Interview de M. Eric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice, à RTL le 25 juillet 2022, sur la politique judiciaire et la vie politique.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Texte intégral

OLIVIER BOY
Eric DUPOND-MORETTI a pris place en face de vous, Anaïs, dans ce studio. Bonjour Monsieur le Ministre de la Justice.

ERIC DUPOND-MORETTI
Bonjour.

OLIVIER BOY
Donc vous êtes notre invité ce matin sur RTL. On va reparler d'abord de ce chiffre que vous avez vu, j'imagine, dans le Journal du Dimanche, hier, 73% des Français qui estiment que la justice fonctionne mal. Vous promettez un plan à l'automne. On en parle dans un instant avec vous, Eric DUPOND-MORETTI. A tout de suite sur RTL.

/// Pause publicitaire ///

OLIVIER BOY
Eric DUPOND-MORETTI est donc l'invité politique de RTL ce matin. Re-bonjour Monsieur le Ministre, on vient de vous parler. Vous recevez aujourd'hui les syndicats de police avec votre collègue de l'Intérieur, Gérald DARMANIN. Vous avez en fait entamé une large concertation pour tirer les enseignements des états généraux, le rapport a été remis à Emmanuel MACRON début juillet. Le chantier est énorme, et on va commencer par-là d'ailleurs, par ce sondage IFOP, hier pour le Journal du Dimanche, est-ce que vous avez lu que 73% des Français estimaient que la justice fonctionnait mal en France ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Oui, bien sûr. Mais moi-même, lorsque je suis arrivé, j'ai dit dans les premières heures qu'il y avait une crise de confiance, les Français estiment que la justice est trop lente, et ils lui font d'autres reproches, en particulier le laxisme, bon. Sur la lenteur de la justice, on a fait beaucoup de choses, notamment un plan d'embauches, le plus grand plan d'embauches de l'histoire de la justice, pour que les magistrats soient aidés, et nous avons obtenu une réduction des stocks en matière familiale par exemple de 20%, ça veut dire que les Français attendent moins les décisions, il y a encore beaucoup d'efforts à faire, et nous le ferons. Quant au laxisme, moi, je voudrais vous dire un certain nombre de... je voudrais vous livrer un certain nombre de chiffres, et puis, ensuite, les auditeurs, qui nous écoutent, jugeront, si vous me permettez ce verbe, en 2000, le taux des peines fermées prononcées était de 28 %, voyez, ces peines prononcées, 28%, en 2021, il est de 36%, c'est une hausse de presque 30% des peines fermes dans les condamnations. Deuxième chiffre, la peine de prison moyenne était en 2000 de 6 mois fermes, tout confondu évidemment, les peines très lourdes, les peines plus légères, 6 mois fermes en 2000, 9,6 mois en 2021. Un dernier chiffre, nous avons créé, moi, j'ai créé un observatoire mensuel des peines d'emprisonnement pour tordre le cou à un certain nombre d'idées fausses, entre 2021 et 2022, la durée moyenne d'emprisonnement a augmenté de 11%.

OLIVIER BOY
Mais alors sur le laxisme justement, vous recevez ce matin les syndicats de police qui sont les premiers à marteler à longueur de temps que le problème même dans le binôme police/justice, il vient de la justice parce que les peines ne sont pas appliquées, donc le discours et les chiffres que vous venez de donner, ils sont en permanence contestés par les policiers.

ERIC DUPOND-MORETTI
Non, vous parlez, là, pardon, d'un autre problème qui est celui de l'exécution des peines. Ce que j'entends, c'est qu'un certain nombre de peines ne seraient pas exécutées, c'est faux, je vous explique Monsieur, quelqu'un est condamné à 3 ans d'emprisonnement fermes, mandat de dépôt, mandat de dépôt, ça veut dire qu'il va tout de suite en prison, c'est exécuté dans la minute. S'il y a un certain nombre d'autres dispositions qui sont prises, il faut réunir à la fois le juge de l'application des peines et le conseiller d'insertion, ça prend un peu de temps, ça ne signifie pas que la peine n'est pas exécutée, elle le sera avec le délai nécessaire pour convoquer le CEPIP, qui est le Conseiller d'Insertion et de Probation, mais, pardon, les peines dans notre pays sont exécutées à hauteur de 94%.

OLIVIER BOY
Et vous avez [entendu] les Français, parce que vous vous nous dites qu'en fait, c'est une fausse impression le laxisme de la justice, vous avez reçu les Français la semaine dernière en ouverture justement de votre bilan des états généraux, qu'est-ce qu'ils vous disent les yeux dans les yeux, est-ce qu'ils entendent ce discours ou est-ce qu'ils sont à des années lumière de ce que vous leur dites ?

ERIC DUPOND-MORETTI
La première chose que disent nos compatriotes, et ils ont participé massivement à ces états généraux, 50.000 de nos concitoyens ont participé, un million de contribution, le premier item qui ressort, c'est qu'ils ne connaissent pas suffisamment la justice, et donc j'ai organisé une première rencontre avec eux et avec le ministre de l'Education nationale, on veut, dans le programme de l'Education nationale insérer des choses qui vont permettre de mieux faire connaître la justice, et moi-même, d'ailleurs dans un texte que j'ai porté, j'ai fait en sorte que la justice entre dans le salon des Français, puisque vous le savez, la justice pourra être filmée, commentée, à seule fin, à seule fin, dans mon esprit, de la mieux faire connaître.

OLIVIER BOY
Et ça commence en ce moment, d'ailleurs les premières diffusions, c'est prévu dès l'automne, dès le début de l'année prochaine, les premiers documentaires ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Je sais que ça tourne…

OLIVIER BOY
Ça tourne déjà ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Je sais que ça tourne, je n'en sais pas plus.

OLIVIER BOY
Et alors, la semaine dernière, justement, toujours sur ce sentiment d'insécurité, ces critiques qui reviennent, vous avez eu un échange assez musclé avec Julien ODOUL, qui est député RN à l'Assemblée nationale, qui, lui, a parlé de la France comme d'un coupe-gorge, là encore, la parole politique souvent vient contester les résultats de votre institution judiciaire.

ERIC DUPOND-MORETTI
Non, enfin, écoutez, ce n'est pas une surprise que le Front national fait son miel de ce sentiment-là, vous le savez, enfin, franchement, le programme justice du Front national, c'était d'embaucher 9.000 magistrats à une époque où nous en avions déjà bien plus, et c'était d'instaurer la perpétuité réelle, elle existait déjà depuis un certain nombre d'années, elle a d'ailleurs été prononcée dans le procès du V 13, voilà le programme justice. Bon, monsieur ODOUL, il dit ce qu'il veut, on est dans de l'affichage, là, on est dans de la petite politique. Vous savez, Monsieur, je vais vous dire, la grande difficulté, c'est d'expliquer ces choses dans la nuance, et l'époque n'est pas à la nuance.

OLIVIER BOY
Non, et alors la parole politique qui vient souvent justement, trop rapidement parler des enquêtes judiciaires, qu'est-ce que vous pensez de ce qui s'est passé hier à propos de l'affaire de Lyon, ces policiers agressés dans le quartier de la Guillotière, et Gérald DARMANIN avec qui vous allez être tout à l'heure, qui tweete dans la foulée : un suspect est arrêté, il est en situation irrégulière, il va être renvoyé chez lui, en Algérie en l'occurrence. Et quelques minutes plus tard, le Parquet qui est obligé de dire que cet homme était parfaitement innocent dans l'affaire nommée, est-ce que ça n'est pas un problème qu'un ministre de l'Intérieur vienne parler aussi vite d'une affaire en cours ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Bon, d'abord, j'ai vu les images, elles sont absolument intolérables, d'accord, des policiers qui sont agressés, c'est la République que l'on agresse, soutien total de ma part aux policiers. Deuxièmement, je pense qu'on est dans la confusion des choses, pour expulser un étranger, dans notre pays, il y a, soit, à l'expulsion judiciaire, après condamnation, ça s'appelle une peine complémentaire, soit, une expulsion administrative, il s'avère que cet homme, à propos duquel le Parquet dit qu'il est hors de cause, cet homme a déjà été condamné à de nombreuses reprises, et il fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français, ce qui est une décision administrative. Et Gérald DARMANIN a dit qu'elle serait exécutée, moi, je n'ai rien d'autre à dire, je suis un fervent partisan de l'Etat de droit, que je défends bec et ongles.

OLIVIER BOY
Alors, vous disiez tout à l'heure parmi les pistes des états généraux de la justice, les gens qui ont travaillé dessus, notamment les magistrats disent précisément qu'il faudrait moins incarcérer, parce qu'il n'y a plus de place dans les prisons, et que, surtout, les très courtes peines, en fait, ne servent à rien, on n'a pas le temps de mettre en place un début de processus de réinsertion, et ce sont des peines, finalement, la prison, et après, rien, qui ne servent pas à grand-chose pour la société ; est-ce que vous partagez ce constat, et comment vous l'articulez avec ce que vous disiez, la nécessité d'afficher une politique de fermeté ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Alors, là encore, de la nuance, moi, la politique de fermeté, je l'assume, mais sans démagogie, je suis d'ailleurs le Garde des sceaux qui aura construit le plus de prisons, et je vais cette semaine d'ailleurs, dans les jours qui viennent, sur un chantier qui est un chantier qui se trouve à Troyes, qui est une construction de prison nouvelle, donc fermeté, oui, mais en même temps, prévention, code de justice pénale des mineurs que j'ai fait voter, eh bien, le résultat, il est très simple, autrefois, un mineur était jugé une fois sur deux quand il était majeur, aujourd'hui, il est jugé en 6 mois, ça, c'est quelque chose qui est un apport considérable à la prévention. Ensuite, la fermeté, moi, s'agissant des atteintes aux forces de l'ordre, j'ai souhaité qu'il n'y ait plus de réductions automatiques de peines, et de façon plus générale, j'ai conditionné les réductions automatiques de peines, non plus à l'automaticité, mais à l'effort, c'est-à-dire qu'il faut maintenant fournir un effort pour obtenir ces réductions de peines, ce n'est pas pour être plus sévère, mais c'est pour qu'on se souvienne que l'effort et le sens de l'effort en prison n'est pas un sens interdit, et qu'il est le gage de la réinsertion. Donc il faut, à la fois, jouer sur de la prévention, sur de la fermeté et sur de la réinsertion. Et là encore, pardonnez-moi, la nuance n'est pas souvent au rendez-vous de nos réflexions.

OLIVIER BOY
Et la nuance, elle n'est pas au rendez-vous non plus des échanges que vous avez à l'Assemblée nationale. Quel bilan vous tirez des premières semaines de ce début de second quinquennat, vous êtes donc resté ministre de la Justice, est-ce qu'il y a une atmosphère de tension permanente qui complique le travail à l'Assemblée, est-ce que vous la regrettez, ou est-ce qu'elle reflète, ma foi, l'état des votes des Français ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Eh bien, écoutez, ce qu'il faut chercher, c'est une majorité de projets. La discussion, c'est formidable, le braillage, c'est insupportable et c'est déplorable, voilà ce que je peux vous dire…

OLIVIER BOY
Et qui braille alors ? Qui braille selon vous ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Ecoutez, vous le savez, vous avez entendu des injures, vous avez entendu des interpellations, qui n'ont pas lieu d'être dans le coeur battant de la démocratie, mais pour autant, moi, je vais vous dire que dans les textes que j'ai portés, j'ai pris des amendements qui venaient des LR, ils ont d'ailleurs voté mon texte au Sénat, des communistes, des socialistes, j'ai même pris un ou deux amendements qui venaient de LFI, voilà, ce n'est pas plus compliqué que ça, il faut discuter, discuter encore, parce que ce qui est derrière tout ça, au fond, c'est la volonté d'avancer, de bouger les choses, et les Français, je pense, n'ont pas envie de blocage.

OLIVIER BOY
Et La France Insoumise est dans l'arc républicain selon vous, vous venez de dire que vous avez accepté des amendements qui venaient de leur camp, qu'est-ce que vous dites à ça alors qu'il y a un débat là-dessus, entre La France Insoumise et le signe égal, qui est parfois fait avec le Rassemblement national ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Moi, je veux que l'on mette en place des majorités de projets avec tous les Républicains. Voilà. Ensuite, vous savez, le braillage, il a ses limites, parce que les Français regardent ce qui se passe, ils entendent, ils ne sont pas sourds du tout, et ils entendent que nous co-construisions, voilà, chacun...

OLIVIER BOY
Et ils sont Républicains les députés de la Nupes ? Est-ce que les députés de la Nupes sont Républicains ? Oui ou non ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Monsieur, j'essaie de vous dire qu'il faut être nuancé en tout. Il y a un certain nombre de Nupes qui sont Républicains, je pense à ceux qui appartiennent aux partis de gouvernement…

OLIVIER BOY
Et Mathilde PANOT par exemple ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Monsieur, je pense aux socialistes, moi, j'ai voté pour quelqu'un de la Nupes qui appartenait à la gauche démocratique dans ma circonscription, donc je ne vais pas stigmatiser tel ou tel, chacun a des yeux, chacun a des oreilles, et chacun voit, voyez, et chacun prend ses responsabilités, ce que je vais vous dire, c'est que moi, je ne suis pas du tout pessimiste, parce que je pense que les masques vont tomber, et que chacun va se dévoiler tel qu'il est. Voilà.

OLIVIER BOY
Un dernier mot, une dernière question, vous êtes toujours sous le coup d'une enquête et du Parquet, qui a requis un procès devant la Cour de justice de la République dans l'enquête sur les soupçons de prise illégale d'intérêts, ce sont des magistrats et les syndicats de magistrats qui avaient porté plainte contre vous, qu'est-ce que vous faites si demain, eh bien, le Parquet est suivi et que vous êtes renvoyé en procès devant la Cour de justice de la République ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Eh bien écoutez, j'irai m'expliquer devant la juridiction de jugement, ce que j'attends Monsieur, et ce qui vous permettra à vous par exemple de connaître précisément ce qui m'est reproché.

OLIVIER BOY
Est-ce que vous démissionnerez ou est-ce que vous pourrez rester ministre tout en allant l'après-midi à l'audience ?

ERIC DUPOND-MORETTI
Je viens de vous répondre, voyez-vous, je suis mis en examen, parce que les syndicats ont déposé contre moi une plainte, lesquels syndicats d'ailleurs ne veulent pas participer aux états généraux de la justice…

OLIVIER BOY
Ils refusent de vous voir…

ERIC DUPOND-MORETTI
Alors d'ailleurs, ça n'est pas vrai, je veux rendre hommage à tous les syndicats qui sont venus, en particulier au syndicat FO Magistrats, avec lequel, je pense, nous avons fait un excellent travail, les absents ont tort, et c'est un prétexte fallacieux, je vais vous dire pourquoi, parce que 50.000 citoyens qui ont contribué, des experts qui ont, pendant 10 mois, travaillé le rapport Sauvé, qui est une occasion historique de réformer la justice, ils ont choisi la politique de la chaise vide, et Monsieur, je le regrette.

OLIVIER BOY
Merci beaucoup, merci Eric DUPOND-MORETTI, d'avoir été l'invité de RTL ce matin. Ministre de la Justice, vous recevez donc les policiers, les syndicats de policiers en l'occurrence qui, eux, acceptent de vous voir, avec votre homologue du ministère de l'Intérieur. Bonne journée à vous, Monsieur le Ministre, et à bientôt sur RTL.

ERIC DUPOND-MORETTI
Merci Monsieur.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 27 juillet 2022