Déclaration de M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé, sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2021, à l'Assemblée nationale le 20 octobre 2020.

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Texte intégral

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 (nos 3397, 3432, 3434).

- Présentation -

M. le président. La parole est à M. le ministre des solidarités et de la santé.

M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale – PLFSS – dont nous allons débattre est exceptionnel.

M. Thibault Bazin. Exceptionnel !

M. Olivier Véran, ministre. Avec ce texte, l'État s'engage, l'État prend ses responsabilités, l'État se montre à la hauteur d'un défi historique en accompagnant toutes les forces de la nation, en soutenant l'activité économique, en donnant des perspectives nouvelles à notre système de santé et, surtout, en ne laissant personne – personne ! – au bord du chemin.

Mme Caroline Fiat. Un peu quand même !

M. Olivier Véran, ministre. Il y a encore quelques mois, les chiffres que nous présentons ici seraient passés pour de la science-fiction.

M. Sylvain Maillard. C'est vrai.

M. Olivier Véran, ministre. Mais il n'y a ni création de l'esprit, ni illusion d'optique : alors que nous étions sur le point de retrouver l'équilibre tant attendu des comptes de la sécurité sociale, une crise sanitaire mondiale a conduit la puissance publique à engager des dépenses considérables et inégalées. Il le fallait. Je conçois ce qu'il peut y avoir de frustrant, voire de rageant après tant d'efforts consentis, mais ne laissons pas l'amertume dominer et n'oublions pas que ces dépenses exceptionnelles n'ont pas été engagées à la légère, mais parce qu'elles étaient nécessaires.

M. Pierre Cordier. Il faudra les rembourser !

M. Olivier Véran, ministre. La crise sanitaire a été un révélateur, un électrochoc : une crise comme celle que nous traversons est une épreuve de vérité, qui nous contraint à faire des choix et à savoir quelles valeurs nous plaçons au coeur de notre pacte social. Parmi ces valeurs, la solidarité et la santé sont passées avant toutes les autres. Faire preuve de rigueur et tenir aveuglément un cap budgétaire quand des vies sont en jeu, ce n'est pas être responsable, c'est oublier que les chiffres considérés en eux-mêmes n'ont que peu de sens.

Pour autant, dans la tempête, nous ne perdons pas de vue certains principes, parce que si la situation exige à l'évidence des dépenses exceptionnelles, nous savons qu'il faudra refonder demain notre système de régulation en inventant de nouveaux outils. Vous conviendrez avec moi qu'on ne peut pas revenir aux méthodes d'hier sans les remettre en question.

La situation des comptes sociaux ne me satisfait pas – elle ne peut d'ailleurs satisfaire personne. Je suis lucide et n'ai perdu ni mes réflexes, ni mes convictions d'ancien rapporteur général de la commission des affaires sociales.

M. Pierre Cordier. Ah bon ?

M. Olivier Véran, ministre. Nous avons pris nos responsabilités à chaque instant depuis le début de cette crise ; mais prendre ses responsabilités, c'est aussi préparer l'avenir sereinement, en ne faisant pas reposer sur nos enfants les déséquilibres d'aujourd'hui.

M. Pierre Cordier. C'est pourtant ce que vous faites !

M. Olivier Véran, ministre. J'ai confié au Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie une mission importante sur la rénovation de l'ONDAM – objectif national des dépenses d'assurance maladie –, parce que l'évolution de nos outils donnera de la force et de la crédibilité à nos objectifs de bonne gestion. La conférence sociale qui s'ouvre doit être le lieu du débat sur l'avenir des finances sociales. Dans les discussions qui s'engagent, il ne faudra nous interdire aucun sujet ni aucune solution, parce que la pérennité de notre système social ne sera pas assurée sans un retour durable à l'équilibre financier. À cet égard, le Haut Conseil du financement de la protection sociale devra jouer son rôle de conseil et de proposition, tout comme le Parlement, dont le rôle sera décisif.

L'équilibre des finances sociales doit demeurer notre objectif, car il est un gage de sécurité pour nos concitoyens, de pérennité pour nos enfants et d'unité pour notre société. À cet égard ce texte est responsable, car il repose sur une contribution proportionnée des organismes complémentaires, tenant compte des économies qu'ils ont réalisées, notamment grâce à la prise en charge accrue de dépenses par la puissance publique. Le Gouvernement a ainsi fait le choix que toutes les dépenses de télésanté soient prises en charge à 100 % par l'assurance maladie, avec un tiers payant intégral, qui nous a permis de passer, en l'espace d'une semaine, de quelque 10 000 actes de télémédecine à plus de 1 million par semaine tout au long de la crise.

Il est d'usage, lors de la présentation du projet, que les membres du Gouvernement détaillent, de manière de plus ou moins précise, les dispositions du texte, chacun sachant de quoi il est question et sur quoi les débats se porteront. Il en ira différemment aujourd'hui.

Le texte initial du PLFSS qui vous a été transmis prévoit déjà une augmentation de 10 milliards d'euros de l'ONDAM par rapport au niveau que vous avez voté l'année dernière. Ce montant, sans précédent, résulte des surcoûts exceptionnels liés à la première vague de la crise du covid-19 et de l'effort que nous consentons pour soutenir les personnels soignants. Afin de répondre à la mobilisation massive des personnels de santé, en première ligne dans cette crise, le Gouvernement a décidé d'avancer à décembre 2020 les revalorisations du Ségur de la santé, dont l'entrée en vigueur était initialement prévue en mars 2021.

M. Sylvain Maillard. Très bien !

M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Les soignants qui, pour faire front, seront amenés à renoncer à des jours de congé et à faire des heures supplémentaires bénéficieront d'une compensation financière. Plus de 300 millions d'euros seront débloqués dans cette optique en 2020 ; ils seront complétés par 840 millions au titre de l'ONDAM 2021. Ainsi, pour une infirmière capée, l'heure supplémentaire réalisée pour aider dans la période de crise passerait de 20 euros net à 30 euros.

M. Jérôme Lambert. Elles sont épuisées, les infirmières !

M. Olivier Véran, ministre. Pour une aide-soignante, elle passerait de 12 à 20 euros.

Mme Caroline Fiat. Et elles se reposent quand ?

M. Olivier Véran, ministre. Nous faisons désormais face à une seconde vague qui touche l'ensemble de notre territoire. Son impact financier est difficile à estimer, mais il ne sera pas soutenable dans le cadre de l'ONDAM à son niveau actuel. C'est la raison pour laquelle je peux vous annoncer que, par amendement, nous allons introduire une provision prudentielle de 2 milliards d'euros supplémentaires, qui va être ajoutée au PLFSS afin de nous assurer que les établissements de santé pourront couvrir les surcoûts et les pertes de recettes subies dans les prochaines semaines. (M. le rapporteur général applaudit.)

Cette enveloppe sera déléguée en plusieurs temps et sera placée sous la responsabilité des agences régionales de santé – ARS –, qui l'alloueront au plus près de la situation des établissements. Elle comprend les mesures annoncées par le Premier ministre pour soutenir les agents engagés auprès des patients et des personnes accompagnées dans les établissements médico-sociaux pour les semaines qui viennent : survalorisation des heures supplémentaires, indemnisation des jours de congé non pris, et dispositions prises pour accompagner les agences régionales et les établissements dans la mobilisation des ressources humaines, afin de répondre aux besoins de la gestion de crise.

Ces 2 milliards supplémentaires intégreront 100 millions d'euros destinés à permettre aux  ARS de financer les mesures exceptionnelles qu'elles ont prises, et 50 millions pour ouvrir 4 000 lits à la demande dès 2020 dans nos hôpitaux.

Ce sont ainsi près de 2,5 milliards d'euros supplémentaires que je vous proposerai d'ajouter, par amendement gouvernemental, à la hausse de 10 milliards déjà prévue par le texte initial.

Nous avons pris l'engagement de poursuivre, pour le temps de la crise, la couverture des surcoûts liés à la crise sanitaire dans les établissements médico-sociaux tarifés par l'assurance maladie et, demain, par la branche autonomie, notamment les EHPAD. Pendant la crise, aucun établissement ne doit se priver d'un renfort en ressources humaines.

De même, la médecine de ville a été particulièrement mobilisée – j'y inclus les kinésithérapeutes et les infirmières libérales. Sa situation plus éclatée nécessite un travail accru, afin de s'assurer que l'ensemble des besoins auront été couverts. Je vous rappelle que des négociations conventionnelles ont été entamées à ces fins entre les partenaires sociaux et l'assurance maladie.

Je tiens également à saluer ici l'engagement de Santé publique France, dont l'action est précieuse dans cette crise.

Au-delà des effets liés à la crise, ce PLFSS engage dans des proportions historiques la reconstruction de notre système de santé. Le Ségur de la santé était attendu depuis longtemps, très longtemps, et il apporte aujourd'hui aux soignants une reconnaissance très concrète. Dès son ouverture, j'ai parlé sans fausse pudeur de la case en bas à droite de la fiche de paie. Pendant toute la durée du confinement, les soignants ont été applaudis, parce que les Français les aiment et parce qu'ils savent tout ce qu'ils leur doivent. Ces applaudissements devaient être suivis d'engagements susceptibles de transformer leur quotidien.

Je vous rappelle ce dont nous parlons : les salaires des soignants non médicaux en établissements de santé et médico-sociaux ont d'ores et déjà connu une hausse de 90 euros net, et une deuxième hausse de 93 euros sera perçue au plus tard en décembre, portant ainsi la revalorisation de tous les salaires, pour plus d'1,5 million de salariés des hôpitaux et des EHPAD, à 183 euros net par mois. S'y ajoutera la revalorisation liée au travail sur les grilles salariales indiciaires, s'élevant en moyenne à 35 euros net par mois, ce qui porte à 220 euros net mensuels la hausse pour les soignants non médicaux.

Pour les médecins, nous aurons l'occasion d'en parler, nous avons décidé d'anticiper l'augmentation de l'indemnité d'engagement de service public. Toutes ces mesures vont participer à l'attractivité des professions médicales.

Il était indispensable d'agir sur la fiche de paie. Il l'est tout autant d'investir pour construire et pour rénover, afin de redonner du souffle à des établissements de santé qui, bien souvent, suffoquent sous le poids de la dette, et pour sortir du tout T2A – tarification à l'activité –, comme le Président de la République en a pris l'engagement.

Les sommes déployées pour la mise en oeuvre immédiate du Ségur de la santé sont à ce titre également exceptionnelles : 6 milliards d'euros sont consacrés à l'investissement, et 13 milliards à la reprise de dette, ce qui permettra également aux établissements d'investir davantage.

Les soignants réclamaient légitimement des moyens ; ils ont été entendus, et ce PLFSS doit traduire dans les faits les engagements pris devant eux.

Mme Caroline Fiat. C'est pour ça qu'ils démissionnent.

M. Olivier Véran, ministre. Au-delà de la crise, les engagements se portent aussi sur la proximité, l'ordinaire : vous vous en souvenez, 150 millions d'euros avaient été alloués par Agnès Buzyn à l'investissement du quotidien dans les hôpitaux, qui permet de rendre les lieux de soins plus accueillants pour les équipes comme pour les patients. Il peut s'agir de l'achat de matériel, de brancards, de moniteurs, ou de la rénovation d'une unité hospitalière devenue trop vieille.

Nous allons renouveler cette opération dès le début de l'année 2021, et nous y ajoutons une enveloppe de 500 millions d'euros, de manière à ce que chaque soignant et chaque patient puisse constater au plus près la réalité du soutien public à l'hôpital.

M. Jean Terlier. Bravo !

M. Olivier Véran, ministre. Ainsi, au lieu de 150 millions d'euros, ce sont 650 millions que les hôpitaux auront à consacrer aux dépenses du quotidien ; ils pourront commencer à le faire à partir du mois de janvier. (Applaudissements sur les bancs de la commission et quelques bancs du groupe LaREM.)

M. Pierre Cordier. On verra bien !

M. Olivier Véran, ministre. Dans les prochains jours et les prochaines semaines, l'ensemble des hôpitaux se verront attribuer une portion de cette somme. Évidemment, les parlementaires que vous êtes en seront informés, de manière à suivre les évolutions dues à ces investissements, qui sont très bien accueillis par les soignants, comme j'ai pu le constater au cours de mes nombreux déplacements.

M. Pierre Cordier. On ne sait pas très bien comment ce sera financé !

M. Olivier Véran, ministre. C'est dans ce même état d'esprit d'attention à la vie quotidienne, qui ne doit pas disparaître derrière la crise actuelle, que nous poursuivons notre engagement vers une médecine de proximité, au service de nos concitoyens. Ce PLFSS prévoit ainsi de soutenir le développement des hôtels hospitaliers – vous savez que c'est un sujet qui me tient à coeur. Cela permettra de proposer aux patients et à leurs proches une offre de logement adaptée, quand la personne n'a pas besoin de dormir à l'hôpital mais seulement de s'en rapprocher, pour des raisons de sécurité, alors qu'elle habite loin. Éviter l'hôpital, quand on peut être hébergé dans d'autres conditions, c'est un gain pour la qualité de vie des patients mais aussi pour l'assurance maladie.

Nous vous proposons, comme cela a été souhaité par plusieurs parlementaires sur ces bancs l'année dernière, de pérenniser le modèle des maisons de naissance ; nous tirerons ainsi les conséquences d'une expérimentation réussie, avec une extension de l'offre au regard des besoins locaux. Nous allons passer de huit à vingt maisons de naissance sur l'ensemble du territoire national.

Au chapitre des grands défis qui se présentent à notre système de sécurité sociale, je ne peux pas ne pas évoquer la création d'une cinquième branche, parce que nous faisons face à un mur démographique auquel il faut se préparer, et parce que nous nous devons collectivement de soutenir mieux et de façon plus équitable sur le territoire nos concitoyens en perte d'autonomie – quelles qu'en soient les raisons, l'âge ou le handicap.

La crise sanitaire et le confinement ont notamment révélé les lacunes de notre système d'accompagnement des personnes âgées, en confirmant la nécessité de repenser le maintien à domicile autant que l'accueil dans les EHPAD. Le grand âge et l'autonomie ont déjà trop attendu ; il faut construire dès aujourd'hui. Brigitte Bourguignon vous proposera ainsi, par amendement, de financer dès avril 2021 une aide de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie – CNSA – aux départements pour soutenir l'attractivité des métiers du domicile, dont on sait le rôle majeur auprès des personnes âgées et handicapées.

Cette enveloppe pérenne de 150 millions d'euros sera portée à 200 millions à partir de 2022. C'est un pas décisif vers une étape plus ambitieuse encore, qui viendra avec la loi sur l'autonomie.

Enfin, le Gouvernement s'est engagé depuis bientôt deux ans dans une approche radicalement nouvelle de la petite enfance et de l'aide à la parentalité. L'extension à vingt-huit jours du congé paternité, portée avec ardeur par Adrien Taquet, doit aussi permettre aux parents de mieux accueillir l'enfant – et nous savons combien les premiers jours et les premières semaines sont cruciaux. Cette extension permet à la France d'occuper une position médiane dans le classement européen en la matière ; vingt-huit jours, pour qui a vécu ce bouleversement qu'est l'arrivée d'un enfant, constituent une durée à la fois nécessaire et équilibrée.

Pour qu'il soit bien accessible à tous les salariés, indépendamment de la durée ou du statut de leur contrat de travail, nous proposons de rendre sept jours de ce congé obligatoires. L'obligation est en réalité une protection : pendant cette durée, l'employeur aura interdiction d'employer son salarié.

Nous vous proposons également, par amendement, de porter de dix à seize semaines le congé d'adoption, afin de laisser plus de temps aux parents adoptants pour tisser un lien durable avec leur enfant.

Enfin, nous serons favorables à l'avancement du versement de la prime de naissance, afin de mieux accompagner financièrement l'accueil de l'enfant à naître. Je sais que cette mesure était proposée sur tous les bancs ; je suis heureux de l'accompagner aujourd'hui au nom du Gouvernement.

Mesdames et messieurs les députés, vous l'avez vu, c'est un PLFSS exceptionnel ; un PLFSS d'engagement, de combat. Il rappelle à tous ceux qui en doutaient que l'État est là, et bien là. Nous célébrons cette année les 75 ans de la sécurité sociale : dans une société trop souvent divisée, parfois inquiète, dominée par la peur de l'avenir, notre protection sociale est un repère solide derrière lequel tous les Français, sans exception, peuvent se rassembler.

Les défis sont nombreux ; ils ne sont pas insurmontables. Parmi eux, le ministre des solidarités n'oublie pas le défi que constitue une société qui donne parfois l'impression de se fragmenter. « Inventer la fraternité anonyme, voilà le rêve laïque », écrivait Bernard Maris en septembre 2013 dans un numéro spécial de Charlie Hebdo consacré à la laïcité. Alors oui, contre les haines, contre les divisions, contre le communautarisme, contre le repli sur soi, notre protection sociale est une arme puissante. Ce n'est pas la seule, évidemment, mais c'en est une, parce qu'elle nous rassemble.

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale fait vivre cette protection sociale en lui donnant de la force et des ambitions. Il donne sa pleine consistance à ce beau rêve laïque de fraternité anonyme.(Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM et quelques bancs du groupe Dem.)


source http://www.assemblee-nationale.fr, le 22 octobre 2020