Déclaration de de Mme Brune Poirson, secrétaire d'État auprès de la ministre de la Transition écologique et solidaire, sur les grandes orientations du projet de loi contre le gaspillage et pour l'économie circulaire, au Sénat le 24 septembre 2019.

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  • Brune Poirson - Secrétaire d'État auprès de la ministre de la Transition écologique et solidaire

Circonstance : Discussion du projet de loi relatif à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, au Sénat le 24 septembre 2019

Texte intégral

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi relatif à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire (projet n° 660, texte de la commission n° 728, rapports nos 727, 726, 682).

La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le président Gérard Larcher, madame la rapporteure, chère Marta de Cidrac, madame la rapporteure pour avis, chère Anne-Catherine Loisier, monsieur le président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, cher Hervé Maurey, madame la présidente de la commission des affaires économiques, chère Sophie Primas, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, l'émotion me subjugue, si je puis dire, puisque j'ai peine à parler devant votre assemblée. N'y voyez là aucun signe, si ce n'est du respect et de ma volonté de commencer sur le bon pied ! (Sourires.)

Les Grecs nommaient kairos l'art de saisir une occasion au bon moment et de prendre une décision forte. Et c'est ce kairos que j'invoquerai devant vous en cet instant, au moment de vous présenter le projet de loi anti-gaspillage pour une économie circulaire.

C'est en effet le moment d'agir. La planète se dégrade. Nos enfants respirent mal, 200 espèces disparaissent chaque jour et l'artificialisation des terres menace la baisse du réchauffement, tout comme la biodiversité. Les périls climatiques exigent des actes concrets et vous, ici, vous le savez mieux que quiconque.

Le temps est venu de prendre cette décision et d'avancer résolument vers une société où il fait mieux vivre. Le projet qui, au-delà de nos choix politiques, nous anime est de passer de notre société actuelle, caractérisée par beaucoup d'excès, à une société où chacun peut mieux se déplacer, mieux se loger, mieux se nourrir et vivre dans un environnement plus propre. C'est aussi, car chacun y a droit, avoir un emploi qui ait du sens. C'est, finalement, donner la possibilité à chacun, quelle que soit sa condition sociale, de pouvoir participer à un projet plus grand, celui de la construction d'une société où la prospérité n'est possible que si elle passe aussi par celle de la planète et celle des hommes.

Or le XXIe siècle nous semble caractérisé par une double crise qui, parfois, s'exprime avec violence, comme ce fut le cas ces derniers mois avec le mouvement des « gilets jaunes ». La crise est à la fois sociale et écologique.

Crise sociale, d'abord, parce que la mondialisation économique, telle que nous l'avons connue depuis les années quatre-vingt-dix, a fait émerger des inégalités sociales croissantes. Nombre de Français se sentent exclus de ses bénéfices et éprouvent un sentiment de perte de contrôle.

Crise environnementale, ensuite, parce que nul ne peut désormais ignorer la destruction accélérée de notre biodiversité et la hausse du niveau mondial des émissions de gaz à effet de serre.

C'est la raison pour laquelle je suis persuadée qu'une véritable transition écologique ne peut voir le jour dans notre pays que si elle est un instrument de lutte contre la crise sociale. Pendant trop longtemps, nous avons opposé les questions sociales aux questions environnementales. Pire peut-être, nous les avons hiérarchisées, les secondes demeurant l'angle mort des premières, ponctuellement ressuscitées mais jamais au coeur de nos politiques publiques.

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, sans prétendre épuiser la profondeur de ce vertigineux défi, j'ai la conviction que ce projet de loi anti-gaspillage pour une économie circulaire peut constituer une brique importante pour y répondre dans notre quotidien, sur nos territoires et à l'échelle nationale.

C'est la raison pour laquelle je suis persuadée qu'une véritable transition écologique ne peut voir le jour dans notre pays que si elle est un instrument de résorption de la crise sociale. La transition écologique ne sera acceptable par nos concitoyens que si elle est créatrice de richesses économiques, d'emplois, d'amélioration du pouvoir d'achat et, plus largement, de mieux-vivre partout sur nos territoires.

J'ai conscience que le projet de loi arrive à un moment politique particulier, après une crise née, notamment, du rejet d'une fiscalité écologique trop lourdement ressentie par les ménages les plus modestes. Nous vivons, dans le même temps, une période de mobilisation sans précédent de la jeunesse en faveur du climat et constatons une sensibilité très forte aux enjeux écologiques dans toutes les couches de la société.

Conscients de l'urgence écologique qui les affecte dans leur vie quotidienne – épisodes de chaleur, sécheresse, incendies sans précédent –, les Français exigent, d'une part, des moyens pour agir, chaque jour, à leur échelle, contre le gaspillage des ressources de la planète, et, d'autre part, que les efforts soient équitablement répartis. Ils exigent, en somme, que chacun, citoyen, élu, entreprise, agisse au maximum de ses facultés pour enclencher de nouveaux modes de production, de nouveaux modes de consommation et d'alimentation. Ils nous demandent de construire une société dans laquelle chacun a le « pouvoir de faire », comme le dit Amartya Sen.

C'est donc bien le sens et la finalité d'un capitalisme de surconsommation, presque vorace, que les Français interrogent aujourd'hui. Ils nous demandent d'agir pour passer d'une société du tout-jetable à une société économe de ses ressources et respectueuse de l'environnement, à une société du tout-réutilisable.

Nous voulons transformer notre système productif pour mettre la préservation des ressources naturelles en son coeur. Cela suppose de supprimer les emballages inutiles, d'encourager le réemploi, de développer la réparation et, en dernier recours, de procéder au recyclage.

C'est ce qu'on appelle l'économie circulaire.

Elle est l'économie du XXIe siècle, celle qui permettra de redonner du sens au capitalisme. L'économie circulaire, c'est aussi une réponse à ceux qui voudraient nous faire croire qu'il n'y a pas d'autre choix qu'entre croissance et décroissance. Je crois qu'il y a une voie médiane et que c'est à nous, collectivement, de la dessiner.

Ce projet de loi entend installer un cadre pour transformer notre « pacte productif » et donner aux Français les moyens de consommer autrement. C'est pour répondre à cette attente sans précédent que nous souhaitons désormais nous attaquer à la réduction de toutes les formes de gaspillage, à commencer par celle que constitue la poubelle des Français, car les déchets ne sont pas une rivalité triviale. J'ose le dire, les déchets, c'est l'une de mes passions ! (Murmures amusés sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-François Husson. Révélation !

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. Exactement, monsieur le sénateur !

Pourquoi cette passion ? Parce que les déchets disent beaucoup de ce que nous sommes, de qui nous sommes, de notre rapport aux choses et à la nature. Marcel Mauss, un auteur qui m'est cher, disait que c'est « en fouillant un tas d'ordures que l'on peut savoir tout d'une société ».

M. Gérard Longuet. C'est vrai !

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. Qui peut lui donner tort ? Après la révolution hygiéniste du XIXe siècle, qui aura vu l'explosion des déchets des villes, après un XXe siècle qui aura été celui de la prolifération des produits à usage unique, nous devons construire un XXIe siècle qui sera celui de la consommation sobre, de la fabrication de produits de qualité faits pour durer des années, en étant réparables, réutilisables et, en fin de vie, recyclables, pour que rien ne se perde plus.

Il faut que nos gestes quotidiens sortent de leur mécanique absurde et deviennent des vecteurs de lien avec la nature qui nous entoure plutôt que de saccage de celle-ci. Finalement, il s'agit de remettre du sens dans nos vies quotidiennes.

En France, on produit 5 tonnes de déchets par an et par personne, 600 kilos de déchets ménagers, 700 kilos de déchets des entreprises, autant pour le seul secteur du bâtiment, et 2,7 tonnes, plus que la moitié, pour le secteur des travaux publics. Aujourd'hui encore, selon les évaluations les plus conservatrices, 200 millions de bouteilles en plastique sont jetées dans la nature chaque année en France, et seuls 26 % de nos déchets plastiques sont recyclés.

Près de trente ans après la dernière grande loi sur les déchets de 1992, on continue encore massivement à envoyer les déchets dans des décharges saturées ou, pire, à les déverser parfois dans la nature, sous forme de dépôts sauvages, voire à les envoyer à l'étranger, dans des pays émergents, comme si ceux-ci pouvaient tolérer longtemps de servir d'exutoires à nos propres excès.

Ce projet de loi répond donc à la fois à des enjeux environnementaux, à des enjeux de développement économique et d'emploi et à des enjeux de souveraineté pour la France. C'est cette réconciliation entre le social et l'écologique, entre le développement économique et la protection de l'environnement, que nous demandent les Français.

Laissez-moi vous parler des enjeux et des impacts derrière ce projet de loi anti-gaspillage pour une économie circulaire.

Je commencerai en évoquant les impacts environnementaux, à la fois en termes de ressources naturelles et de climat. En favorisant le réemploi, la réutilisation, la réparabilité, la longévité des produits, nous voulons réduire la consommation de ressources naturelles et la production de plastique.

Nous entrons dans l'ère du post-plastique. C'est la raison pour laquelle les filières REP, pour « responsabilité élargie des producteurs », devront désormais prévoir, dans leur cahier des charges, des objectifs chiffrés de réemploi des matières concernées.

De même, les éco-modulations doivent permettre de lutter contre le suremballage, comme l'ont souligné de nombreuses ONG environnementales – je pense à Tara Océan, à Zero Waste et à beaucoup d'autres.

Enfin, dans le système de consigne proposé, aucune consigne pour recyclage ne pourra être mise en place sans que les collectivités l'aient décidé. C'est un message que je souhaite affirmer pour avoir entendu les travaux en commission.

J'en viens à la question du recyclage et de ses impacts. Même si nous nous accordons tous sur le fait que le recyclage est très loin d'être une fin en soi, comme je j'ai entendu lors des travaux de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, il est l'une des solutions pendant la phase de transition et répond à certains défis environnementaux majeurs.

En recyclant le plastique, on évite l'importation de pétrole et on réduit les émissions de CO2. Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas réduire drastiquement à la source la production de plastique ; j'y reviendrai. Lorsque nous avons du plastique, il faut faire tout notre possible pour le recycler. En effet, on évite ainsi l'importation de pétrole et on réduit les émissions de CO2.

D'ailleurs, l'objectif que vous avez réaffirmé de 100 % de plastique recyclé permet d'éviter autant d'émissions de CO2 que la fermeture des quatre dernières centrales à charbon françaises. Ce projet de loi est donc au coeur de notre stratégie pour aller vers une société neutre en carbone d'ici à 2050, conformément à l'accord de Paris et aux objectifs qui nous engagent.

Laissez-moi maintenant vous parler des impacts de ce projet de loi en termes d'emplois et de développement économique.

On estime qu'il existe un gisement de 300 000 emplois supplémentaires, lesquels emplois ne se situeraient pas seulement dans quelques métropoles, mais seraient aussi locaux, territoriaux, non délocalisables. Ce sont aussi des emplois qui couvrent toute la palette de qualifications dans les domaines de l'éco-conception, de la réparation, du réemploi, du recyclage, des plastiques en particulier, et dans les nouveaux services liés à l'économie de la fonctionnalité. Recycler ou réparer une tonne de déchets permet de créer dix fois plus d'emplois que de l'enfouir.

Ce sont également de nouvelles opportunités pour l'économie sociale et solidaire, qui représente aujourd'hui 10 % de nos emplois et qui doit prendre plus de place encore. Si ce nouveau modèle nécessite une transformation industrielle profonde, avec de forts besoins d'investissement – 4,5 milliards d'euros pour moderniser et augmenter nos capacités de recyclage sur les cinq prochaines années –, il renforcera les atouts du « made in France », du fabriqué en France, notre indépendance économique, notre indépendance industrielle et, par là même, notre indépendance politique.

Enfin, il y a aussi les impacts en termes de souveraineté pour la France. Il faut être cohérent, on ne peut pas, d'un côté, mettre une taxe sur le carbone pour devenir moins dépendant de pays tels que l'Arabie Saoudite et, de l'autre, laisser les ressources nécessaires pour réaliser la transition écologique, par exemple les métaux rares, dans les mains d'autres pays, notamment asiatiques.

C'est donc, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, avec autant d'ambition que d'humilité que je suis devant vous aujourd'hui.

Ambition, parce qu'il en faut pour relever ce défi, et je sais que vous serez au rendez-vous, vous nous l'avez déjà montré. J'aime à penser que vous et moi, nous sommes comme le Morel de Romain Gary, qui, lui, ne s'est pas désespéré.

Humilité aussi, parce que ce combat a commencé il y a longtemps. Je le sais, mes prédécesseurs, de tous les bords politiques, ont déployé des efforts considérables depuis près de trente ans. Je le sais aussi, députés et sénateurs sont engagés depuis de nombreuses années sur ces sujets. Sur le terrain, au quotidien, maires et élus locaux se battent tous les jours, parfois au péril de leur vie, pour gérer les déchets de leur territoire.

J'ai évidemment une pensée à cet instant pour Jean-Mathieu Michel, maire de Signes, dont la mort nous place collectivement face à nos responsabilités. Cela nous rappelle combien les élus locaux, ceux des territoires que vous représentez, qui font la politique de gestion des déchets en France, sont finalement en première ligne sur la transition écologique et solidaire. Ce texte est pour eux.

Je m'inscris dans la continuité de cet héritage et je veux rendre hommage à tous ceux qui ont participé à cette grande aventure, celle de la responsabilité élargie des producteurs inscrite dans le droit français dès 1975, celle du « bac jaune », celle de l'éducation aux gestes de tri, celle des centres de collecte et de recyclage et des initiatives innovantes qui servent chaque jour l'intérêt général et le bien-vivre sur notre territoire. Oui, nos élus locaux s'attachent à mettre en oeuvre cette politique depuis des années et des années. J'en ai conscience, ces trente années de politique publique, dans la continuité desquelles je m'inscris, ont permis à la France d'être aujourd'hui reconnue pour le travail remarquable qui a été effectué sur ce sujet.

Je voudrais, à ce titre, remercier non seulement les élus engagés, avec qui j'ai eu l'occasion de beaucoup échanger, mais aussi les organisations représentant les élus des territoires. Je me souviens de nombreuses discussions, parfois sous la forme de dîners prolongés, pour discuter et élaborer collectivement ce projet de loi anti-gaspillage.

Nous devons aller encore plus loin parce que la donne a changé.

Notre système public de gestion des déchets est certes de grande qualité, mais il n'a jamais été pensé pour atteindre des performances de collectes proches de la perfection. Or, lorsqu'il s'est construit, nous partions presque d'une page blanche. Avoir des objectifs de performance tels que nous les atteignons aujourd'hui était déjà colossal à réaliser. Eh bien, nous l'avons réalisé, avec les élus locaux et les territoires. Nous l'avons fait en France.

Aujourd'hui, les Français nous remercient mais ils nous demandent d'aller encore plus loin, de franchir une marche encore plus haute, de faire un grand pas en avant, et vite. Ils veulent de nous l'excellence et ils ont une tolérance zéro pour le gaspillage. Faire ce pas en avant, c'est-à-dire passer de 26 % d'emballages plastiques collectés et recyclés à 90 %, conformément aux exigences de l'Union européenne, cela impose de nouvelles pratiques. Tel est en grande partie l'objet de ce projet de loi.

Ce projet de loi, comment l'avons-nous bâti ?

Il est, avant tout, le fruit d'une longue concertation, qui a duré un an et demi. Je reconnais, dans cet hémicycle, des visages pour les avoir rencontrés au cours de cet important travail ; je voudrais les en remercier. Cette concertation a rassemblé l'ensemble des acteurs, au travers de nombreux groupes de travail thématiques qui ont conduit à la tenue de plus d'une centaine de réunions. Elle a mis autour de la table des élus, des chefs d'entreprise et des représentants d'associations. Deux consultations en ligne du public ont également eu lieu, sans oublier le grand débat qui a beaucoup contribué au contenu de ce texte. N'oublions pas non plus l'expérience tirée de la mise en oeuvre des cinquante mesures de la feuille de route pour l'économie circulaire, qui a démarré dès avril 2018.

Je veux donc remercier les parlementaires et vous en particulier, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, de votre travail tout au long de cette concertation. Ce projet, nous l'avons coconstruit. Tous les acteurs, porteurs parfois d'intérêts contradictoires, y ont été associés.

Alors que le débat s'engage dans cet hémicycle, je veux vous dire combien il me semble évident et logique que ce soit votre assemblée, le Sénat, qui soit la première à être saisie de ce projet de loi.

Les déchets sont en effet la ressource territoriale par excellence. C'est évidemment l'un des très grands champs d'action publique des élus locaux que vous représentez. Il m'est donc apparu évident et indispensable que les débats commencent ici.

Ce projet de loi a été pensé dans l'intérêt des collectivités locales et des territoires.

C'est le cas, tout d'abord, parce qu'il organise un transfert massif de charges qui pèsent aujourd'hui sur les collectivités, donc sur leurs administrés et contribuables, vers les filières économiques qui émettent ces déchets. Au total, l'extension du périmètre des filières où s'applique le principe pollueur-payeur, des filières à responsabilité élargie des producteurs, ainsi que les mesures visant à lutter contre les dépôts sauvages représentent un gain de 500 millions d'euros par an pour les collectivités. Je parle bien d'un transfert de 500 millions d'euros par an.

Entrons dans le détail. Aujourd'hui, la gestion des dépôts sauvages sur les territoires représente pour les collectivités une charge comprise entre 340 et 420 millions d'euros. À cette charge financière s'ajoute une charge psychologique que j'ai déjà évoquée : faut-il encore rappeler la mort du maire de Signes ?

Voilà les montants colossaux qui sont en jeu. Les déchets du bâtiment, à eux seuls, hors dépôts sauvages, coûtent 100 millions d'euros par an aux collectivités. Dans des proportions moindres, mais tout de même significatives, la prise en charge des lingettes imbibées coûte aujourd'hui 161 millions d'euros aux collectivités. Pour les jouets, elles dépensent 10 millions d'euros ; pour les produits chimiques non encore couverts par la REP existante sur les déchets diffus spécifiques, 30 millions d'euros ; pour les mégots, 6 millions d'euros ; pour les articles de sport, 14 millions d'euros ; pour les articles de bricolage, 5 millions d'euros. À cela s'ajouteront peut-être encore d'autres filières REP qui ne manqueront pas d'être évoquées dans le cadre des débats parlementaires.

Au total, hors dépôts sauvages, ce sont donc environ 300 millions d'euros qui sont rendus aux collectivités par la création de ces nouvelles filières. Cette somme montera à 500 millions d'euros annuels si nous prenons à bras-le-corps le défi des dépôts sauvages. L'objectif de ces nouvelles filières REP est bien de transférer la charge des collectivités vers les industriels et ainsi d'alléger la poubelle de nos contribuables, de nos concitoyens.

Ensuite, au-delà de son impact financier, le dispositif mis en place dans le cadre de la REP Bâtiment est profondément en faveur des collectivités. À la suite de la mort du maire de Signes, j'avais annoncé que je réunirais les acteurs de la filière du bâtiment et de la construction, ainsi que des associations d'élus. Chose promise, chose due : une réunion s'est tenue le 5 septembre dernier. Je remercie d'ailleurs certains d'entre vous de leur présence. Cette réunion a été l'occasion de créer un consensus autour de la reprise gratuite des déchets du bâtiment, dès lors que ceux-ci ont été triés au préalable, et ce à compter du 1er janvier 2022. L'étude de préfiguration de ce système démarre ces jours-ci, sous l'égide de l'Ademe, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie.

Cette réunion a également été l'occasion d'annoncer la création d'un système de traçabilité qui permettra de mieux identifier où sont produits les déchets, leur parcours et leur destination, et la mise en place, dès septembre, d'un observatoire national de la gestion des déchets qui sera chargé de consolider l'ensemble des données chiffrées sur chaque territoire. Un travail en commun sera mené afin de planifier la localisation de nouveaux points de collecte des déchets pour les professionnels, de manière à densifier le maillage territorial existant. Dans les zones rurales en particulier, il n'y a pas assez de déchetteries : c'est encore un poids qui pèse sur nos élus.

Enfin, on y a annoncé une mesure d'exonération de la taxe générale sur les activités polluantes, ou TGAP, pour les collectivités qui résorbent leurs décharges sauvages.

Ce consensus, atteint dans le cadre d'une concertation responsable, va nous permettre, si vous adoptez cette disposition, de changer durablement la donne pour résoudre une difficulté délaissée depuis des années sur les territoires.

Les filières REP représentent aussi, de manière plus structurelle, un instrument permettant d'assurer, sur tous les territoires, une croissance économique et une réindustrialisation : on va vers du « made in France », vers des emplois durables et non délocalisables.

Dès lors que le déchet devient une ressource, dès lors qu'il n'est plus ni brûlé ni enfoui, il constitue une matière première et devient une ressource à exploiter.

C'est le cas du plastique, bien sûr : il faut en priorité le réduire à la source – je l'ai dit et nous y travaillerons –, mais on estime que le recyclage d'un million de tonnes de plastique permettrait la création de 3 000 emplois industriels. Nous mettons sur le marché 5 millions de tonnes de plastique par an. Le gisement d'emplois dans le recyclage est donc énorme, dès lors qu'on se retrousse les manches. Quelle activité économique peut se prévaloir aujourd'hui d'un tel potentiel d'emplois locaux non délocalisables ?

C'est le cas aussi pour la lutte contre l'obsolescence programmée, qui permet de créer de véritables filières de réparation et d'économie de la fonctionnalité sur les territoires. Nous devons encourager la réparabilité des produits.

Je veux également vous dire que, tout en élargissant le périmètre des filières REP, nous vous avons entendus quant à leur fonctionnement. Vous aviez raison ! C'est la raison pour laquelle ce projet de loi repense leur gouvernance de manière à améliorer leur efficacité, au service des collectivités locales.

Enfin, ce projet de loi donne aux maires, qui sont confrontés dans leur quotidien à la gestion des déchets, de nouveaux outils pour lutter contre les dépôts sauvages, notamment par le biais du renforcement de leurs pouvoirs de police. Là aussi, nous vous avons écoutés.

Je souhaiterais à présent revenir sur le détail du texte qui a été examiné la semaine dernière au Sénat par la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, saisie au fond, ainsi que par la commission des affaires économiques, saisie pour avis, avant de m'attarder sur le remarquable travail conduit par ces deux commissions.

Le projet de loi anti-gaspillage et pour une économie circulaire comptait initialement treize articles et développait quatre grands axes.

Le premier visait à donner au citoyen l'information qui lui est nécessaire pour agir en conscience. Ainsi, il aurait plus de pouvoir pour consommer des produits plus durables et de meilleure qualité. L'association HOP, Halte à l'obsolescence programmée, a révélé hier, dans un rapport, que la durée de vie des machines à laver avait diminué de trois ans en moyenne au cours des huit dernières années. Ce n'est pas acceptable. Ce n'est pas l'économie du XXIe siècle que nous voulons créer.

Voilà tout l'objet des articles du premier titre de ce texte, relatif à l'information du consommateur. Ils portent sur l'indice de réparabilité et sur la disponibilité des pièces détachées pendant une durée raisonnable. Notre but est de favoriser le réflexe de réparation chez le consommateur, de mieux structurer les réseaux de réparateurs et, au bout du compte, d'allonger la durée de vie des produits. C'est bon pour la planète, c'est bon pour le pouvoir d'achat et c'est bon pour l'emploi !

Deuxième axe : donner aux citoyens les moyens d'agir pour la planète en adoptant le bon geste de tri. Il s'agit d'harmoniser au plus vite la couleur des poubelles, comme nous le demandent massivement les Français, et de leur donner une information claire sur le geste de tri. Je pense notamment à l'article 3, relatif à l'« info-tri ». Combien, parmi vous, n'ont jamais eu une discussion avec des Français qui déplorent combien il est compliqué de trier les déchets dans notre pays ? Simplifions-leur la vie !

Troisième axe : donner aux collectivités les moyens d'entrer dans une nouvelle ère de la gestion des déchets. Ces moyens – c'est le nerf de la guerre ! – doivent avant tout être financiers. Ce projet de loi, dans ses articles 7 à 10, transfère, comme je l'ai expliqué, près de 500 millions d'euros aux collectivités. Le Gouvernement a souhaité ce transfert parce qu'il est persuadé qu'il revient aux producteurs, aux industriels, au secteur privé de gérer la fin de vie de ces produits.

Nous ne pensons pas seulement à l'aval ; nous travaillons aussi sur l'amont, c'est-à-dire sur l'éco-conception et la réparabilité des produits. Nous y reviendrons. Je vous renvoie à la création de filières à responsabilité élargie des producteurs pour les jouets, par exemple, ou pour le tabac.

Pensez aux mégots : chaque année, 2 milliards de mégots se retrouvent dans les rues, et personne ne se rend compte qu'il s'agit, avec les bouteilles en plastique, du premier déchet qu'on trouve dans la nature. Or ces mégots sont imbibés de 4 000 substances toxiques : un seul d'entre eux pollue 500 litres d'eau. Ces substances sont déversées chaque jour dans la nature et c'est le contribuable qui paye l'ardoise, qu'il soit fumeur ou non.

C'est pourquoi il faut donner des moyens aux maires, aux collectivités, et faire en sorte que les industriels du tabac prennent leurs responsabilités et luttent activement contre la pollution causée par les mégots de leurs cigarettes.

Il en est de même pour les articles de sport. Un million de vélos sont jetés chaque année en France, alors qu'ils pourraient être réparés ou réutilisés. Je pourrais encore citer les articles de jardinage, les lingettes et les déchets du bâtiment : là aussi, les mesures prises permettront d'alléger considérablement le poids des poubelles et de faciliter la vie des collectivités.

Quatrième axe de ce projet de loi : penser un nouveau modèle de fabrication et de consommation pour le siècle à venir.

Il s'agit d'entrer dans un siècle où l'on ne pourra plus produire pour détruire. C'est bien ce qui arrive aujourd'hui : on produit encore pour détruire. Cela paraît totalement absurde, mais c'est la réalité d'une partie de notre système économique. C'est bien à cela que s'attaque le titre III de ce texte, relatif à la lutte contre le gaspillage.

L'article 5 prévoit l'interdiction de l'élimination des invendus non alimentaires : c'est une première mondiale ! La France a été pionnière sur le gaspillage alimentaire. Elle est à l'offensive également sur toutes les autres formes de gaspillage. Chaque année, c'est l'équivalent de près d'un milliard d'euros de produits non alimentaires invendus qui est détruit. Rendez-vous en compte, les produits d'hygiène et de beauté détruits représentent une valeur de 180 millions d'euros, alors que des associations d'aide aux démunis manquent dans le même temps de kits d'hygiène pour ceux qui en ont le plus besoin.

Est-ce la société dans laquelle nous voulons vivre ? Non ! Nous donnons-nous les moyens de lutter contre ce phénomène et d'être pionniers dans le monde ? Oui, et nous le faisons ensemble !

À ces quatre grands axes, on peut en ajouter un cinquième, constitué de dispositions, plus techniques, visant à transformer la gouvernance des filières pollueur-payeur de manière à introduire plus de transparence et de contrôle dans la gestion des déchets. C'est aussi la transposition des directives européennes.

Ce projet de loi n'est plus seulement le texte du Gouvernement : c'est aussi le vôtre, le texte du Sénat. À ce titre, je tiens à souligner, mesdames, messieurs les sénateurs, que nous marchons, que nous allons dans la même direction. (Exclamations amusées sur de nombreuses travées.) Vous voyez : parfois, on a des réflexes !

M. Philippe Dallier. C'est pavlovien !

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. Alors, je dirai que nous courons dans la même direction ! (Sourires.) Nous voulons tous agir avec la même ambition pour la préservation de la planète. Vous l'avez montré : c'est votre ambition. Elle est présente, cette ambition collective, dans toutes les modifications que vous avez proposées. Loin des clichés, vous avez souhaité, vous aussi, illustrer votre engagement environnemental.

Je veux citer, à cet égard, plusieurs des avancées que, de notre point de vue, vous avez apportées à ce projet de loi et sur lesquelles, avec mes services, nous avons travaillé.

J'y ai relevé des dispositions contre la publicité incitant au rebut, le renforcement de la compétence des régions, des précisions relatives aux modalités d'étiquetage, des mesures visant à mieux lutter contre le gaspillage alimentaire, ainsi que l'intégration dans le fond du texte de nombreuses dispositions que le Gouvernement prévoyait de prendre par ordonnance, concernant notamment le renforcement des pouvoirs de police des élus locaux et le régime de sanctions applicables aux éco-organismes. Enfin, j'ai noté l'adoption, au premier article de ce texte, d'un amendement porté par le groupe communiste, visant à inscrire dans la loi l'objectif fixé par le Président de la République de 100 % de plastique recyclé. Sur tous ces points, j'applaudis des deux mains.

Certaines divergences subsistent peut-être encore entre nous, mais je crois que, même là, nous avons le même objectif. Ni vous ni moi ne sommes arc-boutés sur l'article 8, relatif à la consigne, article qui a fait l'objet de beaucoup de débats.

Très objectivement, je crois que nous partageons plusieurs objectifs qui sont communs à tous les responsables, à tous les élus.

Avant tout, nous voulons protéger, à tout prix, le système public de gestion des déchets, qui est une remarquable spécificité française.

Nous voulons aussi permettre aux collectivités de ne pas regarder passer le train du changement de modèle qui se profile. Qu'on le veuille ou non, en réalité, certains acteurs industriels veulent imposer des changements, et ce, parfois, sans mettre les collectivités locales dans la boucle.

Il faut distinguer deux choses. On relève, d'une part, une volonté globale de la société d'aller vers la réutilisation, le réemploi, les produits réutilisables. Cela, mesdames, messieurs les sénateurs – vous le savez encore mieux que moi –, nous devons l'accompagner. D'autre part, il est quelque chose que nous ne pouvons pas tolérer, c'est que certaines entreprises, pour leurs profits, ou pour se verdir, utilisent certains moyens, comme le déploiement de ce que j'appelle la consigne sauvage, sans mettre les collectivités locales dans la boucle.

Nous partageons encore deux objectifs : sortir du tout-plastique pour aller vers le réemploi et la réutilisation, et répondre aux demandes répétées des Français d'instaurer un système qui leur permette, outre la lutte contre la prolifération du plastique à la source, d'avoir les moyens de faire plus pour lutter contre la pollution plastique. Ainsi, 83 % des Français interrogés souhaitent qu'on leur donne plus de moyens pour lutter contre cette pollution.

Ils veulent aussi davantage de moyens pour consommer autrement, pour consommer plus en réemployant et en réutilisant les produits qu'ils ont.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je cherche simplement, en toute humilité, à vous expliquer certains de nos choix. Je sais que certains s'y opposeront, je le comprends, mais je fais le pari de la sincérité devant vous.

Pourquoi avons-nous inscrit, dans ce projet de loi anti-gaspillage, le mot « consigne », l'expression « consigne pour réemploi, réutilisation, ou recyclage » ? Les raisons en sont multiples.

Nous pensons, d'abord, que l'avenir de la consommation est le réemploi et la réutilisation. Nous voulons mener la France vers une société où le tout-jetable n'a plus sa place, où la quantité d'emballages utilisée est drastiquement réduite, et où les emballages sont tous, à terme, réutilisables. C'est pourquoi nous avons précisé, au sein des propositions que je vous présenterai à l'article 8, qu'aucun système de consigne pour recyclage ne pourra être mis en oeuvre s'il n'est pas adossé, d'une façon ou d'une autre, à une consigne pour réemploi.

Chaque année, en France, malgré les efforts sans relâche et les performances remarquables de certaines collectivités, a minima 200 millions de bouteilles, de canettes et de briques se retrouvent dans la nature. De fait, sur les 16,7 milliards de bouteilles et de canettes que nous consommons, près de 7 milliards ne sont pas recyclées. Or la tendance actuelle n'est pas bonne. La consommation nomade, hors foyer, se développe ; vous le savez encore mieux que moi. Nous voulons donner aux collectivités les moyens de faire face aux effets néfastes de ces modes de consommation.

Quant aux industriels, au travers de leurs éco-organismes, ils n'ont pas toujours honoré leurs engagements vis-à-vis des collectivités. Disons-le ! Je sais que vous le savez. Eh bien, aujourd'hui, ils ont décidé d'avancer de leur côté, sans associer les collectivités. Vous le savez comme moi, car vous l'avez vu sur vos territoires. De grands industriels du secteur agroalimentaire font alliance avec la grande distribution et installent des systèmes de consigne en vase clos, sans en parler aux élus, sans en parler aux collectivités locales.

M. Jean-François Husson. Et vous laissez faire ?

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. Vous avez raison, monsieur le sénateur : nous ne laissons pas faire ! (Exclamations dubitatives sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Laurent Duplomb. Quelle vertu…

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. Travaillons ensemble pour faire en sorte que cela ne soit pas possible en France ! Travaillons ensemble pour laisser les collectivités, nos collectivités, au coeur du système de gestion des déchets ! Donnons-leur les moyens, non seulement de se défendre contre ce genre de choses, mais encore d'accompagner les Français dans leurs demandes de modes de consommation différents. Voilà l'objectif !

Il faut aussi donner aux collectivités locales les moyens de lutter, comme elles le font déjà, contre une certaine opacité du système de gestion des déchets, en amont de leur responsabilité. Rendez-vous en compte : il y a des élus qui font, depuis des années, un travail remarquable de collecte, de tri et d'éducation. Or combien savent où finissent, précisément, ces plastiques ? Savent-ils seulement qu'ils finissent encore, parfois, trop souvent, en Asie ou ailleurs ? S'ils le savaient, si leurs administrés le savaient, continueraient-ils à faire confiance à certains gros acteurs du secteur ? Je n'en suis pas sûre ! Des entreprises qui ont pignon sur rue, qui se vantent d'avoir les meilleures performances possible, travaillent-elles en toute transparence, disent-elles aux élus où finissent les déchets ? Les maires peuvent-ils regarder leurs administrés les yeux dans les yeux en leur assurant savoir parfaitement où les déchets sont acheminés, savoir qu'ils ne vont pas en Asie ? Cela fait partie des questions que les Français nous posent et auxquelles nous devons répondre. Il nous faut, mesdames, messieurs les sénateurs, défendre le système public de gestion des déchets.

Dans notre projet de loi, nous avions fait le choix d'un principe de consigne large, dont les modalités resteraient à définir avec les parties prenantes concernées. Pourquoi ? Eh bien, qui est mieux placé que vous pour définir et mettre en place un système de consigne qui soit protecteur ? J'ai largement partagé cette méthodologie. J'ai eu l'occasion de vous dire que, selon nous, vous étiez les mieux placés pour mettre en place des garde-fous. Je l'ai dit au président de votre commission, M. Hervé Maurey, à Mme la rapporteure et à Mme la rapporteure pour avis. Je l'ai également dit à bien des parties prenantes.

Je souhaite que les débats qui s'ouvrent nous offrent l'occasion de mettre en place ces garde-fous et de réguler ce système de façon à ce que les dindons de la farce soient non pas les collectivités, mais bien plutôt les grands industriels.

Je ne m'explique pas pourquoi aucun amendement de régulation n'a été déposé. Je me l'explique d'autant moins que les opposants au projet ont, par exemple, autorisé la consigne pour recyclage dans les territoires ultramarins. Alors, devrait-il y avoir en France deux poids, deux mesures ?

M. Roger Karoutchi. Ce ne serait pas la première fois !

Mme Brune Poirson, secrétaire d'État. Il faut faire attention : nous devons veiller à fournir des garde-fous également dans la consigne pour recyclage. En l'état, nous n'apportons pas suffisamment de garanties attendues par les collectivités locales pour répondre aux interrogations parfois légitimes que soulève ce nouveau système.

La version adoptée en commission conduit in fine à laisser le champ totalement libre aux acteurs industriels de la boisson et de la grande distribution. Ils pourraient organiser à leur main, sans concertation, un système de consigne dans lequel les collectivités seraient hors-jeu et n'auraient pas leur mot à dire. Cela est d'autant plus grave que, dans le même temps, de nombreux acteurs industriels se sont déjà organisés pour mettre en place, sans contrainte, ce que le projet initial visait à encadrer.

C'est pourquoi nous avons déposé des amendements qui illustrent plusieurs de nos principes.

Premier principe : un dispositif de consigne pour recyclage, s'il devait être mis en place, devrait permettre de soutenir et de renforcer les initiatives de consigne pour réemploi. Il n'y a pas d'opposition entre les deux systèmes ; bien au contraire, de nombreuses synergies existent. Aucun système de consigne pour recyclage ne pourra être mis en oeuvre sans qu'il soit adossé, en parallèle, à un objectif de réemploi pour la filière emballage.

Deuxième principe : ce dispositif doit avoir un impact financier positif pour les collectivités, et ce au travers de deux leviers.

Le premier de ces leviers est la réaffirmation de ce que prévoit la loi Grenelle I sur la prise en charge par l'éco-organisme de 80 % des coûts nets optimisés du bac jaune – la collecte et le tri –, et ce qu'il y ait disparition ou non des bouteilles en polytéréphtalate d'éthylène, ou PET, et des canettes, en admettant que ce soit le scénario retenu, ce que j'ignore. Cette mesure législative est sanctuarisée par une directive européenne de 2018, nous la réaffirmons dans le présent texte et nous pourrons le faire encore par voie d'amendement.

En outre, les bouteilles pourront être déconsignées en sortie de centre de tri. Cela représente des montants financiers très importants, environ cinq fois supérieurs aux sommes versées aujourd'hui par Citeo pour la collecte et le tri de ces mêmes bouteilles. On estime même que cela pourrait représenter un gain financier pour les collectivités compris entre 50 et 124 millions d'euros par an selon les hypothèses retenues. Il s'agit là des bouteilles captées par le bac jaune.

Troisième principe : les collectivités territoriales doivent être associées à la gouvernance du système de consigne qui sera mis en place. Rien ne pourra être fait sans les collectivités locales. Elles doivent avoir leur mot à dire sur les conditions et les modalités du déploiement de ces consignes et, notamment, sur l'emplacement des machines à déconsignation, de manière à accompagner les politiques de redynamisation territoriale et, en particulier, pour éviter que ces machines, si elles devaient voir le jour de façon massive, se retrouvent sur les parkings des supermarchés, modèle contre lequel nous nous élevons tous. Soyons cohérents ! Les collectivités doivent également pouvoir, si elles le souhaitent, acquérir des machines et être rémunérées par l'éco-organisme pour le service rendu.

Nous poursuivrons dans les prochaines semaines, avant l'examen de ce texte par l'Assemblée nationale, la consultation commencée cette année avec les collectivités pour définir ensemble la gouvernance du dispositif, son financement et son organisation à la lumière des questionnements et des recommandations qui seront apparus lors de l'examen parlementaire du projet de loi.

Je défendrai nos amendements sur ce sujet au cours de ces débats, parce que je crois que nous avons le même objectif : définir le cadre le plus sécurisé et le plus sécurisant possible pour les collectivités. Notre volonté est bien d'agir en garant de l'intérêt général, comme vous, de manière à nous assurer que les conditions de mise en oeuvre d'une consigne généralisée, si elle devait voir le jour sur les territoires, répondent bien à une ambition environnementale et à un intérêt économique ; il faut aussi que cette consigne soit développée de manière complémentaire à notre outil de collecte de tri organisé depuis des années et qui fonctionne très bien, géré qu'il est par les collectivités territoriales.

Mesdames, messieurs les sénateurs, j'en arrive au terme de cette longue présentation… (Exclamations amusées de soulagement sur les travées du groupe Les Républicains.) Mais vous n'en avez pas fini avec moi ! (Sourires.)

Je suis heureuse d'engager avec vous un débat constructif et apaisé.

Je veux, pour conclure, vous dire combien ce projet de loi constitue la première brique du nouveau modèle de société que nous devons inventer ensemble : un modèle qui valorise un rapport différent et, oserai-je dire, plus sain, avec notre environnement et les objets qui peuplent notre quotidien ; une société capable de produire de la richesse à partir de la richesse déjà produite, et non simplement en creusant un peu plus profond encore dans les ressources d'une terre qui exprime presque chaque jour son épuisement ; une société, aussi, qui crée des emplois pour tous, une société qui a du sens, grâce à une nouvelle économie, une société progressivement libérée du plastique, une société écologique qui partage les responsabilités pour ne pas faire peser sur quelques-uns seulement la charge des excès de tous les autres.

Nous aurons, bien sûr, des discussions sur des détails ; nous aurons parfois, je le sais, des désaccords. Mais il nous appartient ici, au-delà des habitudes et, parfois, des rentes, de ne pas perdre de vue cette grande ambition, parce que, là encore, comme disait Romain Gary, « l'inaccessible, on le fabrique soi-même ». Je vous remercie de m'avoir écoutée et je me réjouis d'avance de nos débats ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen ; Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure pour avis, applaudit également.)


source http://www.senat.fr, le 30 septembre 2019