zones blanches ?…

M. Michel Savin. Non !

M. Julien Denormandie, ministre. Évidemment non ! Pourquoi ? Parce que le problème de fond, c'est la divergence dans l'appréciation de la définition de la qualité ; c'est un point que nous avons revu. Nous nous sommes nous-mêmes, si je puis dire, tiré une balle dans le pied : on pourrait dire que l'on a traité ces 600 zones blanches, mais on compte maintenant des milliers de zones blanches… On en a traité 600 en 2018, on en traitera 700 en 2019. Rien que dans le département des Hautes-Pyrénées, ce sont neuf sites qui ont été visés : deux ont déjà été identifiés, me semble-t-il, et sept restent à l'être. On va ainsi continuer d'année en année.

Nous allons aussi mettre en place un guichet pour accompagner l'ensemble de nos concitoyens à l'accès aux meilleures offres de téléphonie parce que, dans certains cas, comme vous l'avez dit, les coûts sont un peu plus importants.

Mme la présidente. La parole est à Mme Viviane Artigalas, pour la réplique.

Mme Viviane Artigalas. Je suis d'accord avec vous, la couverture en téléphonie mobile s'améliore ; elle est importante. Il s'agit, il est vrai, de territoires de montagne difficiles.

Permettez-moi de souligner l'importance de ma question, la diversité des approches des services publics autres que le numérique. Vous avez parlé de l'humain. Mais je tiens quand même à rappeler – je rejoins là ma collègue Anne-Catherine Loisier – que, dans mon département, nombre de services publics ont disparu à cause de suppressions de postes. Il n'y a plus d'accueil ; les gens téléphonent, mais n'obtiennent plus personne ou sont mis en relation avec un répondeur pendant un long moment. On a mis la charrue avant les boeufs. On n'a pas conservé d'accueil, et les personnes se sentent complètement à l'abandon : elles ne savent plus comment faire pour obtenir une carte grise, une carte nationale d'identité, un passeport. D'ailleurs, vous verriez l'attente… C'est une véritable question.

Mme la présidente. Veuillez conclure, ma chère collègue !

Mme Viviane Artigalas. Je vous assure que, dans les territoires ruraux, les personnes se sentent vraiment abandonnées par l'État et les services publics. (Mmes Anne-Catherine Loisier et Nadia Sollogoub applaudissent.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marta de Cidrac.

Mme Marta de Cidrac. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, si la France est une République indivisible, on ne peut pas dire que l'accès au numérique soit homogène dans notre pays, vous l'avez rappelé. Il entraîne une véritable inégalité en matière d'accès aux services publics. Pourtant, que l'on soit dans le Perche, les Cévennes ou le Mantois, on a besoin à la fois de l'un et de l'autre.

Depuis quelques années, nous empruntons le chemin de la fin de l'hyperproximité des services publics. Nous avons dû nous adapter aux fermetures sèches, aux mutualisations et rationalisations de certains de nos services. Nous en connaissons les raisons ; je ne les évoquerai pas.

Pour réduire la fracture territoriale, nous avons fait le choix de dématérialiser certaines fonctions.

Cette orientation stratégique n'est pas dénuée de fondement, car elle permet de compenser, en partie tout du moins, le départ de certains services publics. Le gain potentiel pour l'usager comme pour les services publics peut sembler immense. Je souhaite tout de même insister sur le caractère « potentiel », car, en l'état actuel des choses, l'accès au numérique est insuffisant.

Ne perdons pas de vue plusieurs notions essentielles : le principe de continuité du service public, le principe de l'égalité devant le service public et, enfin, les principes d'adaptabilité et de mutabilité.

Former, accompagner et simplifier doivent être autant de pistes auxquelles il convient de réfléchir en tenant compte des spécificités de nos territoires et de leurs habitants.

Enfin, ayons en tête, monsieur le secrétaire d'État, que le numérique ne doit pas être un palliatif à la disparition des services publics dans nos territoires.

Dans ce contexte, je vous poserai deux questions.

Premièrement, pouvez-vous nous éclairer sur la méthode et les dispositifs qu'il vous semblerait utile de mettre immédiatement en oeuvre, afin de corriger la fracture numérique, toujours trop présente, sans que cela se fasse évidemment au détriment du service de proximité ?

Deuxièmement, on connaît l'importance de la qualité d'adressage d'une commune, qui est fondamentale pour l'aménagement du territoire. Or la fracture numérique est parfois due à un manquement en la matière. Que comptez-vous proposer, monsieur le ministre, pour accélérer et améliorer l'adressage dans nos communes ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances et du ministre de l'action et des comptes publics, chargé du numérique. Madame de Cidrac, votre question est essentielle. Vous l'avez d'ailleurs tous répété, à plusieurs reprises, mesdames, messieurs les sénateurs, avec vos mots, selon votre expertise et le regard que vous portez sur vos territoires : que fait-on et quelle est la stratégie ?

Je prendrai peut-être un peu de hauteur par rapport à tous les plans très précis que j'ai décrits précédemment.

Tout d'abord, il faut des services publics numériques plus simples et plus accessibles. Cela fait partie de la méthode que j'ai expliquée auparavant.

Ensuite, pour ce qui concerne l'organisation territoriale de l'État, nous ne devons jamais réorganiser territorialement sans nous poser la question de l'accessibilité réelle et physique à un être humain. Quand il s'agit de fermer une trésorerie – et nous en fermerons ! –, a-t-on bien réfléchi à l'alternative en matière d'accueil ? On portait jusqu'à présent un regard différent avec, d'un côté, les services que l'on fermait et, de l'autre, les accueils d'urgence que l'on pourrait créer plus tard. Parfois, les MSAP ont été créées plusieurs années après la fermeture de services publics locaux.

Aujourd'hui, tout le travail que, notamment, Gérald Darmanin, Olivier Dussopt Jacqueline Gourault et moi-même menons consiste à nous poser la question, à chaque fois que nous fermons un service public, de l'accessibilité territoriale des services publics. Cette question va de pair avec la numérisation. Je le crois très fortement, on ne pouvait pas dire il y a cinq ans que l'on fermait une trésorerie et que l'on ouvrait à la place trois lieux d'accueil avec des agents multidisciplinaires parce que nous n'avions pas les outils pour le faire. Paradoxalement, grâce au numérique, on pourra, demain, fermer une trésorerie et ouvrir trois nouveaux lieux pour faire plus d'humain. C'est ainsi que nous voyons aujourd'hui les choses.

Il n'est pas question, d'un côté, de faire des économies sur le dos de ceux qui sont les plus éloignés des centres actifs et, de l'autre, de tirer les bénéfices du numérique. Non, en même temps, le numérique rend les services publics accessibles à ceux qui savent et rend les humains plus proches pour ceux qui en ont besoin. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) J'y crois très fortement.

Le numérique peut être la solution, l'élément transformateur pour désenclaver ceux qui se sentent les plus éloignés. (Mêmes mouvements.)

Mme la présidente. La parole est à M. Dominique de Legge.

M. Dominique de Legge. Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, beaucoup de choses ont été dites à ce stade ; la nécessité de conserver un contact humain a notamment été évoquée. Toutefois, ce débat me met un peu mal à l'aise. Par moments, j'ai l'impression que l'on confond les objectifs et les moyens. La question de fond, c'est celle de l'accès aux services.

La dématérialisation numérique n'est qu'un moyen dans cette affaire. (M. le secrétaire d'État opine.) Or vous dites que l'objectif est de faire en sorte que les démarches se fassent de façon dématérialisée.

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État. Ce n'est pas ce que j'ai dit !

M. Dominique de Legge. J'entends bien que vous nuanciez en affirmant que l'on va conserver un contact humain.

Sénateur d'Ille-et-Vilaine, j'ai eu une mésaventure avec une carte grise et j'ai téléphoné à la préfecture. La première chose qui m'a beaucoup frappé, c'est que le service téléphonique est maintenant payant. Ensuite, on tombe sur un disque, qui n'en finit pas, et, au bout de dix minutes ou un quart d'heure, on a enfin quelqu'un.

J'entends vos propos, mais je me permets d'y insister, je ne pense pas que la relation entre l'administré et l'administration puisse se faire au travers d'un écran. D'ailleurs, de ce point de vue, la sémantique est importante. Je crois véritablement que, à un moment donné, nous avons besoin de médiation. D'ailleurs, ce qui se passe aujourd'hui dans notre pays est bien dû à un manque de médiation.

M. Laurent Duplomb. Exactement !

M. Dominique de Legge. Veillons à ne pas confondre la fin et les moyens ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Nadia Sollogoub et M. Yves Bouloux applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances et du ministre de l'action et des comptes publics, chargé du numérique. Depuis tout à l'heure, on dirait un débat entre personnes qui sont d'accord…

Je le répète encore une fois, on s'est donné comme objectif de rendre les services publics disponibles numériquement d'ici à 2022 pour ceux qui le souhaitent. Aujourd'hui, on ne peut pas exiger d'une maman responsable d'une famille monoparentale de poser une demi-journée de congé pour faire une démarche administrative. Grâce au numérique, ce sont des millions de demi-journées que nous avons libérées et rendues à la vie économique et à la vie personnelle des Français.

Reconnaissons tout de même qu'il s'agit d'un objectif très important pour tous ceux qui savent. Pour les autres, pour tous ceux qui ont besoin de ce contact humain de proximité, le Président de la République a pris, je vous le rappelle, l'engagement de ne pas faire de numérisation sans réhumanisation. Il y aura donc plus d'êtres humains disponibles pour assurer des relations de proximité et accueillir ceux qui rencontrent des difficultés.

Dans le cadre de la loi ÉSOC, la loi pour un État au service d'une société de confiance, nous l'avons rappelé, l'État ne doit pas mettre en place de numéros payants. Nous avons fait cette erreur à un moment, ce fut un égarement passager. Le rôle de l'État est d'accueillir partout où il le peut, par tous les canaux dont auraient besoin les personnes en fonction de leurs capacités, de leur handicap, de leur disponibilité, afin de leur apporter des solutions. Je vais même vous dire un secret, parmi tous ces numéros qui existent encore aujourd'hui, certains ne vous mèneront jamais à un être humain : ce sont des boucles de répondeur, qui, à la fin des fins, vous renvoient toujours à un site internet. Ces numéros-là, nous tentons de les identifier – j'appelle tous les Français à les signaler sur le site NosDemarches.gouv.fr –, car ils n'ont plus leur place dans l'accueil et le parcours du service public.

M. Jackie Pierre. Ils existent toujours !

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État. Le parcours du service public doit démarrer avec un être humain, si la personne en a besoin. Il doit pouvoir démarrer au téléphone si elle le souhaite.

MM. Jackie Pierre, Daniel Gremillet et Laurent Duplomb. C'est faux ! Ces numéros existent toujours !

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État. Donnez-les-moi ! Faisons la liste ensemble ! Ces numéros ne doivent plus exister. C'est une insulte faite aux citoyens que de proposer des numéros de téléphone qui ne mettent pas en relation avec un être humain et ne mènent qu'à des répondeurs. Nous avons commencé à nous atteler à cette tâche.

Concernant la démarche dématérialisée pour l'obtention des cartes grises, la plus contestée par les Français qui rencontraient des difficultés, mais la plus appréciée par les autres, l'enjeu a été l'accueil humain.

Mme la présidente. Veuillez conclure, monsieur le secrétaire d'État !

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État. Si vous avez le moindre problème, sachez que je m'inscrirai toujours dans une démarche de prestation de service, avec une écoute inconditionnelle. Venez me voir, écrivez-moi, et nous trouverons des solutions pour chacun des services que vous identifierez dans chacun de vos territoires. (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Dominique de Legge, pour la réplique.

M. Dominique de Legge. Monsieur le secrétaire d'État, je vous crois plein de bonne volonté. Mais, encore une fois, je le répète, à chaque fois que je parle avec mon préfet, mon percepteur de la réforme de l'État, il me répond : dématérialisation. Voilà ce qui me gêne. Il y a là une confusion.

Mme la présidente. La parole est à M. Hugues Saury.

M. Hugues Saury. Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, vous avez déjà répondu à certaines des questions que je vais vous poser, mais je vous remercie par avance de bien vouloir compléter vos réponses.

Par la loi NOTRe, la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, il est confié aux départements le copilotage avec l'État des schémas départementaux d'amélioration de l'accessibilité des services au public.

Un rapport du 16 janvier dernier du Défenseur des droits a relevé la fracture numérique existante et l'efficacité des maisons de services au public, les MSAP, pour y remédier. L'État a d'ailleurs annoncé le déploiement des MSAP, cofinancées par le FNADT, le Fonds national d'aménagement et de développement du territoire, et un fonds alimenté par les opérateurs.

Cependant, malgré la poursuite du déploiement et l'abondement des crédits, le dispositif est gelé jusqu'à la mi-2019 à la demande des opérateurs, qui s'interrogent sur l'efficacité de certaines MSAP.

Toutefois, il existe des enjeux immédiats et des dispositifs à mettre en place à court terme tant il est évident que l'accès aux services publics, sous une forme ou une autre, est un enjeu de notre société et une préoccupation de nos concitoyens.

Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, j'ai plusieurs interrogations.

Qu'en est-il des schémas départementaux d'inclusion numérique annoncés par vous-même, monsieur le secrétaire d'État, en décembre 2017, – vous en avez dit un mot – et dont la réalisation devait être confiée aux départements ? Pourquoi avoir gelé l'ensemble du dispositif des MSAP, alors que le déploiement était en phase d'accélération ? Comment et quand les collectivités locales engagées dans la gestion des MSAP vont-elles être aidées financièrement ?

Enfin, le financement par l'État du déploiement de la fibre est gelé, alors qu'il reste un nombre de foyers important à desservir. Est-ce temporaire ou définitif ?

Dans un autre domaine, le dispositif mis en place par l'État pour résorber les zones blanches de téléphonie mobile reste très limité par le nombre de sites possibles au regard de l'ampleur de la problématique – cette question a également été évoquée précédemment. En outre, il est contestable sur la méthode : les collectivités sont parfois obligées de financer des études alors que les opérateurs disposent d'informations précises, mais ne veulent pas les communiquer pour des raisons de concurrence. Quelles mesures envisagez-vous de prendre, afin d'accélérer et de compléter le déploiement, sachant que l'accès à un service de téléphonie mobile performant est l'un des éléments les plus évoqués pour ce qui concerne la fracture entre l'urbain et le rural ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances et du ministre de l'action et des comptes publics, chargé du numérique. Monsieur le sénateur, concernant votre première question, j'ai dressé la liste des dix premiers territoires qui s'étaient engagés dans un véritable travail de dentelle – c'est l'image que nous avons prise précédemment – pour mettre en place les schémas départementaux d'inclusion numérique territoriale. Ceux-ci nécessitent un diagnostic des acteurs en présence, un diagnostic des populations telles qu'elles sont, avec leurs besoins, leurs usages, leurs difficultés – le diagnostic est différent dans chacun des territoires.

Les dix premiers territoires dont je vous ai parlé sont ceux qui, non seulement, ont établi ce diagnostic, mais ont également organisé des discussions entre les élus en y incluant les différents acteurs pour parvenir au schéma final. Mais les autres ont aussi lancé des initiatives.

Le rôle de l'État, en partenariat avec plusieurs régions pilotes, est de coconstruire pendant l'année 2019 avec chaque département un schéma directeur d'inclusion numérique. L'Assemblée des départements de France est notre premier partenaire sur le sujet. Aujourd'hui, tous les départements ont compris que l'inclusion numérique était le nouveau pilier du chapitre concernant l'action sociale territoriale et qu'il était absolument nécessaire qu'ils soient capables d'incarner et d'apporter des solutions locales différentes d'un département à l'autre. C'est cette démarche que nous accompagnons. Les hubs dont nous avons parlé précédemment seront aussi des outils d'accélération pour accompagner ces territoires en vue de définir leur stratégie et, surtout, la mettre en place.

Lorsque vous prévoyez, dans le cadre de votre stratégie, de faire émerger une vingtaine de nouveaux lieux en milieu rural, vous avez besoin d'un lieu d'expertise central capable d'accompagner chacun des lieux qui pourront se développer. C'est tout l'objet de cette stratégie en deux temps : un diagnostic et une vision locale pour la création, l'émergence de lieux, leur financement, avec près de 15 millions d'euros cette année, et l'accompagnement tout au long de la vie, avec le financement des formations et des heures de formation de tous les citoyens qui se réorienteront dans ce domaine. Vous le voyez, c'est à la fois de l'ingénierie, de l'investissement pour ce qui concerne la création et, ensuite, du financement des frais de fonctionnement : l'État joue un rôle d'expertise, d'accompagnant et de déclencheur.

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Savin.

M. Michel Savin. Dans nos territoires de montagne, la couverture numérique en très haut débit, mobile et fixe, est un prérequis pour parvenir au désenclavement et permettre un accès au service public.

La couverture téléphonique et internet sont un impératif, non seulement pour l'accueil de nouvelles populations, mais aussi pour le développement économique et, en particulier, l'activité touristique. Ainsi, l'accès à internet est-il aujourd'hui un critère de choix, tant pour les touristes que pour le maintien des populations et des activités existantes.

Or certains habitants ne peuvent toujours pas utiliser leur téléphone portable pour passer des coups de fil ou accéder à leur messagerie électronique depuis leur mobile. D'autres n'ont pas accès à l'ADSL ; ils sont de facto exclus de la société, et l'activité économique en pâtit.

La dernière loi Montagne – la loi du 28 décembre 2016 de modernisation, de développement et de protection des territoires de montagne – devait permettre de renforcer l'accès au numérique de ces territoires. Or force est de constater qu'il existe encore de nombreuses zones blanches – cela a été rappelé –, dans lesquelles il est totalement impossible d'avoir accès à la 4G, mais également à la 3G, quand ce n'est pas au GPRS.

Le 14 janvier 2018, un accord a été signé entre l'État, l'Arcep et les quatre opérateurs de téléphonie mobile. Par ce biais, l'aménagement numérique du territoire devient prioritaire dans les conditions d'attribution des fréquences.

Cet accord est contraignant pour les opérateurs, qui vont devoir, d'une part, équiper l'ensemble des sites de téléphonie existants en 4G et, d'autre part, construire d'ici à trois ans 5 000 sites mobiles chacun, sites parfois mutualisés, afin d'accélérer la cadence de déploiement des réseaux mobiles.

Aussi, monsieur le ministre, pouvez-vous nous faire part des résultats de cet accord à date ? Comment votre ministère envisage-t-il le déploiement de la 5G dans ces territoires, alors que les fréquences seront attribuées dans les prochains mois ? Les territoires de montagne devront-ils encore attendre une décennie pour y avoir accès ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement. J'ai effectué mon premier déplacement en tant que ministre en Isère, à Besse-en-Oisans. J'allais travailler avec un maire d'un village des environs, qui m'avait expliqué avoir mis dix ans pour faire implanter un pylône de téléphonie mobile sur son territoire.

Pourquoi un tel délai ? Il avait dû lever de très nombreuses contraintes. D'abord, il avait fallu convaincre les opérateurs. Ensuite, comme nous en avons débattu précédemment, le maire avait dû, sur la demande d'un certain nombre d'acteurs, dont les architectes des bâtiments de France, faire des tests auprès de toutes les communes avoisinantes pour voir sur quel mont le pylône serait le moins visible. Tout cela a pris dix ans.

À l'occasion de ce déplacement, au moment du pot convivial de fin, j'ai rencontré deux jeunes. Je leur ai dit que c'était très « sympa » de se trouver là ; ils m'ont répondu qu'ils étaient les deux derniers à être restés. Tous les autres jeunes étaient partis parce que le village était une zone totalement blanche depuis dix ans. À partir de l'adolescence, ils allaient faire leurs études ailleurs…

Face à de tels constats, qu'avons-nous fait ? J'évoquais le new deal que nous avons formalisé, imposant aux opérateurs un certain nombre d'objectifs obligatoires.

En Isère, douze zones blanches de la première liste sont déjà identifiées et font l'objet d'un déploiement. Nous continuerons de la sorte, d'année en année.

Mais il faut aussi évoquer les changements en cours sur des dizaines de sites, qui passent des anciennes technologies 2G et 3G à la nouvelle technologie 4G. À l'échelle du territoire national, 3 500 sites ont bénéficié d'une telle évolution depuis le 1er janvier 2018.

Par ailleurs, monsieur le sénateur Savin, vous m'interrogez sur les nouvelles technologies. La fameuse loi Montagne évoquée par vos soins a eu deux effets : d'une part, elle nous a permis d'obliger les opérateurs à procéder à un certain nombre de déploiements – c'est le fameux article L. 33-13 du code des postes et des communications électroniques – et, d'autre part, elle impose à toutes et tous, chaque fois qu'une nouvelle loi est débattue, de porter une attention particulière à ces territoires de montagne, du fait de leurs spécificités.

S'agissant de la 5G, rien n'est défini aujourd'hui. Mais notre préoccupation est tout de même d'éviter que, au motif de la 5G, on oublie la 4G. Il y a là un véritable risque.

Autrement dit, nous avons le souci de passer des anciennes aux nouvelles technologies actuelles – c'est-à-dire la 4G – et de conserver l'état d'esprit qui est le nôtre dans tout le déploiement des technologies futures. Pour autant, il faut éviter de faire des sauts technologiques qui, in fine, desserviraient les territoires que vous défendez. Ce n'est ni votre souhait, ni le nôtre !

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Savin, pour la réplique.

M. Michel Savin. J'entends cette réponse, monsieur le ministre, mais il y a urgence dans certains territoires, notamment au regard de l'aspect économique. À l'heure actuelle, des stations touristiques de montagne perdent de la clientèle, celle-ci préférant, du fait des difficultés de connexion au réseau internet, séjourner dans d'autres stations.

Pour ces territoires, l'enjeu est économique, avec des emplois à la clé, d'où l'urgence à traiter la question. J'entends les intentions ; il faut passer des intentions aux actes ! C'est une des conditions pour pouvoir maintenir des activités sur ces secteurs, qui sont déjà très défavorisés.


- Conclusion du débat -

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre, avec l'autorisation de M. Gremillet.

M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement. Je répondrai simplement à quelques-unes des interrogations très directes qui me sont soumises.

Le premier élément que vous évoquez, monsieur le sénateur, ce sont les objectifs que nous nous sommes fixés : 2020 pour le haut débit et 2022 pour le très haut débit.

Nous effectuons un suivi mensuel, département par département – je remercie mes équipes, car elles travaillent vraiment beaucoup sur ce sujet – et, au moment où je vous parle, une incertitude concerne une dizaine de départements. J'entends par « incertitude » le fait que, sans accélération de la démarche, nous nous retrouverions sous tension dans ces territoires. Sur ces dix départements, donc, nous multiplions les efforts d'accompagnement, de financement et de transparence pour atteindre les objectifs.

Cela étant, nous sommes toujours sur un rythme de 11 000 prises raccordables par jour ouvré depuis le début de l'année 2018, ce qui montre l'accélération et le rythme atteint dans le déploiement.

Le deuxième élément que vous évoquez, ce sont les solutions techniques et l'ouverture d'un guichet « cohésion numérique des territoires ».

Nous considérons que, dans certains territoires, la solution technique ne passe pas forcément par la fibre ou les réseaux filaires. Elle peut être d'une autre nature et coûter plus cher, ce qui justifie la mise en place de ce guichet doté de 100 millions d'euros et offrant des appuis financiers pouvant aller jusqu'à 150 euros pour favoriser certaines solutions.

Il faut d'ailleurs compter, aussi, avec la solution satellitaire. Nous n'en avons pas parlé aujourd'hui, mais a été négocié, l'année dernière, l'envoi de nouveaux satellites par les opérateurs privés, afin de rendre cette solution plus facile et abordable, avec, en sus, une aide à l'installation dans les zones où il n'y en aurait pas d'autres envisageables.

Le troisième élément que vous évoquez, c'est la facilitation du déploiement.

Je veux vraiment remercier le sénateur Patrick Chaize à cet égard.

Au moment de l'examen du projet de loi ÉLAN, nous avons beaucoup débattu, dans cette enceinte, des mesures de simplification permettant d'accélérer le déploiement. Il reste des cas particuliers. Le sujet de l'ONF a été mentionné pour le Grand Est, où j'ai eu l'occasion de me rendre à de multiples reprises pour aborder cette thématique, mais il en existe d'autres, comme la relation avec Enedis, que beaucoup d'entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, avaient signalée. Je pense notamment à cet arrêté de 2001, qui, à la suite de la tempête de 1999, avait considérablement durci les contraintes de passage des fibres. Nous sommes en train de finaliser ces travaux et, là aussi, nous avons le souci de trouver des solutions et d'accélérer.

Sur tous ces sujets, vous pouvez compter sur la détermination de Mounir Mahjoubi, sur la mienne, mais aussi sur celle d'Agnès Pannier-Runacher, qui travaille avec nous. Notre objectif est, un, que le numérique ne soit pas un luxe, mais un droit ; deux, que les infrastructures se déploient le plus rapidement possible ; trois, que des usages et un accompagnement à ces usages se mettent en place.

Au nom de Mounir Mahjoubi et en mon nom, je tiens donc à vous remercier des échanges que nous venons d'avoir sur cette thématique ô combien importante.

Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur la fracture numérique et les inégalités d'accès aux services publics.

Je veux remercier le ministre Julien Denormandie et le secrétaire d'État Mounir Mahjoubi de leur présence. Leur duo a été très apprécié, par toutes et tous, cet après-midi.


Source http://www.senat.fr, le 25 février 2019