Déclaration de M. Marc Fesneau, ministre chargé des relations avec le Parlement, sur la gestion des cours d'eau et du risque d'inondation, au Sénat le 19 novembre 2019.

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  • Marc Fesneau - Ministre chargé des relations avec le Parlement

Circonstance : Débat, organisé à la demande du groupe du RDSE, sur le thème "Bilan et perspectives de la compétence Gemapi - Gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations", au Sénat le 19 novembre 2019

Texte intégral

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, sur le thème : "Bilan et perspectives de la compétence Gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations."

Nous allons procéder au débat sous la forme d'une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

Je vous rappelle que l'auteur de la demande dispose d'un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.

(…)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, au vu des aléas climatiques et face aux risques de crues et à l'intensité de leurs effets, la logique de la Gemapi est forte et solidaire.

La gestion des cours d'eau et celle du risque d'inondation sont liées. Elles nous obligent à penser de conserve la gestion des zones d'extension naturelle des crues et l'entretien des ouvrages de protection contre les inondations. Elle appelle à un défi technique, d'ingénierie et financier. C'est la raison pour laquelle la gestion de l'eau et la prévention des inondations devaient être rapprochées. Je suis donc heureux du débat que nous avons aujourd'hui sur ce sujet.

La loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles, dite loi Maptam, avait introduit par la voie d'un amendement sénatorial la compétence Gemapi, et en avait confié la gestion, à titre exclusif et obligatoire, aux établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre. Je le dis au passage, nous avions trouvé là une utilité aux établissements d'intercommunalité, car nous avions estimé à l'époque, ce qui ne peut pas être remis en cause aujourd'hui, que c'était dans cet espace que la solidarité pouvait s'exercer, et ce à compter du 1er janvier 2018 et au plus tard le 1er janvier 2020.

Vous l'avez rappelé, madame la sénatrice, très vite, des problèmes – j'en ai été un des praticiens à l'époque ! – se sont fait jour – organisationnels, de gouvernance et financiers –, alors même que l'amendement sénatorial avait prévu l'introduction d'une taxe additionnelle pour financer cette compétence.

La proposition de loi, promulguée le 30 décembre 2017, que j'ai eu l'honneur de défendre et que je vous remercie d'avoir citée – nous avons il est vrai beaucoup travaillé sur ce texte avec l'ensemble des groupes Sénat –, visait à prévoir plusieurs assouplissements pour tenir compte des réalités vécues sur les territoires. Elle partait du constat qu'il fallait préserver ce qui fonctionne. Ainsi la loi dispose désormais que les départements et les régions assurant une ou plusieurs des missions attachées à la compétence Gemapi peuvent poursuivre leurs engagements en la matière au-delà du 1er janvier 2020 – je pense, en particulier, à la prévention des inondations sur les côtes. Un certain nombre de départements étaient très engagés. Le texte tel qu'il était rédigé initialement ne leur permettait plus de poursuivre les actions menées.

Par ailleurs, les cours d'eau, comme les crues, s'ordonnancent et se développent à une échelle qui leur est propre, celle des bassins versants. Elle échappe parfois à la logique des découpages administratifs.

Dès lors, les limites administratives des collectivités territoriales ne sont pas adaptées à la disposition géographique des bassins. C'est la raison pour laquelle elles se sont réunies dans des syndicats mixtes, des établissements publics d'aménagement et de gestion de l'eau (Épage) ou des établissements publics territoriaux de bassin (EPTB). C'est au sein de ces établissements qu'elles ont appris à travailler ensemble dans le cadre d'une coopération territoriale visant l'efficacité des politiques de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations.

La loi a donc introduit la possibilité de transférer ou de déléguer à un Épage ou à un EPTB une partie seulement des actions relevant de la Gemapi. De même, elle étend cette possibilité en cas de transfert de la compétence à un syndicat mixte de droit commun.

Enfin, la loi étend désormais à la prévention des inondations les missions d'animation et de concertation, ainsi que l'assistance technique mise par les départements à la disposition des EPCI ne disposant pas des moyens techniques suffisants pour exercer leurs compétences. Nous avons souhaité en effet pouvoir conforter les collectivités et les aider à prévenir les inondations.

C'est ainsi que le décret du 14 juin 2019 relatif à l'assistance technique est venu relever le plafond d'éligibilité des intercommunalités à l'assistance technique de 15 000 à 40 000 habitants, conformément à l'arbitrage rendu par le Premier ministre.

Où en sommes-nous ?

La compétence Gemapi, vous l'avez rappelé, madame la sénatrice, se structure progressivement et de manière différenciée : l'organisation de la compétence est aujourd'hui stabilisée ou en voie de l'être. Reconnaissons donc que la dynamique est enclenchée. Toutefois, nous constatons des disparités assez fortes entre territoires.

En matière financière, l'article 56 de la loi Maptam du 27 janvier 2014 a instauré la faculté, pour les communes et les EPCI à fiscalité propre, d'instituer la taxe Gemapi pour assurer l'exercice de leur compétence en la matière. Cette compétence est obligatoire pour les EPCI à fiscalité propre depuis le 1er janvier 2018.

La taxe Gemapi est un outil de financement puissant, clairement identifiable par la collectivité et par le redevable – le montant que ce dernier acquitte est explicitement mentionné dans son avis d'imposition –, et qui contribue à la simplicité du financement de la compétence. La taxe Gemapi est affectée aux dépenses afférentes à la compétence et est plafonnée à 40 euros par habitant. J'entends ce que vous dites par ailleurs sur la question du financement, mais ce sont des moyens qui avaient été prévus par le législateur au Sénat.

Une simple délibération de l'EPCI à fiscalité propre permet d'instituer la taxe, qui lui garantit une source de financement fiable dans la mesure où, d'une part, il adopte un produit et non un taux et où, d'autre part, la taxe est assise sur des impositions directes locales émises par voie de rôles et recouvrées par les services de l'État.

La taxe Gemapi a connu une montée en puissance sensible depuis 2017. Son rendement est passé de 25 millions d'euros en 2017 – vous avez été parmi les précurseurs – à 155 millions d'euros en 2018. Il atteindra près de 190 millions d'euros en 2019. En théorie, plafonné à 40 euros par habitant, le rendement maximal de la taxe Gemapi – sans inciter à quoi que ce soit – pourrait atteindre plus de 2,5 milliards d'euros. Par conséquent, cet outil reste mobilisable pour les intercommunalités.

En 2019, ce sont 556 EPCI à fiscalité propre qui ont adopté un produit de taxe Gemapi, soit 44 % du total. Ces EPCI regroupent une population de 32 millions d'habitants.

Pour conclure et avant de répondre aux différentes questions qui me seront posées, je voudrais dire que les orientations que nous avions prises avaient d'abord une visée pratique, sans renoncer à l'ambition de disposer d'un acteur unique chargé de conduire cette politique publique à travers les EPCI à fiscalité propre.

L'enquête lancée par la direction générale des collectivités locales (DGCL) auprès des préfectures en novembre 2018 et le suivi de la compétence montrent que les acteurs souhaitent désormais une stabilité dans les textes et un accompagnement de la mise en œuvre de la Gemapi.

Il me semble primordial de faciliter et de simplifier la mise en œuvre de la Gemapi en tenant compte des réalités locales et en faisant preuve de pragmatisme.

Les collectivités locales se sont approprié de manières différentes ces compétences. D'abord, parce que certaines étaient directement et très régulièrement confrontées aux problèmes d'inondation. Ensuite, c'était un formidable outil, mais il s'agissait parfois d'une compétence "orpheline", pardonnez-moi l'expression, ou pas exercée par les communes – on savait qu'un jour ou l'autre on pourrait avoir à l'exercer. Malheureusement, les aléas climatiques de plus en plus nombreux, de plus en plus fréquents et de plus en plus répartis sur le territoire amènent les collectivités à se saisir davantage de la question.

Les services de l'État restent pleinement mobilisés pour accompagner les collectivités locales dans la prise de compétence Gemapi, en particulier dans les territoires où la gouvernance doit encore être confortée. Je pense, notamment, à la question des fleuves – j'en connais quelque chose ! – ou à la question du trait de côte. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, RDSE et UC. – MM. Jean-Pierre Sueur et Pierre-Yves Collombat applaudissent également.)


- Débat interactif - 

Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, avec une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.

Dans le cas où l'auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n'ait pas été dépassé.

Dans le débat interactif, la parole est à M. Jérôme Bignon.

M. Jérôme Bignon. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous le savons, la mise en place de la compétence Gemapi n'a pas été simple sur certains territoires. Je souhaite aujourd'hui porter à votre attention un exemple essentiel et spécifique : la précarisation de notre modèle de gestion intégrée de l'eau par bassin versant.

Nous observons en effet un morcellement à la fois des entités et des méthodes, ce qui contribue à enrayer notre capacité à répondre aux attentes en termes de gestion de l'eau, et ce notamment en période d'urgence climatique. Deux points illustrent cette difficulté.

Le premier se situe dans la fragilisation des équilibres et des principes de solidarité déjà existants. C'est notamment le cas de la Bresle, petit fleuve côtier qui sépare la Somme de la Seine-Maritime, où deux EPCI sur sept composant le bassin versant ne travaillent pas la main dans la main, que ce soit entre eux ou avec les autres collectivités territoriales.

Cela nous amène au second point, qui concerne la clarification du périmètre des compétences, entre celles qui relèvent de la Gemapi et celles qui sont en dehors. Les problématiques liées au grand cycle de l'eau demandent une approche globale et intégrée. Plusieurs volets de la gestion de l'eau doivent être étudiés et envisagés : de nombreux pans sont à prendre en considération, passant tout autant par la qualité de l'eau que par sa quantité. Il faut également prendre en compte la biodiversité, vecteur essentiel de nos territoires, ou encore la préservation des ressources.

Monsieur le ministre, à la lumière des deux points évoqués, pensez-vous utile d'organiser dans des délais raisonnables un débat approfondi sur la question de la gouvernance et du financement des politiques de l'eau à l'échelle des bassins versants ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur Bignon, je vous remercie de votre question. Je me suis rendu avec la ministre dans votre territoire pour traiter des questions d'inondations et de la Gemapi.

Le comité de bassin constitue l'instance de concertation privilégiée pour tenir un débat sur la question de la gouvernance et du financement des politiques de l'eau à l'échelle des bassins versants. Regroupant différents acteurs, publics ou privés, agissant dans le domaine de l'eau – collectivités, État, usagers, personnes qualifiées, milieux socioprofessionnels et le préfet coordonnateur de bassin –, le comité de bassin forme un véritable "parlement local de l'eau". C'est d'ailleurs son rôle.

Le comité de bassin adopte en effet les grands axes dans le cadre des politiques nationales et européennes de l'eau, et pilote l'élaboration du schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (Sdage) à l'échelle des bassins hydrographiques, lequel fixe pour six ans les orientations qui permettent d'atteindre les objectifs attendus en matière de "bon état des eaux".

Pour répondre plus avant à votre question, oui il faut examiner la gouvernance et la conforter. Je l'ai dit tout à l'heure, il importe de voir comment la compétence se met en œuvre. Par ailleurs, sur un certain nombre de sujets que vous connaissez très bien, il est important d'examiner les modalités de financement au fur et à mesure que la compétence se déploiera.

Mme la présidente. La parole est à M. Jérôme Bignon, pour la réplique.

M. Jérôme Bignon. Je souhaite compléter mon premier propos en disant que la Gemapi a contribué à rendre orphelines un certain nombre de missions pourtant essentielles et considérées comme étant "hors Gemapi". Je pense à la préservation de la ressource en eau, tant en qualité qu'en quantité. Je pense aussi à la gestion des eaux pluviales et de ruissellement dont peu de collectivités souhaitent se saisir, faute de financement et de précisions apportées par la loi. Ces différents points devraient également être pris en compte dans le débat que vous nous avez proposé sur ces sujets.

Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Billon. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Annick Billon. Quand il est question de l'eau et de sa gestion, la mission du législateur n'est jamais simple. Comme c'est le cas pour la compétence "eau et assainissement", pour laquelle le débat n'est d'ailleurs toujours pas définitivement tranché, la compétence Gemapi aura eu un parcours législatif chaotique.

Aujourd'hui, plusieurs acteurs participent à cette compétence : des EPCI, des syndicats mixtes, mais aussi les départements et les régions. Toutefois, cette pluralité, qu'avait tenté de supprimer la loi Maptam, n'est pas forcément la principale difficulté. Je souhaiterais insister sur les problèmes tenant à la mise en œuvre de la Gemapi sur le littoral.

Les acteurs se trouvent confrontés à un empilement de procédures administratives, financières et environnementales de toutes sortes. Surtout, on constate que, dans les faits, la décentralisation n'est pas allée à son terme. Sur le terrain, la multiplication des procédures, les éternels aller-retour avec l'administration centrale masquent alors l'arbitrage local. On se retrouve aujourd'hui face à une contradiction : la lourdeur et la longueur des procédures s'opposent à l'urgence de protection des populations. Comment accélérer et simplifier les procédures ?

En Vendée, je citerai notamment l'exemple du syndicat mixte du Marais poitevin bassin du Lay. Cet organisme chargé de la Gemapi a récupéré un ensemble d'ouvrages en ruine qui nécessiteraient trois ou quatre ans d'études préalables à leur remise en état. Il se retrouve alors dans une situation très délicate, puisqu'il est dorénavant seul responsable d'ouvrages, en l'occurrence des digues, pour lesquels la responsabilité est demeurée floue pendant près de soixante ans. C'est une situation souvent techniquement et financièrement intenable. J'ajouterai qu'elle est moralement insupportable dans un département qui commémorera en février prochain les dix ans du drame de la tempête Xynthia.

Enfin, je poserai une dernière question, plus concrète encore, monsieur le ministre : de quels moyens dispose l'autorité chargée de la Gemapi si elle souhaite faire une digue sur un tracé qui a été refusé par le maire ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Madame la sénatrice Billon, votre question comporte des éléments très techniques. Pardonnez-moi si je ne vous réponds pas dans le détail. Je transmettrai votre question à la ministre pour qu'elle vous apporte des réponses précises.

Vous avez soulevé plusieurs difficultés. Vous m'avez notamment interrogé sur les modalités de mise en œuvre de la compétence et sur sa complexité, notamment dans un département comme le vôtre qui a été particulièrement impacté. La loi de 2017 a introduit un certain nombre de simplifications, que j'ai rappelées tout à l'heure, pour répondre en partie à des départements comme le vôtre. Je pense, notamment, à la possibilité de réintroduire les départements dans le jeu. Cela dit, la prise de compétences, et parfois la prise d'ouvrages, s'opère dans des conditions administratives complexes.

Des simplifications importantes ont été apportées à la réglementation sur les ouvrages hydrauliques, notamment avec l'instauration de l'autorisation environnementale unique, qui permet d'accélérer un certain nombre de procédures. L'État est conscient de l'enjeu lié à la nécessité de réaliser des travaux rapidement, notamment à la suite d'une crue ou en raison d'un risque de crue avérée. Une mission a donc été confiée aux inspections afin de voir comment accélérer la production d'un programme d'actions de prévention des inondations (PAPI), et sa mise en œuvre. Ses résultats seront connus d'ici à la fin de l'année 2019.

Par ailleurs, vous m'interrogez sur un projet qui n'aurait pas l'accord du maire. Je vous apporterai plutôt une réponse écrite plus précise. Quoi qu'il en soit, le fonds Barnier peut financer un certain nombre de renforcements, sans parler du onzième programme d'intervention. J'ai entendu votre sollicitation sur la préservation nécessaire des moyens de l'agence de l'eau. Il s'agit de moyens pouvant être dévolus au-delà de la taxe Gemapi pour répondre aux exigences de prise de compétence par les collectivités.

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Vaspart.

M. Michel Vaspart. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 29 octobre dernier, le Sénat a débattu des conclusions du rapport de ma collègue Nicole Bonnefoy Catastrophes climatiques : mieux prévenir, mieux reconstruire sur la gestion des risques climatiques et l'évolution de nos régimes d'indemnisation, fait au nom de la mission d'information sur les risques climatiques que j'ai eu l'honneur de présider.

Le rapport conclut qu'une modernisation de nos politiques de prévention et d'indemnisation est indispensable pour relever durablement le défi du changement climatique.

Vous le voyez, monsieur le ministre, nous ne nous sommes pas uniquement focalisés sur les conséquences des catastrophes climatiques et donc sur le régime de catastrophe naturelle, mais nous nous intéressons à l'ensemble du phénomène, tout particulièrement à la prise en compte du risque, ce qui rejoint le débat que nous avons aujourd'hui sur l'initiative du groupe du RDSE.

Pour ces raisons, nous avons successivement proposé : de renforcer le rôle du conseil de gestion du fonds Barnier et de supprimer les sous-plafonds pour donner davantage de souplesse à sa gestion ; d'achever la politique d'élaboration des plans de prévention des risques naturels (PPRN) ; d'accélérer le traitement des demandes de labellisation des programmes d'actions de prévention des inondations (PAPI) et de simplifier les procédures applicables aux actions réalisées dans ce cadre ; de créer des instruments juridiques adaptés aux territoires confrontés au recul du trait de côte ; enfin, de créer les conditions pour développer une culture du risque chez nos concitoyens.

Pourquoi ce rappel ?

Parce que le transport de la compétence Gemapi a profondément fait évoluer le rôle des élus, qui sont devenus acteurs de la prévention des risques, et ce alors même que la frontière entre ce qui relève de la Gemapi et ce qui n'en relève pas n'est pas claire, et que le modèle financier n'est pas réaliste. Ce n'est pas vous, monsieur le ministre, qui pouvez me contredire sur ce point.

Surtout aussi, parce que le conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) et l'inspection générale de l'administration (IGA) ont été mandatés pour évaluer l'efficacité de la mise en œuvre des PAPI et qu'ils sont, en ce moment même, en train d'examiner certaines des solutions que nous proposions dans nos travaux.

Monsieur le ministre, ceux qui veulent faire bouger les choses vont-ils, pour une fois, l'emporter sur les conservateurs, et la voix des élus sera-t-elle entendue par l'administration centrale ? (M. Jean-Paul Émorine applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, le Gouvernement a lu avec attention le rapport qui a été fait par le Sénat sur l'indemnisation et la prévention des risques climatiques.

En ce qui concerne le régime des catastrophes naturelles, des réflexions sont en cours en lien avec les acteurs concernés pour améliorer l'efficacité du dispositif.

Sur la prévention des risques, nous vous confirmons que le fonds Barnier est un levier essentiel du financement de la politique de prévention des inondations. Le plafonnement actuel de ce fonds n'obère pas son efficacité en raison de la trésorerie encore disponible. Sa gouvernance sera rénovée, avec l'implication plus importante du Conseil d'orientation pour la prévention des risques naturels majeurs (COPRNM), qui rassemble toutes les parties prenantes. Nous rejoignons aussi les recommandations du rapport visant à poursuivre et renforcer les actions de prévention : PPR, PAPI, développement d'une meilleure appréhension du risque, réduction de la vulnérabilité.

S'agissant de la vulnérabilité, je souligne que le taux d'aide aux propriétaires d'habitation par le fonds Barnier est désormais passé de 40 % à 80 % pour les PAPI. Il en sera de même pour les PPR dans les jours à venir.

Je veux revenir à ce que vous avez dit sur le rôle des élus. Il est vrai que du fait de la prise de la compétence Gemapi, les élus se retrouvent désormais plus souvent en première ligne. Autrefois, ils s'occupaient plutôt de la gestion après la survenance du risque, au moment des intempéries. Aujourd'hui, les citoyens leur demandent de prendre leurs responsabilités, ce qui rend nécessaire une articulation avec nos concitoyens et une appropriation du risque par ceux-ci, ce qui n'était pas toujours le cas auparavant. C'est un travail difficile, à mener avec les élus.

Je ne sais pas si je vais parvenir à vous rassurer, mais je tiens à vous faire part de notre volonté, avec ce dispositif Gemapi, à la fois, d'atteindre de grands objectifs et de tenir compte de la réalité du terrain afin d'adapter la législation ou les règlements aux réalités et aux besoins des élus.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le ministre, quelles conclusions tirez-vous de la réforme, en 2017, du dispositif qui avait été mis en œuvre en 2014, en particulier, je tiens à le souligner ici, grâce à l'implication de notre collègue et ami Pierre-Yves Collombat ?

Les sécabilités – pardonnez-moi d'employer ce terme quelque peu barbare – qui ont été introduites n'ont-elles pas pour effet de dissocier les instances qui s'occupent de la prévention des inondations et celles qui traitent de l'urbanisme et de l'aménagement ? Or, vous le savez, le problème central est de lier les deux, c'est-à-dire de construire en prenant en compte le risque d'inondation.

Enfin, vous n'ignorez pas qu'est intervenue une réforme de la taxe d'habitation ni que la Gemapi est assise, pour une part non négligeable, sur la taxe d'habitation.

Comment comptez-vous, dans ces circonstances, garantir les ressources qui financeront le dispositif Gemapi, et même les accroître, ce qui est absolument nécessaire ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, peut-être est-il un peu tôt pour tirer les conséquences du texte de 2017 qui est venu renforcer et améliorer le dispositif de 2014 ? Il était en effet prévu que ces compétences deviennent effectives, pour les uns au 1er janvier 2018, et pour d'autres au plus tard 1er janvier 2020. Vous le voyez, nous sommes encore dans un processus d'appropriation de la gouvernance de cette compétence.

Je ne crois pas que la sécabilité implique le risque d'une dissociation. Tout d'abord, ce sont souvent les mêmes élus qui siègent dans ces instances. Il ne vous aura pas échappé par ailleurs – je sais que vous connaissez bien l'agglomération orléanaise – que, dans un certain nombre de cas, l'aménagement du territoire et l'urbanisme demeurent des compétences des communes, le plan local d'urbanisme intercommunal (PLUI) restant optionnel.

Il faut donc faire confiance aux élus pour parler des problèmes d'inondations – c'est pourquoi il est intéressant de traiter de la compétence Gemapi à l'échelle intercommunale –, mais aussi des questions d'aménagement et de construction. En effet, vous avez raison, on ne peut pas dissocier le risque d'inondation de la constructibilité ou de la faculté de rendre certaines zones constructibles.

Je ne pense donc pas qu'il y ait de risque structurel de dissociation. Dès lors que la question des inondations et de leur prévention est de la responsabilité des élus, j'imagine que ceux-ci portent une attention permanente à ce sujet. Pour les connaître tout autant que vous, je suis certain qu'ils veilleront à ce que, en matière de construction, les choses soient bien faites.

Vous m'avez demandé quel serait l'avenir de la taxe Gemapi après la suppression de la taxe d'habitation.

La suppression de la taxe d'habitation ne change rien aux pouvoirs des intercommunalités. Celles-ci pourront, tout comme auparavant, percevoir un produit, lequel sera réparti sur les autres taxes restantes. Je précise qu'un dispositif transitoire est prévu jusqu'à la suppression complète de la taxe d'habitation.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour la réplique.

M. Jean-Pierre Sueur. Je vous remercie, monsieur le ministre, pour vos réponses, mais je reste quelque peu sceptique sur la question financière. Il ne sera pas si simple pour les élus de répartir le produit aujourd'hui indexé ou annexé à la taxe d'habitation sur toutes les autres taxes…

M. Pierre-Yves Collombat. Sur toutes les taxes foncières !

M. Jean-Pierre Sueur. … lesquelles augmenteront en conséquence.

Je ne suis pas certain, en outre, que ce transfert permettra d'accroître la ressource, ce qui est pourtant important. Car, si la mise en œuvre de la taxe Gemapi est une mesure positive et nécessaire, nous savons tous aussi que son produit n'est pas encore à la mesure des besoins. (M. Pierre-Yves Collombat s'exclame.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Laborde.

Mme Françoise Laborde. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, un certain nombre d'élus nous ont fait part de leurs inquiétudes et du fait qu'ils souhaiteraient des évolutions dans le but d'optimiser et de mieux financer certaines opérations de lutte contre le ruissellement. En effet, dans certains territoires, c'est l'une des premières causes d'inondations.

La taxe Gemapi définie à l'article 1530 bis du code général des impôts peut être mobilisée afin de permettre le financement des opérations de maîtrise des eaux pluviales et de ruissellement, dès lors que ces opérations contribuent à réduire le risque d'inondation. Cela est d'ailleurs clarifié par la circulaire sur la mise en œuvre de la loi Gemapi du 30 décembre 2017.

Par exemple, les ouvrages hydrauliques conçus de manière à limiter les dommages des eaux de ruissellement peuvent être financés au titre de la compétence Gemapi.

Toutefois, cette taxe ne peut pas être mobilisée pour réparer les dégâts causés par le ruissellement et l'érosion, et leur non-intégration au sein de la Gemapi empêche la mobilisation des fonds qui lui sont consacrés pour mener des actions de réparation, avec des coûts parfois très lourds pour les collectivités concernées, compte tenu de leur situation budgétaire.

Par ailleurs, le rapport inscrit à l'article 7 de la loi, qui a été rendu en avril 2018, soulève la réflexion à mener pour mieux articuler le financement des opérations et équipements concourant à la prévention des inondations par la maîtrise des eaux pluviales et de ruissellement.

Je souhaite donc connaître votre position, monsieur le ministre, sur l'éventuelle intégration de la lutte contre l'érosion et le ruissellement au sein de la compétence Gemapi, afin de permettre aux collectivités de mobiliser cette taxe pour ces opérations spécifiques, et sur les suites données aux recommandations de ce rapport. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Pierre-Yves Collombat applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Je vous remercie, madame la sénatrice, de votre question qui va me permettre de clarifier un certain nombre d'éléments, même si, concernant cette compétence – vous l'avez dit à juste titre –, la frontière peut être ténue…

La maîtrise des eaux pluviales et de ruissellement, mentionnée au 4° de l'article L. 211-7 du code de l'environnement, demeure partagée entre les différents échelons de collectivités territoriales, dans la mesure où elle ne se rattache ni au service public de gestion des eaux pluviales urbaines ni à la compétence relative à la Gemapi ; c'est une difficulté que vous avez soulevée.

Il convient toutefois de préciser que les opérations répondant à la finalité de prévention des inondations, en assurant la maîtrise des eaux pluviales et de ruissellement, sont considérées comme relevant de la compétence Gemapi et peuvent, de ce fait, être financées par la taxe Gemapi. C'est le cas pour la reconstruction d'un réseau – un exemple que vous avez cité –, dès lors que cette opération participe à la lutte contre le ruissellement ; à défaut, ce sont d'autres budgets qui sont sollicités.

Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Laborde, pour la réplique.

Mme Françoise Laborde. Vous dites, monsieur le ministre, que la réparation peut être considérée comme une mesure de prévention, et je l'entends. De nombreux maires étant présents cette semaine, je pensais que c'était une bonne occasion de vous poser cette question.

Nous sommes en présence de deux enjeux majeurs : le risque de se concentrer seulement sur les compétences obligatoires, et celui que les collectivités territoriales ne communiquent pas suffisamment entre elles ; un EPCI, par exemple, ne fait pas les choses de la même façon que son voisin… C'est parfois la difficulté de la loi Gemapi.

Mme la présidente. La parole est à M. Didier Rambaud.

M. Didier Rambaud. Monsieur le ministre, ma question, qui s'inscrit dans la continuité de celle de Jean-Pierre Sueur, porte sur le devenir de l'assiette de la taxe Gemapi, qui est fragilisée par la suppression de la taxe d'habitation.

En effet, cette suppression laisse planer quelques incertitudes notoires quant à la composition de l'assiette de recettes de la compétence Gemapi, laquelle peine, chacun le sait, à s'adosser à un modèle économique stable. Je rappelle aussi, et vous l'avez confirmé précédemment, qu'il s'agit de plus de 150 millions d'euros, un montant de crédits modique à l'échelle nationale.

Le rapport d'évaluation des conséquences du transfert de cette compétence aux EPCI à fiscalité propre, qui a été confié à l'IGA et au CGEDD, préconise de "fiabiliser l'assiette de la taxe, qui subira le contrecoup logique de la suppression de la taxe d'habitation".

En l'état, la suppression de cette taxe, sur laquelle est partiellement assise la Gemapi, emporte le risque de déplacer la charge de son coût budgétaire des populations locales aux entités qui sont redevables de la cotisation foncière des entreprises (CFE), ce qui aurait pour effet d'instituer logiquement une asymétrie de traitement, dès lors que les propriétaires du bâti exposé tireront le principal bénéfice de la réduction de l'exposition au risque.

Une attention particulière sera-t-elle portée au nécessaire rééquilibrage de l'assiette, entre taxe foncière et CFE ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Votre question, monsieur le sénateur, va me permettre de compléter la réponse que j'ai faite à M. Sueur.

La refonte de la fiscalité locale liée à la suppression de la taxe d'habitation ne modifie aucunement la faculté laissée aux communes et aux EPCI à fiscalité propre d'adopter un produit de la taxe Gemapi – je rappelle, en effet, que c'est sur un produit que l'on vote.

Les communes et les EPCI à fiscalité propre continueront, dans les mêmes conditions, à pouvoir adopter annuellement un produit d'imposition affecté au dépensier à l'exercice de la compétence, et plafonné à 40 euros par habitant.

L'article 5 du projet de loi de finances pour 2020, qui a été adopté par l'Assemblée nationale en première lecture et sera débattu dans quelques jours au Sénat, est clair quant à l'assiette de la taxe Gemapi retenue après la suppression de la taxe d'habitation sur les résidences principales. Contrairement à ce que vous dites, aucune incertitude notoire ne persiste. La refonte de la fiscalité locale modifie simplement les modalités de répartition du paiement de la taxe entre les redevables.

En 2020, la taxe Gemapi sera répartie entre la taxe d'habitation, les taxes foncières et la CFE, mais le taux additionnel de répartition appliqué sur la taxe d'habitation sera identique à celui de 2019. Cela permet de garantir à 80 % des foyers fiscaux de ne payer aucune taxe d'habitation en 2020. Le produit supplémentaire éventuellement adopté par l'EPCI à fiscalité propre sera réparti sur les autres impositions.

En 2021 et 2022, le montant de la taxe Gemapi réparti sur la taxe d'habitation sera diminué des dégrèvements accordés en 2020, pour éviter que les 20 % de foyers fiscaux restant temporairement assujettis à la taxe d'habitation ne soient confrontés à un ressaut de fiscalité.

À compter de 2023, le produit de la taxe Gemapi sera réparti sur la taxe d'habitation sur les résidences secondaires, les taxes foncières et la CFE. La part répartie sur la taxe foncière sur les propriétés bâties sera calculée sur la base du taux communal.

Par construction, à produit de taxe Gemapi égal, la suppression de la taxe d'habitation sur les résidences principales entraînera un report de la répartition sur la taxe d'habitation sur les résidences secondaires, les taxes foncières et la CFE.

Néanmoins, d'une part, ces modalités de répartition ne modifient pas le pouvoir d'institution et de fixation du produit accordé aux communes et aux EPCI à fiscalité propre compétents ; d'autre part, la hausse de la pression fiscale sur les redevables a été analysée et n'est pas excessive. Elle sera dans la majorité des cas de quelques dizaines d'euros au maximum.

Monsieur Sueur, je vous confirme que nous laissons aux collectivités la possibilité d'activer ou non, en fonction de leurs moyens et de leurs demandes, la taxe Gemapi.

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.

M. Pierre-Yves Collombat. Se donner les moyens de ses ambitions, tel est le titre du rapport d'information du Sénat à l'origine de la loi dite Gemapi, qui a donné les moyens d'une politique pérenne et générale de prévention de l'inondation.

D'abord, les moyens juridiques : en l'absence de gouvernance clairement identifiée, il s'agit d'attribuer la compétence – elle ne doit pas être "orpheline", comme vous l'avez rappelé, monsieur le ministre – aux EPCI, dont le bras armé sera au niveau des bassins, des syndicats, mixtes ou non, nommés les Épage.

Ensuite, les moyens financiers : ils sont assurés par une taxe assise sur une base très large, c'est-à-dire l'ensemble du foncier.

Ce qui manque aujourd'hui, ce ne sont plus les moyens, car le produit de la taxe Gemapi peut être augmenté – il y a des marges de manœuvre – et il s'ajoute à quelque chose qui existait ou non. J'entends que ce n'est pas suffisant : commençons déjà par utiliser ce dont nous disposons, et puis nous verrons ensuite !

Le problème est un manque de volonté et d'ambition, lesquelles ont été usées par l'opposition des acteurs traditionnels de la prévention et par les querelles byzantines des théologiens du contrôle de légalité, à propos de "qui doit faire quoi" et de l'utilisation licite ou non de la taxe Gemapi. On leur doit la paralysie de nombreuses opérations visant à maîtriser le ruissellement, cause principale des catastrophes survenues dans le sud de la France.

Ces oppositions semblent avoir votre oreille, monsieur le ministre, puisque la loi Fesneau, selon son exposé des motifs, correspond à "une demande forte exprimée par plusieurs collectivités territoriales".

On rompt donc avec un apport de la loi : l'unicité de décision et de compétence, qui permet de ne plus séparer les problèmes d'urbanisation et ceux de prévention stricto sensu. Or la loi elle-même, au travers de la création des Épage, qui ont une structure de syndicat mixte,…

Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue !

M. Pierre-Yves Collombat. … permet cette coopération.

Monsieur le ministre, peut-on espérer voir un jour le Gouvernement défendre de nouveau cette ambition, en supprimant les obstacles administratifs imaginaires au déploiement d'une politique pérenne et générale de prévention de l'inondation et en stimulant la mise en place de structures locales fortement impliquées ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, vous avez été à l'origine de l'introduction de la Gemapi dans la loi Maptam, en 2014.

Vous avez raison, les moyens sont à disposition, car ils ont été prévus en 2014 par le législateur, en particulier par le Sénat.

Je ne partage pas la totalité de votre propos, dans la mesure où se pose aussi une question de solidarité entre les territoires. C'est le cas pour les problèmes fluviaux : un seul EPCI ne peut pas prendre seul en charge les digues, par exemple, car cela relève de l'intérêt général.

Vous vous retournez vers l'État, et vous avez raison sur un certain nombre de points. Concernant la structuration en Épage et en EPTB, le Gouvernement soutient les éléments de souplesse que vous appelez de vos vœux. Ainsi, le projet de loi relatif à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique prévoit à cet égard de reporter la dérogation jusqu'au 31 décembre 2021, permettant à un syndicat mixte ouvert d'adhérer à un autre syndicat mixte ouvert, sans que ce dernier soit un Épage ou un EPTB.

Toujours dans un souci de souplesse, le Gouvernement entend également décaler d'une année supplémentaire la faculté de déléguer à un syndicat mixte non-Épage ou à un EPTB.

Par ailleurs, s'il est important que les territoires prennent conscience de l'importance de la Gemapi, il faut aussi leur laisser du temps. J'ai été témoin de situations dans lesquelles des syndicats avaient leurs habitudes, notamment pour l'exercice des compétences, et au sein desquels la convergence entre élus était délicate à assurer. Il faut en tenir compte. Les délais peuvent paraître longs, parfois même infinis, lorsque les risques sont très importants ; il faut cependant faire confiance aux élus locaux et faire en sorte que l'intérêt général prime.

Je ne doute pas que tel sera le cas dans l'exercice de cette compétence de gestion des inondations. Le chemin est long, mais nous dialoguons avec nos concitoyens pour leur faire prendre conscience des raisons pour lesquelles ils paient cette taxe. Les assouplissements de l'État s'inscrivent dans ce cadre.

Encore une fois, la confiance donnée aux élus permettra de mettre en place une organisation au plus près des besoins des territoires.

Mme la présidente. La parole est à Mme Évelyne Perrot. (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)

Mme Évelyne Perrot. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la loi Maptam de 2014 a transféré aux EPCI à fiscalité propre la compétence Gemapi. La loi NOTRe de 2015 a fixé au 1er janvier 2018 la date d'effet de ce transfert. Enfin, la loi de 2017 a permis aux départements et aux régions de continuer d'exercer la compétence Gemapi. Ce qui était un assouplissement nécessaire pose aujourd'hui un problème d'exercice de la compétence au niveau local.

Dans mon département de l'Aube, par exemple, le département assure maintenant seul la compétence, les syndicats de proximité ayant été supprimés. Leur fonction était pourtant essentielle.

Nous avons besoin d'une approche qui soit la plus locale possible, pour bien gérer cette compétence, surtout compte tenu des effets du changement climatique.

À ce jour, les maires constatent un retard dans la gestion de proximité et trouvent que le suivi n'est plus évident. La gestion des cours d'eau en milieu rural est devenue difficile.

Monsieur le ministre, le rapport de novembre 2018 sur le bilan du transfert de la compétence constate que son accompagnement doit être renforcé. Qu'est-il donc prévu pour assurer l'exercice local de la compétence Gemapi dans les zones où le chef de filât est assuré par les régions et départements ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Madame la sénatrice, vous l'avez rappelé, la loi du 30 décembre 2017 dispose désormais que les départements et régions, assurant une ou plusieurs des missions rattachées à la compétence Gemapi, peuvent poursuivre leur engagement en la matière au-delà du 1er janvier 2020. Dans de nombreux territoires, les départements sont en effet des partenaires importants des politiques de l'eau. Ils interviennent notamment dans le domaine de la gestion des milieux aquatiques, apportant leur soutien financier ou une assistance technique pour certaines opérations d'investissement.

La place du département dans la gouvernance varie selon les configurations locales. J'entends ce que vous dites concernant le département de l'Aube, mais je rappelle que c'est un choix qui incombe aux collectivités. C'est sur autorisation des collectivités que le département peut intervenir. Je ne voudrais pas m'immiscer dans un débat entre collectivités : si le département exerce ces compétences, peut-être est-ce parce que les EPCI l'ont autorisé à le faire à l'échelle du territoire. Cela nécessite sans doute des évaluations internes, mais c'est un problème de gouvernance entre collectivités.

En tout état de cause, il n'existe pas juridiquement de chef de filât assuré par les départements ou les régions en matière de Gemapi. L'État est présent pour accompagner les collectivités et leurs groupements au travers, notamment, des missions d'appui technique de bassin qui ont été prolongées jusqu'au 1er janvier 2020, par décret du 27 décembre 2018.

J'en viens à votre question sur l'accompagnement. Les services centraux des ministères de la transition écologique et de la cohésion des territoires travaillent conjointement pour accompagner les collectivités dans la prise de compétence Gemapi. Des outils d'accompagnement sont d'ores et déjà disponibles. À titre d'exemple, au niveau national, des guides à destination des élus et des techniciens sont désormais disponibles. Un guide sous forme de questions-réponses a été mis en ligne sur les sites des ministères le 27 mai 2019.

Au niveau local, les services de l'État sont également mobilisés pour appuyer les collectivités, notamment par l'intermédiaire des stratégies d'organisation des compétences locales de l'eau (Socle) établies sur chacun des grands bassins versants français de métropole et d'outre-mer.

Enfin, le Gouvernement met en œuvre de nouvelles mesures comprenant l'assouplissement de la réglementation et des leviers financiers, afin de faciliter la mise en œuvre de la Gemapi partout sur le territoire.

Mme la présidente. La parole est à Mme Évelyne Perrot, pour la réplique.

Mme Évelyne Perrot. Monsieur le ministre, les petits syndicats de bassin et de rivière faisaient un travail remarquable et ils étaient animés par des bénévoles. Les maires ont beaucoup perdu avec leur disparition.

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Chevrollier.

M. Guillaume Chevrollier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la compétence Gemapi répond au besoin de plus en plus pressant de replacer la gestion des cours d'eau au sein des réflexions sur l'aménagement du territoire.

Les élus locaux, malgré leur engagement, attendent que l'État donne une impulsion réelle pour la reconquête de la qualité des eaux. J'aimerais vous faire part de plusieurs observations d'élus chargés de l'eau dans mon département.

Le premier sujet est la maîtrise du ruissellement des eaux et sa mise en place dans les territoires, avec la trame bleue. La trame verte, qui favorise la promotion des haies, est également indispensable. Pour ce faire, il faut aider les agriculteurs à préserver ces haies.

Le deuxième point est la clarification de la gouvernance locale en matière de grand cycle de l'eau, qui n'est pas toujours une réalité : entre les schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (Sdage), les départements, les régions et les EPCI, on constate encore une trop grande dispersion des initiatives et une sédimentation des responsabilités. Il faut vraiment veiller à mettre en place des actions de simplification pour, au moins, déterminer quelle échelle demeure prescriptive sur les autres.

Troisième observation : la compétence Gemapi, qui est à l'échelle des intercommunalités, et non à celle des bassins versants des cours d'eau, pose souvent des difficultés, notamment lorsque deux intercommunalités voisines ne souhaitent pas mener d'actions concomitantes pour la gestion d'une rivière. C'est problématique pour l'amélioration du bon état écologique de certains cours d'eau.

Enfin, quatrième point, la gestion des milieux aquatiques (GEMA) est fortement subventionnée par la région et l'agence de l'eau par le biais des contrats territoriaux milieux aquatiques. La prévention des inondations, en revanche, n'est pas subventionnée. L'État prévoit-il la mise en place d'aides au financement sur ce poste ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, le premier point de votre intervention concerne le grand cycle de l'eau, et même le petit cycle. Vous soulignez le rôle important des agriculteurs dans ce domaine, ainsi que les actions dans le domaine de la préservation des haies.

Un certain nombre de dispositifs existants, qui ne relèvent pas de la Gemapi, concourent à la lutte contre les inondations. Je pense en particulier à ceux relatifs au ruissellement et aux dispositifs prévus par la politique agricole commune. Des régions ont également mis en œuvre, dans le cadre de contrats de bassin ou avec le soutien de l'agence de l'eau, des mesures en direction des agriculteurs, qu'il faut soutenir.

Deuxième point, vous avez appelé à un travail de simplification. C'est un travail que nous menons au fil de la prise en charge de la compétence.

Troisième point, s'agissant de la mise en œuvre concrète du dispositif, on rencontre en effet des difficultés lorsque deux collectivités ont du mal à travailler ensemble.

Pour avoir présidé un EPCI et été maire d'une commune de petite taille – 700 habitants –, je considère qu'il n'appartient pas à l'État d'intervenir en tant que tel dans ce champ. Le choix qui a été fait, et qui est issu d'un amendement sénatorial, est celui de la libre administration des collectivités. J'essaye de ne pas me déjuger et de respecter ce principe en laissant les collectivités travailler ensemble et s'approprier la compétence.

Parfois, vous avez raison, il est nécessaire que les collectivités dialoguent entre elles : l'échelle de l'EPCI étant trop limitée, la question des inondations doit être gérée au niveau de plusieurs EPCI. Il nous faut tendre vers cela. Mais, comme je l'ai dit à M. Collombat, c'est un long travail d'appropriation par les collectivités.

Il arrive en effet que chaque collectivité raisonne en silo sur ses propres prérogatives. Mais, dès lors qu'il y a une gestion globale des inondations, un cours d'eau en partage ou une même politique de l'habitat, dans le cadre d'un schéma de cohérence territoriale (SCOT) par exemple, il est bon que les collectivités se parlent. Cela peut prendre du temps, encore une fois, mais il faut faire confiance aux élus locaux pour assurer, au bénéfice des habitants, le travail de prévention des inondations.

Mme la présidente. La parole est à Mme Monique Lubin.

Mme Monique Lubin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'Institution Adour, EPTB couvrant les départements des Hautes-Pyrénées, du Gers, des Landes et des Pyrénées-Atlantiques, a lancé une étude d'opportunité de classement des systèmes d'endiguement. Les résultats et propositions de cette étude vous ont été transmis.

Il en ressort que le système d'endiguement semble être un outil réglementaire inadapté. Les territoires ruraux, qui disposent de longs linéaires de digues protégeant l'habitat diffus contre les inondations, auront d'énormes difficultés financières à maintenir ces ouvrages classés, et ce malgré l'instauration de la taxe Gemapi. Cette ressource financière est par ailleurs remise en cause par la suppression de la taxe d'habitation. À titre d'exemple, la mise aux normes de la digue de la rive droite de l'Adour maritime, longue de 23 kilomètres, qui protège 350 personnes, est estimée à 33 millions d'euros.

A contrario, certains ouvrages non classés ne peuvent pas non plus être abandonnés, en raison de la présence de population, d'activités économiques agricoles ou d'enjeux de préservation de sites protégés Natura 2000, comme les barthes de l'Adour.

Dans cette perspective, la proposition du décret d'août 2019 consistant à supprimer le seuil plancher de 30 personnes pour le classement des ouvrages n'est pas une solution. Il expose les entités "gemapiennes" à une situation inextricable, compte tenu du faible nombre d'habitants, et alors que les EPCI n'ont déjà pas les moyens financiers de classer des ouvrages protégeant des populations importantes.

Au-delà de cette impasse financière, cette proposition apparaît contraire à la compétence Gemapi, puisqu'elle est de nature à maintenir des contraintes au fonctionnement naturel des cours d'eau.

Ma question portera donc sur trois points.

Comment les entités "gemapiennes" vont-elles supporter le financement des ouvrages classés avec cet abaissement de seuil et la fragilisation de l'assiette de la taxe Gemapi ?

Pouvez-vous clarifier le devenir des ouvrages non classés au regard de l'obligation de mise en transparence hydraulique issue du décret de 2019 ? Qui sera chargé de la réaliser ?

En conséquence, ainsi que le président de l'Institution Adour vous l'a proposé, êtes-vous favorable à la création d'un nouvel outil administratif réglementaire, garantissant la sécurité publique, adapté aux territoires ruraux et qui serait assorti d'un dispositif d'accompagnement financier soutenable ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Madame la sénatrice, la critique apportée au décret du mois d'août 2019 sur la suppression du seuil de 30 personnes pour les systèmes d'endiguement vient d'une lecture erronée de la réglementation antérieure.

Certains acteurs pensent que l'ancienne réglementation leur permettait de conserver les digues protégeant moins de 30 personnes sans être soumis à la réglementation. Or ce n'est pas le cas : la loi prévoit en effet que ces digues non intégrées à un système d'endiguement doivent être neutralisées, c'est-à-dire supprimées. L'ancienne réglementation aboutissait donc à supprimer automatiquement les digues protégeant moins de 30 personnes. La nouvelle réglementation permet de conserver ces digues si la collectivité le souhaite, pour répondre précisément à la question que vous avez posée. Mais cela n'est pas une obligation : c'est le libre choix des collectivités. Cette demande émanait d'un certain nombre de territoires. Là aussi, il s'agit de l'appropriation de la compétence : les collectivités ont, j'y insiste, le libre choix de prendre ou non cette compétence.

Par ailleurs, sur les financements, je ne voudrais pas répéter ce qu'a dit Pierre-Yves Collombat, mais la capacité à lever des financements existe. C'est ce qui est prévu dans le dispositif sénatorial, afin de répondre aux besoins de financement qui pourraient être nécessaires pour les dispositifs similaires à ceux que vous venez d'évoquer.

Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Morhet-Richaud. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme Patricia Morhet-Richaud. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, c'est désormais une habitude pour notre Haute Assemblée, je dirais même une figure imposée des débats sur les compétences des collectivités territoriales : je compte moi aussi vous parler d'eaux pluviales.

Pourquoi évoquer ce sujet ? Cette question est-elle encore d'actualité avec la loi du 3 août 2018 ? Si oui, un débat sur la Gemapi est-il le bon véhicule ?

Cette question, en apparence simple, est le plus beau symbole du dédale technocratique dans lequel on plonge les élus locaux. En conséquence, la question "Qui s'occupe des eaux de pluie en France ?" nécessite davantage de développements que le code du travail suisse.

Puisqu'il faut bien commencer quelque part, que savons-nous ?

Déjà, qu'il faut distinguer les "eaux pluviales urbaines", une compétence désormais autonome qui s'exerce "dans les zones urbanisées et à urbaniser", et le reste des eaux pluviales que l'on nomme "eaux de ruissellement".

S'agissant de la compétence "eaux pluviales urbaines", celle-ci est obligatoirement exercée à l'échelon intercommunal, sauf pour les communautés de communes depuis la loi précitée du 3 août 2018.

S'agissant des eaux de ruissellement, il semble que nous soyons toujours en présence d'un angle mort.

Cette compétence ne relève pas de la gestion des eaux pluviales urbaines ni de l'assainissement, et elle n'est que voisine de la Gemapi. Par défaut, la jurisprudence la classe avec la voirie.

De fait, ni le rapport d'avril 2018 sur la maîtrise des eaux pluviales et de ruissellement aux fins de prévention des inondations ni le rapport de l'IGA et du CGEDD du 21 octobre dernier n'offrent de réponse claire.

Alors, vers quelle formule nous dirigeons-nous ? Cette compétence "eaux de ruissellement" sera-t-elle un jour rattachée à la Gemapi ? Ou allons-nous assister, comme le propose le CGEDD, à l'émergence d'une compétence unique et intégrée "assainissement et ruissellement" ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Madame la sénatrice, vous l'avez rappelé, dans son rapport au Parlement prévu par les dispositions de l'article 7 de la loi du 30 décembre 2017 relative à l'exercice des compétences des collectivités territoriales dans le domaine de la Gemapi, le Gouvernement a souligné la diversité des moyens techniques pouvant être mobilisés pour assurer une gestion efficiente des eaux pluviales.

Je rappellerai le schéma dans lequel nous évoluons.

Pour les communautés urbaines et les métropoles, la loi rattache désormais explicitement le service public administratif de gestion des eaux pluviales urbaines à la compétence "assainissement".

Pour les communautés d'agglomération et les communautés de communes, la loi introduit une nouvelle compétence distincte devant être exercée à titre obligatoire à compter du 1er janvier 2020 pour les seules agglomérations.

Vous me demandez, si j'ai bien compris le sens de votre question, pourquoi il en a été fait une compétence distincte. Parce que la gestion des eaux de pluie constitue un enjeu important, à la convergence de plusieurs champs d'action des collectivités territoriales.

Vous avez évoqué le "dédale". Je reconnais volontiers que, structurellement, c'est bien de cela qu'il s'agit, et j'imagine que vous avez vécu la situation, quand on parle des eaux pluviales, puisqu'elles sont aux confins de plusieurs compétences – pour partie de l'assainissement, de la voirie, voire dans certaines circonstances de la gestion des milieux aquatiques et de la prévention des inondations.

Ainsi, il fallait concilier la clarification juridique de la répartition des compétences exercées par les collectivités territoriales et la souplesse utile à la mise en œuvre de ces compétences. C'est bien l'objet des dispositifs qui ont été votés par les parlementaires.

Dès lors, identifier spécifiquement la compétence "eaux pluviales urbaines" et la confier obligatoirement, à l'instar de l'assainissement, aux métropoles et aux communautés urbaines à compter du 1er janvier 2020 constitue une clarification institutionnelle. C'est aussi une simplification financière, car la gestion des eaux pluviales étant une compétence distincte, il n'est plus obligatoire de la financer par le budget de l'assainissement : il pourra être recouru au budget général, voire à la taxe Gemapi, si le traitement des eaux pluviales est lié, comme c'est parfois le cas, à la prévention des inondations par exemple.

Cette compétence demeurera cependant facultative pour les communautés de communes. Il est ainsi laissé aux communes membres d'une communauté de communes le choix d'apprécier au regard du contexte local – c'est donc une liberté locale – l'opportunité ou non d'une gestion à l'échelle de l'intercommunalité.

M. Pierre-Yves Collombat. Il faudra réunir un concile !

Mme la présidente. La parole est à M. Franck Montaugé.

M. Franck Montaugé. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que, dans le cadre du onzième programme 2019-2024, les agences de l'eau voient leur champ d'action étendu, notamment à la lutte contre le changement climatique, ce que l'on peut tout à fait comprendre, votre gouvernement a institué un plafond de recettes à hauteur de 12,6 milliards d'euros.

Avec ce plafond, les six agences se voient amputées de plus de 1 milliard d'euros par rapport au dixième programme. Cette situation induit mécaniquement la diminution et l'arrêt de certaines aides aux collectivités territoriales qui sont toujours nécessaires pour mener à bien les compétences "eau", dont la Gemapi.

Pourtant, il est plus que jamais indispensable de donner aux agences de l'eau les moyens de faire face aux défis liés au réchauffement climatique et à la dégradation des milieux aquatiques, comme il est nécessaire de donner aux collectivités les moyens d'exercer leur compétence "eau".

Monsieur le ministre, il faut revenir au principe selon lequel "l'eau paie l'eau".

La compétence Gemapi justifie que les agences de l'eau apportent leur aide aux établissements chargés, pour le compte des EPCI, de la gestion des bassins versants. Le lien est évident entre biodiversité, fût-elle cultivée, des bassins versants et qualité des milieux aquatiques, et donc de la ressource en eau.

Les agences de l'eau sont les mieux placées pour faire le suivi et la synthèse de la relation entre l'eau et la biodiversité à l'échelle des bassins versants.

Comment envisagez-vous d'aider concrètement les intercommunalités chargées de la gestion des bassins versants pour que la biodiversité et les cultures soient utilisées comme moyen de restaurer la qualité des milieux aquatiques et de la ressource en eau ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur Franck Montaugé, je vous remercie de votre question, qui s'éloigne quelque peu du sujet de la Gemapi,…

M. Jean-Pierre Sueur. Non !

M. Franck Montaugé. C'est lié !

M. Marc Fesneau, ministre. … mais qui en est le corollaire.

Je ne dis pas que ce n'est pas lié : c'est une question attenante à la Gemapi. Un certain nombre des actions que vous avez citées peuvent concourir à la gestion des milieux aquatiques et à la prévention des inondations.

Vous avez parlé des financements. Je répondrai ensuite au sujet des agences de l'eau, mais, au risque d'être répétitif, je redis que, tel que le dispositif a été conçu au Sénat, il est possible de lever des financements au travers de la taxe. Cela permet de répondre en partie à votre question.

Vous avez eu raison de souligner la concomitance des actions, parce que tout est lié : dès lors que l'on travaille sur un cours d'eau, on peut aussi travailler sur les inondations, la qualité de l'eau, la biodiversité… Il faut mobiliser différents outils, en l'occurrence plutôt les agences de l'eau.

Les assises de l'eau ont souligné l'importance de ces actions. Je rappelle qu'un "aqua prêt" de la Caisse des dépôts et consignations a été mis en place pour financer des actions. Près de 57 millions d'euros de prêts ont déjà été engagés au premier semestre de 2019.

En ce qui concerne les paiements pour services environnementaux (PSE), un dispositif a été notifié à la Commission européenne. Il devrait permettre de protéger les ressources en eau et les milieux aquatiques et de répondre, comme vous l'avez souligné, aux questions relatives à la gestion des milieux aquatiques et à la préservation de la biodiversité.

La loi de finances pour 2018 a mis en place un plafond mordant pour les redevances des agences de l'eau, vous l'avez rappelé. Le onzième programme d'intervention des agences prévoit cependant un accompagnement des actions de Gemapi, dès lors qu'elles sont corollaires aux actions de préservation des milieux aquatiques.

Mme la présidente. La parole est à M. Franck Montaugé, pour la réplique.

M. Franck Montaugé. Je vous remercie, monsieur le ministre, de vos réponses.

Je me réjouis que vous ayez évoqué les PSE, qui pourraient faire partie du dispositif. Ces PSE pourraient donner lieu à des conventions tripartites entre les EPCI ou leurs établissements, les agriculteurs et les agences de l'eau. Vous le savez certainement, des expériences vont d'ores et déjà en ce sens sur le territoire national, particulièrement en Occitanie, dans mon département, avec l'agence de l'eau du bassin Adour-Garonne.

Mme la présidente. La parole est à Mme Vivette Lopez. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme Vivette Lopez. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je viens d'un département fortement soumis aux caprices du temps, le Gard – vous pouvez l'entendre à mon accent ! –, dans lequel la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations fait presque l'objet d'une obsession collective, tant elle a pu impacter tragiquement le quotidien de ses habitants. Jugez plutôt : depuis la moitié du XIIIe siècle, le Gard a connu plus de 500 crues.

L'équinoxe d'automne représente pour nous la période la plus critique. Vous comprendrez donc aisément qu'à cette période chaque grosse pluie soit attendue avec tant d'appréhension. Chacun a en effet en mémoire la terrible catastrophe du 3 octobre 1988 à Nîmes, sans compter la déferlante qui s'est abattue sur le Gard les 8 et 9 septembre 2002. Le bilan de ces inondations a été dramatique, avec 22 morts, 299 communes du département sinistrées sur 353 et plus de 830 millions d'euros de dégâts.

Face à ce constat, la nécessité de réduire durablement la vulnérabilité de notre territoire est apparue comme une évidence. Différents acteurs se sont donc attachés, avec plus ou moins de succès, à mener successivement des actions visant à réduire l'impact des inondations sur les personnes, les biens et les activités économiques, avec la création de syndicats départementaux, régionaux, puis interrégionaux, le déploiement de moyens pour l'endiguement et la création de bassins de rétention, pour en citer les principales.

Pourtant, le principe de la protection contre les risques naturels n'a jamais été remis en cause et relève le plus souvent des habitants ou des propriétaires généralement regroupés en associations. L'aménagement du territoire, et particulièrement l'organisation des zones urbanisées, doit aujourd'hui intégrer, outre la satisfaction des besoins liés au logement et aux activités économiques, les atteintes liées à la sécurité des personnes et des biens et celles liées à la qualité de vie et à l'environnement.

La directive-cadre sur l'eau et la directive Inondations ont fixé un cadre et des objectifs ambitieux en matière de gestion équilibrée de la ressource en eau. La mise en place de la compétence Gemapi répondait ainsi opportunément à un besoin de cohérence de l'action publique, de replacement de la gestion des cours d'eau au sein des réflexions sur l'aménagement du territoire, de recentralisation des différents acteurs pour une meilleure efficacité.

Mme la présidente. Il faut conclure, ma chère collègue.

Mme Vivette Lopez. Force est ainsi de reconnaître, à deux mois à peine de la date butoir de la mise en place obligatoire de la compétence Gemapi, qu'il subsiste encore de véritables questions.

Mme la présidente. Concluez, ma chère collègue, vous avez déjà largement dépassé votre temps de parole !

M. Patrick Kanner. Ce n'est pas grave !

Mme Vivette Lopez. Ma question est la suivante : quelles mesures l'État envisage-t-il pour renforcer la gouvernance de la Gemapi et finaliser la structuration de cette nouvelle compétence ? Qui finance ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Madame la sénatrice Vivette Lopez, je voudrais d'abord saluer le travail qui a été fait dans le Gard depuis des années. Vous l'avez dit, ce département a payé un lourd tribut, de façon assez répétitive malheureusement, aux inondations. Il s'est, d'une certaine façon, organisé pour répondre aux questions que pose la prévention des inondations, et il est l'un des départements les plus "résilients", pour reprendre l'expression consacrée, en matière d'inondations.

Vous me demandez comment le Gouvernement entend agir pour favoriser la gouvernance.

D'abord – pardonnez-moi de le dire, mais je ne pense pas que ce soit une insulte ici au Sénat –, en faisant confiance aux élus locaux. Dans le Gard, comme dans beaucoup de départements – je pense aux parlementaires qui ont évoqué la Vendée –, vous vous êtes saisis vous-mêmes de la question sans attendre forcément de l'État qu'il s'en occupe.

Ensuite, comme je l'ai évoqué précédemment, en faisant en sorte que l'État puisse vous accompagner avec des missions d'appui, pour vous permettre d'organiser au mieux la gouvernance entre collectivités dans le cadre de la Gemapi.

Tel est bien au fond l'objet de la Gemapi – je le dis en me tournant vers Pierre-Yves Collombat, que je sens assez "de la partie" dans cette affaire, attentif et comptable du dispositif qu'il a fait voter en 2014 ! C'est bien l'objectif qui était visé avec le vote de l'amendement relatif à la Gemapi, et dont on constate déjà la mise en œuvre dans le Gard.

Il faut faire confiance aux élus locaux. L'État accompagnera la mise en œuvre de la gouvernance dans les meilleures conditions.

Mme la présidente. La parole est à Mme Chantal Deseyne. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Chantal Deseyne. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 27 janvier prochain, cela fera six ans que le processus de transfert de la compétence Gemapi a été engagé.

Six ans plus tard, la discussion autour de l'exercice de cette compétence n'est pas close. Ce débat de contrôle demandé par nos collègues du groupe du RDSE en est une preuve flagrante.

Au contraire, avec la loi dite Fesneau, puis avec la loi dite Ferrand, et enfin avec le projet de loi Engagement et proximité, nous assistons à une inflation législative sur le thème, preuve que ce transfert de compétence ne s'est pas déroulé dans les conditions que les élus appelaient de leurs vœux.

Car, contrairement à ce que certains imaginent, si les élus n'ont pas été enthousiastes à l'idée de se voir confier une compétence qui relève bien souvent de la sécurité publique, et donc du pouvoir régalien, ils ont assumé leurs responsabilités.

Mais puisque cette compétence a été transférée, et certains arguments en faveur de ce transfert sont pertinents, les législateurs que nous sommes demandent, dans le cadre du pouvoir de contrôle qui est le leur, que ce transfert de compétence soit accompagné des moyens nécessaires à son exercice.

Or les interventions d'aujourd'hui, quelles que soient les étiquettes partisanes, montrent que tel n'est pas le cas. Ma question va donc relayer l'intervention de mes collègues, et notamment celle de Patricia Morhet-Richaud, qui évoquait la sous-consommation des crédits européens.

Personne ici ne souhaite que la taxe Gemapi ou les redevances des agences de l'eau deviennent les seules variables d'ajustement d'une compétence trop lourde à porter.

Aussi, monsieur le ministre, souhaitez-vous, comme l'évoque le rapport de l'IGA et du CGEDD d'octobre dernier, que les aides européennes puissent être fléchées vers des programmes stratégiques sur l'eau ? Surtout, êtes-vous en mesure de nous garantir que la future période de programmation 2021-2027 donnera plus de place aux projets qui correspondent aux axes de prévention des risques et de protection de l'environnement ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Madame la sénatrice, je vous apporterai deux éléments de réponse.

D'abord, je suis en désaccord avec vous sur un point : le dispositif initial a été voté par des parlementaires qui connaissaient bien la question de Gemapi. Je me vois mal dire que la compétence aurait des défauts originels…

Simplement, la mise en œuvre de la compétence a montré un certain nombre d'écueils, en termes de gouvernance et de pilotage, mais pas vraiment de financements, parce que, comme l'a rappelé Pierre-Yves Collombat, ces financements sont disponibles. C'est le dispositif qui a été choisi à l'époque non pas par un gouvernement, mais par les sénateurs.

Je vous remercie d'avoir cité la loi qui porte mon nom – cela fait toujours plaisir, car on a l'impression d'avoir fait des choses mémorables ! –, mais les textes qui ont suivi – ils invitent à la modestie – n'ont eu d'autre objectif que de simplifier le dispositif. Ce n'est pas de la surlégislation ! Ils ont répondu à la demande – plusieurs personnes le savent dans cet hémicycle –, soit de présidents de département, soit de présidents de région, soit de présidents d'intercommunalité.

Au travers de ces textes, nous n'avons fait que répondre à la demande des élus. Pour une fois, les lois n'ont pas complexifié les choses, mais les ont plutôt simplifiées, grâce à un travail de coproduction, d'analyse et d'évaluation de la façon dont la compétence était mise en œuvre sur le terrain.

Ensuite, sur les fonds européens, la précédente période de programmation était placée, comme vous le savez, sous la gouvernance des régions. Nous partageons d'ailleurs, si je puis dire, la même région – vous êtes élue d'Eure-et-Loir.

Les compétences des régions en termes de biodiversité et de préservation de l'environnement se sont exercées, pour ne citer que cet exemple, au travers des mesures d'agri-environnement. Dans le prochain programme – les financements relèvent du deuxième pilier de la politique agricole commune –, il y aura évidemment des mesures qui contribueront à la préservation de l'environnement et de la biodiversité, notamment dans les milieux aquatiques.

Mme la présidente. La parole est à M. Yves Bouloux.

M. Yves Bouloux. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la compétence Gemapi pose un problème fondamental d'un point de vue opérationnel.

Elle transfère de façon exclusive et obligatoire la compétence aux établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre, en associant deux volets aux problématiques bien différentes : la gestion des milieux aquatiques d'une part, la prévention des inondations d'autre part.

La loi fait référence à quatre items : l'aménagement d'un bassin ou d'une fraction de bassin hydrographique ; l'entretien et l'aménagement d'un cours d'eau, canal, lac ou plan d'eau, y compris les accès ; la défense contre les inondations et contre la mer ; la protection et la restauration des sites, des écosystèmes aquatiques et des zones humides, ainsi que des formations boisées riveraines.

Aux différentes actions relevant de la Gemapi, différentes solidarités sont associées : la solidarité interne aux EPCI, la solidarité de bassin et la solidarité nationale.

Le rapport de l'IGA et du CGEDD recommande de clarifier la politique de l'eau et de préserver la solidarité territoriale et nationale via les agences de l'eau et le fonds Barnier.

Parmi les quatre items du code de l'environnement, il est également difficile de distinguer ce qui relève de la gestion des milieux aquatiques, du "GEMA", et ce qui relève de la prévention des inondations, du "PI".

Monsieur le ministre, l'État a imposé aux EPCI la compétence Gemapi, mais il a une importante responsabilité à assumer, stratégique et opérationnelle certes, mais aussi financière.

À fiscalité constante, comment clarifier la compétence Gemapi sans transférer toute la responsabilité de la politique de l'eau aux communes et intercommunalités, dont beaucoup risquent de se retrouver dans une situation critique face à la multiplication des événements climatiques extraordinaires ? (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, je voudrais d'abord clarifier une chose : l'État n'a pas d'office transféré la compétence Gemapi aux EPCI. Ce sont le Sénat, l'Assemblée nationale, les élus qui ont souhaité que cette compétence soit transférée aux EPCI.

M. Pierre-Yves Collombat. Ce n'est pas un transfert ! Elle n'était à personne…

M. Marc Fesneau, ministre. On ne va pas engager le débat, mais c'était un transfert dans certains cas. Il s'agissait donc d'une volonté collective.

M. Pierre-Yves Collombat. Arrêtez de dire n'importe quoi !

M. Marc Fesneau, ministre. Parfois, l'État impose de tels transferts, mais ce n'est pas le cas s'agissant de cette compétence.

M. Pierre-Yves Collombat. Ça n'a rien à voir !

M. Marc Fesneau, ministre. Ensuite, vous avez évoqué les problèmes liés à la prise en bloc de ces quatre items, mais, telle qu'elle a été votée, la loi du 30 décembre 2017 – j'ai l'impression de faire de l'autopromotion, alors je le dis avec recul – permet justement aux élus d'organiser ce qu'on appelle, en employant un terme qui n'est pas très beau, la "sécabilité" de la compétence. Cela signifie que l'on donne aux collectivités le pouvoir de décider quelles compétences relèvent du bloc Gemapi, et donc des EPCI, tandis que les autres compétences relèveraient par exemple des syndicats existants ou des syndicats de rivière.

Le dispositif est en train d'être mis en place, après avoir connu des difficultés de gouvernance, évoquées par Mme Deseyne et d'autres intervenants. La loi du 30 décembre 2017 a pour seul objectif de répondre à l'exigence que vous avez exprimée. Les outils pour ce faire existent. C'est dans ce cadre que la compétence pourra être mise en œuvre.


Source http://www.senat.fr, le 25 novembre 2019