Texte intégral
Mme la présidente. L'ordre du jour appelle le débat sur la fiscalité et les dépenses publiques.
La conférence des présidents a décidé d'organiser ce débat en deux parties.
Dans un premier temps, nous entendrons les orateurs des groupes, puis le Gouvernement. Nous procéderons ensuite à une séquence de questions-réponses.
(…)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre de l'économie et des finances.
M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances. Je voudrais commencer par la réalité, la réalité de nos finances nationales depuis dix ans. C'est cette réalité qu'il faut regarder en face. Depuis dix ans, la dette publique a explosé : elle est passée de 64 à 97 % de notre richesse nationale. Depuis dix ans, la dépense publique n'a cessé d'augmenter, et pour solder dette et dépenses publiques, il y a eu des impôts, encore des impôts, toujours des impôts !
M. Ugo Bernalicis. Pour certains, il y a aussi eu des allégements !
M. Bruno Le Maire, ministre. On constate plus de 90 milliards d'euros d'impôts en plus sur les ménages, depuis 2009, soit près de 10 milliards d'impôts supplémentaires sur les ménages chaque année.
M. Jean-Paul Dufrègne. Et combien de moins pour les entreprises ?
M. Bruno Le Maire, ministre. N'allons pas chercher ailleurs les raisons de la colère des Français ! N'allons pas chercher ailleurs la raison du mal français, mal que nous devons combattre car, comme le disait Cicéron, qui n'empêche pas le mal, le favorise !
C'est ce que nous avons commencé à faire, depuis deux ans, avec le ministre de l'action et des comptes publics, Gérald Darmanin, sous l'autorité du Premier ministre et du Président de la République. Nous avons réduit la dépense publique, en faisant des choix courageux. Tous ceux qui, parmi vous, croient à la réduction de la dépense publique, tout en faisant des propositions qui sont les bienvenues, devraient également avoir le courage de voter nos décisions de réduction de la dépense publique. Ils y gagneraient en crédibilité.
Nous avons réduit les emplois aidés.
M. Ugo Bernalicis. Ce n'était pas la meilleure des choses !
M. Bruno Le Maire, ministre. Nous nous sommes attaqués à la politique du logement. Nous avons réformé les chambres de commerce et d'industrie. Nous avons contractualisé avec les collectivités locales. Pourtant pas une de ces dépenses publiques, supprimées ou réduites, n'a été votée par les oppositions qui réclament toujours plus de réduction de ces dépenses. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.) Nous avons également stabilis�� la dette. Nous avons réduit les impôts…
M. Fabien Roussel. Des plus riches !
M. Bruno Le Maire, ministre. …inversant la tendance, continue depuis dix ans en France, à leur augmentation.
M. Ugo Bernalicis. Vous avez augmenté les taxes !
M. Bruno Le Maire, ministre. Par la suppression de la taxe d'habitation pour les ménages, par la suppression des cotisations d'assurance maladie et d'assurance chômage pour les salariés, et par la baisse engagée de l'impôt sur les sociétés, dont le taux doit être ramené à 25 % pour toutes les entreprises d'ici à 2022, nous avons entamé, pour la première fois depuis dix ans, une réduction significative des impôts qui pèsent sur les ménages et sur les entreprises. En 2019, chaque ménage verra en moyenne ses impôts baisser de 440 euros. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)
M. Jean-Louis Bricout. Ça doit être pour ça qu'ils sont dans la rue !
M. Bruno Le Maire, ministre. Nous sommes face à un mouvement qui plonge ses racines très profondément dans notre histoire récente. Et je pense qu'il est de l'intérêt général de mesurer la profondeur du mouvement des gilets jaunes et de n'en mésestimer ni les causes, ni les conséquences. Il interroge notre modèle économique ; il interroge notre modèle social ;…
M. Ugo Bernalicis. Il interroge le capitalisme !
M. Bruno Le Maire, ministre. …il interroge notre modèle fiscal. Pour y répondre, le Président de la République et la majorité ont décidé d'organiser un grand débat national qui doit permettre à chacun de faire valoir ses vues, ses idées et ses convictions sur le modèle de société français. Nous sommes encore dans le temps du grand débat,…
M. Ugo Bernalicis. Il se terminait bien le 15 mars ?
M. Philippe Gosselin. Oui, mais le Président ne le sait toujours pas !
M. Bruno Le Maire, ministre. …dans celui de la restitution des propositions des Français. C'est tout le sens de notre débat de ce soir sur la fiscalité. Et je remercie chacun des orateurs, quelles que soient nos divergences de vue, pour ses propositions, ses idées et ses critiques ; toutes sont utiles. Et puisque nous sommes encore dans le temps du débat, je me contenterai de vous faire part de trois convictions et de trois principes.
Ma première conviction, profondément ancrée dans mon expérience d'élu local comme de ministre, est que le problème français n'est pas la redistribution des richesses, mais la création de nouvelles richesses.
M. Jean-Paul Dufrègne. C'est plus facile que de parler de répartition !
M. Bruno Le Maire, ministre. La prospérité française, celle de chaque citoyen français, ne viendra pas de toujours plus de redistribution, mais de plus de création de richesses pour tous les Français, dans tous les territoires. Et c'est le sens des choix que le Gouvernement a faits en matière de fiscalité au début de ce quinquennat en décidant d'alléger la fiscalité sur le capital, allégement qui sera soumis à votre évaluation, pour créer plus de richesses, réindustrialiser notre pays et permettre à nos entreprises de créer des emplois.
M. Éric Bothorel. Bravo !
M. Bruno Le Maire, ministre. Ma deuxième conviction, c'est que la première inégalité en France reste le chômage, que la première inégalité à combattre et à éradiquer, c'est le chômage, (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM) et que la première raison de l'appauvrissement des Français, c'est le chômage. Je tiens à rappeler à cette tribune qu'il y a une dizaine d'années, un citoyen français avait en moyenne 'un revenu équivalent à celui d'un citoyen allemand, et que dix ans plus tard, ce dernier dispose d'un revenu en moyenne 15 % plus élevé, principalement parce que l'Allemagne a réduit son taux de chômage alors que la France connaît toujours l'un des taux parmi les plus élevés de tous les pays européens.
M. Ugo Bernalicis. 14 % de taux de pauvreté en Allemagne ! 13 % chez nous !
M. Bruno Le Maire, ministre. Le chômage, c'est l'appauvrissement de la nation. Le chômage, c'est l'appauvrissement de notre société. Et je tiens à rappeler une fois encore que si 14 % de nos compatriotes vivent sous le seuil de pauvreté, et je sais toute la considération que la ministre Agnès Buzyn porte �� ce sujet, ce sont 34 % des chômeurs qui vivent sous ce seuil : combattre le chômage, c'est combattre la pauvreté. Il n'y aura pas de justice en France sans emploi pour chaque Français. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM et MODEM.)
Ma troisième conviction est que le travail doit mieux payer : toute personne qui travaille doit pouvoir en France vivre dignement de son activité professionnelle. Or trop souvent, au lieu de payer, le travail coûte parce que travailler veut dire se déplacer, donc payer ses moyens de transport publics ou sa voiture et son plein d'essence,…
M. Ugo Bernalicis. Et les péages autoroutiers !
M. Bruno Le Maire, ministre. …et dépenser de l'argent pour faire garder ses enfants. Travailler a un coût qui paraît excessif pour trop de nos compatriotes : c'est l'un des messages principaux qui nous a été envoyé par les gilets jaunes. Trop souvent ils constatent, partout sur notre territoire – vous l'entendez dans toutes vos circonscriptions – qu'il y a des situations où il vaudrait mieux rester chez soi plutôt que de travailler et que l'on vivrait mieux…
M. Ugo Bernalicis. Il vaudrait mieux rester chez soi que d'entendre çà !
M. Bruno Le Maire, ministre. Une nation dans laquelle des citoyens estiment qu'il vaut mieux rester chez soi plutôt que de travailler parce que le travail ne paie pas suffisamment, est une nation qui n'a pas d'avenir. L'honneur de notre majorité, c'est d'avoir fait en sorte que le travail paie plus et que chaque citoyen ait intérêt à retourner au travail. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.) Car je suis convaincu que cette réalité, que chacun d'entre nous peut constater, a nourri, pendant des années, le découragement national, et désormais la colère de nos compatriotes.
Je ne fais aucune proposition ce soir… (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LR.)
M. Ugo Bernalicis. Eh oui ! Ça se saurait !
M. Bruno Le Maire, ministre. …puisque le grand débat n'est pas achevé, étant entendu que nous attendons encore la restitution des propositions des Français.
M. Philippe Gosselin. Le Président est-il encore en campagne ? (Protestations sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)
M. Bruno Le Maire, ministre. Mais, après les convictions que je viens de vous exposer, mesdames, messieurs les députés, je voudrais conclure mon allocution en posant trois principes.
Premier principe : les impôts doivent baisser…
M. Jean-Paul Dufrègne. Pour qui ?
M. Bruno Le Maire, ministre. …, notamment pour les classes moyennes (Exclamations sur les bancs du groupe LR), pour les classes moyennes modestes, pour toutes les personnes qui reprennent un travail et se retrouvent alors brutalement assujetties à l'impôt sur le revenu. Il y a de la part de la majorité et de la part de nos compatriotes des propositions en ce sens qui me paraissent utiles et constructives. (Exclamations sur les bancs du groupe FI.)
Deuxième principe : les impôts ne doivent baisser qu'à proportion de la réduction de la dépense publique car seule celle-ci doit financer la baisse de la première.
Mme Émilie Bonnivard. Eh oui !
M. Bruno Le Maire, ministre. Sinon, nous augmenterons la dette et continuerons d'aggraver la situation des Français. À nous d'expliquer où et comment nous baisserons la dépense publique et de reprendre les propositions faites à ce sujet. C'est pour cela qu'avec Gérald Darmanin, j'ai voulu faire la transparence totale sur la dépense publique en expliquant, comme certains d'entre vous viennent de le rappeler, à quoi servaient 1 000 euros de dépense, rappelant que sur cette somme, près de 600 euros vont aux prestations sociales. Derrière le choix de la fiscalité, il y a aussi un choix de société que nous devons exposer aux Français.
Troisième principe : le refus d'un big bang fiscal. Car il risquerait de provoquer non pas l'avènement d'un nouveau monde mais le chaos, et une augmentation des impôts pour des millions de nos compatriotes.
Voilà les quelques convictions et les quelques principes que je voulais vous présenter ce soir. Je dois vous exprimer le bonheur que j'ai éprouvé à écouter toutes vos propositions, toutes vos idées, toutes vos convictions. Je suis convaincu que la politique que nous menons depuis maintenant deux ans donne des résultats,…
M. Éric Coquerel. C'est le grand immobilisme !
M. Ugo Bernalicis. Oui, elle a donné un résultat : les gilets jaunes !
M. Bruno Le Maire, ministre. …qu'elle nous permet de relancer la croissance,…
M. Ugo Bernalicis. Dites-le aux gilets jaunes !
M. Bruno Le Maire, ministre. …de stabiliser la dette, de réduire la dépense publique et d'engager enfin la baisse des impôts que les Français attendent. Au sortir du grand débat national, nous devons encore faire mieux et nous ferons mieux ! (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre de l'action et des comptes publics.
M. Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics. J'ai écouté avec attention l'ensemble des orateurs. Je vais m'efforcer, ayant pris quelques notes, de répondre à leurs propositions, après m'être arrêté brièvement sur le constat comme l'a fait le ministre de l'économie et des finances, et je l'espère dans le même silence que celui que j'ai montré en écoutant les critiques.
M. Christian Jacob. Ça se mérite !
M. Ugo Bernalicis. C'est pas gagné !
M. Gérald Darmanin, ministre. Ce n'est manifestement pas gagné, en effet ! (Mouvements divers.) Je crois que le moment que nous vivons le justifie d'autant plus que le Parlement discute, à travers l'examen de trois sujets thématiques, des restitutions du grand débat, et que la semaine prochaine, le Premier ministre devrait faire le point sur les sujets de discussion que le peuple a voulu faire remonter…
Plusieurs députés du groupe LR. Quatre sujets !
M. Gérald Darmanin, ministre. Quatre, pardon. (Exclamations sur les bancs du groupe LR.)
Un député du groupe LR. Il ne suit pas !
M. Gérald Darmanin, ministre. Je crois, monsieur le député, que c'est exactement ce que ne veulent plus voir nos compatriotes : des gens qui ne s'écoutent plus. Je pense avoir écouté les orateurs, y compris ceux de votre groupe, et ils ont dit des choses, singulièrement le président de la commission des finances, Éric Woerth, qui mérite des réponses, si vous me permettez de les apporter. Il me semble que tel est l'état d'esprit dans lequel nous devons débattre ce soir. (Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes LaREM et MODEM.)
La fiscalité n'est pas le seul sujet du grand débat et ne peut donc pas être la seule réponse. Mais il est évident que le mouvement des gilets jaunes est né d'une augmentation de la fiscalité – je constate au passage qu'il n'est pas né d'une baisse de la dépense publique, malgré les décisions parfois impopulaires que le Gouvernement a pu prendre en la matière – et qu'il faut y répondre. Reconnaissons ensemble que si les Français, les parlementaires aussi d'ailleurs, sont friands de débats sur la fiscalité, ils le sont un peu moins de débats quand ceux-ci évoquent la baisse de la dépense publique, certains allant même parfois jusqu'à en refuser l'idée. C'est un point de désaccord avec plusieurs d'entre vous,…
M. Jean-Paul Dufrègne et M. Fabien Roussel. Tout à fait !
M. Gérald Darmanin, ministre. …et il faut au moins reconnaître nos différences si on veut mener ce débat quelque part, quitte à réfuter les arguments opposés. La question de la justice fiscale est une question très importante, qui a traversé vos interventions comme les échanges des Français depuis le début du grand débat. La solidarité nationale ne passe pas que par la fiscalité, même si celle-ci importe bien sûr. Elle passe également par les prestations. Un système économique et social où la redistribution ne fonctionnerait que par la fiscalité serait manifestement incomplet. Et quand dans un pays la fiscalité est la plus élevée d'Europe, c'est aussi parce qu'y sont par ailleurs servies beaucoup de prestations. Celles-ci sont-elles bien utilisées et adaptées à l'époque ? Vont-elles aux bonnes personnes ? Aident-elles les classes que nous souhaitons aider le plus ? D'ailleurs, quelle classe souhaitons-nous aider le plus ? Cette dernière question nous amène à nous interroger sur ce qu'est la classe moyenne – ce qui nous entraînerait assez loin…
Mais, je le répète, la fiscalité n'est pas le seul outil de la redistribution. Nous aurions pu discuter ensemble de l'autre pan de la justice sociale : les prestations. J'ai trop souvent entendu dire qu'on ne taxait pas assez les plus riches, mais j'ai noté que personne ici n'a osé proposer une définition du riche…
M. Éric Coquerel. Les riches, ce sont ceux que vous avantagez à longueur de temps !
M. Gérald Darmanin, ministre. Je me souviens que certains s'y sont essayé dans les années antérieures et ont eu par la suite des problèmes. (Exclamations sur les bancs du groupe FI.)
Je peux comparer mon patrimoine, sans aucun problème, sans aucune honte, avec ceux qui protestent.
M. Éric Coquerel. Comparons !
M. Gérald Darmanin, ministre. Je ne fais pas, comme vous, d'attaque ad hominem, monsieur le député. (Exclamations persistantes sur les bancs du groupe FI.) Je respecte tout à fait votre opinion, mais je suis convaincu que la redistribution ne passe pas que par la fiscalité. Certaines choses ont aussi été rappelées au cours du grand débat, à savoir que 10 % des Français les plus riches, c'est-à-dire ceux qui gagnent plus de 4 400 euros par mois, payent 70 % de l'impôt sur le revenu.
M. Ugo Bernalicis. Et qui paye la TVA ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Il est vrai que l'impôt sur le revenu n'est pas le seul impôt payé par nos concitoyens, et que la TVA est celui qui rapporte le plus à l'État, bien qu'il soit sans doute le plus injuste – je crois que vous partagez cette opinion.
M. Ugo Bernalicis. Oui.
M. Gérald Darmanin, ministre. Je constate d'ailleurs que les mêmes qui souhaitent qu'on baisse la TVA, notamment sur certains produits, avaient proposé de l'augmenter – mais on peut tous réfléchir aux bêtises qu'on a pu défendre précédemment. (Mouvements sur divers bancs.)
Je voudrais mettre en exergue la question qu'ont évoqué respectivement M. le président Woerth et Mme Peyrol : celle de la modernisation de notre fiscalité. Le président Woerth partage avec le ministre de l'économie et des finances et moi-même la volonté d'éviter le chamboule-tout fiscal. Tout d'abord, parce que la France n'est pas une page blanche et que cela serait par nature un discours facile. J'ai entendu de mes propres oreilles il y a plusieurs années, lorsque j'étais parlementaire, M. Ayrault annoncer une remise à plat de la fiscalité, sans jamais y parvenir parce que c'est très difficile – et sans doute pas forcément souhaitable. En revanche, la modernisation de notre fiscalité dans la perspective des grands enjeux, je pense au verdissement de la fiscalité – Mme Peyrol l'a évoqué – ou encore à l'accompagnement de l'émergence d'une nouvelle économie, celle du numérique, est un sujet qui intéresse tous nos concitoyens.
M. le président Woerth, comme Mme la députée Peyrol, proposent une fiscalité qui ne soit ni punitive, ni additionnelle, mais qui soit une fiscalité de substitution. Ils ont insisté sur le fait qu'il faudrait, si on la mettait en place, que s'y substitue une baisse de la dépense publique. En effet, si le dispositif est très incitatif, les recettes diminueront sauf, évidemment, si survenait un changement économique.
Nous pouvons partager la position qui consiste à verdir la fiscalité. Le Gouvernement l'a d'ailleurs déjà fait sur certains sujets comme, dans l'économie circulaire, avec la TEOM incitative qui correspond à cette volonté de substitution plutôt que d'addition.
Vous proposez de l'étendre à des impôts comme la TVA. Connaissant les montants très importants de cet impôt, sans doute faudra-t-il en discuter davantage, notamment au sein de la commission des finances. Le travail très important que fait Mme Peyrol sur le verdissement de la fiscalité pourra conduire à des propositions qui enrichiront le grand débat.
Vous avez évoqué l'importante question de la progressivité de l'impôt, donc la question de l'impôt sur le revenu. Pour certains, cet impôt devrait être plus progressif. Mais 55 % des Français ne paient pas l'impôt sur le revenu, pour 45 % qui le paient. Notre impôt sur le revenu est, de surcroît, progressif.
M. Jean-Paul Dufrègne. Pas assez !
M. Gérald Darmanin, ministre. Le seul problème, disons-le, tient aux niches fiscales. Ce système a parfois un grand intérêt : comme Bruno Le Maire et Agnès Buzyn ont eu plusieurs fois l'occasion de le répéter, la défiscalisation accompagne un certain nombre d'actions et permet, par exemple, que les personnes travaillant dans le secteur de l'aide à domicile trouvent davantage d'emploi et évite qu'elles travaillent de façon dissimulée, si j'ose dire. Cette défiscalisation-là ne doit évidemment pas être remise en cause.
Toutefois, le Parlement a fait preuve d'une certaine unanimité, du moins si j'en crois les orateurs qui se sont exprimés aujourd'hui, pour affirmer qu'il faut revoir ces niches fiscales en procédant à leur évaluation. Le Gouvernement se tient évidemment à la disposition du Parlement pour lui fournir les informations nécessaires…
M. Ugo Bernalicis. Première nouvelle !
M. Gérald Darmanin, ministre. …et procéder à cette révision lors de l'examen du projet de loi de finances, s'il le souhaite.
Comme l'a proposé M. Dirx, nous pourrions, sans augmenter l'impôt, qui serait seulement rendu plus progressif, lutter contre une optimisation qui pénaliserait la vie économique et contreviendrait à ce que le législateur a souhaité. Je le redis à l'intention de Mme Peyrol et de M. Dirx, le ministre de l'économie a envisagé de revoir l'impôt sur le revenu, notamment pour ses tranches les plus basses.
Les groupes MODEM et Les Républicains ont évoqué la question du quotient familial, d'autant plus importante que la politique familiale a été particulièrement touchée les années précédentes. Je soulignerai seulement que la proposition que vous faites correspond à 12 milliards d'euros de dépenses nouvelles, ce chiffre étant sans doute à affiner car je ne suis pas sûr que ces groupes souhaitent rétablir le quotient à l'identique de ce qu'il était avant 2012. Et comme M. Mattei et Mme El Haïry nous ont également demandé de ne pas laisser filer la dette, conformément à la position qui est depuis longtemps celle de ce groupe politique et de François Bayrou, il faudra certainement résoudre quelques équations.
Quoi qu'il en soit, la question du quotient familial se posera. Il s'agira notamment de déterminer, comme Mme Buzyn l'a rappelé à plusieurs reprises dans cet hémicycle à l'occasion du PLFSS, quelle solidarité familiale correspond à la famille d'aujourd'hui, notamment aux familles monoparentales. Nous avons fait le choix de nous occuper en priorité de ces familles, qui connaissent aujourd'hui la plus grande pauvreté.
La question de la fiscalité et des dépenses autour de la famille est en tout cas un sujet important.
La question du gel des prestations a aussi été évoquée. Sur ce point, monsieur le président Woerth, madame Pires Beaune, je ne ferai pas une revue de détail de ce qui a pu être proposé et fait antérieurement. Je constaterai juste que les choses diffèrent quelque peu selon que l'on est dans l'opposition ou dans la majorité.
Madame Pires Beaune, j'ai écouté avec intérêt votre intervention : vous jugez scandaleux de ne pas revaloriser les retraites et de geler les prestations. Permettez-moi de vous dire que c'est pourtant ce que vous avez fait deux années de suite, en 2015 et en 2016. Vous avez gelé les prestations lorsque vous étiez aux responsabilités,…
M. Jean-Louis Bricout. Il n'y avait pas d'inflation alors !
M. Gérald Darmanin, ministre. Permettez-moi de terminer et de rappeler ce qui est un fait.
Mme Christine Pires Beaune. L'inflation était à 1,1 % !
M. Gérald Darmanin, ministre. Madame, le gouvernement que vous souteniez a gelé les prestations ! On peut considérer que le moment était difficile, que le contexte était différent mais, comme vous ne l'avez pas dit, permettez-moi de le rappeler car, pour nos concitoyens qui suivent nos débats, il est utile de disposer de l'ensemble de ces informations.
Vous avez également gelé le point d'indice dans la fonction publique pendant plus de quatre ans.
M. Ugo Bernalicis. Et vous, vous continuez dans la même voie !
M. Gérald Darmanin, ministre. Je constate d'ailleurs que M. de Courson nous reproche de ne pas revaloriser le point d'indice…
M. Ugo Bernalicis. Vous le cryogénisez !
M. Gérald Darmanin, ministre. …alors qu'il souhaite que l'on procède à une importante réforme de la rémunération des agents publics et que l'on tienne la dépense publique. Peut-être y a-t-il une légère contradiction dans les termes.
Par ailleurs, comme d'autres gouvernements avant nous, nous avons considéré que la lutte contre la fraude était un sujet majeur. Toutefois, je ne peux accepter que l'on décrète qu'il y a de 80 à 100 milliards de fraude. Ce montant correspond d'ailleurs au déficit de l'État, comme si la partie gauche de l'hémicycle, et particulièrement La France insoumise, entendait montrer qu'en matière de finances publiques, il suffit de lutter contre la fraude, et que cela dispense d'autre effort.
À ce sujet, je m'étonne des propos de MM. Bernalicis et Quatennens nous expliquant que la dette publique, ce n'est pas si grave…
M. Ugo Bernalicis et M. Éric Coquerel. C'est vrai !
M. Gérald Darmanin, ministre. …et que rembourser ses prêteurs ne présente que peu d'intérêt.
Monsieur Bernalicis, je ne suis pas sûr que le meilleur moyen d'obtenir le prêt que vous demandez à vos amis soit d'affirmer, au moment où vous le sollicitez, que rembourser la dette ne sert à rien ! (Rires et applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)
Il est certain, comme M. le ministre de l'économie l'a bien montré, que les questions du chômage et de la dette ont été les grandes absentes de ce grand débat. Pourtant, la politique fiscale et économique est faite pour contrer le chômage, et la dette doit être remboursée, monsieur le député, sinon ce sera demain de nouveaux impôts !
M. Alain Bruneel. Elle ne sera jamais remboursée !
M. Adrien Quatennens. Et la dette climatique ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Aujourd'hui, les taux d'intérêt sont heureusement bas, mais ils finiront par être hauts, et il faudra bien rembourser la dette.
Il est évident que, si l'on est ministre du budget, mieux vaut l'être en Allemagne. Quarante ans de vie économique permettent aujourd'hui au budget allemand d'être excédentaire. (Exclamations sur les bancs du groupe LR).
Mesdames et messieurs les députés, la France gère aujourd'hui des déficits. Si, depuis de très nombreuses années, chacun avait fait des efforts, nous serions aujourd'hui dans la situation de l'Allemagne.
M. Ugo Bernalicis. Allez en Allemagne ! Valls est bien allé en Espagne !
M. Gérald Darmanin, ministre. J'ajoute que, dans notre pays, nous sommes victimes d'un syndrome qui nous touche tous quand nous sommes dans l'opposition, et que nous n'avons pas suffisamment quand nous faisons partie de la majorité : il s'agit du syndrome du « en général » et du « pas celui-ci ».
En général, nous a-t-on dit à la tribune, il faut baisser les impôts. Mais il ne faut pas baisser la taxe d'habitation, parce que cela touche les collectivités locales, ni la redevance télé, car cela touche l'audiovisuel, ni les cotisations, parce que cela touche la sécurité sociale, ni la taxe foncière, parce que cela touche les propriétaires, ni l'ISF, parce que cela touche les riches, ni l'impôt sur les sociétés, parce que cela touche les entreprises.
M. Éric Coquerel. Mais vous pouvez baisser le CICE !
M. Gérald Darmanin, ministre. Ne taxer que les gardiens de phare, mesdames et messieurs les députés de l'opposition de gauche, risque de ne procurer qu'une recette fiscale limitée ! (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
M. Ugo Bernalicis. Cela fait longtemps que les phares sont automatisés !
M. Gérald Darmanin, ministre. Du côté des bancs des Républicains, nous entendons : en général, il faut baisser la dépense publique, mais pas les contrats aidés, – vous n'en avez pas voté la réduction –, ni les APL – vous n'en avez pas non plus voté la diminution –, ni les dotations aux collectivités locales (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM). Il ne faut pas non plus engager la réforme de l'audiovisuel public. (Protestations sur les bancs du groupe LR.)
Eh bien, je propose, mesdames et messieurs les députés, qu'avec le Gouvernement nous fassions, vous comme nous,…
M. Christian Jacob. La trahison, cela coûte cher, et vous êtes très mal à l'aise !
M. Gérald Darmanin, ministre. Monsieur Jacob, changez de disque ! (Vives protestations sur les bancs du groupe LR.) Monsieur Jacob, vous allez voir, nous sommes passés assez facilement du vinyle au numérique ! (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM. – Protestations persistantes sur les bancs du groupe LR.)
M. Christian Jacob. Cela rapporte, l'opportunisme !
M. Ugo Bernalicis. Combien de divisions pour la lutte contre la délinquance financière ? Nous voulons voir vos chiffres, monsieur le ministre.
Mme la présidente. Nous en venons aux questions.
Je rappelle que la durée des questions comme des réponses est de deux minutes, sans droit de réplique.
La parole est à Mme Christine Pires Beaune.
Mme Christine Pires Beaune. Ma question portera sur la fiscalité locale, plus particulièrement sur la réforme de la taxe d'habitation – TH.
Rappelons qu'il s'agissait à l'origine d'une promesse de campagne faite sur le dos des collectivités, dans le but de faire avaler plus facilement la pilule de la suppression de l'ISF.
Un flou persiste depuis plusieurs mois autour de la TH, pourtant pierre angulaire du programme présidentiel – ce flou ne fait d'ailleurs que refléter la cacophonie ambiante.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous dire, une fois pour toutes, comment l'État compte compenser sur le long terme le produit de la TH pour les collectivités ? S'agira-t-il d'un dégrèvement ou d'une exonération ? Et pouvez-vous nous dire si les 20 % des ménages les plus aisés continueront à payer cette taxe, et si même les 1 % les plus riches en seront exonérés ?
Les résidences secondaires continueront-elles à être taxées à la TH ? Et pouvez-vous nous dire si la redevance télé, recouvrée avec la TH, existera toujours demain ? À défaut, quel financement prévoyez-vous pour le service de l'audiovisuel ? Il est temps de clarifier la situation.
Si, comme je le reconnais volontiers, la taxe d'habitation était injuste en raison des bases sur lesquelles elle était assise, il aurait suffi pour la corriger de poursuivre la réforme des valeurs locatives cadastrales qui avait été engagée. Pouvez-vous nous indiquer où en est la réforme des valeurs locatives qui, ainsi que le rappelle le rapport Richard-Bur, demeure utile ?
Mon collègue Rémy Rebeyrotte et moi venons de rendre un rapport sur l'investissement public. Tous les élus rencontrés au cours de nos nombreuses auditions nous ont dit avoir besoin de visibilité et de prévisibilité. Le 13 mars 2019, Territoires unis vous a adressé, dans le cadre du grand débat, une contribution dans laquelle les élus réclament une autonomie financière et fiscale.
En effet, l'impôt local crée un lien direct entre le citoyen et sa commune, puisque ce dernier profite des services publics locaux financés par cet impôt. Supprimer la TH, c'est déresponsabiliser le décideur local mais aussi distendre le lien entre l'élu et le citoyen. Avez-vous conscience, monsieur le ministre, qu'il s'agit là d'un enjeu de démocratie locale ?
Ma question est simple : où en est le projet de loi sur la fiscalité locale ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre. Madame la députée, je vous confirme que nous avons en effet à tenir la promesse du candidat à la présidence de la République puis l'engagement du Président, à la fin de l'année 2017, de supprimer totalement la taxe d'habitation, sauf pour les résidences secondaires, d'ici à la fin du quinquennat, c'est-à-dire d'ici à l'année budgétaire 2022.
M. Christian Jacob. Et comment cette suppression va-t-elle être financée ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Nous regardons comment examiner dans les meilleures conditions cette disposition très importante. Sans doute le ferons-nous dans le cadre du prochain projet de loi de finances, qui sera déposé en septembre prochain.
Il n'y aura donc pas de projet de loi de finances rectificative, puisque la crise des gilets jaunes et le grand débat ne l'ont pas permis, mais nous proposons, puisque les concertations ont été conduites, de le faire dans le cadre du projet de loi de finances pour 2020, afin que tous les élus de France, avant de retourner devant les électeurs pour les municipales, puissent connaître les évolutions – le renouveau – de la fiscalité locale telles que nous les envisageons depuis désormais un certain temps – compensations, dégrèvements, substitution…
M. Philippe Gosselin. C'est dommage de le faire avant les annonces !
M. Gérald Darmanin, ministre. Madame la députée, vous aurez pu constater dans votre circonscription, comme partout ailleurs, que le Gouvernement a tenu ses engagements. Il s'agit bien d'un dégrèvement compensé à l'euro près et qui a suivi la dynamique des bases, notamment les constructions de nouveaux logements. Aucun élu de France, devant les douzièmes provisoires qu'il reçoit pour sa collectivité, dont j'espère qu'il les regarde avec la même attention que j'y prêtais lorsque j'étais moi-même maire, n'a eu à déplorer une baisse de la compensation de la taxe d'habitation. Sur ce point, je peux donner tous les chiffres qui concernent les communes de votre circonscription.
Contrairement à ce que nous avons entendu, le projet du Gouvernement était bien conforme à l'article 72 de la Constitution, comme l'a d'ailleurs validé le Conseil constitutionnel. Le Conseil d'État a également rendu très récemment un avis qui nous donne plus de temps que le délai que nous nous imposons, à savoir, comme je l'ai déjà indiqué, la fin de cette année. Un dégrèvement au long cours sera effectivement remplacé à l'occasion du prochain PLF, et nous en débattrons ensemble.
Mme la présidente. La parole est à M. Christophe Naegelen.
M. Christophe Naegelen. Ma question porte sur les rémunérations et les avantages des hauts fonctionnaires occupant des postes d'encadrement supérieur ou de direction, notamment dans les administrations centrales.
La masse salariale de l'État a connu une hausse significative entre ce qui était prévu dans le projet de loi de finances pour 2019 et ce qui a été exécuté durant l'année 2018. Malheureusement, ce ne sont pas les fonctionnaires les plus sollicités, comme les agents publics hospitaliers ou les fonctionnaires des domaines régaliens, qui ont été les principaux bénéficiaires de cette hausse, ce qui est regrettable.
Le grand débat a été l'occasion de prendre conscience de la défiance que de très nombreux Français éprouvent à l'égard de ces hauts fonctionnaires ainsi que de leur souhait d'une plus grande transparence, ne serait-ce que pour mettre fin à des irrégularités comme celles qu'a pointées la Cour des comptes dans un référé en date du 12 octobre 2017.
Rendre publics les salaires des hauts fonctionnaires remplirait ainsi un double objectif de contrôle de la dépense publique et de transparence. Quelle est votre position sur ce sujet ?
Cette question est aussi l'occasion d'évoquer les allers-retours entre le public et le privé que font certains hauts fonctionnaires, lesquels bénéficient d'un filet de sécurité que nos concitoyens n'ont pas la chance d'avoir.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre. Monsieur le député, s'il y a – il y en a eu et il y en a peut-être encore – des choses que nous pouvons tous juger scandaleuses et contraires aux bonnes pratiques en matière de rémunération des agents publics, il faut bien évidemment y mettre fin.
M. Christophe Naegelen. Je n'ai pas parlé de diminuer ces salaires, seulement de les rendre publics.
M. Gérald Darmanin, ministre. Mais personnellement je ne verse pas dans la démagogie qui consiste à remettre en cause les salaires de ces fonctionnaires, en effet parfois élevés, plus élevés que ceux de bien des Français.
M. Christophe Naegelen. C'est le moins que l'on puisse dire !
M. Gérald Darmanin, ministre. Monsieur le député, permettez-moi de vous répondre : écoutez ma réponse. Vous la jugerez ou non utile, nécessaire et respectueuse. Je me garde d'une telle démagogie, tant pour ce qui est des élus que des agents publics.
M. Gérald Darmanin, ministre. D'ailleurs, il ne me semble pas qu'il existe une haute fonction publique, car il ne me semble pas qu'il en existe une basse : il y a seulement des agents publics. Certains sont très qualifiés, certains sont très bien formés.
M. Gérald Darmanin, ministre. Nous devons, je crois, disposer dans la fonction publique d'État, dans la fonction publique hospitalière, dans la fonction publique territoriale, de cadres très bien payés à même de dispenser à la puissance publique un certain nombre de conseils afin notamment d'éviter les bévues causées par ceux qui – ailleurs, et bien payés peut-être – l'empêchent de défendre ses intérêts.
Mme Émilie Bonnivard. Certains dorment, aussi.
M. Gérald Darmanin, ministre. Vous posez la question de la publicité de leur salaire. Je ne vois personnellement aucun inconvénient – le montant de mon salaire étant public, tout comme celui de l'indemnité parlementaire – à une telle publicité. Peut-être pourrait-on imaginer quelque chose qui, à la demande du Président de la République, aille dans ce sens ? Je ne pense cependant pas qu'une telle information doive être donnée de façon nominative.
M. Gérald Darmanin, ministre. En revanche, je suis favorable à ce que les rémunérations correspondant aux différentes fonctions soient connues des Français : cela couperait court à certaines idées fausses. Non, la France n'est pas le pays qui de tous les pays européens du monde paierait le mieux ses hauts fonctionnaires : permettez-moi de dire que c'est faux. Les salaires moyens dans la fonction publique française – à quelques catégories près, c'est vrai, la Cour des comptes l'a évoqué dans son rapport – se situent largement en deçà de ceux pratiqués en général dans le privé.
M. Gérald Darmanin, ministre. Les allers-retours entre le public et le privé, ou entre le privé et le public, me semblent, pour ma part, nécessaires afin d'éviter que ne se constituent deux France qui ne se parlent pas. Les questions de déontologie sont néanmoins importantes, et certaines personnes ont pris des dispositions afin de ne plus bénéficier d'un retour garanti dans le secteur public : tel est le cas du ministre de l'économie et des finances. Tel n'est pas mon cas, car je ne suis pas agent public. En tout cas, sachez que ces questions sont regardées par ailleurs.
M. Gérald Darmanin, ministre. Enfin, se pose la question du statut de l'élu, singulièrement pour les élus locaux, afin de garantir qu'ils puissent exercer pleinement leur engagement politique.
M. Gérald Darmanin, ministre. Je termine en disant que nous sommes évidemment prêts à cette transparence, notamment sur la part variable de la rémunération, fonction de l'atteinte ou non des objectifs – que nous préférons à un montant fixé dans l'absolu, indépendamment des résultats obtenus.
Mme la présidente. La parole est à Mme Sabine Rubin.
Mme Sabine Rubin. Ce débat sur les questions de fiscalité et de dépenses publiques nous offre l'occasion de nous faire dans le prolongement de votre grand débat national, l'écho dans cet hémicycle des revendications des gilets jaunes et de la majorité de Français qui les soutiennent.
Mme Sabine Rubin. Pour rappel, dès le lancement de cette opération de communication, vous avez balayé d'un revers de la main la revendication du rétablissement de l'ISF.
Mme Sabine Rubin. Pour rappel encore, des cahiers de doléances de l'époque révolutionnaire aux contributions écrites déposées aujourd'hui en mairie, aujourd'hui peu de choses ont changé : la première demande populaire demeure celle de la justice fiscale. Le peuple consent à l'impôt si et seulement si celui-ci est juste. Il s'acquittait naguère de la dîme en pensant que son produit irait aux nécessiteux. S'il contribue aujourd'hui à la solidarité nationale, il assiste impuissant à la fermeture des maternités, des classes dans la ruralité, des transports en commun, des bureaux de poste, des gares SNCF, des agences EDF, des bureaux du Trésor public, des CIO…
Mme Sabine Rubin. Alors que les ménages doivent faire face à l'augmentation de dépenses incompressibles comme le gaz, l'électricité, ou l'essence, que voient-ils dans les médias ? Que pour une autre partie de la population, les plus fortunés, les cadeaux se multiplient : transformation de l'ISF, institution de la flat tax, niches fiscales, baisse de l'impôt sur les sociétés, CICE. Pire, ils se rendent compte qu'instituée sous couvert de la lutte pour la protection de l'environnement, la taxe sur les carburants, qui pèse davantage sur les classes populaires, est en réalité en grande partie affectée au remboursement des largesses consenties en faveur des plus riches. Comment, dans ces conditions, ne pas éprouver un sentiment d'injustice ?
Mme Sabine Rubin. Contrairement à ce que vous avez matraqué sur toutes les chaînes d'information en continu et que vous venez de nous répéter, monsieur Darmanin, nos concitoyens ne demandent pas moins d'impôt, mais mieux d'impôt.
Mme Sabine Rubin. Le Gouvernement a demandé aux Français comment notre pacte social pouvait être mieux organisé. Voici donc, pour la énième fois, nos propositions en ce sens : mise en place de quatorze tranches d'impôt sur le revenu, suppression des niches fiscales inefficaces, instauration d'un impôt sur les sociétés vraiment progressif, rétablissement de l'ISF et augmentation du SMIC.
Mme Sabine Rubin. Monsieur le ministre, qu'est-ce qui vous empêche d'entendre ces propositions qui traduisent les aspirations majoritaires de nos concitoyens ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre. Madame la députée, nous pourrions discuter à l'envi de ce que veulent effectivement nos concitoyens : nous essayons tous de répondre à leurs aspirations lorsque nous présentons notre candidature à des élections et lorsque nous essayons de gouverner notre pays.
M. Gérald Darmanin, ministre. Un bon impôt est malheureusement souvent un impôt que paie l'autre, et que je ne paie pas moi ! Or un bon impôt, madame la députée, n'est pas celui qui répond seulement à une exigence de justice ou qui traduit une idéologie fiscale : c'est un impôt efficace pour l'exercice de la solidarité et le fonctionnement des services publics, mais c'est un impôt qui permet également à chacun de trouver un emploi.
M. Gérald Darmanin, ministre. C'est pour cette raison que nous n'avons pas d'idéologie fiscale en matière d'impôt sur le capital. L'ISF a existé pendant des années, madame la députée : pour autant, le chômage a-t-il baissé ? A-t-on fait revenir en France des gens susceptibles d'y créer des entreprises industrielles ?
M. Gérald Darmanin, ministre. J'ai été pour ma part élu d'une commune frontalière où le taux de chômage était de 20 % : de l'autre côté de la frontière, en Belgique, il est de 4 %. Il est vrai que la fiscalité du capital a pu, là où il existe encore une industrie textile, aider les ouvriers à conserver leur travail et les capitaines d'industrie à continuer d'investir.
M. Gérald Darmanin, ministre. Il n'y a pas, me semble-t-il, à guider la fiscalité par idéologie ou désir de justice fiscale dans un monde sans frontières où chacun pourrait vivre selon ses envies.
M. Gérald Darmanin, ministre. Vous affirmez par ailleurs, madame la députée, que les Français ne demandent pas moins d'impôt. Ce n'est pas tout à fait ce que nous avons entendu : je le répète, la révolte – j'utilise le terme entre guillemets – des gilets jaunes a eu comme point de départ un alourdissement de la fiscalité, pas une baisse des dépenses. Bien sûr, lorsque l'on souhaite baisser la dépense publique en matière de logement ou de travail, ou encore réformer la SNCF, et demain l'assurance-chômage et la fonction publique, cela crée un certain nombre de difficultés. Des gens ne sont pas contents ; des manifestations sont organisées ; des grèves peuvent avoir lieu, et il faut entendre tout cela.
M. Gérald Darmanin, ministre. La France n'a cependant pas été bloquée du fait de réformes exigeant des efforts, alors qu'elle l'a manifestement été du fait d'un alourdissement de la fiscalité. Permettez-moi de vous donner mon opinion personnelle : s'il y a eu plus d'impôt, c'est parce que l'on avait précédemment un peu trop cédé à la facilité.
M. Gérald Darmanin, ministre. La demande des Français, comme sans doute celle d'une partie des parlementaires, était qu'effectivement nous nous montrions plus courageux : c'est ce que nous essayons de faire.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Paul Dufrègne.
M. Jean-Paul Dufrègne. Outre les questions concernant le pouvoir d'achat et la démocratie citoyenne, le mouvement des gilets jaunes a vivement dénoncé, de différentes façons, l'injustice fiscale.
M. Jean-Paul Dufrègne. Vous avez, monsieur le ministre, traduit ce sentiment en affirmant que les Français, notamment les classes moyennes, n'en pouvaient plus d'être écrasés par les impôts. Nous pensons que vous allez un peu vite en besogne et sommes convaincus au contraire que les Français ne rejettent pas l'impôt, à condition qu'il soit juste et qu'ils sachent à quoi il sert.
M. Jean-Paul Dufrègne. Ils ont d'ailleurs trouvé que la suppression de l'ISF était une mauvaise chose : trois Français sur quatre en demandent le rétablissement. Sur ce point, vos explications sont loin de convaincre.
M. Jean-Paul Dufrègne. Nous pensons que l'impôt le plus juste est l'impôt sur le revenu car, contrairement à la TVA ou à la CSG, il est progressif. Alors qu'il comptait quatorze tranches en 1983, le barème de cet impôt n'en comporte plus que cinq, ce qui a mis à mal sa progressivité.
M. Jean-Paul Dufrègne. De plus, au fil des années, certaines niches fiscales bénéficiant prioritairement aux revenus les plus élevés sont venues miter le système et ont contribué à dégrader le consentement à l'impôt, sentiment que vous entretenez d'ailleurs en diabolisant l'impôt.
M. Jean-Paul Dufrègne. Je ne parle même pas de dispositifs qui, comme le prélèvement forfaitaire unique, autrement dit la flat tax, protègent de façon outrancière les revenus du capital, au bénéfice des ultra-riches.
M. Jean-Paul Dufrègne. Monsieur le ministre, l'heure n'est plus aux mesurettes et autres rustines : une véritable réforme de la fiscalité s'impose. Les Français l'appellent de leurs voeux. Êtes-vous favorable à ce que les petits paient petit et que les gros paient gros ? Comment envisagez-vous la progressivité de l'impôt ? Quelles niches fiscales comptez-vous remettre en question ? Que comptez-vous faire pour rééquilibrer le produit de l'impôt sur le revenu par rapport à ceux de la TVA et de la CSG ? Allez-vous, comme nous vous le proposons, alléger la TVA sur les produits de consommation courante ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre. Monsieur le député, que les petits paient petit et que les gros paient gros, personne ici ne remet en question ce principe.
M. Jean-Paul Dufrègne. Très bien.
M. Gérald Darmanin, ministre. Nous le constatons et nous en sommes d'accord.
M. Gérald Darmanin, ministre. Le sujet de la fraude fiscale, que votre groupe évoque depuis très longtemps, préoccupe, je le crois, tous les groupes parlementaires. Chaque gouvernement essaie de faire un pas supplémentaire en ce domaine, même si l'on peut toujours juger que ce pas n'est pas suffisant.
M. Gérald Darmanin, ministre. Oui, les fraudeurs portent un coup de canif au pacte républicain.
M. Gérald Darmanin, ministre. D'ailleurs, tous ceux qui comme moi sont attachés à la liberté et à la concurrence – peut-être monsieur le député aimez-vous la liberté, mais pas forcément dans le monde économique – ne peuvent que constater que toute fraude, qu'elle soit fiscale ou sociale, fausse la concurrence. Et l'entrepreneur ou la personne qui souhaiterait affronter à armes égales une concurrence pure et parfaite – ou la plus pure et la plus parfaite possible– s'en trouve handicapé.
M. Gérald Darmanin, ministre. Que l'on soit dans un système marxiste, monsieur le député, ou dans un système libéral, la fraude n'a pas sa place et nous sommes tous contre.
M. Gérald Darmanin, ministre. Vous demandez ensuite que chacun paie selon ses revenus : il est vrai que nos recettes fiscales proviennent largement d'un impôt très lourd, la TVA. Il est un peu bizarre de suggérer d'abaisser le taux de TVA sur certains produits. Tout d'abord, la TVA est en effet moins élevée en France qu'en moyenne dans l'Union européenne.
M. Gérald Darmanin, ministre. Ensuite, que feront les distributeurs, dans l'hypothèse d'une telle baisse ? En effet, l'un des problèmes concernant la TVA est, vous le savez bien, comment est répercutée la baisse de son taux : on peut en effet se retrouver dans un système – c'était d'ailleurs pour cette raison que vous aviez critiqué la TVA sociale que le président Sarkozy avait jadis proposée, à la suite de plusieurs économistes, dont certains issus de la gauche – dans lequel si un certain nombre d'éléments de notre système de protection sociale étaient financés par la TVA, il faudrait alors rendre obligatoire la répercussion de sa baisse. Or nous savons tous que ce n'est pas si facile que cela. Je n'aimerais pas que vous puissiez nous dire : vous avez baissé les taux de TVA, mais ce faisant, vous n'avez fait qu'enrichir les distributeurs qui par ailleurs seront demain de gros exploiteurs car il s'agit de multinationales. Attention donc aux discours faciles !
M. Gérald Darmanin, ministre. S'agissant du paiement de l'impôt sur le revenu dès le premier euro, j'y ai toujours été assez défavorable, car cette proposition aurait notamment pour conséquence de faire payer cet impôt à ceux qui touchent le RSA. Je ne suis pas certain que cela corresponde à votre intention.
M. Fabien Roussel. Ce n'est pas ce que nous avons proposé.
M. Jean-Paul Dufrègne. Mais alors pas du tout !
M. Gérald Darmanin, ministre. Le problème d'un impôt sur le revenu universel payé dès le premier euro est que cela ferait payer un impôt à 55 % des Français qui aujourd'hui ne le paient pas.
Mme la présidente. La parole est à M. François Pupponi.
M. François Pupponi. Madame la ministre des solidarités et de la santé, nous avons posé un certain nombre de questions intéressant votre champ de compétences auxquelles il est important que nous obtenions des réponses, même si ce n'est pas ce soir. Peut-être pourrez-vous nous transmettre ces réponses par écrit.
M. François Pupponi. Monsieur le ministre, je souhaite vous interroger sur notre organisation territoriale.
M. François Pupponi. Nous sommes arrivés au bout d'un système, un système qui a entretenu des relations complexes, ambiguës, et inégales : je veux parler de celui qui lie financièrement l'État et les collectivités.
M. François Pupponi. Si les vagues de décentralisation successives ont permis des avancées indéniables, nous ne sommes jamais allés au bout du raisonnement et de la logique.
M. François Pupponi. C'est ainsi que nos collectivités sont familières des transferts de compétences imposés mais pas durablement compensés et qu'elles vivent chaque année avec inquiétude la période de notification du montant de leur dotation globale de fonctionnement, dotation souvent opaque, inégalitaire et injuste. C'est ainsi également que les collectivités locales ont supporté la majeure part de l'effort de redressement des comptes publics. À la baisse brutale des concours de l'État a succédé une contractualisation que certains considèrent comme léonine.
M. François Pupponi. En outre, bien qu'inscrit dans la Constitution, le principe d'autonomie financière des collectivités apparaît un trompe-l'oeil, tant il repose sur une part de fiscalité nationale transférée.
M. François Pupponi. La plupart des réformes des trente dernières années ont conduit à réduire les marges de manoeuvre fiscales des collectivités. C'est le cas de la suppression de la taxe d'habitation, comme cela l'a été hier de celle de la taxe professionnelle.
M. François Pupponi. Pourtant, toute réflexion sur la fiscalité impose de traiter d'abord la question fondamentale du lien entre l'autorité élue, le contribuable et le citoyen. La fiscalité directe est un outil de la démocratie locale, puisqu'elle oblige aussi les élus locaux à rendre compte de l'utilisation de l'impôt. Nous avons entendu les propos récents du Président de la République. Il a lié un nouvel acte de décentralisation, que les territoires appellent de leurs voeux, à davantage de clarification et de responsabilité.
M. François Pupponi. Alors allons-y : soyons audacieux ! Rompons avec la logique de recentralisation : donnons aux collectivités de l'autonomie et de la responsabilité. Promouvons la subsidiarité, la différenciation et l'expérimentation.
M. François Pupponi. Le Gouvernement est-il enfin prêt à abandonner la logique des dotations au profit d'une logique d'autonomisation fiscale des collectivités territoriales ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LT.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre. Monsieur le député, se tiendra demain ici même un débat de même nature sur les services publics, ce qui nous amènera à coup sûr à parler des collectivités locales.
M. Gérald Darmanin, ministre. Je ne veux cependant pas éluder votre question. Permettez-moi tout d'abord de dire que c'est ce que nous avons commencé à faire : lorsque nous supprimons les dotations aux régions et que nous les remplaçons par l'attribution de points de TVA, nous donnons bien une autonomie aux collectivités concernées puisqu'il ne s'agit plus d'une dotation sur laquelle le Gouvernement est toujours susceptible de revenir.
M. Gérald Darmanin, ministre. C'est la réflexion que nous engageons lorsque nous avons le projet de revoir le système fiscal, notamment de recettes, des collectivités locales qui, vous avez raison, est opaque et complexe. La DGF, vous le savez mieux que quiconque, intègre plus de quarante variables, si bien que personne n'y comprend plus rien, entre les décisions du Parlement, leur traduction par la Direction générale des collectivités locales et le montant de DGF versé au bout du compte à chaque collectivité. Cette complexité a parfois été également, il faut bien le dire, nourrie par les élus locaux qui ont inventé des péréquations très compliquées. Le Comité des finances locales n'est pas lui non plus tout à fait innocent en cette affaire.
M. Gérald Darmanin, ministre. Vous évoquez l'autonomie financière des collectivités : oui, elle est effectivement prévue par la Constitution, ce qui n'est pas le cas de l'autonomie fiscale. Il s'agit d'un point très important : tous les Présidents de la République jusqu'à présent ont refusé l'autonomie fiscale des collectivités, c'est-à-dire le pouvoir pour elles de décider d'un impôt et de le lever.
M. Gérald Darmanin, ministre. Faut-il le faire, à travers un nouvel acte de décentralisation ? Le Président de la République en discutera avec l'ensemble des forces vives de la nation, notamment les élus locaux.
Il convient toutefois de souligner que l'accroissement des compétences et de l'autonomie des collectivités territoriales, à travers un nouvel acte de décentralisation, voire une organisation de type fédérale, ne va pas forcément de pair avec la détention du pouvoir fiscal. En Allemagne, par exemple, il n'existe pas d'impôt local levé par les collectivités territoriales, alors que celles-ci sont pourtant très autonomes – bien plus que les nôtres. Une imposition nationale permet en effet d'éviter que – pour la faire courte – Sarcelles ait moins de recettes que Saint-Tropez. La solidarité nationale est nécessaire. Peut-être faut-il donner plus de compétences aux élus, mais il faut aussi que l'impôt lisse les inégalités sociales. Certains élus, dont vous et moi faisons partie, savent bien les difficultés qu'il y aurait à lever un impôt dans un territoire pauvre, et que cela comporterait un risque d'aggraver encore sa pauvreté.
Il s'agit d'un débat très important. Je ne pense pas qu'il faille l'ouvrir ce soir, mais il est certain que la déconcentration et la décentralisation font partie des enseignements du grand débat voulu par le Président de la République.
Mme la présidente. La parole est à Mme Émilie Cariou.
Mme Émilie Cariou. Monsieur le ministre, je souhaiterais vous interroger sur la justice fiscale.
Les Français nous ont portés aux responsabilités pour réussir une nouvelle conciliation du travail et du capital. Mieux reconnaître le travail, en limitant l'effet économique des cotisations, sans remettre en cause notre système de protection, et donner plus de lisibilité et plus d'intérêt à investir dans l'économie réelle : voilà les deux grands axes structurants que nous avons suivis durant ces premiers mois de mandat.
Réenclencher la machine productive française, telle est notre démarche.
Nous voyons aujourd'hui l'économie qui redémarre – mais ce qui s'est exprimé, dans tous nos territoires, au cours des débats tenus dans le cadre du grand débat, c'est un ressentiment latent et corrosif d'injustice contre ceux qui parviennent à faire baisser leur note fiscale grâce à l'usage de niches ou de montages complexes, de la part de ceux qui ne peuvent rien optimiser du tout et paient beaucoup en proportion de leurs revenus.
Nous sommes tous, sur ces bancs, des défenseurs de la justice fiscale.
Aussi, ma première question consiste-t-elle à vous demander si le Gouvernement envisage d'alléger et de redonner une progressivité réelle aux premières tranches de notre impôt sur le revenu. Avec la mise en place du prélèvement à la source, l'impôt sur le revenu est devenu une réalité palpable sur la feuille de paie. Avançons pour que là encore, ce soit la feuille de paie qui parle aux Français, à travers une plus juste imposition des premières tranches.
L'autre sujet fiscal majeur du grand débat est la lutte contre la fraude. Comment mieux lutter contre les montages frauduleux qui portent atteinte à notre pacte social ? Les rapports d'experts nous invitent à plus de coordination en vue de mener une action publique stratégique contre la délinquance en col blanc. C'est ce que nous, majorité parlementaire, avons commencé à faire à travers la levée du verrou de Bercy et la loi relative à la lutte conte la fraude. Nous sommes tous attendus sur le sujet. Pour notre part, nous attendons de vous des actions supplémentaires pour soutenir les missions régaliennes de nos administrations fiscale, judiciaire et policière, afin de répondre aux attentes de tous les Français et garantir ainsi le paiement du juste impôt en France. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre. Madame la députée, vous posez deux questions. La première porte sur la réponse que le Gouvernement pourrait apporter à la proposition de votre groupe de réformer l'impôt sur le revenu, au prix non pas d'un creusement du déficit ou d'économies inconsidérées mais d'une réforme des niches fiscales. La seconde a trait à la fraude.
Je répondrai brièvement à la seconde. Votre travail en la matière est très important. Nous avons, je crois, coconstruit avec l'ensemble des groupes politiques le dispositif contenu dans la loi relative à la lutte conte la fraude. Il s'agit maintenant de l'appliquer. La police fiscale a d'ores et déjà été recrutée et le décret en Conseil d'État sera rendu public très prochainement. La circulaire de Mme la garde des sceaux sur le verrou de Bercy – auquel nous avons mis fin ensemble – a été publiée. Nous allons compléter dans le projet de loi de finances, à la suite de votre demande notamment, la liste des paradis fiscaux. Nous avons fait évoluer l'Union européenne sur ce point, et un certain nombre de pays ont été ajoutés à cette liste. Sans doute faut-il aller encore plus loin. Nous sommes entièrement à votre disposition pour le faire ; le Gouvernement est très mobilisé en ce sens.
S'agissant de l'impôt sur le revenu, j'ai eu l'occasion de dire à M. Dirx, notamment, que la proposition de votre groupe me semblait très intéressante, d'autant plus qu'elle serait progressive et toucherait les classes moyennes en priorité, en particulier les personnes qui commencent à payer l'impôt ; il est en effet évident que ceux de nos compatriotes qui gagnent peu mais sont soumis à une lourde fiscalité rencontrent des problèmes.
Mon opinion n'est pas partagée par tous, mais je suis pour ma part heureux que le Parlement, à la quasi-unanimité, veuille revoir les niches fiscales, lesquelles ne sont pas mauvaises par nature, mais peuvent, ici ou là, casser la progressivité de l'impôt, en profitant à ceux qui savent le mieux optimiser leur impôt, c'est-à-dire aux plus riches d'entre nous.
Je le dis au président de la commission des finances et à tous ceux qui seraient intéressés : si, d'ici à l'examen du prochain projet de loi de finances, le Parlement fait un travail, pour lequel Bercy serait prêt à ouvrir tous ses livres, d'évaluation des niches fiscales – sachant que la Cour des comptes et de nombreux parlementaires se sont déjà penchés sur cette question –, nous serions tout à fait disposés à ce que la justice fiscale soit au rendez-vous, sans pour autant désespérer l'économie, notamment pour ce qui concerne l'aide à domicile, mais en veillant à ce que la baisse de l'impôt sur le revenu, si le Président de la République en était d'accord, s'accompagne d'une révision des niches, dans la mesure où vous considéreriez qu'il s'agit d'une optimisation indue et inéquitable.
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Véran.
M. Olivier Véran. Madame la ministre des solidarités et de la santé, nous avons en France le plus haut niveau de dépenses sociales – plus de 720 milliards d'euros par an –, ainsi que le système de protection sociale le plus efficace, le plus protecteur. Par temps de crise, comme en 2008, c'est un filet de sécurité qui limite l'explosion de la misère. Au quotidien, il assure à chaque Français des soins de qualité, un soutien fort pour élever ses enfants, des revenus décents en cas de perte d'emploi ou de retraite.
Ce modèle social doit pourtant évoluer. Le déficit de la sécurité sociale semblait une fatalité ; en 2018, nous l'avons à nouveau divisé par quatre. La dette sociale accumulée était devenue trop lourde ; nous l'aurons entièrement remboursée en 2024. Le chômage de masse nous invitait à réorienter davantage le financement social vers l'impôt plutôt que vers les cotisations sociales ; c'est désormais chose faite.
Pourtant, nous devons relever de nouveaux défis, corrélés au vieillissement de la population. Le financement des retraites n'est pas assuré à moyen terme. Sujet indépendant – et qui, à mon sens, devrait le rester –, la dépendance explose, et nous oblige à l'intégrer comme un risque à part entière dans la sécurité sociale.
Ces enjeux sociétaux sont majeurs. Ils sont aussi une préoccupation inscrite dans le quotidien des Français.
Il faut donc trouver de nouveaux financements. On le sait, il n'y a pas d'argent magique. L'équation est complexe. Augmenter les recettes sociales ? Notre majorité, comme cela a été rappelé ce soir, a pris l'engagement clair de ne pas augmenter les impôts, et même de les réduire. Réduire les dépenses sociales ? Pas simple, car ces dépenses concernent la famille, la santé, le handicap, le chômage, les retraites.
Pourtant, il faudra bien faire des choix, tout en tenant les engagements que nous avons pris devant les Français. Chacun perçoit la complexité de l'exercice. La majorité compte bien y prendre toute sa part, afin d'accompagner, orienter, expliquer les arbitrages qui seront faits. Au-delà, nous avons pris l'engagement devant les Français de les impliquer directement dans les grands choix budgétaires pour la nation.
Cet enjeu du financement de notre modèle social, le modèle du XXIe siècle, est une priorité absolue. C'est pourquoi, madame la ministre, je souhaiterais que vous nous fassiez part des orientations et de la méthode envisagées par le Gouvernement en la matière. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Vous avez raison, monsieur le député : c'est une équation compliquée qui nous attend.
Plusieurs constats peuvent être faits. Le premier est que nous avons réussi à équilibrer les comptes de la sécurité sociale : la branche famille et la branche vieillesse sont à l'équilibre ; la branche maladie y est presque. Le deuxième est que nous avons entrepris des réformes structurelles ; je pense à celle de notre système de retraites et à celle de notre système de santé, ce qui devrait permettre de ralentir un peu la progression annuelle de l'objectif national des dépenses d'assurance maladie, l'ONDAM.
De nouveaux enjeux sociétaux se posent cependant à nous ; nous devons adapter et transformer notre système de protection sociale pour relever les défis du XXIe siècle.
Le risque de perte d'autonomie, c'est-à-dire de dépendance, inquiète la majorité des Français : c'est un des enseignements du grand débat. À la suite de la remise du rapport de Dominique Libault, je me suis engagée à réfléchir à une couverture publique, par la solidarité nationale, de ce nouveau risque. Nous avons donc à réfléchir au financement de celui-ci. Si tout ne fera pas forcément l'objet d'un financement nouveau, puisque certaines mesures seront prises à budget constant, nous aurons néanmoins besoin de mobiliser des crédits nouveaux et de trouver des marges de manoeuvre financières. Cela ne passera pas par l'impôt : en effet, nous ne souhaitons pas augmenter la contribution des Français. Pour financer ce nouveau risque, nous allons donc devoir trouver des sources d'économie dans toutes les branches, voire au-delà de la sécurité sociale.
Le rapport de Dominique Libault évoquait la possibilité d'utiliser, à partir de 2024, la CRDS. C'est une option. Tout engagement nouveau équivaut à une dépense nouvelle et nécessitera en contrepartie des économies. C'est ce que nous devons examiner dans les semaines et les mois à venir, pour aboutir au projet de loi que je me suis engagée à présenter aux Français. Nous en discuterons, tous ensemble, dans ce cadre. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM et MODEM.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Emmanuelle Anthoine.
Mme Emmanuelle Anthoine. Avec 56,5 % du PIB, le poids de la dépense publique en France est l'un des plus importants du monde – la dépense publique ne représente que 44 % du PIB en Allemagne. Nous sommes très loin de l'objectif de 52 % du PIB pour 2022, fixé par la majorité.
M. Maxime Minot. Eh oui !
Mme Emmanuelle Anthoine. Cela a pour conséquence de maintenir le déficit public à un niveau élevé. Nous devons nous attendre à ce qu'il atteigne plus de 3,2 % du PIB cette année.
Cela soutient l'augmentation de la dette publique, qui s'élève à 98,4 % du PIB en 2018, alors que l'objectif fixé dans la loi de programmation des finances publiques était de 96,9 % du PIB à la même date, et de 91,4 % en 2022. Nous en sommes très loin !
Le budget de l'État est de ce fait lourdement handicapé par une charge de la dette de plus en plus élevée, ce qui nous prive de la capacité à investir.
Si notre dépense publique était au niveau de celle de nos voisins européens, nous pourrions voter des budgets à l'équilibre, tout en réduisant de plus de 100 milliards d'euros les impôts des Français.
Plutôt que d'alourdir la charge fiscale pesant sur les Français, qui n'en peuvent plus, le Gouvernement devrait faire lui-même des efforts en réduisant la dépense publique. Or celle-ci n'a cessé d'augmenter. Le Gouvernement s'est dispensé de ces efforts, alors que la conjoncture était favorable aux réformes structurelles.
Nous, Les Républicains, sommes les seuls à proposer de nombreuses pistes crédibles d'économies, qui représentent pas moins de 20 milliards d'euros de dépenses en moins par an. (Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.)
Monsieur le ministre, l'excès de dépense publique pénalise notre croissance et détériore le pouvoir d'achat des Français. Quand allez-vous reprendre les propositions des Républicains et faire enfin les efforts qui s'imposent pour réduire la dépense publique, ce qui permettra d'alléger la pression fiscale pesant sur les Français ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)
M. Maxime Minot. À la Saint-Glinglin !
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre. Madame la députée, nous sommes d'accord : le niveau excessif des dépenses publiques pèse sur les Français. Cependant, permettez-moi de dire que votre constat est truffé d'inexactitudes.
D'abord, la charge de la dette ne s'aggrave pas. (« Si ! » sur les bancs du groupe LR.) Non, mesdames et messieurs les députés, la charge de la dette ne s'aggrave pas.
M. Christian Jacob. La dette augmente !
M. Gérald Darmanin, ministre. Ce n'est peut-être pas du fait de l'action du Gouvernement, puisque les taux d'intérêt continuent d'être extrêmement bas, mais on peut considérer aujourd'hui que la charge de la dette n'augmente pas, mais le danger n'est pas écarté pour demain . Il y a même eu des périodes, y compris au cours de la précédente législature, où elle a diminué, parce qu'on a emprunté à des taux négatifs.
M. Christian Jacob. Ne racontez pas d'âneries : la dette augmente !
M. Gérald Darmanin, ministre. Vous affirmez ensuite, madame la députée, que la dépense publique ne baisse pas. Or elle baisse, et elle baisse même beaucoup. Pour la première fois depuis trente ans,…
M. Christian Jacob. Comment peut-on dire des choses pareilles ? C'est invraisemblable !
M. Gérald Darmanin, ministre. Monsieur le président Jacob, je conçois que ce soit horrible pour vous que je parle, mais je suis sûr que, dans votre grande âme de républicain, vous allez réussir à m'écouter quelques secondes encore.
M. Christian Jacob. Mais vous dites n'importe quoi !
M. Gérald Darmanin, ministre. Madame la présidente, intervenez !
M. Christian Jacob. Ce n'est pas à vous de présider, monsieur le ministre !
Plusieurs députés du groupe LaREM. Ce n'est pas à vous non plus, monsieur Jacob !
Mme la présidente. Monsieur le président Jacob, s'il vous plaît, reprenons tranquillement le cours du débat. Certes, celui-ci se termine à une heure tardive, mais…
M. Christian Jacob. Il ment comme il respire, madame la présidente ! (Vives exclamations sur les bancs du groupe LaREM.)
M. Gérald Darmanin, ministre. Parole d'orfèvre, monsieur Jacob !
Mme Cendra Motin. C'est vous qui mentez, monsieur Jacob !
M. Christian Jacob. La dette augmente, monsieur le ministre !
Mme la présidente. Monsieur le ministre, reprenez la parole.
M. Gérald Darmanin, ministre. Monsieur le président Jacob, ce n'est pas parce qu'on n'est pas d'accord avec vous qu'on est nécessairement dans le mensonge ! Mme la députée a évoqué la charge de la dette, et non la dette.
D'autre part, la dépense publique baisse, et, pour la première fois depuis vingt-cinq ans, elle baisse non seulement en proportion du PIB, résultat que d'autres gouvernements ont pu obtenir, mais aussi en volume. Doit-elle continuer à baisser ? La réponse est oui. Le Gouvernement s'est engagé sur une baisse de trois points de PIB, et nous tiendrons cet engagement, comme vous pourrez le vérifier dans le programme de stabilité que nous allons présenter dans quelques jours en Conseil des ministres.
La grande difficulté, madame la députée, c'est que les propositions que vous formulez ne vont jamais dans le détail. Par exemple, le président de votre parti politique a dit qu'il fallait que les fonctionnaires travaillent désormais trente-neuf heures payées trente-neuf. Cela représente beaucoup d'argent : plus de 30 milliards d'euros ! Vous proposez le relèvement du quotient familial au niveau de 2012 : ce sont 12 milliards d'euros de dépenses publiques supplémentaires.
Mme Émilie Cariou. Et voilà !
M. Gérald Darmanin, ministre. Nous, ce que nous proposons, c'est de débattre sur des baisses de dépenses précises, et non de parler en général – d'autant que quand on regarde ce qu'il en est dans le détail, on voit que ce que vous proposez revient en réalité à augmenter la dépense publique. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Valérie Bazin-Malgras.
Mme Valérie Bazin-Malgras. Emmanuel Macron a été élu sur sa promesse de supprimer la taxe d'habitation, cette promesse d'un bol d'air fiscal ayant joué un rôle déterminant dans l'élection.
Hausse de la CSG, augmentation de la taxe carbone : en 2018, les Français ont subi l'alourdissement du fardeau fiscal, à hauteur de 4,5 milliards d'euros. Avec un taux de prélèvements obligatoires culminant à 45,3 % du PIB, la France est devenue la championne d'Europe de la fiscalité. Nous sommes loin de votre promesse de faire baisser ce taux à 43,6 % en 2022.
Les mesures d'urgence économiques adoptées en fin d'année en réponse à la crise des gilets jaunes sont allées dans le bon sens, tout en restant au milieu du gué. Les classes moyennes restent écrasées par la pression fiscale et subissent de plein fouet la désindexation des pensions de retraite et des allocations familiales. Par ailleurs, beaucoup de retraités ne sont pas concernés par l'annulation de la hausse de la CSG.
Alors qu'à l'occasion du grand débat, les membres de la majorité ont proposé, pêle-mêle, le retour de l'augmentation de la taxe carbone, l'alourdissement des droits de succession, le rétablissement de l'ISF, l'impôt sur le revenu pour tous, et j'en passe, le groupe Les Républicains a déposé une proposition de loi visant à rétablir le pouvoir d'achat des Français en diminuant la fiscalité. Ce texte, qui sera examiné ce jeudi, tend notamment à annuler la hausse de la CSG pour tous, à baisser l'impôt sur le revenu pour les classes moyennes et à relever les plafonds du quotient familial. Nous considérons que c'est au Gouvernement qu'il revient de faire des efforts en diminuant la dépense publique, comme il s'y est engagé, et non aux Français, qui n'en peuvent plus.
Monsieur le ministre, les Français attendent de réelles baisses d'impôt plutôt que des débats sans fin. Pourquoi donc vous obstinez-vous à rejeter cette proposition de loi des Républicains ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)
(…)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre, pour répondre à Mme Bazin-Malgras.
M. Gérald Darmanin, ministre. Avec grand plaisir, madame la présidente.
Vous êtes intervenue, madame la députée, sur un sujet similaire, mettant l'accent sur les efforts que devrait faire le Gouvernement en matière, notamment – mais pas seulement –, de politique familiale. On peut être d'accord avec l'idée, d'ailleurs souvent défendue par le MODEM, d'augmenter certaines prestations que, c'est vrai, le Gouvernement avait sensiblement baissées sous la législature précédente, d'abord en les plaçant sous conditions de ressources – ce fut la première annonce du Président Hollande –, puis en touchant au quotient familial, ce qui fut la deuxième attaque, si j'ose dire, contre la politique familiale.
J'ai eu l'occasion de le dire en répondant notamment aux groupes MODEM et Les Républicains, cette proposition coûte 12 milliards d'euros. Vous ajoutez qu'il nous revient de diminuer la dépense, sans préciser laquelle : ce serait une discussion intéressante, mais dans le cadre d'une organisation budgétaire revue et corrigée. Si des efforts doivent être faits en matière de politique familiale, il faut en effet en discuter dans le cadre de la branche famille, voire de l'équilibre général de la sécurité sociale, puisque son budget est malheureusement distingué de celui de l'État. Je dis « malheureusement », car j'étais assez favorable, dans le cadre de la réforme constitutionnelle, à un examen d'ensemble.
Nous sommes tout à fait enclins à envisager des augmentations plus sensibles dans la branche famille : Mme la ministre des solidarités et de la santé l'a proposé plusieurs fois, et même décidé pour les familles monoparentales, drame que notre pays ne connaissait pas forcément dans les années 1945, 1950 ou 1955, lorsque les pères fondateurs de la Ve République et de la protection sociale ont imaginé la politique familiale.
Si vous nous proposez des économies, et pas seulement des « y a qu'à, faut qu'on », nous sommes prêts à les étudier. Pour l'instant, d'après ce que j'ai entendu, votre groupe politique et le président du parti Les Républicains n'a proposé que des augmentations de dépenses, à hauteur de presque 60 milliards d'euros, si l'on inclut les trente-neuf heures de travail des fonctionnaires payées trente-neuf.
Mme Émilie Bonnivard. Non ! Vous ne savez pas lire !
M. Gérald Darmanin, ministre. Je vous recommande donc, en restant à votre écoute avec grand plaisir, de nous proposer des baisses en même temps que des hausses ; faute de quoi M. Jacob, qui ne comprendra pas que l'on ne parle que de la charge, s'énervera une nouvelle fois, ce qui est mauvais pour lui. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM. – Exclamations sur quelques bancs du groupe LR.)
Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Garcia.
M. Laurent Garcia. Ma question sera apaisante.
Mme la présidente. Je vous en remercie, mon cher collègue. (Sourires.)
M. Laurent Garcia. Les débats qui viennent de se tenir ont permis de comprendre l'importance d'une lisibilité globale de notre système fiscal et du sens social qui doit en découler. Je veux insister ce soir sur la politique familiale. Certes, payer des impôts est naturel, mais peut-on approuver le principe qu'à salaire identique, l'impôt sera le même dans une famille sans enfant et dans une autre où il y en a deux ou trois ? Bien sûr que non. Et, quoi que certains en disent, le sujet ne touche pas que les familles aisées : celles situées dans les tranches intermédiaires sont parmi les plus touchées.
Le quotient familial, tellement raboté sous les deux précédents quinquennats, ne joue plus son rôle d'amortisseur. Si l'on ajoute que les allocations familiales ont été placées sous conditions de ressources, on peut aujourd'hui le dire : nous n'avons plus de politique familiale ambitieuse.
Vous le savez, le MODEM, extrêmement attaché à cette question, souhaite la voir remise à l'ordre du jour. Lors du dernier budget, notre groupe avait formulé plusieurs propositions en ce sens, dont celle qui consistait à augmenter de 100 euros par an et par enfant le plafond de l'avantage tiré du quotient familial, et ce jusqu'à la fin de la législature, afin d'atteindre un plafond de 1 850 euros par an et par enfant. Cela représenterait un investissement de quelque 600 millions d'euros d'ici à 2022, bien loin, donc, des 12 milliards auxquels le ministre faisait allusion il y a un instant, et qui représentent le coût d'une suppression totale du quotient familial.
Madame la ministre, monsieur le ministre, les décisions qui suivront le grand débat devront montrer aux Français que nous les avons compris. Ne faut-il pas donner un véritable élan à notre politique familiale ? Celle-ci n'est-elle pas un pilier sur lequel s'appuyer pour répondre aux inquiétudes de nos concitoyens ? (Applaudissements sur les bancs du groupe MODEM.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Buzyn, ministre. Vous avez raison, monsieur Garcia, la politique familiale a souvent été au coeur du grand débat et dans ce qui est remonté des demandes des Français. Un certain nombre de propositions sont bien entendu sur la table.
L'une des vôtres est d'augmenter de 100 euros par an et par enfant le plafond de l'avantage tiré du quotient familial, pour une dépense estimée à 600 millions d'euros, soit à peu près le coût de la prise en charge de la dépendance dès la première année de mise en oeuvre des préconisations du rapport de M. Dominique Libault. Nous devons donc faire des choix. J'ai déjà eu l'occasion de le dire, il ne s'agit pas d'augmenter les impôts mais de compenser toute dépense nouvelle et d'arbitrer entre des priorités.
Vous avez raison, la politique familiale doit retenir toute notre attention. Elle constitue une force de notre système de protection sociale, mais je ne suis pas sûr que l'effort doive avantager les familles qui paient des impôts puisque, par définition, ce sont les familles les plus aisées. Les familles monoparentales, je le rappelle, sont un nouveau problème de société auquel nous devons faire face. Je le rappelle aussi, 30 % de ces familles – où vivent 1 million d'enfants – vivent sous le seuil de pauvreté. C'est donc vers ces familles qu'ont été orientées les priorités de ma politique familiale, qu'il s'agisse de l'augmentation de 30 % du complément de mode de garde ou de l'augmentation de l'allocation de soutien familial.
Nous continuerons de travailler sur le sujet, puisque les familles monoparentales ont été, sur les ronds-points, au coeur de la révolte des gilets jaunes. J'entends votre proposition et crois que nous devons avoir une politique familiale ambitieuse. La création de places de crèche est une mesure universelle, qui aide toutes les familles, puisqu'elles ont toutes besoin de faire garder leurs enfants. C'est là une manière de pérenniser l'universalité de la politique familiale. Ce sont 30 000 places de crèche qui seront créées au cours du quinquennat, et nous insisterons bien entendu, a fortiori aujourd'hui, sur le soutien aux familles les plus défavorisées, pour venir en aide à ces 1 million d'enfants en difficulté. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)
Mme la présidente. La parole est à M. Sébastien Chenu.
M. Sébastien Chenu. Ce débat n'en est pas un, et il n'est pas sérieux. Sur la forme, neuf minutes seulement ont été accordées aux représentants du Rassemblement national : neuf minutes de temps de parole, dont deux minutes pour parler de fiscalité ! Vous imaginez bien que, dans ces conditions, il ne soit pas possible de faire un certain nombre de propositions. Je ne tenterai donc pas de le faire, ni même de débattre avec vous.
Ce débat, disais-je, n'est pas sérieux : l'infime présence des députés de La République en marche dans notre hémicycle ce soir montre d'ailleurs la désinvolture avec laquelle il est abordé. (Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.) Pas sérieux, il ne l'est pas non plus en ce qu'il n'est pas conclu par un vote, comme c'est pourtant l'usage dans une Assemblée nationale.
Depuis plus de six mois, les Français expriment un légitime ras-le-bol fiscal. On nous avait promis un gouvernement d'experts en économie, et nous n'avons eu droit qu'à des apprentis, à des économistes médiocres, à une cacophonie permanente, matin, midi et soir, avec pour seul objectif la question de savoir comment faire davantage les poches des Français. Un jour, un ministre parle de l'augmentation d'une taxe ; le lendemain, un parlementaire invente un nouvel impôt.
Votre politique a ruiné le pouvoir d'achat des Français. Depuis le 1er février, certains produits alimentaires ont augmenté de 10 % ; en deux ans, le prix de l'électricité a bondi de 3 %, et il progressera de 5,6 % en juin prochain.
Ce débat, vous auriez dû le commencer en présentant vos excuses aux Français qui travaillent, aux ouvriers, aux infirmiers, aux aides-soignantes, aux ambulanciers, aux ATSEM – agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles –, aux commerçants, aux artisans, aux étudiants et aux retraités, que vous avez abîmés.
Nous avons tenté, nous aussi, de faire des propositions. J'en formulerai trois ce soir, pour les verser au débat, y compris quant à leur financement, sans pouvoir aller plus loin que leur simple énoncé : instaurer une prime de pouvoir d'achat de 200 euros, non pour augmenter le SMIC, mais pour les bas salaires et les petites retraites, inférieures à 1 500 euros ; diminuer l'impôt sur le revenu de 10 % sur les trois premières tranches ; réindexer les retraites.
Telles sont les trois propositions que nous vous faisons. Vous ne pourrez pas vous en sortir, vous le savez très bien, par des manoeuvres dilatoires. Il faudra un jour rappeler les Français aux urnes pour leur demander de valider vos propositions. Vous redoutez cette issue car, vous le savez, désormais, les Français vous détestent.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre. Notre grand débat méritait bien une conclusion aussi pleine d'équilibre et de mesure. Néanmoins, monsieur Chenu, vous me semblez mal placé pour donner des leçons d'absentéisme, puisque l'on n'a pas beaucoup vu Mme Le Pen aujourd'hui et ce soir… (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.) Sans doute était-elle retenue au conseil régional, où elle n'était pas présente non plus, toutefois, la dernière fois que j'y ai siégé.
Après quelques insultes et de rapides constatations, vous avez dressé une liste de mesures sans nous dire comment tout cela s'équilibrait,...
M. Sébastien Chenu. Vous ne m'avez pas écouté !
M. Gérald Darmanin, ministre. ...montrant ainsi que vous n'êtes pas capable d'être aux responsabilités – heureusement –, comme votre leader lors du débat du second tour de l'élection présidentielle, dont chacun se souvient. (M. Sébastien Chenu s'exclame.) Vos propos étaient particulièrement déplacés. On dit souvent que le silence qui suit une symphonie de Mozart, c'est encore du Mozart ; eh bien, je terminerai notre débat en disant le silence qui suit votre discours a encore le goût amer de la démagogie. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM et MODEM.)
Mme la présidente. Le débat sur la fiscalité et les dépenses publiques est clos.
Source http://www.assemblee-nationale.fr, le 4 avril 2019