Audition de Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État, chargée de l'économie sociale et solidaire et de la vie associative, sur la gestion du Fonds Marianne, au Sénat le 14 juin 2023.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Marlène Schiappa - Secrétaire d'État, chargée de l'économie sociale et solidaire et de la vie associative

Circonstance : Audition devant la commission d'enquête sur le Fonds Marianne

Texte intégral

M. Claude Raynal, président. - Madame la ministre, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, nous poursuivons ce matin les auditions de la mission d'information que notre commission a décidé de constituer sur la création du Fonds Marianne, la sélection des projets subventionnés, le contrôle de leur exécution et les résultats obtenus au regard des objectifs du Fonds.

Cette mission d'information a obtenu du Sénat de bénéficier des prérogatives des commissions d'enquête. Nous entendons donc ce matin Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État auprès de la Première ministre, chargée de l'économie sociale et solidaire et de la vie associative, en sa qualité d'ancienne ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur, chargée de la citoyenneté du 6 juillet 2020 au 20 mai 2022.

Comme vous le savez, madame la ministre, nous avons entendu ces dernières semaines de nombreux acteurs administratifs et associatifs, ainsi que votre ancien directeur de cabinet, afin de comprendre la manière dont le Fonds Marianne a été créé, la procédure ayant conduit à la sélection des projets et les conditions de suivi de leur mise en œuvre, ainsi que les résultats obtenus.

Au regard des responsabilités qui étaient les vôtres au moment de la création et du lancement du Fonds Marianne, votre audition est particulièrement attendue pour éclaircir l'ensemble de ces points.

Avant de vous céder la parole, si vous le souhaitez, pour un bref propos introductif, je dois vous rappeler qu'un faux témoignage devant une commission d'enquête est passible de sanctions pénales, qui peuvent aller, selon les circonstances, de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 à 100 000 euros d'amende.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité. Levez la main droite et dites : "Je le jure".

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Schiappa prête serment.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État, ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur, chargée de la citoyenneté du 6 juillet 2020 au 20 mai 2022. - Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les sénatrices et les sénateurs, je serai brève, mais je veux d'abord vous remercier de cette audition devant cette commission d'enquête.

Je vais tâcher humblement, et dans la limite des éléments dont je dispose, de vous aider à établir une chronologie, mais aussi la matérialité des faits vus de ma fenêtre, c'est-à-dire la fenêtre de la ministre.

Je suis heureuse de pouvoir répondre pour la première fois à un certain nombre de questions particulières, en dehors du bruit, des commentaires ou des supputations qui ont pu être émis en dehors de cette commission, et de pouvoir être aussi factuelle que possible. Je vais tâcher de vous aider en cela. Je n'aurais sans doute pas réponse à tout. Je ne suis pas omnisciente sur ce sujet, ni sur les autres d'ailleurs, mais les enseignements et la matérialité de certains faits, eu égard au rapport de l'Inspection générale de l'administration (IGA), vous aideront en cela, j'imagine.

Je veux vous dire d'ores ores déjà, monsieur le président et monsieur le rapporteur, que vous m'avez écrit hier soir pour me demander d'avoir accès aux archives des mails échangés entre mon cabinet et moi-même. Bien évidemment, je donne mon accord pour que vous puissiez avoir accès à ces archives. Une réponse écrite qui va vous parvenir aujourd'hui vous permettra d'avoir accès à l'ensemble de ces messages.

Je veux très brièvement rappeler le rôle de chacun, de manière habituelle, dans un fonctionnement ministériel. Le ministre impulse des politiques publiques, représente également ces politiques publiques, en est comptable devant le Parlement – je suis devant vous aujourd'hui pour cela –, mais aussi devant les citoyens, soit de manière directe, soit de manière indirecte, par l'intermédiaire des médias.

C'est le rôle du ministre. Le rôle de l'administration, c'est la mise en œuvre de ces politiques publiques impulsées par le ministre – la mise en œuvre et le suivi. Le ministre, en cela, s'appuie sur la confiance qu'il a dans les collaborateurs, ceux qu'il a choisis ou ceux qu'il a trouvés en arrivant, et s'appuie sur la sincérité des déclarations des rapports, mais aussi des comptes faits par les partenaires et par les associations.

Je voudrais brièvement rappeler que le contexte, dans lequel a été créé le Fonds Marianne, c'est celui que certains experts, dont Gilles Kepel notamment, appellent le "djihadisme d'atmosphère". Cela veut dire que des terroristes, désormais, ne se radicalisent plus en allant comme précédemment dans certains kebabs ou certaines mosquées qui étaient radicalisées, qui étaient des lieux d'endoctrinement, mais se radicalisent sur Internet, en consultant des sites, des plateformes ou des réseaux sociaux.

Dans ce contexte, les spécialistes recommandent de lutter contre ce "terreau du terrorisme" en allant là où ces discours se portent, c'est-à-dire en ligne, sur les réseaux sociaux. Il est donc décidé, à l'occasion du Conseil de défense, de faire appel notamment à des acteurs de la société civile pour soutenir le discours républicain, comme cela se fait dans d'autres pays, comme le Royaume-Uni. Le Fonds Marianne s'inscrit dans cette action globale.

Ce n'est pas, je tiens à le dire, l'entièreté de la politique publique menée pour lutter contre la radicalisation. Je veux le rappeler, il y a une politique plus globale. Je ne vous en fais pas la liste exhaustive, mais je veux simplement mentionner l'unité de contre-discours républicain (UCDR), dont on parlera peut-être, la lutte contre la haine en ligne, l'ouverture de Pharos 24 heures sur 24 et les dispositions législatives que vous connaissez parfaitement, en tant que parlementaires, pour les avoir nourries, ou en tout cas avoir pris part au débat.

Je veux dire aussi – mais j'imagine que nous y reviendrons – que le budget du Fonds Marianne est une ligne budgétaire du Fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD), donc du ministère de l'intérieur. Je sais que vous le savez, mais je tiens à être factuelle dans ce bref propos liminaire : ce n'est à aucun moment une "cagnotte". Je l'ai entendu ici et là : l'État, bien évidemment, ne lance pas de "cagnotte" au profit des familles de victimes du terrorisme. Il n'y a pas de cagnotte, pas de collecte de fonds. C'est une ligne budgétaire du ministère de l'intérieur et, plus précisément, du FIPD.

Je veux dire également que des questions aujourd'hui très légitimes se posent, et j'avais appelé de mes vœux, dans le respect de la séparation des pouvoirs, l'ouverture de cette commission d'enquête. Je la salue et je m'en réjouis, parce qu'elle permet justement, par des auditions longues, précises, par des témoignages, parfois par la mise en lumière de contradictions, de révéler un certain nombre de dysfonctionnements. Le rapport de l'IGA, d'ailleurs, commandé à la demande du Gouvernement et réalisé au ministère de l'intérieur, met en lumière des dysfonctionnements qui sont avérés, documentés – et nous allons, je pense, y revenir.

Je profite de ce propos liminaire pour dire qu'il y a aussi et surtout, dans leur grande majorité, des associations qui mènent un travail remarquable pour défendre la laïcité, pour lutter contre l'islamisme, la radicalisation ou les discours dits séparatistes de manière globale. Aujourd'hui, beaucoup des acteurs du Fonds Marianne, qui sont des associations que vous avez pu auditionner et dont vous avez pu constater le sérieux pour la grande majorité d'entre elles, sont brocardées, insultées et, pour certaines même, menacées de mort, comme beaucoup d'acteurs qui s'engagent contre la radicalisation, contre l'islamisme.

Je veux dire ici mon soutien à ces associations et à ces personnalités qui s'engagent, et également aux agents du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR), passés et actuels qui, dans leur immense majorité, mènent au ministère de l'intérieur un travail difficile avec beaucoup de sérieux.

Pour conclure, je voudrais dire que votre retour d'expérience et les recommandations que, j'imagine, vous formulerez à l'issue de cette commission d'enquête, seront bien évidemment particulièrement intéressants pour chacun en tant que citoyen, mais aussi pour moi, en tant que secrétaire d'État qui, à ce jour, suis chargée de la vie associative. Ce que vous direz sur la manière dont on doit ou on ne doit pas attribuer des subventions, jusqu'où on doit aller dans le contrôle de l'attribution des subventions, sera extrêmement intéressant pour moi en tant que membre du Gouvernement, mais aussi, je pense, pour tous les décideurs publics, parce que les enseignements qui seront tirés à l'issue de cette commission d'enquête poseront les questions que je pose et auxquelles je n'ai pas forcément la réponse. Un décideur public, un responsable politique, un maire par exemple, peut-il faire confiance à son administration ou à des associations sans craindre d'être blâmé lorsqu'il y a des dysfonctionnements internes dans ces associations ? Est-ce qu'un responsable politique est fondé à passer des commandes à son administration ?

Plus important encore, demain, comment poursuivre cette nécessaire politique publique de lutte contre la radicalisation et contre le terreau du terrorisme sans que la peur d'être amalgamé à ce dossier désormais dit du Fonds Marianne puisse exister ?

Je veux dire pour conclure que cette politique publique, en ce qui concerne le Gouvernement, puisque je suis auditionnée à ce titre, se poursuit. Je n'en suis plus en charge depuis plus d'un an. J'ai toute confiance dans ma successeure, mais aussi dans l'administration telle qu'elle est constituée actuellement et dans l'ensemble des parties prenantes pour continuer à mener ce combat, qui est un combat essentiel, nécessaire à notre pays, et qui est un maillon essentiel de la chaîne de la lutte contre la radicalisation et le terrorisme qui doit absolument perdurer.

Je suis à votre entière disposition pour répondre à toutes vos questions.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Vous avez évoqué dans votre propos introductif un terme qui n'a jamais été utilisé, en tous les cas dans notre commission, le terme de "cagnotte". Je pense qu'il n'a pas sa raison d'être, qu'il n'y ait aucune ambiguïté.

Vous avez donné quelques explications sur le fonctionnement du Fonds. Je voudrais dire quelques mots à l'attention de celles et ceux qui nous écoutent.

Vous l'avez dit, il y a aujourd'hui trois procédures sur le dossier du Fonds Marianne, des travaux de l'Inspection générale de l'administration, qui a déjà rendu un premier rapport, une information judiciaire par le Parquet national financier (PNF) et notre commission d'enquête, dont je rappelle qu'elle est la forme la plus élaborée du contrôle de l'action du Gouvernement ouverte au Parlement et à chacune de ses assemblées.

Pour être parfaitement clair et que chacun se rappelle le principe de la séparation des pouvoirs, sous l'autorité du président de la commission des finances, nous avons saisi le garde des sceaux pour nous assurer de la compatibilité des différentes démarches, raison pour laquelle notre mission se poursuit.

On connaît le contexte dans lequel le Fonds Marianne a été créé. C'est peut-être un point de détail, mais pas nécessairement : qu'est-ce qui a présidé au choix du Fonds Marianne ? Qui l'a défini ? Comment avez-vous procédé ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Tout d'abord, pour être très claire vis-à-vis de votre propos introductif, je n'ai à aucun moment remis en cause l'existence de la commission d'enquête. Ce n'est pas à moi que cela s'adressait ?

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je l'ai effectivement dit pour celles et ceux qui nous écoutent. Tout le monde n'a pas le même niveau d'information.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Très bien ! Je vous remercie.

Sur le Fonds Marianne, je vous l'ai dit, en Conseil de défense, une décision est prise de mobiliser les acteurs de ce qu'on appelle alors le contre-discours républicain. Je comprends que cette appellation porte à différentes appréciations, mais c'est en tout cas l'appellation qui lui est donnée à ce moment-là pour porter un discours de défense des valeurs de la République en ligne.

Cette décision est prise. Un certain nombre d'acteurs de la société civile sont mobilisés pour mettre en œuvre cette décision. Mon directeur de cabinet, M. le préfet Jallet, que vous avez auditionné, m'informe du fait que nous avons obtenu un arbitrage favorable de Matignon pour reporter des crédits non utilisés du FIPDR de l'année précédente, donc la ligne budgétaire du Fonds interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation. Il m'envoie un message pour me dire que nous bénéficions de 2,5 millions d'euros de reports de crédits.

Comme nous avons à la fois une demande de mobiliser les acteurs de la société civile pour porter ce discours et cette ligne budgétaire dont nous bénéficions, nous décidons, pour plus de lisibilité, de mettre en œuvre une appellation de "Fonds Marianne" qui regroupe, sous le biais d'un appel à projets (AAP), ces acteurs de la société civile que le ministère viendrait soutenir dans la rédaction de discours républicain.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Le nom de Marianne fait donc simplement écho au symbole de la République.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Le nom de Marianne – je n'apprends rien à personne – représente l'allégorie de la République. Il y a, au Sénat, une exposition sur les figures de Marianne. C'est une figure qu'on utilise traditionnellement au ministère de l'intérieur. J'ai lancé plusieurs projets qui ont le nom de Marianne, comme les "109 Mariannes" ou les "Mariannes de la République". Le nom est couramment usité. C'était un nom par ailleurs important pour le CIPDR, qui avait un moment le projet de lancer sur les réseaux sociaux un compte marianne.gouv. Finalement, c'est le nom de republique.gouv qui a été retenu. Dans mes souvenirs, il y a un consensus sur le fait que, quand on parle de Marianne, chacun comprend qu'il s'agit de la République et de défendre ses valeurs.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Vous avez indiqué à deux reprises avoir fait le choix d'un appel à projets pour ouvrir au partenariat avec les réseaux associatifs. Pourquoi avoir eu recours à un appel à projets, sachant que vous avez déjà des acteurs implantés qui ont un savoir-faire ? Comment vous êtes-vous tenue informée du processus, et à quelles étapes êtes-vous intervenue pour obtenir des retours d'informations ou valider des décisions ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Tout d'abord, sur le choix de l'appel à projets, il y a un échange entre mon directeur de cabinet, M. le préfet Jallet, et moi-même sur la manière de financer et de soutenir financièrement au mieux les acteurs de la société civile. M. le préfet Jallet me propose de passer par un appel à projets en me disant – je suis tout à fait consciente que cela peut aujourd'hui paraître paradoxal à la lumière des événements – que ce sera plus transparent et plus équitable que les subventions de gré à gré, ce qui était le cas jusqu'à présent, me semble-t-il, du CIPDR en direction des associations.

Nous avons alors le sentiment que l'appel à projets répond à cette demande d'une part, d'autre part qu'il permettra de faire émerger de nouveaux acteurs qui ne sont pas forcément encore identifiés dans la sphère du CIPDR. Nous prenons donc ensemble – et je l'assume – la décision de passer par un appel à projets.

Un comité de sélection est ensuite mis en place avec des membres de l'administration et des membres de mon cabinet. Je n'interviens pas personnellement. Je ne suis pas dans le comité de sélection eu égard – ce que je rappelais dans mon propos introductif – au rôle de chacun. Il n'est pas du rôle du ministre de faire de l'ingénierie et d'"ouvrir le capot" pour regarder l'ensemble des dossiers.

Je ne suis pas dans le comité de sélection. En revanche, je suis bien sûr tenue informée régulièrement par mon cabinet des discussions qui peuvent exister autour de l'attribution des subventions.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je pense qu'on aura l'occasion d'y revenir mais, à ma connaissance, vous deviez faire partie du comité de sélection.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je n'en ai pas le souvenir. Je n'ai pas de trace du fait que je doive en faire partie. En tout cas, je n'en fais pas partie.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - C'est une observation que je porte à la connaissance de chacun. Je relève, dans l'explication que vous venez de donner, que vous dites avoir suivi les conseils du préfet Jallet, votre directeur de cabinet à l'époque, l'appel à projets étant considéré comme une procédure plus transparente et plus équitable. Je mesure que vous utilisez à dessein ces mots, qui sont exactement ceux de l'Inspection générale de l'administration pour dénoncer le fait que la procédure n'était ni transparente ni équitable.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Absolument.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je ne sais pas si c'est une manière pour vous de répondre et de dire qu'il y a eu erreur sur toute la ligne ou si vous voulez aller un peu plus loin sur le sujet, mais démarrer vos propos en expliquant que ce qui devait être plus juste, plus transparent et plus équitable ne l'est pas, de votre propre aveu, est une déclaration me semble-t-il importante.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Ce n'est pas ce que j'ai dit. Tout d'abord, je n'ai pas d'appréciation à porter sur le rapport de l'IGA. C'est un rapport qui a été mené avec le plus grand sérieux par une inspection qui est réputée pour son professionnalisme, qui a eu accès à des informations auxquelles je n'ai pas accès puisque, une fois encore, je ne suis pas omnisciente dans ce dossier. J'étais ministre dans un temps limité. Je n'ai pas interrogé les différents acteurs. C'est l'IGA qui a réalisé ce travail, mais je n'ai aucune raison de contester ses conclusions.

Je n'ai aucun aveu à faire, pour reprendre votre terme, monsieur le rapporteur, dans la mesure où je n'ai pas pris part à ce comité de sélection.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - D'accord. En audition, il nous a été indiqué qu'à votre arrivée en poste, le 6 juillet 2020, le processus de décision – du moins pour l'attribution de certaines subventions du FIPD – était passé du secrétariat général du CIPDR au cabinet, au motif que le périmètre du secrétariat d'État correspondait à celui du CIPDR, ce qui voulait dire que la signature – le pouvoir de décision – sortaient des mains de l'administration pour passer aux mains exclusives du pouvoir politique.

Comment expliquez-vous ce changement ? Quelles en sont les motivations et qui participait concrètement, autour de vous, avec vous, au processus de décision ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je ne dirais pas que les décisions étaient remises exclusivement entre les mains du pouvoir politique, et je ne dirais pas non plus, si vous me le permettez, que c'est parce que le périmètre du ministère cadrait avec le périmètre du CIPDR. Le périmètre du ministère délégué était bien plus large que celui du CIPDR, avec notamment la question de l'intégration des étrangers, de l'accélération des délais pour les cartes d'identité et beaucoup d'autres missions, en dehors du CIPDR.

En revanche, ce qui est juste, c'est que, avec la création d'un ministère délégué à la citoyenneté, pour la première fois, un ministre a autorité sur le CIPDR qui, auparavant était interministériel et n'avait donc pas, me semble-t-il, de ministre de tutelle. C'est le cas pour la première fois, me semble-t-il, dans un décret d'attribution. C'est pour cette raison que les validations sont remontées au niveau du cabinet, mais cela ne veut pas dire que le CIPDR est dépossédé de son pouvoir. Les éléments le démontrent.

Des nouvelles priorités politiques sont fixées à cet égard, dont beaucoup sont concentrées au CIPDR : la lutte contre les dérives sectaires, la montée en puissance d'intervenants sociaux en commissariat et gendarmerie (ISCG), qui sont gérés par le CIPDR, la question de la lutte contre le cyber-islamisme, qui nous préoccupe aujourd'hui. Il y a un processus qui est défini par le directeur de cabinet. L'administration instruit et propose, et l'autorité ministérielle valide ce qui a été instruit et proposé par l'administration. À mon humble avis, c'est un procédé classique, il y a des réunions qui existent avec le secrétaire général et des réunions hebdomadaires entre le secrétaire général du CIPDR, équivalent d'un directeur d'administration, et le directeur de cabinet. À ma connaissance, ce procédé est d'ailleurs maintenu par ma successeure, Mme Backès, qui s'exprimera sur ce sujet tout à l'heure.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Votre propos confirme donc mon observation. Vous l'avez dit, le pouvoir politique, c'est-à-dire le ministre et son directeur de cabinet, ont le pouvoir de décider et de signer. L'administration, vous l'avez dit d'ailleurs dans votre propos introductif, met en œuvre, mais le périmètre étant conforme à celui de votre ministère et non plus sous un cadre interministériel, cela vous donne les pleins pouvoirs de décision. Cela paraît, de ce côté-là, indiscutable.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Ni le ministre ni le cabinet ne signent d'attribution de subventions, puisque c'est la question qui nous préoccupe aujourd'hui. À aucun moment le ministre ni le cabinet ne mettent en paiement des crédits ou ne signent des chèques. C'est la prérogative de l'administration, et à aucun moment nous n'avons la volonté ni même le pouvoir matériel de le faire. Je suis donc claire sur ce sujet.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je pense qu'on aura l'occasion d'y revenir, parce qu'il y a manifestement des zones de conflit entre les auditions et les déclarations des uns et des autres.

À ce stade, une dernière question : vous avez annoncé, le 31 mars 2021, la suppression de l'Observatoire de la laïcité, soit quelques jours avant l'annonce, le 20 avril, de la création du Fonds Marianne. À l'époque, le Gouvernement avait fait l'objet de critiques, parfois assez vives, considérant qu'il était porteur d'une vision très centralisée de la laïcité et, je cite "évitant d'avoir une pluralité de voix à l'intérieur de l'espace public".

Le Fonds Marianne s'inscrivait-il dans cette logique visant à avoir un message plutôt unique, voire unitaire et donc cohérent sur la laïcité, notamment, en prévoyant de contractualiser avec des associations s'inscrivant dans cette cohérence de la parole ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - S'agissant de l'Observatoire de la laïcité, l'annonce a été faite par M. le Premier ministre de l'époque, Jean Castex, auprès de qui l'Observatoire de la laïcité était rattaché. C'est une organisation qui dépendait de Matignon, qui a produit de nombreux rapports et qui a fait un travail d'observation de la laïcité et de contribution au débat public. C'est un apport important qui, je crois, n'a pas été contesté ou remis en cause, en tout cas dans la qualité des rapports et du travail mené par cette organisation plurielle, pour reprendre votre expression.

C'est donc le Premier ministre qui annonce le fait que le Gouvernement met fin à l'Observatoire de la laïcité, non pas sur une question de désaccord de ligne mais, à ma connaissance, parce que nous entendons passer à un autre mode d'action. Vous aviez un observatoire qui observait, produisait des rapports ou des recommandations, et nous avons souhaité, avec M. le Premier ministre de l'époque, créer non seulement un Comité interministériel à la laïcité qui soit chargé de la réflexion et de l'impulsion d'actions concrètes et de politiques publiques portées par le Gouvernement sur la question de la laïcité, mais aussi un bureau de la laïcité. Il n'y en avait pas précédemment au ministère de l'intérieur. Il y avait un bureau des cultes, mais pas de bureau de la laïcité.

Nous l'avons donc créé afin de faire en sorte de passer, si vous me permettez l'expression, de l'observation à l'action en la matière, et à la possibilité de coordonner les actions menées en matière de laïcité.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Vous choisissez donc, dans l'esprit des travaux de l'Observatoire, de passer à l'action, fort de la volonté d'agir au regard des événements consécutifs à l'assassinat de Samuel Paty.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je crois qu'aucun acteur membre de l'ancien Observatoire de la laïcité souhaiterait ne pas agir face au terrorisme. Je n'ai jamais dit cela.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Ne vous méprenez pas : je n'ai pas du tout mis en doute...

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je ne comprends peut-être pas votre question.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Vous dites : "On observe, on agit. Il est mis fin à l'Observatoire". Je veux juste m'assurer – c'était le sens de ma question – que la volonté d'agir s'inscrit dans le droit fil des travaux de l'Observatoire et du nouveau contexte.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Très sincèrement, étant sous serment, je ne peux pas me prononcer sur l'intégralité des rapports émis pendant des années par l'Observatoire de la laïcité, ne les ayant pas sous les yeux avec moi – si c'est bien la question, mais je ne suis pas sûre de l'avoir comprise.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Il n'y a pas de chausse-trappe.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - C'est donc ma réponse.

M. Claude Raynal, président. - De toute façon, madame la ministre, nous allons revenir sur l'ensemble des sujets que nous avons évoqués, mais un peu plus dans le détail, pour valider ou non les positions que vous avez exprimées.

Je vais changer de registre, et on va en venir directement sur le dossier sans doute le plus compliqué, qui a donné lieu d'ailleurs à un rapport spécifique de l'inspection générale de l'administration, mettant en lumière un certain nombre de difficultés, dans des termes que je qualifierais d'extrêmement durs.

Le premier point concerne les contacts avec M. Mohamed Sifaoui avant mars 2021, avant votre entrée en fonction, puis après celle-ci. Dans quel contexte vous êtes-vous connus et quels ont été vos échanges, s'il y en a eu ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Tout d'abord, sur la question de l'Union fédérative des sociétés d'éducation physique et de préparation militaire (USEPPM), le rapport de l'IGA, qui est dur mais factuel, est me semble-t-il documenté.

M. Claude Raynal, président. - Je vous interromps, si vous le voulez bien : on reviendra sur l'association après. On a bien compris que l'association arrivait dans un deuxième temps, très proche d'ailleurs de la réponse au Fonds Marianne. Dans un premier temps, où avez-vous rencontré M. Sifaoui ? Quel était l'état de vos relations ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Votre question va me permettre, je l'espère, de clarifier un certain nombre de choses. J'ai eu l'occasion de le dire, mais je le redis sous serment et dans ce contexte, face à cette commission : je ne suis pas une amie de M. Sifaoui.

Je le dis parce que, dans un premier temps, c'est ce qui a été rapporté. Je le démens. Il est difficile de démontrer qu'on n'est pas ami avec quelqu'un. M. Sifaoui lui--même s'est exprimé sur BFMTV et a dit également : "je ne suis pas un ami de Mme Schiappa".

M. Claude Raynal, président. - Madame la ministre, le terme "ami" est un mot-valise : ami politique, ami sur un objectif qui est la laïcité...

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je vais donc éliminer une par une toutes ces hypothèses, si vous me le permettez. Je ne suis pas une amie de M. Sifaoui. Je n'ai aucune relation personnelle avec M. Sifaoui, d'aucune sorte, et je n'en ai jamais eu. Je ne suis pas, avec M. Sifaoui, membre des mêmes organisations. Nous ne nous retrouvons pas dans telle ou telle association ou organisation, en dehors de mon action ministérielle.

Je n'ai l'occasion de rencontrer M. Sifaoui dans aucun lieu privé, ni chez lui ni chez moi ni dans une activité sportive, et je peux vous faire l'intégralité de la liste.

Je ne connais pas sa vie personnelle ni sa famille, il ne connaît pas la mienne, bref, nous ne sommes pas amis. Nous ne sommes pas d'anciens associés. Nous n'avons pas d'intérêts communs et nous ne sommes ensemble, à ma connaissance, membre d'aucune organisation, puisque c'est ce que sous-entendent certaines formulations – pas les vôtres, monsieur le président.

M. Sifaoui, je le vois à plusieurs reprises, et pas en tête-à-tête. Je tiens à le dire ici, parce que l'un des témoignages qui a été apporté devant votre commission a affirmé que j'aurais reçu personnellement en tête-à-tête M. Sifaoui au mois de mars, et que ce serait à cette occasion que je lui aurais annoncé qu'il aurait une subvention ou qu'il serait éligible au Fonds Marianne. C'est faux, je tiens à le dire ici sous serment.

C'est faux et c'est documenté par l'ensemble de mon agenda et des échanges de messages avec mon cabinet. J'ai un message d'un de mes conseillers, daté environ du 20 avril, peu ou prou, qui m'interpelle en me disant que je n'ai pas rencontré M. Sifaoui. De mémoire, dans son mail, il dit : "vous devriez recevoir M. Sifaoui".

J'ai participé à des événements ministériels auquel M. Sifaoui était présent. J'ai fait notamment – je l'ai lu dans la presse ou dans un rapport, parce que je n'en avais pas le souvenir – un déplacement dans le Tarn où, à ma connaissance, M. Sifaoui avait été convié par le Secrétariat général du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (SGCIPDR) pour délivrer une formation à cette occasion. Je n'ai pas convié moi-même M. Sifaoui à venir. J'étais présente et il était présent.

Il a également participé à une visioconférence avec d'autres experts, que je peux citer si vous le souhaitez, dans le cadre des travaux préparatoires à la loi séparatisme, puisqu'il était un interlocuteur du CIPDR.

M. Sifaoui était en lien avec le CIPDR longtemps avant ma propre nomination. Il y a des comptes rendus qui sont dans les dossiers qui montrent qu'il est reçu et qu'il a des entretiens avec le CIPDR, ce qui n'est pas anormal puisque c'est à ce moment un acteur reconnu de l'écosystème de la lutte contre l'islamisme qui a publié des ouvrages sur le sujet. Il fait des interventions et fait donc partie des acteurs consultés par le CIPDR, mais je tiens à être claire et formelle sur le fait que nous ne sommes pas amis. Nous n'avons pas de relations personnelles et nous n'avons pas, à ma connaissance, d'intérêts communs ou d'appartenance commune à telle ou telle organisation. J'espère avoir été claire.

M. Claude Raynal, président. - La réponse est claire en tout cas. Dans le rapport de l'IGA – puisque, vous le savez, nous n'avons pu entendre sous serment M. Sifaoui, nous avons malheureusement décalé son audition à demain –, il est indiqué que M. Sifaoui a affirmé qu'il y a eu six réunions entre lui et votre cabinet en mars et avril 2021 et qu'il y a eu un échange avec vous durant deux de ces réunions. Votre directeur de cabinet a dit que vous êtes en fait venue le saluer "cursivement". Vous nous direz quels ont pu être les échanges que vous avez eus à ce moment-là avec M. Sifaoui, si vous le voulez bien et si vous vous en souvenez avec précision et, le cas échéant, si cela est vrai. Je parle des six rencontres. Ce n'est pas une rencontre, ce n'est pas deux rencontres, ce sont six rencontres.

Quelles étaient donc les réunions en question et sur quoi portaient les discussions ? C'est un point extrêmement important, vous le comprenez. Je le remets dans la chronologie des faits. Nous sommes là avant même l'appel à projets du Fonds Marianne.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Tout d'abord, je ne sais pas si les six rencontres ont lieu avec mon cabinet ou l'administration. J'ai lu le chiffre de six rencontres. Un journal a d'ailleurs fait un raccourci en disant qu'il s'agissait de six rencontres avec moi. J'espère qu'il est clair aujourd'hui que ce n'est pas le cas. Dans ces discussions, je ne sais pas ce qui se dit entre mon cabinet et M. Sifaoui. Je ne peux qu'imaginer qu'ils parlent de lutte contre l'islamiste, contre le cyber-islamisme, que M. Sifaoui, peut-être, fait part des projets qui sont les siens.

En ce qui concerne les fois où je l'ai salué, peut-être suis-je allée le saluer et que je ne m'en souviens pas – on parle de faits d'il y a quasiment deux ans. M. le préfet Jallet dit, et je n'ai pas de raison de ne pas le croire, que je suis venue saluer M. Sifaoui lors d'un rendez-vous du 22 avril, si ma mémoire est bonne. C'est tout à fait probable. Cela m'arrive fréquemment de venir saluer par courtoisie les gens qui sont reçus par les membres de mon cabinet. Je n'ai pas souvenir de ce que j'ai pu lui dire au moment de le saluer mais, si c'est la question, je ne lui ai pas dit que j'allais lui attribuer une subvention ou lui faire attribuer une subvention. Je ne le fais jamais. C'est donc très clair.

M. Claude Raynal, président. - Ni même l'encourager à déposer un dossier dans le cas du Fonds Marianne ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Très honnêtement, ce n'est pas impossible. J'encourage les gens à déposer des dossiers. Je le fais tout le temps. Je suis aujourd'hui chargée de l'économie sociale et solidaire. Dans les dernières semaines, j'ai reçu des gens qui m'ont dit qu'ils souhaitaient pouvoir être subventionnés, et je leur ai dit : "je vous encourage vivement à déposer un dossier auprès de l'administration pour que l'administration l'instruise". Encourager quelqu'un à déposer un dossier, cela ne veut pas dire qu'on va le soutenir. C'est une formule générale, qui signifie que le dossier sera renvoyé à l'administration et étudié. C'est en tout cas comme cela que je conçois les choses.

M. Claude Raynal, président. - Vous nous dites donc qu'il y a peut-être eu six réunions avec votre cabinet. Vous ne savez pas. Vous nous dites : "Je ne sais pas ce qui s'est dit entre mon cabinet et M. Sifaoui". La question du Fonds Marianne est maintenant sur la table depuis quelques mois. Vous n'avez pas interrogé votre directeur de cabinet entre-temps pour préparer cette audition ?

Ce que je veux dire c'est qu'il est difficile d'imaginer qu'un ministre et son cabinet ne fonctionnent pas en totale confiance et que toutes les informations ne sont pas transmises.. On connaît bien les structures des cabinets, on connaît bien leur manière de travailler. Je ne peux pas imaginer un directeur de cabinet ou un conseiller spécial chargé de ces questions avancer, dans le cadre de six réunions, si elles ont eu lieu – pour l'instant, on n'a pas de confirmation de votre part – sans vous faire un reporting, une note ou tenir un propos oral.

Je rappelle qu'on est sur un sujet sur lequel votre communication, la communication du ministère, a été extrêmement forte. C'est un sujet qui est encore dans tous les esprits aujourd'hui. Samedi, par exemple, je vais à Toulouse pour l'inauguration d'une rue Samuel Paty. Il est dans tous les esprits.

Vous êtes sur un sujet qui est sensible, vous êtes sur une position politique affichée et vous ne suivriez pas les discussions entre votre cabinet et M. Sifaoui ? J'ai un peu de mal à le croire. Pouvez-vous revenir là-dessus ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Tout d'abord, sauf erreur de ma part, il me semble que ce n'est pas le préfet Jallet, mon directeur de cabinet à ce moment-là, qui reçoit M. Sifaoui. Je pense – mais c'est à vérifier, sauf élément contraire – qu'il est reçu par l'administration et des membres de mon cabinet, et notamment, je vous le disais, dans le cadre de la préparation de la loi dite séparatisme, pour conforter les principes de la République.

M. Claude Raynal, président. - On est en avril 2021. On est déjà bien après la réflexion préalable à la loi, me semble-t-il.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Vous me parlez d'avril 2021 ? Mais les six rencontres n'ont pas lieu en avril 2021.

M. Claude Raynal, président. - L'IGA parle de mars et avril 2021. On n'est pas sur la préparation de la loi confortant le respect des principes de la République. C'est avant qu'il y a eu des visioconférences avec différents experts.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Absolument. C'est ce que je mentionnais dans mon propos.

Vous l'avez très justement dit, il y a une relation de confiance entre un ministre et son cabinet. En tout cas – peut-être est-ce une erreur –, mais c'est comme cela que je fonctionne. Je ne vais pas, par exemple, regarder les agendas des membres de mon cabinet, et je ne leur demande pas quotidiennement qui ils ont reçu ou avec qui ils ont échangé. Il y a des réunions thématiques globales, et c'est à cette occasion que les membres du cabinet font état des personnes qu'ils ont vues.

En revanche, ce que je peux vous dire matériellement, puisque j'en ai la trace, ce que j'ai retrouvé dans mes mails auxquels vous aurez accès, c'est que des membres de mon cabinet reçoivent M. Sifaoui lorsqu'il présente un projet. Il dit qu'il a un projet de contre-discours sur le cyber-islamisme, et c'est à cette occasion que mon cabinet m'adresse un mail – c'est la seule trace écrite que j'ai relative à un rendez-vous entre des membres de mon cabinet et M. Sifaoui. Dans ce mail, ils m'expliquent le projet.

C'est d'ailleurs à ce mail que je réponds, puisqu'ils me détaillent les montants du projet – pardon pour la familiarité, mais c'est un échange qui avait vocation, à ce moment-là, à être personnel : "300 K€ d'argent de l'État pour ce projet, cela me paraît énormissime". C'est ma réponse, et je me réjouis aujourd'hui de l'avoir faite par écrit, parce que cela démontre bien que j'ai trouvé que ce projet était trop coûteux. On me demande mon premier avis. Mon conseiller, dans une discussion informelle, me parle d'un projet. Ma première réponse et mon impulsion sont de dire : "c'est trop cher". S'ensuivent ensuite des échanges par écrit, qui sont documentés, que l'IGA a eus et que vous aurez également ou que vous avez peut-être déjà, dans lesquels on discute de ce projet, des membres de mon cabinet soutenant le projet et le détaillant, le directeur de cabinet rappelant qu'il y a une procédure, rappelant par écrit ses étapes et invitant à ne pas débattre de cette sorte, mais à intégrer ce projet dans le cadre du comité de sélection ou, en tout cas de la procédure qui existe. Je ne sais pas si cela répond à votre question.

M. Claude Raynal, président. - Partiellement. La question est quand même très simple, quand il y a une position d'un cabinet, notamment écrite, elle engage son ministre. On est bien d'accord ? Il y a une responsabilité conjointe, ce qui me permet d'ailleurs de vous dire toute de suite, madame la ministre, que ni dans votre propos introductif ni à quelque moment que ce soit jusqu'à présent vous n'avez mis en cause, en jeu ou même en discussion votre propre responsabilité. Pour l'instant, vous dites : "c'est l'administration, c'est le cabinet".

Non, madame : quand le cabinet prend une position, elle est supposée être la position de la ministre ou du ministre. De manière générale, c'est comme cela que les choses se font – et heureusement parce que sinon, quelle serait la qualité d'une intervention du cabinet s'il ne portait pas la voix du ministre ? Il me paraît très important de revenir là-dessus.

On a plusieurs échanges sur plusieurs associations mais, entre le 9 et le 13 avril, votre conseiller spécial interroge le CIPDR sur la bonne réception de la demande de M. Sifaoui. M. Sifaoui a indiqué, sur Twitter – encore une fois, je le prends avec précaution : "Je n'ai pas pris cette initiative spontanément. J'y ai été encouragé par des représentants des pouvoirs publics, notamment par les membres du cabinet de Mme Schiappa et par elle-même", à l'occasion sans doute de ce petit contact cursif. "Je suis donc quelque peu scandalisé en constatant qu'elle participe gentiment au lynchage. Ce sont les membres du cabinet de Marlène Schiappa qui ont insisté pour que je prenne part à la riposte citoyenne". Une chose est d'avoir un contact, une autre est d'encourager. Je reprends les termes : "les membres du cabinet ont insisté pour que je prenne part à la riposte citoyenne". On a des échanges de votre cabinet avec le secrétariat général pour avoir des informations, savoir si le dossier de candidature est bien arrivé, si on peut l'intégrer. Ces échanges vont très loin.

Le directeur de cabinet de Mme Backès nous a fait une démonstration que je trouve assez juste et assez classique : un cabinet reçoit souvent des demandes, est sollicité. C'est évident. Lorsqu'il est sollicité, la tradition, la méthode, l'organisation veulent que le cabinet ou le ministre transmette pour analyse à son administration le dossier présenté et se garde bien, jusqu'à ce que le dossier fasse l'objet d'un rapport par l'administration, d'intervenir sur le sujet.

Là, on est sur quelque chose de très différent. Il y aurait eu une sollicitation. Vous ne pouvez pas nous répondre : "je ne sais pas ce que le cabinet a fait, s'il a appelé M. Sifaoui, s'il ne l'a pas appelé, si c'est M. Sifaoui, de sa propre autorité, qui est venu". Ce n'est pas ce que nous disent les auditions ou l'IGA. M. Gravel nous dit qu'il a reçu un coup de fil de M. Sifaoui. On n'est pas du tout dans la transmission par le cabinet à l'administration, mais bien sur quelque chose de totalement différent.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Tout d'abord, en ce qui concerne ma responsabilité, je ne me défausse pas, je ne me dérobe pas, je suis là devant vous et j'entends endosser ma responsabilité, toute ma responsabilité, mais rien que ma responsabilité. Que le ministre soit comptable, rende des comptes et soit responsable devant le Parlement de l'action menée non seulement par lui-même mais aussi par son cabinet et son administration est politiquement normal, et c'est pourquoi je suis là autant que de besoin, maintenant et dans l'avenir, si vous avez besoin de compléments d'informations. J'ai toujours, en toutes circonstances, pris mes responsabilités. J'ai énormément de défauts, mais certainement pas celui de me dérober !

Je suis là et je vous réponds dans toute ma responsabilité et rien que ma responsabilité.

M. Claude Raynal, président. - Cela me paraît clair, de même que l'on parle bien de responsabilité et pas de culpabilité.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je l'espère bien. Je ne l'ai pas entendu. Je parle de responsabilité. À ma connaissance, je ne suis accusée de rien. Je suis là pour vous aider à établir des faits, la matérialité des faits, en dehors des commentaires des uns et des autres, et la chronologie des faits.

D'ailleurs, je n'ai pas non plus à préjuger de la culpabilité de quelque acteur que ce soit, puisqu'il y a une instruction judiciaire en cours qui les concerne et qui ne me concerne pas.

M. Claude Raynal, président. - Et qui ne nous concerne pas non plus !

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Bien évidemment. Tout cela pour dire que mon cabinet a fait confiance à un acteur qui, à ce moment-là, est un acteur reconnu de ce sujet, M. Sifaoui, qui est déjà soutenu par le CIPDR. Il y a des rencontres avec l'administration qui sont documentées. Un site de M. Sifaoui, Islamoscope, est référencé comme partenaire du CIPDR. Il y a une réelle antériorité.

Je réponds pour ce que j'ai fait, je n'ai pas connaissance d'autres échanges personnels, mais vous-même et la justice le direz peut-être. Je suis formelle, je vous le dis sous serment : je n'ai à aucun moment demandé ou passé commande pour que M. Sifaoui soit priorisé ou mis au-dessus de la pile. Je n'avais aucune raison de le faire, et je ne l'ai pas fait.

D'ailleurs, le rapport de l'IGA est très clair sur ma responsabilité dans le cadre du processus de sélection, puisqu'il établit qu'après avoir impulsé cette politique publique, "la ministre s'est effacée du processus de sélection". C'est la conclusion écrite du rapport de l'IGA.

M. Claude Raynal, président. - Excusez-moi de vous reprendre. Le rapport ne dit pas cela.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Il y a cette phrase stricto sensu dans le rapport.

M. Claude Raynal, président. - Absolument pas ! La phrase est : "l'ensemble des témoignages recueillis indique au demeurant que la ministre déléguée s'est effacée du processus". Surtout, l'Inspection générale de l'administration a pour rôle de contrôler l'administration. Elle n'est pas là pour porter un jugement de responsabilités politiques, en aucune façon. Elle ne l'a jamais fait.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Vous me demandez ma parole. Je vous donne ma parole, et sous serment : je vous dis que je n'ai à aucun moment priorisé moi-même ni demandé de prioriser le dossier de M. Sifaoui. J'ajoute que je n'avais aucune raison de demander à prioriser le dossier de M. Sifaoui et que je ne l'ai pas fait.

Au demeurant, ce dossier était soutenu par l'administration, par le CIPDR, puisque manifestement il a été donné un avis favorable, de manière unanime, au fait de pouvoir financer ce dossier par l'ensemble des membres du comité de sélection, c'est-à-dire tant les membres du cabinet que les membres de l'administration. C'est en tout cas les éléments dont je dispose.

M. Claude Raynal, président. - En même temps, vous savez comment les choses se passent : lorsqu'un cabinet demande à l'administration de regarder de près un dossier, la réinterroge pour savoir s'il a bien été déposé, participe à des discussions sur le montant alloué, l'administration a quand même du mal à s'opposer – quoi qu'en pense M. Gravel qui, par ailleurs, a dit plutôt du bien de M. Sifaoui lors de son audition. Quand un cabinet parle à son administration, il représente toujours le ou la ministre.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je vais rester sur la chronologie des faits parce que j'ai toujours, à ce stade, quelques difficultés à m'y retrouver. Vous avez parlé de matérialité et de chronologie. Je suis assez basique, parce que le calendrier est ce qu'il est. Vous avez tout à l'heure évoqué un mail du 20 avril. Je vais me permettre de vous corriger : ce qui nous a été transmis, c'est un mail du 6 avril et non pas du 20, adressé à votre cabinet, qui indiquait le montant de 300 000 euros, qualifié d'énormissime.

Mais le 9 avril, trois jours après, l'USEPPM envoie tout de même une demande de subvention de 635 000 euros, qui sera réduite à 300 000 euros le 13 avril 2021, lors du comité de programmation du FIPDR. Je rappelle qu'à ce stade, le Fonds Marianne n'est pas créé.

Est-ce qu'on doit en déduire que la décision d'octroyer les 300 000 euros à l'USEPPM a finalement été non seulement envisagée mais actée par vos équipes et votre cabinet, en amont même du comité de programmation, dont je rappelle qu'il s'est tenu le 13 avril, et donc avant même le dépôt officiel de la demande de subvention ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je tiens à vous dire que mon point de vue sur ce montant n'a changé à aucun moment.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Ce n'est pas la question. La question, maintenant, c'est la procédure, les montants et la séquence dans laquelle la subvention est déjà pré-accordée.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Bien sûr, mais c'est le regard qu'on porte sur un montant qui procède d'un arbitrage ou d'un non-arbitrage. Mon point de vue, je l'ai donné à mon cabinet par écrit, et j'ai dit que, pour moi, 300 000 euros, c'était une somme énorme, de surcroît si l'État était le seul financeur. C'est pourquoi, à ma connaissance, rétrospectivement, quand je recoupe aujourd'hui les éléments, il aurait été demandé à M. Sifaoui de trouver des cofinancements, d'après ce que j'ai compris.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - J'entends. Je vous demande simplement de confirmer le séquençage entre le 6 et le 13 avril. Est-ce qu'il est conforme ou est-ce que je commets une erreur ? Est-ce que c'est la manière de procéder ? Est-ce que c'était finalement une subvention fléchée, avant même le Fonds Marianne ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je ne peux pas vous dire ce qui a procédé au changement de montant dans la demande. Pardon si je comprends mal la question.

M. Claude Raynal, président. - C'est une question importante. Selon nous, elle démontre que le cabinet vous a questionné sur un montant de subvention à cette association, l'USEPPM, avant même que tout dossier soit déposé au CIPDR. Il n'y a pas de dossier déposé, et votre cabinet vous interroge sur un montant de 300 000 euros qui pourrait être affecté à l'USEPPM, ce à quoi vous répondez : "C'est énormissime".

Mais la demande réelle arrive après, ce qui tend tout simplement à dire qu'il y a eu une décision préalable de votre cabinet de soutenir cette association avant même de recevoir quelque dossier que ce soit, d'où d'ailleurs la demande qui est faite au CIPDR par le cabinet : "est-ce que vous avez reçu le dossier ?" parce qu'ils ont déjà une position préétablie pour 300 000 euros, en accord avec vous, sous la réserve que vous dites : "c'est énormissime". Ils vous répondent que, politiquement, c'est jouable, que cela a du sens, etc.

Ce qui ne va pas et qui fait dire à l'IGA que ce n'est ni transparent ni équitable, c'est que des associations ont finalement fait l'objet d'arbitrages par votre cabinet, préalablement à toute demande et à tout dépôt de dossier. C'est votre mail même, que vous nous avez transmis pour exprimer votre position, qui dit que vous avez été questionnée par votre cabinet sur 300 000 euros avant même tout dossier.

Cela veut dire tout simplement que, dès le départ, cette procédure fait qu'il y a plusieurs types d'associations et qu'il y a des associations dont le sort est réglé en amont du lancement même du fonds. En tout cas, pour celle-là, les faits sont établis.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Est-ce que vous contestez ces faits ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - C'est à vérifier, mais il me semble que le mail de mon conseiller ne fait pas référence au Fonds Marianne.

M. Claude Raynal, président. - Ce n'est pas le sujet !

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Ne mélangez pas. Je vous ai donné une matérialité, une séquence. Je vous demande si vous contestez les éléments que je vous ai présentés. La question est claire : si des versements ont été fléchés par avance, vous le dites et cela clarifie les choses.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je suis comme vous : matérialité et chronologie. Matériellement, je n'ai pas de faits qui viennent dire que le cabinet donne un ordre de versement de cette subvention.

M. Claude Raynal, président. - Il ne s'agit pas de versement d'une subvention. D'abord, le versement c'est le CIPDR, c'est l'administration qui verse.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Absolument.

M. Claude Raynal, président. - Ce n'est pas de cela dont il s'agit, mais d'un préfléchage sur un montant de 300 000 euros qui, comme par hasard, devient la proposition du CIPDR au moment du comité. C'est tout simple.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je regarde ce dont je dispose comme faits pour ces discussions, qui ont eu lieu il y a deux ans, et je me fie à ce dont je dispose. Manifestement les membres de mon cabinet, tout comme le CIPDR, étaient en soutien de l'initiative portée par M. Sifaoui. Leur mail démontre qu'ils ont un enthousiasme vis-à-vis de son projet. Je n'ai pas d'éléments qui vise à dire que le cabinet aurait à ce moment-là arbitré ou décidé quelque chose avant le comité de sélection, et je tiens à rappeler par quelle porte d'entrée arrive M. Sifaoui : c'est par le SGCIPDR, avec lequel il travaillait ou entretenait des relations précédemment.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Vous venez de nous dire que l'un et l'autre, le cabinet et le CIPDR, travaillaient avec enthousiasme et que vous validez finalement leur enthousiasme dans un même enthousiasme – j'interprète.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Non, je n'ai pas d'élément matériel qui démontre cela.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je note que vous n'avez pas contesté la matérialité des séquences, ce qui est pour moi un élément de réponse qui nous permettra ensuite, madame la ministre, de rendre nos conclusions.

Je ne tire pas d'enseignement particulier. J'avais simplement besoin de vérifier le déroulement et la chronologie des faits. Si vous me le permettez, je voudrais savoir pour quelle raison, au final, il a été décidé d'attribuer ces 300 000 euros à l'USEPPM. Pourquoi, ensuite, a-t-elle déposé une demande de projet à 355 000 euros dans le cadre du Fonds Marianne ? Les 55 000 euros supplémentaires s'expliquent-ils par une idée géniale des porteurs de projet ? Y a-t-il eu un échange avec le CIPDR, votre cabinet, voire vous-même, au cours d'échanges dits cursifs ? J'ai simplement besoin de savoir quel est le rôle que chacun a pu tenir.

Nous devons faire la lumière, au titre de la mission de contrôle de l'action du Gouvernement et de la dépense publique, qui plus est avec des associations. Comme l'a dit un de nos collègues, parfois, dans nos collectivités pour 1 000 euros, il faut montrer patte blanche et avoir un dossier très carré.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je souscris parfaitement à vos propos. Je me permets simplement de dire que je n'ai dans mes réponses ni confirmé ni infirmé cette chronologie. Je ne connais pas les échanges qui ont pu avoir lieu sur ce sujet. Tout ce que je sais matériellement, c'est que le comité de sélection est unanime sur le soutien qu'il faut apporter à M. Sifaoui. Je ne me mêle pas du montant, à part cette remarque, en amont, où je dis que je trouve que c'est énorme. Le comité de sélection propose un montant, se met d'accord sur un bénéficiaire, qui est l'association dans laquelle est M. Sifaoui, et se met d'accord sur ce montant. Je ne biffe pas ce montant ni dans un sens ni dans l'autre. Je ne donne pas d'avis sur ce montant in fine.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Vous n'en donnez pas, mais vous ne l'invalidez pas, contrairement à d'autres.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Non. Dans la liste finale qu'on me présente, il y a des noms et des montants, et je n'ai pas de modification à apporter.

Pourquoi est-ce que je ne le fais pas ? Ce n'est pas un désintérêt de ma part. Je reviens à ce que je disais : on peut le déplorer, on peut estimer que j'aurais dû le faire mais, en tout cas, je ne me suis pas mêlée d'ingénierie. Je ne suis pas directeur d'administration, préfète ou chargée de mission. Il ne me revient pas l'attribution, dossier par dossier, de chaque subvention. On n'a pas sollicité d'arbitrage in fine, puisqu'il y avait un consensus. Cela a donc été engagé de la sorte sur ce dossier-là.

M. Claude Raynal, président. - On va y revenir, madame la ministre, mais en réalité, la chronologie, c'est vous qui la donnez. Elle n'est donc pas fausse par nature. Vous nous avez transmis un mail du 6 avril, antérieur au dépôt du dossier, qui est le 9 avril. Le 6 avril, votre cabinet arbitre donc sur un montant de 300 000 euros qui, comme par hasard, devient le montant qui est présenté au comité qui suit. C'est la chronologie que vous avez donnée. La date de votre mail est juste. À partir de là, tout le reste est imbriqué.

M. Roger Karoutchi. - Certains ici ont une expérience ministérielle et savent très bien qu'on ne demande pas aux membres de son cabinet de faire rapport sur tout. On ne vérifie pas leurs agendas – et heureusement ! – ni qui ils reçoivent – et heureusement ! On aurait des problèmes en sens inverse.

Mais dans cette affaire qui est aujourd'hui l'objet de la commission d'enquête, il y a un élément un peu curieux. Vous dites vous-même – et je veux bien vous croire – qu'il y avait un comité pour sélectionner les projets. Vous n'avez pas à intervenir sur le montant des subventions. Vous n'avez pas d'ailleurs à faire le choix, c'est au comité de sélection de le faire.

Dans ces conditions, pourquoi votre cabinet vous interpelle-t-il sur la somme qui serait attribuée à M. Sifaoui avant le comité de programmation ? Vous répondez vous-même, c'est très bien de l'avoir fait : "La somme me paraît énormissime". Cela semble indiquer, madame la ministre, qu'en réalité, il est probable que votre directeur de cabinet a peut-être fait une présélection avant le comité, qu'on vous a soumis quelques idées ou, en tout cas, quelques montants, et que vous avez réagi au moins sur le plus important, celui de M. Sifaoui.

D'ailleurs, vous dites vous-même que lorsque l'association de M. Sifaoui a demandé 635 000 euros, votre cabinet lui a proposé de trouver des financements complémentaires ailleurs, ce qui revient à dire qu'avant même que le comité de programmation se réunisse et décide, le projet de M. Sifaoui avait été plus ou moins validé par votre cabinet. On avait compris que cela coûterait plus cher que 300 000 euros et on lui avait proposé de trouver des financements privés parallèles.

On a un peu le sentiment qu'en réalité, sans que vous soyez forcément vous-même totalement impliquée, le cabinet avait pris le pas sur l'administration pour décider.

M. Vincent Éblé. - Je voudrais vous interroger sur le subventionnement d'une association dont il n'a pas encore été beaucoup fait état dans nos discussions d'aujourd'hui, qui est l'association Reconstruire le commun.

Comme vous le savez sans doute, cette association a été constituée seulement quelques semaines avant de bénéficier des subventions d'État, ce qui est une chose qui, personnellement, m'a beaucoup surpris car j'ai présidé une collectivité importante durant onze années, le conseil départemental de Seine-et-Marne. Jamais, en onze années, nous n'avons subventionné une association qui venait d'être constituée, tout simplement parce que, dans les conditions que nous émettons pour subventionner une association, fût-ce de quelques centaines d'euros – a fortiori pour plus de 300 000 euros –, nous demandons à disposer au moins des comptes d'un exercice annuel entier de l'association. On ne subventionne donc qu'à partir d'une année complète d'existence. C'est une précaution qui me paraît normale.

Je voudrais vous demander si vous aviez connaissance, lorsque vous avez validé l'ensemble des subventions accordées dans le cadre de cet appel à projets, du fait que cette association était de création récente ou si vous l'ignoriez.

Est-ce que ce conditionnement qui, semble-t-il, n'existe pas, a fait l'objet de discussions avec vos collaborateurs au sein du cabinet, avec les administrations en question ? Si c'est le cas, est-ce qu'il a été sciemment décidé que ce n'était pas grave de subventionner une association aussi récente ? L'évolution assez rapide des questions auxquelles le Fonds Marianne est destiné à répondre pouvait-elle justifier de retenir une jeune association ou bien tout cela est-il hors de votre visibilité de ministre, hors des radars ?

M. Claude Raynal, président. - Madame la ministre, vous gardez en mémoire cette deuxième question. Le sujet sur Reconstruire le commun sera abordé un peu plus tard.

M. Victorin Lurel. - J'avais l'intention d'interroger la ministre sur l'USEPPM, qui est une union de sociétés d'éducation physique et de préparation militaire. L'Observatoire de la laïcité a été dissous, et vous avez créé le Fonds Marianne pour lutter contre le séparatisme et développer un contre-discours républicain.

J'aimerais savoir quelle est votre vision de ce contre-discours républicain. Qu'est-ce qu'on reprochait à l'Observatoire de la laïcité pour passer à une préparation militaire et peut-être paramilitaire ?

C'est bien le nom de l'association ? C'est une vieille association endormie, qui s'est réveillée et qui reçoit des subventions. Quelle était votre vision de ce discours contre-républicain ? Quels étaient les liens avec certains essayistes ? Quelle était votre inspiration et quelle était la teneur de ce discours ? Avez-vous également des liens avec le Printemps républicain ?

M. Vincent Segouin. - M. Gravel a déclaré qu'il a appris que l'USEPPM pourrait bénéficier du Fonds Marianne lors d'un appel téléphonique de Mohamed Sifaoui : "il me dit sortir d'un rendez-vous avec la ministre". Nous sommes en mars 2021. Qu'en est-il ? Est-ce vrai ?

M. Daniel Breuiller. - Pour mettre en place ce contre-discours républicain, avez-vous demandé à votre cabinet et à l'administration de chercher des acteurs ou des associations dont l'action était déjà visible et réputée ? Vous dites : "je n'avais aucune raison d'appuyer M. Sifaoui". Aviez-vous des raisons inverses de ne pas l'appuyer, et comment se fait-il que l'administration semble dialoguer avec un acteur avant de dialoguer avec une association ? Il me semblait qu'on allait chercher dans les associations déjà engagées dans cette action plutôt que de cibler des acteurs. Vouliez-vous qu'il y ait des acteurs ou vouliez-vous qu'on aille chercher l'ensemble des associations qui intervenaient dans le champ de la défense des valeurs de la République ?

M. Christian Bilhac. - Il y a quelques années, j'étais dans l'Association des maires de France (AMF), et nous avions créé un groupe de travail qui avait produit un vade-mecum sur la laïcité. À cette occasion, nous avions auditionné beaucoup des acteurs de terrain que vous avez cités, qui font un travail remarquable dans la défense de la laïcité et des valeurs de la République.

Il s'agit pour beaucoup d'entre eux de clubs sportifs qui travaillent auprès des jeunes, essentiellement de football ou de boxe. Quelle dotation ont obtenu ces clubs qui sont déjà impliqués, qui travaillent déjà dans les quartiers, qui ont une existence reconnue ? Je n'ai pas souvenance, par contre, d'avoir auditionné l'USEPPM comme acteur de terrain. Comment expliquer ces 300 000 euros ?

Pour conclure, je voudrais quand même dire que je crois que ce Fonds Marianne était une très bonne idée au départ, parce que nous avons besoin de défendre la République et ses valeurs. Je ne serais pas heureux si, à la fin de cette procédure, on jetait – si je peux me permettre cette expression un peu populaire – "le bébé avec l'eau du bain" et qu'on fasse ainsi plaisir aux salafistes de toutes les tendances et à ceux qui les soutiennent !

M. Claude Raynal, président. - Merci pour ce commentaire.

M. Gérard Longuet. - Je ferai exactement les mêmes observations que mon prédécesseur. Madame la ministre, vous avez été en charge d'une responsabilité extraordinairement lourde et nouvelle, celle d'aider à bâtir un discours pour défendre la laïcité républicaine vis-à-vis de populations qui, à l'égard de la religion, n'ont pas le même historique que la plupart de nos compatriotes.

Avez-vous rédigé un document de base, une charte portant sur la volonté politique et la définition de votre projet politique ? Vous êtes complètement dans votre responsabilité, vous êtes en charge d'un sujet majeur, votre équipe va le mettre en œuvre, mobiliser un Fonds préexistant mais qui a un objectif très différent, la lutte contre la délinquance. Christian Bilhac a tout à fait raison : la délinquance dans les quartiers, l'association sportive, le foot, la boxe, c'est très bien, mais là, on parle de quelque chose de très différent : c'est un message avec un corps de doctrine. Ce qu'on reprochait justement à l'Observatoire de la laïcité, c'est de ne pas avoir de corps de doctrine, de limites et de règles de comportement.

Avez-vous eu l'occasion, le temps et la possibilité de bâtir ce corps de doctrine avant de recruter des porte-parole ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Tout d'abord, je reviens très brièvement sur votre dernier propos conclusif, monsieur le président, indiquant que, dans la chronologie, le cabinet avait arbitré les montants par mail, etc. Au risque de me répéter, je n'ai pas, dans les échanges de mails, d'arbitrage du cabinet. Je tiens à le dire pour ne pas qu'il soit retenu que j'aurai implicitement validé cela. Dans les échanges de mails, il y a des discussions. On peut voir les positions et les points de vue des uns et des autres, mais il n'y a pas d'arbitrage écrit, en tout cas matériellement, je me permets de le dire.

Monsieur le ministre Karoutchi, pour répondre à vos différentes questions, vous faites référence aux échanges de mails que j'ai eus avec mon cabinet, en observant qu'ils sont antérieurs au Fonds Marianne. C'est tout à fait juste, et c'est d'ailleurs pour cette raison que, dans ces échanges, ne figure pas de mention du Fonds Marianne à ce moment-là. Je ne dis pas que cela ne veut pas dire que les échanges ne sont pas intéressants au regard de l'instruction qui est en train d'être menée, mais on n'est pas en train d'arbitrer des subventions du Fonds Marianne. On a simplement ce compte rendu thématique d'un membre de mon cabinet sur un rendez-vous. J'ai moi-même souhaité porter ce mail à la connaissance de la commission d'enquête et le donner spontanément, parce que j'ai trouvé qu'il éclairait justement ce débat.

D'ailleurs, dans ces messages, on voit que les membres du cabinet se répondent et me répondent. Le directeur de cabinet met fin à l'échange par la nature de sa réponse, puisqu'il rappelle que, pour toute attribution de subventions, il y a une procédure. L'échange s'arrête là et est reporté aux procédures afférentes.

Il propose d'ailleurs à ce moment-là un process pour ce qui n'est pas encore le Fonds Marianne, mais qui est l'activité de "contre-discours républicain". C'est un long mail – je pense que chacun l'a –, dans lequel il rappelle le process qu'il propose, avec une validation ministérielle in fine, mais une sélection et une instruction des dossiers par l'administration. C'est cette procédure qu'il vient détailler.

Cela me semble important parce qu'on parlait de la chaîne de hiérarchie et des responsabilités de chacun. Le directeur de cabinet, le préfet Jallet, est parfaitement dans son rôle en disant, à peu de choses près : "il y a une procédure, donc on n'en discute pas comme cela, par message". C'est le sous-entendu de son mail quand il renvoie au comité de sélection.

Monsieur le sénateur Lurel vous avez parlé de discours contre-républicain. Il n'y a pas de discours contre-républicain – ou c'est un lapsus. Je tiens à être claire sur ce sujet et j'admets, parce que je l'ai entendu dans certains débats, que cette appellation n'est peut-être pas la plus limpide qui soit. D'ailleurs, on peut politiquement – mais c'est un autre sujet – s'interroger sur le nom qu'on donne à ce discours. Que mettons-nous dedans ? Nous y mettons le fait de répondre à tout discours dit séparatiste qui peut exister, et donc essentiellement à ce qu'on appelle le "terreau du terrorisme", aux discours de radicalisation et d'islamisme et, plus largement, qui peuvent attenter aux institutions et à la République. L'idée est d'aider les jeunes, notamment sur les réseaux sociaux, à se faire leur propre avis, à exercer leur libre arbitre et à entendre différentes positions sur ce sujet.

Je souhaite répondre à votre question sur le Printemps républicain. Je vous remercie de la poser, parce que cela va me permettre de clarifier un certain nombre de choses.

Tout d'abord, je n'ai rien contre le Printemps républicain, mais je ne suis pas membre du Printemps républicain. Je tiens à le dire ici, parce que, dans les sous-entendus qui ont été faits, non pas dans cette commission d'enquête mais dans les commentaires, on entend un peu tout et n'importe quoi. On m'attribue à tort des amis et des appartenances. Je n'ai rien contre le Printemps républicain, mais je ne suis pas plus amie avec M. Sifaoui que membre du Printemps républicain. Vous avez des images, des reportages, des photos du lancement du Printemps républicain : je n'y figure pas, et pour cause : je n'en suis pas membre. Je pourrais, ce n'est pas interdit, mais il s'avère que je ne le suis pas.

Il s'avère également que le Printemps républicain n'a pas été associé à la constitution du Fonds Marianne. À aucun moment, je ne vais voir le Printemps républicain dans le cadre du Fonds Marianne. D'ailleurs, eux-mêmes ont souhaité faire un communiqué pour dire qu'ils n'avaient été associés d'aucune manière...

M. Claude Raynal, président. - Votre position est claire, madame la ministre, et nous avons encore énormément de questions à vous poser.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Vous voulez que je sois brève, monsieur le président : je ne suis pas membre du Printemps républicain, c'est ma réponse.

Monsieur le sénateur Segouin, je n'ai pas annoncé à M. Sifaoui en rendez-vous qu'il aurait une subvention. J'ai dit tout à l'heure que c'était faux. Je pense que M. le préfet Gravel a dû mal comprendre ou qu'il y a une incompréhension dans la manière dont les choses se sont dites entre M. Sifaoui et M. le préfet Gravel, mais je suis formelle et les éléments matériels – agenda, messages, etc. – le démontrent. Je n'ai pas reçu M. Sifaoui dans mon bureau en mars pour lui annoncer une subvention. Je le démens et les faits démontrent que ce n'est pas possible.

Monsieur le sénateur Breuiller, je vais me répéter rapidement : je n'avais pas de raisons de soutenir M. Sifaoui et son projet. Je n'avais pas non plus de raisons de m'y opposer à ce moment-là, eu égard à ce qu'on en connaissait. Je me permets de le répéter parce que je vous ai entendu, en tant que membre ès qualités de la commission d'enquête, dire sur Public Sénat que j'étais amie avec M. Sifaoui et que c'était la République des copains. Je ne suis pas la copine de M. Sifaoui !

Monsieur le sénateur Bilhac, vous avez absolument raison sur le rôle fondamental joué par les clubs sportifs. C'est pour cela que certaines activités sportives sont d'ailleurs financées par le FIPDR au titre notamment de la prévention de la radicalisation de la délinquance. Je tiens à souligner que le Fonds Marianne a vocation à soutenir du discours en ligne sur les réseaux sociaux. On y reviendra parce que c'est important pour un des autres sujets que nous allons aborder je pense tout à l'heure : le but du Fonds Marianne n'est pas de financer des activités sportives. Ces activités sont déjà financées par ailleurs sur d'autres lignes budgétaires. Ce n'est pas son objet.

J'ai souri quand vous avez dit qu'il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain, parce que c'est ce que je répète depuis des semaines. Je crois aussi que cette politique publique de lutte contre le cyber-islamisme est fondamentale. Il ne faut pas la cesser.

Pour conclure, monsieur le sénateur Longuet, la question de la doctrine est fondamentale, je vous rejoins complètement. D'ailleurs, nous avons initié un travail de doctrine confié au secrétariat général du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation.

Il y a deux sujets que je souhaite distinguer ici, qui sont la laïcité et le Fonds Marianne. Le Fonds Marianne n'est pas là pour alimenter des débats de ligne autour des questions de laïcité. Il est mis en place pour porter un discours républicain et définir ce qui nous rassemble, face notamment à des discours de radicalisation. Il y a donc une doctrine sur le cyber-islamisme qui est réalisée par les services du ministère de l'intérieur en charge de cela et une doctrine Fonds Marianne, qui donne lieu à l'appel à projets réalisé par le SGCIPDR, et j'imagine que les travaux sont dans les archives qui sont à disposition.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - La transition est toute trouvée. Vous venez de parler d'appel à projets : je vais y revenir.

16 avril 2021, un mail de votre directeur de cabinet au secrétaire général du CIPDR indique que la durée de l'appel à projets doit être raccourcie et avancée. Finalement, l'appel à projets devra se tenir en trois semaines. Le préfet Gravel nous a dit qu'il était plus habituel de prévoir trois mois. Il doit avoir lieu en trois semaines, entre le 20 avril et le 10 mai, alors qu'il était initialement prévu qu'il se déroule entre le 1er mai et le 30 juin, ce qui était déjà plus court que le délai habituel.

L'appel à projets a donc été lancé quatre jours après le mail du 16 avril. Avez-vous été de près ou de loin partie prenante dans cette décision ? Quelles raisons expliquent cette accélération du calendrier ? Est-ce que vous pensez aujourd'hui, avec le recul dont vous disposez que, finalement, c'était un délai suffisant permettant de bien conduire cet appel à projets, choix original dont vous avez explicité l'orientation ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Sur la question du calendrier dans le cadre de l'appel à projets, je ne me suis pas personnellement mêlée de la mise en œuvre et de l'ingénierie des dispositifs. Ce que je sais en revanche, c'est qu'il n'y a aucune alerte qui me remonte de la part de l'administration quant à ces délais. J'ai regardé et je n'ai pas une note ou une alerte écrite ou matérielle de l'administration disant que ce délai n'est pas tenable. Ils ne préconisent pas un autre délai en indiquant qu'ils ne sauraient pas faire dans ce délai.

Le délai de trois semaines pour recueillir les candidatures peut paraître contraint. Il est serré, mais il nous apparaissait adapté au regard de la mobilisation qui était organisée depuis des mois, puisque je rappelle – et c'est documenté – que cela fait plusieurs mois à ce moment-là que j'ai impulsé cette demande de création du Fonds Marianne. Il y a des réflexions qui étaient en cours. On en a parlé depuis plusieurs mois, et le SGCIPDR pouvait aussi s'appuyer sur l'ensemble des travaux et des entretiens menés avec les experts depuis l'automne.

J'ajoute que, dans un contexte de diminution des effectifs dans l'administration centrale au ministère de l'intérieur, on a réussi à mobiliser dix-sept recrutements supplémentaires pour le SGCIPDR au 20 avril. Cela donne à penser qu'il y a des moyens humains suffisants dans l'administration à ce moment-là pour tenir les délais.

J'ajoute, pour conclure, que les délais courts n'ont pas semblé poser de difficultés particulières, dans la mesure où il y a eu 71 dossiers qui ont été présentés dans ce délai pour candidater à cet appel à projets. Cela ne les a pas empêchés de candidater.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Si vous voulez mon avis – mais ce n'est qu'un avis –, 71 dossiers pour un appel à projets national, c'est-à-dire moins d'un par département, sachant que vous avez déjà des opérateurs, est une réussite en demi-teinte.

En fait, ce qui continue de m'étonner, c'est que vous n'êtes jamais à l'origine de la décision. Vous l'apprenez. C'est votre administration. Le cabinet ne vous alerte pas, vous dites : "Je n'ai pas de notes". À vous écouter, ces délais très resserrés ne nuisent pas à la qualité de la sélection, non plus qu'aux procédures à respecter pour avoir à la fois une transparence et des grilles d'analyses, pour ensuite pouvoir, en toute connaissance de cause, avec un jury le plus averti possible, procéder à une sélection.

Néanmoins – le président Raynal l'a rappelé – il y a quand même dans les acteurs qui travaillaient jusqu'à maintenant en bonne intelligence avec le Gouvernement et dans le cadre du FIPD certains qui vont forcément être intéressés et candidater. C'est leur liberté. Il y aura plus ou moins de fléchage. Cette accélération aurait même permis d'avoir une meilleure qualité de réponse et d'être plus performant, avec une méthodologie bien cadrée. C'est ce que vous pensez aujourd'hui ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Ce n'est que mon humble avis...

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Vous étiez ministre, quand même ! Vous l'êtes toujours, mais plus dans la même responsabilité.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Bien sûr, mais cela ne m'empêche pas d'avoir un humble avis, que je partage avec vous aujourd'hui. C'est mon troisième ministère, la septième année que j'exerce des responsabilités ministérielles. J'ai été adjointe au maire précédemment. J'ai aussi participé à de nombreux appels à projets et j'en ai impulsé : 71 réponses pour un sujet de niche – pardonnez-moi l'expression –, c'est important.

Il ne s'agit pas là d'un appel à projets auquel le tout-venant peut répondre. Il s'agit d'un appel à projets qui s'adresse à des experts de la lutte contre la radicalisation, spécifiquement sur les réseaux sociaux ou en ligne. 71 structures qui sont touchées et qui répondent, je trouve que c'est un nombre important. Je ne vous dis pas que tout a été bien fait, parce qu'il est documenté aujourd'hui que ce n'est pas le cas. Bien sûr, les choses auraient pu être faites différemment, mieux faites et, je le disais tout à l'heure, vos retours d'expérience nous dirons dans quel sens, à l'avenir, nous pourrons mieux ficeler cette procédure.

Je veux dire également que la façon dont vous présentez les choses, monsieur le rapporteur, laisse à penser que je subirais les faits. Je rappelle là encore le rôle de chacun. Le ministre suit bien sûr les commandes politiques et les dossiers qu'il a impulsés auprès de l'administration, mais il n'est pas, là encore, dans la mise en œuvre au jour le jour ou dans l'ingénierie. Ce que veut savoir le ministre, c'est si les sujets avancent, débouchent, sont pris en main, traités, et pas nécessairement quelle est la date de rendu de la première étape des porteurs de projets. C'est en tout cas ma manière de faire. Elle n'est peut-être pas bonne, mais c'est la manière dont je suis les choses à ce moment-là.

M. Claude Raynal, président. - Madame, vous dîtes qu'ayant eu 71 réponses, cela montre que le temps a été suffisant. Quand on regarde plus en détail – et votre directeur de cabinet a d'ailleurs déjà donné un petit éclairage – on voit que 54 dossiers sur 71 ne sont pas retenus. Pour l'essentiel, ce sont des projets qui sont tout simplement hors sujet. Il s'agit de mise en ligne, de contre-discours sur les réseaux sociaux, et on vous répond assez traditionnellement sur des actions du FIPD.

Au moins une cinquantaine de dossiers passent donc à la trappe. D'autres auraient peut-être pu être retenus, et sur les dix-sept, il n'y en a que cinq, en dehors des deux gros dont on parle pour l'essentiel, qui sont nouveaux. Le reste, ce sont des associations qui ont l'habitude de travailler avec le CIPDR, qui ont le temps de répondre et qui ont aussi un contact permanent avec lui. Ils ajustent donc leurs propositions dans le domaine demandé.

Sans doute que ce domaine n'est pas facile, mais la raison, c'est aussi que le délai est tellement court que n'y répondent que ceux qui sont déjà connus du CIPDR et quelques toutes petites associations, qui proposent de tous petits projets. Finalement, deux gros projets arrivent sur le bureau, mais pas de manière identique aux autres. On n'y revient pas, mais on le réaffirme, l'un arrive par votre cabinet et l'autre plutôt par le CIPDR lui-même, qui a eu ce contact avec une association et souhaite la pousser ou l'aider.

Vous ne pouvez pas dire qu'il y a eu 71 réponses et que c'est très bon. Non : il y a eu beaucoup de réponses hors-jeu.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Raison pour laquelle je parlais d'un bilan en demi-teinte. Je ne crois pas avoir indiqué que je penserais ou pourrais croire que vous subissiez les faits. Je pense au contraire que votre parcours, vous venez de le rappeler, et votre expérience ministérielle démontrent que vous avez une capacité à faire face à beaucoup de responsabilités, et je dirais même à toutes les situations. Vous êtes aujourd'hui dans un temps où vous répondez à un questionnement, sous serment – vous l'avez dit à de multiples reprises d'ailleurs. On a à cœur de vouloir faire la lumière, comprendre, et on va s'en tenir à cela si vous le voulez bien.

Est-ce que vous aviez déjà rencontré certains des lauréats avant même la création du Fonds Marianne ? Est-ce que vous aviez eu des échanges avec certains – pour M. Sifaoui, vous l'avez dit – et avec Reconstruire le commun ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - À ma connaissance, je n'ai pas reçu les responsables de l'association Reconstruire le commun. Pour être tout à fait honnête avec vous, je n'ai pas en tête la totalité des noms ou des visages des gens qui ont pris part à ce projet, puisque j'ai cru comprendre qu'il y avait des porteurs de projets et des prestataires ou des bénévoles au sein du projet qui étaient intervenus.

Tout ce que je peux dire, c'est que je n'ai pas de relations antérieures ou personnelles avec elles ou eux, mais je ne peux pas vous certifier ne les avoir jamais croisés dans quelque endroit que ce soit ni même reçus sous d'autres casquettes. En tout cas, je n'ai pas le souvenir de les avoir reçus, mais cela ne veut pas dire que ce soit impossible.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Le président Raynal vient de l'évoquer, Reconstruire le commun fait partie des associations qui ont reçu de fortes dotations. C'est une association qui était de création récente, puisqu'elle a été créée en toute fin d'année 2020 et que le premier versement de 39 000 euros, que j'appellerai d'appui à la création, a été versé au tout début de l'année 2021. On a parlé de l'USEPPM pour le manque d'expérience. Finalement, des sommes importantes dans les deux cas : l'USEPPM avec un petit budget, convenons-en, de 50 000 euros, Reconstruire le commun, une association toute nouvelle, portée sur les fonts baptismaux avec le soutien de l'État, à hauteur de 39 000 euros, à qui vous avez attribué des montants importants de subventions. Cela n'a pas provoqué d'alerte particulière au sein de votre équipe ? On ne va pas revenir sur votre message indiquant que le soutien de 300 000 euros était énormissime mais ils obtiendront tout de même davantage. Comment expliquez-vous la subvention à l'association Reconstruire le commun ?

M. Claude Raynal, président. - Pouvez-vous en même temps répondre à la question posée préalablement par M. Éblé ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Oui, bien sûr. Je vais peut-être commencer par vous répondre, monsieur le sénateur Éblé. Le projet du Fonds Marianne, c'est aussi – et c'est pourquoi nous faisons cet appel à projets, au-delà de la volonté d'être transparents à ce moment-là – de faire émerger de nouveaux acteurs et tâcher de ne pas travailler qu'avec celles et ceux qui sont connus du CIPDR. Le but, c'est de toucher la jeunesse sur les réseaux sociaux et donc de pouvoir aussi soutenir des acteurs émergents, puisqu'il y a un caractère un peu innovant ou expérimental à ce "contre-discours" républicain – j'y mets des guillemets.

Je n'ai pas souvenir d'avoir été informée ou alertée sur les 39 000 euros que demande Reconstruire le commun. Il y a un montant de subventions qui, je le comprends, est lié au besoin de recrutement ou de formation aux médias, en tout cas c'est ce que je recoupe aujourd'hui dans les documents, mais je ne prends pas part et je n'ai pas d'alerte sur le montant de la subvention pour Reconstruire le commun.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je voudrais simplement dire, puisque vous avez évoqué les moyens dont vous disposiez et les renforts en personnel, pour que nos collègues et celles et ceux qui suivent cette audition soient parfaitement informés, qu'à ma connaissance, l'instruction des dossiers était sous la responsabilité d'une seule personne. Cette situation interroge sur la solidité de la méthode et sa transparence. C'est peut-être d'ailleurs ce qui a amené l'IGA à considérer que l'appel à projets n'avait été ni transparent ni équitable.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je veux simplement porter à votre connaissance le fait que j'ai appris que les dossiers du Fonds Marianne étaient gérés par une personne qui, je crois, exerce comme chargée de mission au CIPDR, à la lecture du rapport de l'IGA et des auditions qui ont été menées dans cette commission d'enquête. Nous avions obtenu les arbitrages politiques nécessaires avec mon cabinet pour considérablement renforcer le CIPDR en moyens humains, et notamment cette action de contre-discours républicain.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je rappelle aussi qu'après les événements très graves qui sont à l'origine de la création du Fonds Marianne, le Gouvernement avait mis en place une communication puissante, notamment par vous-même, pour expliquer qu'il allait agir et monter au combat. Je ne peux pas vous laisser dire de manière placide que vous le découvrez après. Je pense qu'un ou une ministre, lorsqu'il ou elle est en action, décide d'un plan d'action et de combats pour lutter contre les séparatismes, notamment sur les réseaux sociaux, et s'assure de la mise en œuvre.

Quand vous faites une annonce sur une telle politique, avec une telle ambition, il ne s'agit pas que cela se dégonfle ensuite comme un ballon de baudruche. Je pense que cela n'a jamais été, j'imagine, dans la tête de personne. Il y a une distorsion assez importante entre les moyens consacrés à l'examen des candidatures, sur un temps très court, resserré, avec une mise en action hyperrapide. C'est le constat factuel que je dresse à cet instant.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Monsieur le rapporteur, c'est votre appréciation. Elle est parfaitement légitime.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Elle est même exacte !

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je ne la trouve pas exacte, monsieur le rapporteur, avec tout le respect que j'ai pour vous personnellement, et pour la commission plus généralement. C'est mon avis, et c'est pourquoi je me permets de vous répondre. Le Fonds Marianne, c'est une petite partie des politiques publiques qui sont menées par le Gouvernement en général, et par votre serviteure en particulier, sur la question de la lutte contre le terreau du terrorisme.

J'ai évoqué très rapidement quelques exemples dans mon propos liminaire et je ne vais pas, par respect pour le temps qui nous est imparti, dérouler la totalité de la politique publique, mais vous savez que, par exemple, l'action de renfort de Pharos est absolument fondamentale. Pharos n'est pas ouvert 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 à ce moment-là. Nous obtenons des arbitrages nécessaires au plus haut niveau pour faire ouvrir Pharos 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, pour qu'il ait des pouvoirs importants. Nous mobilisons les plateformes, les réseaux sociaux. Nous réactivons une initiative qui avait été lancée par M. le ministre Bernard Cazeneuve, à l'époque, pour avoir une instance de dialogue avec les plateformes et les réseaux sociaux pour notamment pouvoir communiquer des informations aux enquêtes, quand il y a des contenus d'incitation au terrorisme.

Il y a également eu un projet de loi, je ne l'apprends pas aux parlementaires, puisque vous avez pris part à ces débats, notamment sur la clause portée par M. le ministre de la justice et M. le ministre de l'intérieur sur le fait qu'il est désormais pénalement répréhensible de communiquer en ligne des informations personnelles concernant une personne eu égard à une menace islamiste sous-jacente.

J'arrête là ma liste, mais en fait, la communication, que je porte avec force et que je tâcherai de continuer à porter avec force, ne porte pas que sur le Fonds Marianne.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Vous êtes devant une commission d'enquête portant sur le Fonds Marianne. Je vais vous faire une dernière réponse : la personne-ressource que j'évoquais était également membre du comité de sélection. Je rappelle que, dans ce comité de sélection, il y avait également trois membres de votre cabinet. J'ai une vraie difficulté : avec trois membres de votre cabinet au sein du comité de sélection, vous ne pouviez pas ignorer la difficulté pour une seule personne à instruire l'ensemble des dossiers. Vous le saviez en temps réel.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je ne le savais pas. D'ailleurs, le rapport de l'IGA le documente. La chargée de mission – d'après ce que dit le rapport, car je n'en avais pas connaissance –, semble avoir demandé un renfort, renfort qui avait été refusé par sa hiérarchie au niveau administratif. C'est dans cette situation que l'IGA évoque un manque de discernement de la part de la personne qui a refusé les moyens, mais à aucun moment le manque de moyens ne remonte jusqu'à moi ni – je ne crois pas – jusqu'à mon cabinet.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - C'est assez extraordinaire ce que vous dites ! Vous êtes en train de nous dire qu'avec trois membres de votre cabinet, vous n'êtes au courant de rien sur une séquence de trois semaines d'un Fonds Marianne dont vous déclarez l'urgence à agir ! Je tire simplement un enseignement de la réalité de faits et d'actes qui sont rapportés par des voies diverses au cours des auditions. C'est tout, je propose qu'on poursuive.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Si vous me le permettez, je voudrais juste dire que le ministre échange avec le directeur d'administration et, encore aujourd'hui, dans des dossiers dont j'ai la responsabilité, je ne demande pas au directeur de l'administration quel est le nom des personnes qui sont en train d'instruire tel ou tel dossier au sein de l'administration. Ce n'est pas le rôle du ministre.

M. Claude Raynal, président. - Nous partageons votre réponse, mais ce n'est pas la question. La question est de dire que, dans le comité de sélection, il y avait trois membres de votre cabinet qui étaient informés, ne fût-ce que par la chargée de mission en question qui avait une difficulté à gérer le nombre de dossiers, etc.

Cela aurait pu remonter. C'est toujours cette fameuse relation cabinet-ministre qui est un peu un trou noir malgré tout – mais on entend votre réponse.

Il nous avait été dit que vous deviez initialement participer au comité de sélection du 21 mai du Fonds Marianne, peut-être pour l'ouvrir, peut-être pour y être présente tout au long de la réunion. En tout cas, cela ne se fait pas. Quelles en sont les raisons ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Très sincèrement, je n'en ai pas souvenir. Cela me paraît orthogonal que le ministre soit lui-même dans le comité de sélection. Je n'ai pas le souvenir que cela m'ait été proposé je ne peux donc pas vous répondre. Je n'en ai pas de souvenir, et je n'ai pas d'éléments qui viennent corroborer cela.

M. Claude Raynal, président. - À l'époque, dans les documents qui nous ont été envoyés, notamment par le CIPDR, il était précisé que vous deviez ouvrir a minima le comité de sélection et, ensuite, était prévu un point presse, ce qui ne paraît pas illogique, dans la mesure où il s'agit de la traduction de la politique vous aviez initiée. Vous n'avez pas le souvenir d'un point de presse qui aurait été annulé à ce moment ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Pas du tout.

M. Claude Raynal, président. - Dont acte. Vous l'avez dit, le Fonds Marianne est un élément parmi bien d'autres choses plus importantes oserais-je dire – Pharos, etc. – de ce plan général voulu ensuite par le Président de la République et le Gouvernement, qui n'appelle pas de commentaires particuliers tant nous sommes dans une période particulière.

Est-ce que, d'une façon ou d'une autre, cela a été l'objet de discussions avec votre ministre de tutelle, M. Gérald Darmanin ? Si oui, sur quoi ces discussions ont-elles porté ? Est-ce qu'il a été informé ensuite rapidement des difficultés qui sont apparues ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Traditionnellement, il y a des points de rencontre entre mon directeur de cabinet et le directeur de cabinet de mon ministre de tutelle. C'est à cette occasion qu'ils échangent sur des comptes rendus, des demandes ou des feedbacks d'activités, si j'ose dire, menées par mon cabinet.

M. Claude Raynal, président. - Très bien. Le point qui chagrine tout le monde en réalité, y compris l'IGA, c'est qu'il n'y a eu aucune grille de notation pour la sélection des projets. En réalité, on a pratiqué comme s'il s'agissait de financements à la main du politique et non pas d'un appel à projets.

Vous avez dans cette assistance, vous le savez, beaucoup d'anciens maires, d'anciens présidents de département, de collectivités. Lorsqu'une municipalité lance un appel à projets, elle est tenue par des règles. Les appels à projet débouchent notamment sur plusieurs points qui sont assez clairs, d'abord un comité qui doit être assez ouvert. Souvent on recommande d'ailleurs que le maire ne le préside pas. C'est une prudence. Ensuite, il y a forcément une grille de notation qui donne lieu à une communication et, généralement, à un retour vers les associations ou les entreprises lorsqu'elles ne sont pas sélectionnées.

Dans ce cas précis, le point qui est extraordinaire c'est qu'il n'y a à rien. On a redemandé plusieurs fois, nous pensions que ce n'était pas possible : on ne distribue pas de l'argent public sans faire un petit rapport, sans un écrit. Il n'y a pas même un rapport sur les décisions du comité de sélection : il y a juste une liste d'associations avec le montant retenu. En plus, nous le savons, ce montant a même pu être modifié après le comité de sélection – nous y reviendrons.

L'IGA a dit que ce processus n'est pas transparent. La transparence, cela se traduit a minima par un compte rendu qui précise les éléments qui justifient un traitement différencié entre les porteurs de projets. On met en place une grille de notation et on explique. Généralement, l'instruction administrative précède la phase de décision. Avant la question : "est-ce que vous pouvez ?", on demande : "est-ce que vous êtes en situation de mener à bien le projet ?". Ce sont toutes les règles administratives, comme notamment la question de Vincent Éblé sur l'ancienneté de l'association. Toutes ces questions sont généralement dans une première partie. Si on franchit ce premier cap, ce n'est qu'ensuite que l'on est partie prenante de l'appel à projets.

Dans ce cas précis, ce n'est pas du tout le cas. Vous pouvez dire, en commentant le rapport de l'IGA – au-delà du fait que vous prenez la précaution de dire que vous ne le commentez pas, précaution purement oratoire, que "le rapport de l'IGA dit que je n'ai rien à me reprocher".

Pourtant, vous avez un comité de sélection dans lequel il y a la moitié des membres qui sont de votre cabinet, qui participent à une sélection qui ne donne lieu à aucun document de restitution, à aucun élément d'appréciation du choix des associations, et même pas non plus à une analyse préalable permettant de dire : "est-ce que telle ou telle association est en mesure de répondre ?".

On a bien compris que le premier projet, l'USEPPM, était un projet entre guillemets "Sifaoui", abrité par l'USEPPM. En réalité, il fallait que ce soit une association qui réponde et pas une personne physique, et donc l'USEPPM apparaît tout d'un coup dans le paysage. Mais on ne met pas en cause l'USEPPM, on ne regarde pas ses statuts, on ne regarde pas ses fonds et ses capacités à faire. On ne regarde rien et on fait quand même.

Même sujet pour Reconstruire le commun où, en réalité, on est sur une association qui vient de démarrer, qui n'a aucun passé et qui, pour ces raisons, n'aurait jamais pu trouver ailleurs plus de 300 000 euros de subventions. Cela n'existe nulle part, et c'est bien le sujet.

Est-ce que vous considérez, en voyant le résultat de tout cela, que cette absence d'outil objectif d'appréciation est normale ? Est-ce que vous trouvez normal qu'il n'y ait aucun compte rendu de réalisé ni même un relevé de décisions argumenté ? Rien du tout ! Est-ce que cela vous paraît de bonne pratique et est-ce habituel dans les administrations que vous connaissez ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - J'identifie quatre questions au moins, voire cinq, et je vais essayer d'être concise.

Tout d'abord, bien sûr, je souscris à ce que vous dîtes sur la constitution des attributions de subventions dans les collectivités. J'ai eu l'honneur d'être maire adjointe auprès de Jean-Claude Boulard, sénateur-maire du Mans, pendant quelques années. J'avais moi-même à attribuer des subventions et j'ai moi-même créé un comité d'attribution des subventions très large justement pour balayer les subventions. Il n'avait pas de pouvoir de décision, mais un pouvoir de consultation et les dossiers étaient ensuite transmis à l'administration sous ma présidence.

Je veux dire cependant qu'il n'existe pas, à ma connaissance, de règles écrites sur la composition des comités de sélection d'appels à projets. À ce moment-là, de mon point de vue, nous sommes en toute bonne foi dans le respect des règles de financement et des règles écrites, applicables dans ce cas.

Les membres de mon cabinet qui sont membres du comité de sélection sont, pour deux d'entre eux, d'anciens membres du CIPDR. Ils y ont travaillé, ils sont experts reconnus de ces questions, et c'est pourquoi il ne me semble pas incohérent à ce moment-là, de bonne foi, que ces conseillers capés sur le sujet, qui connaissent l'écosystème, participent et travaillent avec ce comité. L'AAP a pour nous un cadre d'éligibilité. C'est le cadre et les conditions de l'AAP qui est publié, qui est à la disposition de chacun. Il ne prévoit effectivement pas, vous avez tout à fait raison, de notification de refus. En revanche, chaque projet a fait l'objet d'une fiche d'évaluation que vous avez eue, qui synthétise, me semble-t-il, le dossier.

Bien évidemment, en retour d'expérience a posteriori et eu égard à tous les éléments dont nous disposons aujourd'hui, il y a des règles, même si ce ne sont pas des règles de droit, qui sont des usages ou des bonnes pratiques qu'il pourrait être utile de clarifier. C'est pourquoi je vous disais dans mon propos liminaire que je suis très demandeuse des retours d'expérience et des préconisations que fera votre commission d'enquête, étant aujourd'hui chargé de la vie associative, concernant l'encadrement des liens entre l'administration, l'État et les associations. Si nous pouvons clarifier les règles d'organisation des comités de sélection afin d'aller vers plus de transparence et ne pas être dans des règles d'usage mais des dispositions réglementaires, je pense que ce serait tout à fait précieux. C'est en tout cas mon avis.

M. Claude Raynal, président. - Vous avez parlé de fiche d'évaluation. Tout ce qu'on a eu, ce sont des fiches de description de projets. On peut imaginer, mais nous n'en avons pas connaissance, qu'il a eu de la part du CIPDR, un exposé sur chaque cas. Cela a dû être fait, sinon c'est qu'on a tiré au sort ! Il y a forcément eu quelque chose de cette nature, mais j'insiste sur ce point : des fonds d'État, c'est autre chose que des fonds associatifs municipaux. Les fonds associatifs municipaux, cela peut se régler assez vite : si cela crée des histoires et des scandales, le maire a quelques difficultés à être réélu.

Il y a donc des précautions qui sont souvent prises dans les collectivités sur tous ces aspects pour être bien au clair, parce qu'il n'y a rien de pire – les maires le savent – qu'une association sportive qui dit : "Celle-là a eu 50 000 euros. Pourquoi je n'ai eu que 10 000 euros ?". On ne s'embarrasse pas avec cela : plus on est transparent sur ces sujets, mieux c'est, surtout quand il s'agit de fonds publics !

Autres questions : certaines associations ont eu une subvention inférieure à leur demande. Par exemple, des associations qui ont demandé 130 000 euros n'ont obtenu que 70 000 euros, alors que l'année précédente, elles avaient obtenu 140 000 euros. Comme il n'y a aucun compte rendu de quoi que ce soit, on met tout en doute ou en question, vous le comprenez. Comment expliquez-vous ce point ?

Dans le cas précis, il s'agit d'une association, et les seuls commentaires que nous avons pu avoir pour justifier ces baisses de subventions, c'est que ces associations qui ont eu moins étaient souvent considérées comme un peu "gentillettes", ayant une vision de la laïcité douce, travaillant plus sur l'esprit de fraternité que sur un discours plus offensif, tel que vous l'avez poussé en tant que politique gouvernementale. Ce qui chagrine souvent, pour ces associations, c'est le fait qu'elles étaient considérées comme n'étant pas tout à fait dans la vision gouvernementale. Il y a même une fiche qui le dit de manière explicite.

Rien n'a été répondu à ces associations. Après tout, une position politique de cette nature peut tout à fait s'exprimer. Une ligne politique a été clairement affichée par le Gouvernement. Ne plus être dans la ligne que vous souhaitez pousser au travers de l'appel à projets peut s'entendre, mais comme ce n'est pas dit, on ne sait pas si c'est le fait du prince ou autre chose. Qu'est-ce que vous pouvez nous en dire ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je n'ai pas d'éléments à partager sur ce sujet. Je n'ai pas fait partie de ces discussions. Je ne trouve pas que ce soit négatif de soutenir une association qui défend les principes de fraternité. Cela fait partie des valeurs de la République, de la trilogie républicaine. Je n'ai en tout cas formulé aucune demande en ce sens, et je n'ai pas connaissance d'échanges qui peuvent exister visant à baisser une demande pour ces raisons.

M. Claude Raynal, président. - Nous vous l'apprenons donc ! Cela a pu être le cas.

Quelles sont les raisons qui vous ont conduite à exclure un certain nombre d'associations lors de la sélection des projets ? On l'a dit, certaines étaient totalement hors-jeu, et ne répondaient pas au sujet. Pour d'autres, c'est un peu plus délicat. Vous m'avez répondu – et je peux m'en tenir à cela – mais est-ce que, finalement, le fait de ne pas être dans la ligne gouvernementale telle qu'elle est définie publiquement fait que certaines associations, même si elles travaillent sur la laïcité, ne correspondent pas à l'esprit du Fonds Marianne ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je vais vous donner mon point de vue à cet égard, mais il ne signifie rien au regard des discussions d'arbitrage puisque, une fois encore, je n'ai pas participé au comité de sélection.

Je veux distinguer l'action politique du Gouvernement et la ligne de politique publique mise en œuvre. Il est tout à fait permis à des associations d'être en désaccord avec la politique gouvernementale. D'ailleurs, dans les ministères dont j'ai eu la charge, j'en ai financé et j'en finance encore. Ce n'est en aucun cas un motif de diminution des demandes de subventions par rapport à ces associations.

En termes de politique publique, et donc non politicienne, il y a effectivement une volonté de travailler à la lutte contre la radicalisation et à défendre les valeurs de la République. Encore une fois, je n'ai pas participé aux discussions, mais je dis cela pour vous éclairer. Je vous donne un exemple : une association qui dirait que l'État français est un État raciste structurellement, je considère qu'il serait difficile de lui confier l'action de porter un discours républicain en ligne, qui vise à défendre les institutions et la République. C'est un avis politique personnel que je vous donne aujourd'hui pour éclairer les discussions, mais cela ne veut pas dire que ce soit cela qui ait été discuté.

M. Claude Raynal, président. - Ce que vous dites n'est pas scandaleux, mais tout ceci aurait mérité une précision, un éclairage, et d'être écrit dans un rapport. Ce n'est pas le cas, tout peut donc être interrogé.

Je voudrais revenir sur un sujet que vous connaissez, dont vous avez été informée, et qu'a notamment cité votre directeur de cabinet, à savoir la suppression d'une subvention à l'association SOS Racime, qui n'avait alors pas été citée en audition mais qui a été citée depuis par la presse. Il y a là plusieurs aspects qui sont étonnants et quelquefois un peu choquants.

Le premier, c'est que, le 21 mai a lieu le comité de sélection. Le 27 mai, il y a un mail d'un membre de votre cabinet au préfet Gravel qui dit : "j'ai soumis à la ministre votre note. On fait le point demain". La note en question est celle du comité de sélection intervenu quelques jours avant. Juste après, vous prenez la décision, selon votre directeur de cabinet, de supprimer une ligne budgétaire du comité de sélection, concernant SOS Racisme – à hauteur de 100 000 euros. On a parlé des problématiques intervenues avant le comité de sélection, de celles posées par le comité de sélection, j'ajoute qu'il y a encore des difficultés après ce comité. Comme il n'y a toujours pas de compte rendu, on se demande si le comité de sélection sélectionne. On ne sait plus vraiment, puisqu'à la sortie, vous validez.

En fait, quand vous validez le résultat du comité de sélection, vous influencez le résultat, et votre directeur de cabinet indique que c'est suite à des questions personnelles passées entre vous et l'association en question – ce n'est peut-être pas exactement son expression, mais c'est l'esprit. Est-ce que vous pouvez nous dire comment les choses se passent dans cette affaire-là ? Est-ce que votre directeur de cabinet a raison de présenter les choses ainsi ? Est-ce que vous dites que ce n'est pas le cas ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Monsieur le président, je vous remercie de me poser la question et de me permettre d'apporter des éléments de d'éclairage. Je veux être très claire : je n'ai pas supprimé de subvention à SOS Racisme. Je ne dis pas que c'est ce que vous avez dit, mais j'ai vu des réponses qui ont été apportées en ce sens, indiquant que mes décisions auraient mis en péril l'équilibre financier d'une association. Je rappelle qu'on est sur un appel à projets, qu'on ne parle pas de financement ni de fonctionnement pour les associations. Je n'enlève donc pas à SOS Racisme l'argent dont il bénéficierait chaque année.

M. Claude Raynal, président. - Vous n'en attribuez pas.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Vous refusez d'en attribuer.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je vais y revenir.

M. Claude Raynal, président. - En droit, vous avez raison. C'est un peu subtil comme réponse.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je pense que le droit l'emporte, d'une part et, d'autre part, au-delà du droit...

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Mais la réalité est aussi là : vous n'attribuez pas les 100 000 euros à une association qui avait été sélectionnée sur son projet.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Ne pas attribuer n'est pas la même chose que de supprimer. Je vais vous répondre en essayant d'être la plus factuelle possible, dans la mesure où, à titre personnel, je n'avais aucun souvenir du fait qu'il y ait eu des discussions sur SOS Racisme dans le cadre du Fonds Marianne.

Maintenant qu'on a rappelé ce sujet à mon attention, j'ai souvenir qu'il y a eu des échanges sur cette association. Je me base sur les faits et sur les échanges écrits que j'ai pu trouver pour rétablir une chronologie. Ce que je comprends aujourd'hui, c'est qu'il y a une liste établie par le comité de sélection du Fonds Marianne, avec des dossiers qui font l'unanimité du comité de sélection et certains qui sont entre guillemets "en liste complémentaire", c'est-à-dire pour débat.

Je comprends de ce qu'on me dit aujourd'hui que SOS Racisme fait partie de cette liste complémentaire, qu'il n'y a pas consensus au sein du comité de sélection mais qu'il y a divergence, certains considérant qu'il ne faut pas attribuer cette subvention et d'autres considérant au contraire qu'il faut l'attribuer.

M. Claude Raynal, président. - Ce n'est pas le compte rendu que nous avons du préfet.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je comprends bien que ce n'est pas la même chose, mais c'est la version que j'ai aujourd'hui et que je partage avec vous.

M. Claude Raynal, président. - Ce que vous avez, madame, vous le savez ! Vous n'oubliez pas tout de votre vie, quand même !

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je n'oublie pas tout de ma vie, mais en deux ans, j'ai eu à présider un certain nombre de réunions, à rendre un certain nombre d'arbitrages et, surtout, je ne peux pas me souvenir de réunions auxquelles je n'ai pas participé. L'IGA, vous-même ou peut-être même la justice établiront ce qu'il en est.

M. Claude Raynal, président. - Je ne suis pas sûr qu'on soit sur une question de justice dans ce cas précis.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Bien sûr, mais peu importe. J'essaie de partager avec vous les éléments que je recoupe. Le point m'est remonté par mon conseiller spécial, par un mail – c'est établi, je l'ai. Si vous ne l'avez pas, on peut vous la passer. Il me fait une note en disant : "voilà ce sur quoi nous sommes d'accord", et signale le dossier de SOS Racisme qui, manifestement, ne trouve pas de consensus. Il me demande de trancher, de rendre un arbitrage, de donner un avis favorable ou défavorable au projet.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je pense qu'ils sont en liste complémentaire avant la réunion du comité de sélection. À la sortie du comité de sélection, ils sont sélectionnés.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je ne sais pas, mais je vous crois volontiers.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je le dis, parce que, d'après les éléments qui nous ont été transmis, vous faites partie du comité de sélection, je vous le rappelle. Vous vous êtes fait représenter pour des raisons qui vous sont propres.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je n'en fais pas partie. Comme vous le disiez, le droit est important, la réalité aussi, et je ne suis pas dans le comité de sélection.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je n'ai pas dit que vous y aviez siégé : je dis simplement qu'il était prévu que vous soyez membre du comité de sélection.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - En tout cas, on me demande un arbitrage. On me demande un avis pour trancher un sujet qui, manifestement, d'après ce que j'en comprends en tout cas, ne fait pas consensus. Je donne cet avis, et il me semble que le ministre est fondé à donner un avis, favorable ou défavorable quand son administration ou son cabinet le lui demande.

Je ne rends pas mon avis tout de suite. Au regard de ce dont je dispose, je demande une note sur le projet, ce qui démontre bien que je ne rends pas un avis sur une personne. J'y reviendrai. Je demande une note sur le projet pour qu'on puisse voir de quoi il s'agit.

SOS Racisme, qui est par ailleurs une association tout à fait respectable, partenaire de l'État et de différents ministères aujourd'hui encore, propose une action en deux temps, l'une sur les réseaux sociaux, qui correspond à l'objet du Fonds Marianne, l'autre qui concerne, me semble-t-il, des activités sportives ou physiques dans certains quartiers. Or, cette proposition d'action qui vise 40 quartiers de reconquête républicaine (QRR) et non le champ national, contrairement à ce qui est demandé dans l'appel à projets, est une action qui est déjà menée et financée par des fonds du FIPD, par une autre organisation, qui s'appelle Raid' Aventure, qui fait exactement ce travail de cohésion, de prévention dans les QRR, par le biais d'activités sportives.

J'imagine donc que c'est cela qui m'amène, à ce moment-là, à considérer que l'activité ne concerne pas, pour une part importante, les réseaux sociaux et, de surcroît, est déjà couverte par une autre association. J'émets manifestement – même si je n'en ai pas le souvenir – un avis défavorable en disant que ce n'est pas, pour moi, un projet à retenir. C'est un avis que j'émets. Ensuite, le comité de sélection fait une liste, d'après les éléments dont je dispose, dans laquelle ne figure pas SOS Racisme.

Je veux répondre à un élément qui est fondamental sur ce sujet sur ce qu'a dit M. le préfet Jallet, qui est un homme en qui j'ai toute confiance, qui a été mon directeur de cabinet, à qui je referai confiance à l'avenir si j'étais amenée à devoir le faire, et qui est un grand préfet.

Mon ancien directeur de cabinet fait état de relations personnelles, et de désaccords personnels que j'aurai avec M. le président de SOS Racisme. On me prête beaucoup de relations personnelles, mais je n'ai pas de relations personnelles ni de désaccord personnel ancien ou récent avec M. le président de SOS Racisme, même si nous avons des désaccords !

M. Claude Raynal, président. - Reconnaissez qu'il y a quelque chose qui ne va pas. Vous nous racontez votre vision des choses. On vous entend, mais celle que l'on a n'est pas la même.

Vous dites : "Le préfet Jallet, j'ai parfaitement confiance en lui, mais il a dit des choses qui sont fausses". Globalement, c'est ce que vous dites.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je ne dis pas que ce sont des choses fausses, je dis que c'est de l'interprétation.

M. Claude Raynal, président. - Non, ce n'est pas une interprétation.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Elles sont donc inexactes.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je pense que c'est une interprétation de sa part, ou une incompréhension peut-être de ma part. Ce sont peut-être des choses que j'ai exprimées auprès de mon directeur de cabinet qui l'amènent à penser que j'ai une antériorité personnelle avec le président de SOS Racisme. Ce n'est pas le cas.

M. Claude Raynal, président. - La question est quand même beaucoup plus simple. Il y a un comité de sélection. À l'entrée du comité de sélection, il y a des dossiers qui ne posent pas de problème, et il y a une liste complémentaire. À la sortie du comité de sélection, il n'y a plus de liste complémentaire, c'est terminé. Il y a un choix qui a été fait par le comité de sélection. À ce moment-là – et on peut l'imaginer –, le préfet Jallet aurait dit : "attention, je fais une réserve sur un des dossiers du comité de sélection retenus parce que je souhaite le soumettre à la ministre".

Effectivement, la remarque qui est faite est une remarque de nature personnelle et pas une remarque de nature professionnelle. Vous dites que le préfet Jallet a une mauvaise compréhension du sujet.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - C'est peut-être de ma faute : j'ai pu être maladroite dans mon expression, c'est tout à fait possible.

M. Claude Raynal, président. - Enfin, tout de même...

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je vous ai rappelé les montants. Le 26 mai, une note de la chargée de mission est envoyée au cabinet – vous n'êtes pas très éloignée –, qui indique que le projet pour SOS Racisme est d'accorder 100 000 euros. Je rappelle que la demande initiale était de 140 000 euros. Le 1er juin, un membre de votre cabinet adresse un mail indiquant que, lors d'une réunion tenue le même jour, il a été décidé de retirer à SOS Racisme ces 100 000 euros et de verser – 100 000 euros moins 80 000 euros, on ne sait pas pourquoi – 20 000 euros au profit d'une autre association. Les faits, la matérialité des faits, c'est cela et uniquement cela.

M. Claude Raynal, président. - Vous voyez bien que cela met en difficulté votre position lorsque vous dites : "j'ai laissé travailler le comité de sélection". C'est vrai dans une certaine mesure, à part qu'il y a eu des choses qui ont été faites en amont, on l'a dit, des choses qui sont faites pendant le comité de sélection sur certaines associations qui sont jugées trop faibles, en tout cas ne répondant pas à l'exigence gouvernementale. Je vous ai dit que ce point-là pouvait être entendu.

Ensuite, après le comité de sélection, alors que la liste est établie, on vient retirer un montant de subvention à une association. Cela vient contredire d'une certaine façon l'idée que le comité de sélection sélectionne – ce qu'on pouvait entendre, parce que vous étiez déjà représentée par votre cabinet dans le comité de sélection – et que vous validez. Eh bien, non ! Vous n'avez pas validé l'avis du comité de sélection. Vous avez dit, sur une association : "cela ne me convient pas".

Est-ce que le préfet Jallet s'est trompé dans son interprétation ou est-ce qu'il faut retenir votre interprétation ? D'une certaine façon, n'étant pas là, ce n'est pas nous qui pouvons le dire, mais on note quelque chose de différent.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Pour être très claire, je ne dis pas que je n'ai pas donné d'avis sur SOS Racisme. J'ai manifestement donné un avis négatif sur le projet de SOS Racisme, avis qu'on m'a demandé. Là où je dis qu'il y a une différence d'interprétation, c'est sur les motifs.

M. Claude Raynal, président. - Logiquement, comme le comité de sélection avait déjà eu lieu et que vous vous rangiez à l'avis du comité de sélection, vous n'aviez pas à donner un avis sur les associations déjà sélectionnées.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - On me demande mon avis.

M. Claude Raynal, président. - Vous dites : "ce n'est pas mon rôle" !

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je ne m'immisce pas dans le comité de sélection. On vient requérir un arbitrage ministériel sur un sujet en particulier, et sur un seul. Je le répète, je ne prends pas part au comité de sélection, à aucun moment. Je n'y siège pas, et je ne donne pas de consignes.

La preuve en est, c'est que la question me remonte pour avis. Si j'avais donné des consignes, chacun aurait mes consignes en tête. Là, on me demande un arbitrage, favorable ou défavorable. Je donne un avis, et c'est à l'issue de cet avis que la décision est prise.

Cela se passe toujours ainsi : après la réunion du comité de sélection, il y a une liste et, dans cette liste, ne figure pas l'association SOS Racisme après étude du projet.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je pense que vous avez bien compris, nous avons donné la matérialité des faits, leur déroulement. Vous vous tenez à l'écart, mais vous gardez un regard et même une capacité de décider. Les choses sont finalement plus claires comme cela. C'est une manière de reconnaître que vous avez un pouvoir de décision, et tout en vous tenant à l'écart, vous êtes présente pour décider.

Vous avouez avoir un rôle et une capacité à décider et à trancher, mais c'est mieux de le dire que de tournicoter autour d'une décision en expliquant que vous y êtes, mais pas tout à fait. C'est logique, cela relève de votre responsabilité. Le comité de sélection comprend la moitié des membres de votre cabinet. On pourrait vous reprocher l'inverse si vous n'interveniez pas sur ce sujet.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Bien sûr, et ce sont deux choses différentes. Ce n'est pas que je tourne autour, c'est que je tiens à être précise.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je pense qu'on l'est aussi !

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je n'ai jamais dit que vous ne l'étiez pas. Je ne le dis pas par opposition à vous. Je ne me le permettrai pas.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Moi, je le dis !

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Vos questions sont précises, en effet. Je tâche de l'être aussi, sur la base des faits dont j'ai souvenir, ou pour lesquels je dispose d'éléments matériels. Je ne suis pas dans le comité de sélection, mais quand on demande un avis au ministre, le ministre le donne.

Là encore, s'il eut fallu procéder autrement et que, dans les recommandations ou préconisations que vous ferez, vous considérez que le ministre ne doit pas rendre un avis ou un arbitrage lorsque cela lui est demandé sur des subventions, c'est tout à fait entendable.

Mais à ce stade, je ne vais pas au comité de sélection. On me remonte les choses et on me demande un avis. Je demande qu'on regarde le projet, et je donne un avis. Ensuite, le comité établit une liste finale, et je rappelle que seul le CIPDR est fondé à mettre les crédits en paiement ou à attribuer in fine les subventions, ce qu'il fait.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Le CIPDR est dans le périmètre de votre ministère. Vous avez la signature. C'est donc le ministre ou la ministre qui décide.

Je veux revenir sur les dossiers de demandes de subventions qui ont été déposés préalablement à l'appel à projets. Certains ont été validés lors du comité de programmation du 13 avril. Ensuite, certains d'entre eux ont été basculés dans le Fonds Marianne, dont je rappelle qu'il est mis en place officiellement le 20 avril. Au final, est-ce que ce n'est pas d'une certaine manière contraire à l'esprit qui préside à la création du Fonds Marianne, dont l'objectif est de faire émerger de nouveaux projets pour lutter contre toutes les formes de séparatismes, notamment par la voie digitale et numérique ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je vous prie de m'excuser, monsieur le rapporteur, je ne comprends pas le sens de votre question.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Vous avez des dossiers qui sont validés dans le comité de programmation du 13 avril. Cela veut dire que c'était plutôt du gré à gré. C'est ce que vous avez expliqué. Le 20 avril, vous lancez le Fonds Marianne et, par une analyse très aboutie, certains des dossiers qui avaient été retenus dans le comité de programmation du 13 avril basculent ensuite dans le Fonds Marianne.

L'esprit du Fonds Marianne est de faire autrement, d'identifier des acteurs associatifs sur des actions nouvelles. C'est la raison pour laquelle je vous disais que le bilan est en demi-teinte. On a l'impression qu'il y a du rattrapage.

Cela manque de lisibilité et de force dans le projet, me semble-t-il, non ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Votre question est de savoir si je trouve que cela manque de lisibilité dans le process, c'est cela ?

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Si cela ne nuit pas à la lisibilité et au respect de l'esprit...

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je ne suis pas présente aux réunions qui décident de passer telle association d'un financement habituel à un appel à projets ou qui leur proposent de le faire.

Néanmoins, aujourd'hui, je ne suis pas choquée par le fait qu'on ait des acteurs avec lesquels on travaille habituellement et qu'on flèche sur l'appel à projets, si c'est la question.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - D'accord. Je vous ai sentie parfois beaucoup plus motivée et convaincue.

Je pense qu'il y a un problème de ligne directrice. Vous avez un sujet avec le secteur associatif, qui n'est pas forcément facile à mettre en action. On a compris la complexité du label de l'État, qui a des difficultés à communiquer et à pénétrer ces milieux, qui ne sont pas conformes à l'esprit des valeurs de la République mais, entre tout cela, pour moi, on sent du cafouillage, du mélange des genres.

J'essaye de suivre votre parcours, mais je vous avoue que j'ai parfois du mal, entre vous, le cabinet, le CIPDR, les anciens fonctionnaires qui sont entrés dans votre cabinet, le processus se déroulant avec le Fonds Marianne, officiellement annoncé le 20 avril, terminé le 10 mai. Le comité de sélection sélectionne, la ministre qui dit de se tenir à l'écart mais qui rend des décisions pour revenir sur au moins une décision du comité de sélection.

Je voudrais juste savoir si c'est une procédure habituelle ou si c'était un cas unique par rapport à votre expérience.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je trouve que chacun est en réalité dans son rôle. Le ministre impulse la politique publique, la représente, la défend, en est le garant, en rend compte – ce que je fais aujourd'hui devant vous et que je fais à d'autres occasions.

L'administration met ensuite en œuvre, suit, administre. Le fait qu'il y ait des membres de cabinets qui soient antérieurement membres de l'administration, c'est très classique. Il y a aujourd'hui dans l'administration beaucoup d'anciens membres de cabinets. Ce sont des trajectoires de carrière classiques.

M. Claude Raynal, président. - Quelle est votre implication dans le suivi de la réalisation des projets par les différentes associations ? Est-ce que vous avez rencontré certaines d'entre elles pour vous tenir informée ou pas du tout ? Est-ce que vous considérez que c'était à l'administration de suivre et non à vous ? Avez-vous revu M. Sifaoui dans la phase discutée aujourd'hui sur la réalisation ? Est-ce que vous avez eu des remontées des difficultés rencontrées avec certaines associations durant la période où vous étiez au ministère ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je n'ai aucune remontée de difficultés d'associations d'aucune sorte jusqu'à l'article du journal Marianne. Avant cela, pendant toute la durée où je suis ministre, c'est-à-dire jusqu'en mai 2022, à aucun moment on ne fait état de difficultés rencontrées avec les associations.

Le ministre n'est pas en charge du contrôle des associations. Il y a un contrôle qui est manifestement effectué. C'est ce qu'établissent les différentes déclarations des uns et des autres, mais ce n'est pas le ministre qui procède à ce contrôle, et il ne m'est fait aucune remontée d'aucune difficulté de mise en œuvre avec ces associations.

M. Claude Raynal, président. - Oui, en droit, ce que vous dites est possible, et si vous le dites sous serment, c'est vrai. Mais ce qui est étonnant, là où on a du mal, c'est que ce n'est pas une opération comme les autres. C'est bien pour cela d'ailleurs qu'il y a un débat national là-dessus, c'est bien pour cela qu'il y a des gens qui s'intéressent à ce sujet, qui s'interrogent.

Lorsque vous subventionnez par exemple des associations dans le cadre du Fonds de prévention de la délinquance, il n'y a pas derrière de connotation, il n'y a pas de sujet. Sur le Fonds Marianne, pour dire les choses autrement, vous aviez déjà des dépenses qui concernaient le sujet. Vous auriez pu dire : "j'augmente les budgets. J'ai demandé à mon administration de mettre plus d'argent sur ces moyens liés à la réponse sur les réseaux sociaux". Vous auriez pu présenter les choses de cette façon et c'était un des éléments de votre plan. Cela n'aurait soulevé aucune question.

Mais vous allez sur les plateaux télé, vous faites des interviews sur le Fonds Marianne. Vous faites le lien entre ce qui s'est passé en octobre 2020 et le Fonds Marianne. Du coup, vous connotez votre action. Cela devient une action qui, socialement, a du sens, qui répond à des angoisses des Français. Quand même, ce qui s'est passé n'est pas rien ! Vous faites une réponse politique, argumentée, en mettant en place ce Fonds Marianne.

Ne vous étonnez pas après que tout le monde s'intéresse à ce qu'est devenu le Fonds Marianne, parce que ce n'est pas une subvention du FIPDR. C'est une subvention fléchée qui est présentée comme la création d'un fonds, et qui est liée à une histoire. Vous avez fait naître une idée, un concept, une réponse politique et, derrière, vous nous dites : "je ne la suis pas". C'est ce que vous venez de nous répondre. C'est grave ! Vous nous dites : "c'est l'administration". L'administration est chargée de regarder que, financièrement les choses se passent bien. Ce n'est pas votre problème, mais le contenu, les éléments, savoir si cela sert à quelque chose, c'est vous ! Vous l'avez dit vous-même : vous portez les politiques publiques.

Si on regarde ce que vous avez porté comme politique publique à ce moment-là, pas pour des questions de montant mais pour des questions de contenus, c'est le Fonds Marianne qui est votre action symbolique. Il n'y a rien de pire que le symbole. Quand on est sur des actions symboliques, il faut qu'elles marchent "du feu de Dieu". Il faut que cela fonctionne de A à Z et que vous ayez un regard attentif.

Vous avez devant vous des gens qui ont été élus locaux. Ils savent que le sujet sur lequel ils sont pris, ce n'est pas le sujet qui fait la moitié de leur budget. C'est quelquefois une bricole. On va dire : "pourquoi vous avez financé tel truc, avec telle association ? Dites-nous à quoi cela sert". C'est toujours sur les détails. Là, vous nous faites une réponse technique et, j'oserais dire, madame la ministre, qui manque un peu de cœur. Vous n'avez pas suivi cette affaire, et c'est presque pire que cela quand on va vers la suite.

Au moment de la transmission à votre successeur, personne n'est au courant du sujet ! Fabuleux ! Il n'est même pas dans le "dossier ministre", nous a-t-on dit. Du début à la fin, on a l'impression que c'est lancé et, une fois que c'est lancé, tout le reste ne vous concerne pas. J'aimerais que vous répondiez à cela. C'est extrêmement dérangeant.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je vais tâcher de vous répondre et de changer votre impression, même si c'est par nature subjectif. L'impression que vous avez du cœur que j'y mets, ou de la tonalité que j'utilise pour vous répondre est, par nature, la vôtre et parfaitement légitime.

Je veux commencer par dire que je ne me suis à aucun moment étonnée qu'on s'intéresse à l'utilisation des crédits du Fonds Marianne. Non seulement je ne m'en suis pas étonnée ou offusquée mais, plus que cela, dès le premier contact avec un journaliste d'investigation du journal Marianne sur ce sujet, – je ne suis plus membre du Gouvernement, quand je lui réponds –, et je lui dis qu'à ma connaissance, ce sont des demandes d'information légitimes, et que le ministère est fondé à lui apporter les réponses.

D'ailleurs, à ce moment-là, je le dis pour répondre à votre interpellation, la journaliste nous dit qu'elle veut la liste des bénéficiaires du Fonds Marianne, et je lui réponds qu'il faut que le ministère la lui donne parce que, à mon sens, ce n'est pas confidentiel. C'est le fait qu'il y ait un délai pour répondre qui amène à dire qu'il y a une opacité.

Je ne suis non seulement pas choquée qu'on s'intéresse à l'organisation du Fonds Marianne, mais j'en suis demandeuse. Je suis choquée quand je vois à quel point des missions qui ont été confiées, des attentes fortes qui ont été portées en toute confiance vis-à-vis de certains partenaires n'ont en réalité pas donné lieu à des actions concrètes derrière, tel que l'établit le rapport de l'IGA.

Bien sûr, cela me choque. Bien sûr, je me sens flouée quand je découvre cela dans la presse d'investigation, à un moment où je ne suis plus membre du Gouvernement !

Ne pas faire les contrôles, ne signifie pas – pardon si je me suis mal exprimée – que je ne me sois pas intéressée à cette politique publique. Pour répondre le plus factuellement, rationnellement et matériellement possible aux questions qui me sont posées depuis ce matin sur ce sujet, j'essaie de vous apporter des éléments matériels. Non, je n'ai pas suivi l'utilisation des crédits ni contrôlé les associations, puisque ce n'était pas le rôle du ministre. Cela ne veut pas dire que je m'en désintéresse.

Il est vrai et juste de dire que j'ai beaucoup communiqué sur le Fonds Marianne. Je ne pense pas faux de dire que je communique beaucoup sur toutes les politiques publiques que je porte. On peut trouver que c'est bien ou que c'est mal, mais c'est ainsi.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Comment expliquez-vous, madame la ministre, l'absence de communication, ou quasiment, une fois faite l'annonce de la création du Fonds Marianne ?

M. Claude Raynal, président. - Jusqu'à votre départ...

M. Jean-François Husson, rapporteur. - La mise en œuvre, les choix... Le projet avance et le Gouvernement, par ce choix de lien avec le monde associatif, affirme une volonté et la traduit concrètement.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Tout d'abord, je voudrais poursuivre les réponses à monsieur le président, si vous me le permettez, parce qu'il y a deux sujets sur lesquels je souhaite pouvoir apporter des réponses.

Vous me dites qu'on aurait par ailleurs pu renforcer les moyens en termes de réponse à l'attentat terrible qui s'est produit en octobre 2020. Je veux dire que les moyens ont été renforcés. J'évoquais les moyens humains de Pharos, les moyens humains de l'UCDR...

M. Claude Raynal, président. - Je ne crois pas avoir dit cela.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Il me semble, sauf si j'ai mal compris, que vous avez dit qu'en réponse, je créais le Fonds Marianne alors que j'aurais pu augmenter les moyens.

M. Claude Raynal, président. - Vous auriez pu le faire de manière plus discrète, si je puis dire, et simplement dire, en termes d'interviews ou de communication : "il y a des fonds qui sont déjà dédiés à ces opérations, on va les pousser, les augmenter, et en rester là", sans créer même le nom de Marianne. À ce moment-là, c'était une opération plus discrète, et je pense que cela aurait sans doute été une meilleure solution.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Cela se défend parfaitement, j'entends bien.

M. Claude Raynal, président. - Je sais d'ailleurs qu'a été débattue au sein du Gouvernement et dans vos services la question de savoir s'il fallait simplement pousser le curseur ou créer une image.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Absolument.

M. Claude Raynal, président. - Dès l'instant où on crée une image, comment la fait-on vivre ? Elle est lourde, cette image. C'est l'événement de référence qui est lourd. C'est pour cela que je reviens sur cette question qui peut paraître morale, d'une certaine façon.

Quand je lis aujourd'hui que la famille Paty refuse de lier son nom au Fonds Marianne du fait des discussions en cours, cela me fait mal. Cela veut dire qu'à un moment donné, il y a eu un abandon du lien relationnel – et c'est majeur dans la vie !

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - D'abord, la décision de lancer une action de contre-discours fait écho à l'attentat de 2020 mais n'en procède pas. Je serai très brève là-dessus : le terroriste Anzorov, qui a commis le terrible attentat contre le professeur Samuel Paty, se serait radicalisé en ligne, selon les enquêteurs, en consultant des réseaux sociaux. C'est pourquoi cela a fait écho à cette action, illustrant dramatiquement les alertes que les services portent et la nécessité d'accélérer et d'avancer sur ce sujet.

M. Claude Raynal, président. - On est d'accord, mais dans vos interviews, vous avez fait directement le lien.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Bien sûr, parce que c'est mis en regard, et c'est hélas l'illustration de ce que Gilles Kepel appelle le "djihadisme d'atmosphère", qui vient, de façon terrible et dramatique, d'être illustré. Le discours des Mureaux du Président de la République précède cela. C'est donc un sujet qui est déjà identifié pour nous, et des travaux sont lancés sur ce sujet à ce moment-là.

En ce qui concerne le "dossier ministre", vous avez parfaitement raison : le Fonds Marianne, d'après les éléments que j'ai, n'y figure pas. Je tiens à dire que ce n'est pas le ministre qui fait le "dossier ministre" pour le nouveau ministre qui arrive. C'est important...

M. Claude Raynal, président. - On est d'accord, mais cela montre quelque chose de l'importance des choses, et l'importance des choses, vous l'avez dit, c'est vous qui l'impulsez, c'est votre responsabilité politique d'impulser des sujets.

Il y a des sujets qui vous tiennent à cœur. Ce n'est pas la première fois que vous intervenez sur la laïcité, cela fait des années. Il n'y a pas de doute sur votre crédibilité sur ce point, mais on crée le Fonds Marianne, et il n'y a pas de suivi. Vous nous dites que, pendant la période où vous êtes ministre, vous n'en parlez pas, vous ne vous en occupez pas.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Non, ce n'est pas ce que j'ai dit !

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Si, madame la ministre.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je n'ai pas dit : "je ne m'occupe pas du Fonds Marianne".

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Vous l'avez suivi de loin parce que vous laissez faire l'administration.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Si je peux répondre...

M. Claude Raynal, président. - Vous avez répondu cela.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Mais il y a d'autres interpellations auxquelles je n'ai pas eu l'occasion de répondre. Je peux rester très longtemps si vous le voulez.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je veux bien, mais on ne peut pas avoir trop de longueurs. L'audition touche à sa fin, soyez respectueuse du temps de réponse...

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je conçois que ce ne soit pas la réponse que vous attendiez mais, dans l'interpellation qui m'est faite...

M. Claude Raynal, président. - On n'attend rien, madame le ministre. On vous écoute avec intérêt.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Comme je vous l'ai dit, je prends toute ma responsabilité, et rien que ma responsabilité. Quand ma successeure est nommée, je ne suis plus au Gouvernement. J'ai d'autres activités ailleurs. Je ne suis plus fondée à donner des consignes à l'administration.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - On va faire la synthèse des questions parce que, quand je vous ai posé une question, vous êtes revenue sur la question précédente. On va éviter les longueurs. Il y a eu une annonce forte, puissante en matière de communication, et après plus rien.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - On ne peut pas dire qu'il n'y avait plus rien. Il y a matérialité dans les échanges de mails entre mon cabinet et moi-même et des notes dans lesquelles nous voulons relancer le Fonds Marianne. Il y a une note suite à ma demande et après discussion avec le cabinet et l'administration sur ce sujet. L'un de mes conseillers prépare un futur appel à projets sur le Fonds Marianne pour l'année qui suit. Nous entendons donc poursuivre cette politique publique.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - D'accord mais vous conviendrez – et vous ne m'avez pas démenti – qu'il n'y a pas de communication particulière après le lancement. Il y a l'annonce du Fonds Marianne, il y a la sélection, le projet vit sa vie. Il n'y a plus de communication. Il ne bénéficie plus du même portage ni surtout du même écho médiatique, puisque l'annonce du Fonds Marianne aux médias, vous l'avez d'ailleurs expliqué, est une ambition politique, un combat que vous menez contre les discours séparatistes, en lien avec le numérique et le secteur associatif.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Pour être très rapide dans ma réponse, monsieur le rapporteur, en deux points...

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Vous l'avez déjà été !

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je vais essayer d'être encore plus rapide. Tout d'abord, ce n'est pas parce qu'il n'y a pas de communication qu'il n'y a pas de suivi.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Ce n'est pas ce que j'ai dit !

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Je ne me désintéresse pas du sujet. Il y a des points d'étape que je demande. Je ne suis pas les subventions, mais je suis le dossier du Fonds Marianne. Première chose.

Deuxième chose : je ne l'apprends à personne, quand un ministre fait des annonces qui sont susceptibles de générer des dépêches et des reprises, cela intéresse les différents médias, mais quand on veut communiquer sur des bilans, c'est jugé beaucoup moins intéressant, et c'est plus difficile de surcroît quand les porteurs de projets ne souhaitent pas apparaître pour des raisons de sécurité, parce que certains d'entre eux disent qu'ils sont menacés.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Cela ne nous a pas échappé, mais entre certains et rien du tout... Le fait est qu'il n'y ait même pas de bilan sur un sujet comme celui-ci.

Je m'inscris parfaitement dans les propos de Claude Raynal sur la gravité de l'acte et la solennité de la République, incarnée notamment lors de la réunion à La Sorbonne pour manifester l'unité républicaine. Après le Fonds Marianne, tout cela a perdu beaucoup de consistance. C'est tout.

On arrive à la fin. Vous venez d'évoquer les conditions dans lesquelles l'appel à projets s'était organisé et déroulé, les sélections, les validations. De quelle manière procéderiez-vous si vous deviez à nouveau mener un appel à projet ? Peut-être donnera-t-on des orientations mais, à ce stade, étant toujours en responsabilité du monde associatif, quel est votre regard ? Qu'avez-vous à nous dire à cet instant ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - D'abord, vous l'avez dit, il est effectivement nécessaire de rappeler le contexte, et vous l'avez fait. Je n'y reviens pas.

Il y a évidemment des choses qu'on aurait pu faire différemment, alors qu'on en arrive aujourd'hui à missionner l'IGA et que vous avez vous-mêmes lancé une commission d'enquête en vous saisissant des prérogatives de contrôle de l'action du Gouvernement par le Parlement parfaitement légitimement et utilement. C'est donc qu'il y a eu des dysfonctionnements dans l'organisation ou la gestion du Fonds Marianne.

Je veux être à ce stade prudente pour ne pas émettre des sentiments ou des impressions, mais je pense qu'il est effectivement nécessaire d'avoir, peut-être par écrit, un certain nombre de règles sur la manière dont les subventions peuvent être attribuées. Il existe déjà des écrits, mais peut-être est-il nécessaire de les préciser, notamment quant à l'organisation des comités de sélection, à l'organisation du suivi et aux mesures qu'il est possible de mettre en place par l'administration en matière de contrôle vis-à-vis des organisations qui sont subventionnées.

Ceci étant, avec ma casquette actuelle de secrétaire d'État chargée de la vie associative, et si je m'extrais du sujet du Fonds Marianne, je dirais que c'est une ligne de crête, parce que la question de la liberté associative me semble fondamentale.

Une des associations que vous avez auditionnées, qui a mis en place des vidéos contestables, contestées et que je conteste moi-même, s'en prend à des responsables politiques – Mme la maire de Paris, mais pas uniquement : le porte-parole du Gouvernement, le ministre de l'intérieur, moi-même, le Président de la République, etc.. Elle invoque, me semble-t-il, cette liberté associative dans les contenus. Il y a là une ligne rouge parce qu'on est sur des contenus politiciens, mais où doit-on placer cette limite ?

L'administration et même le ministre sont-ils fondés à aller dans le contrôle des productions d'une association ? C'est une vraie question, ce n'est pas une question rhétorique. C'est pour cela que je suis sincèrement très preneuse des retours, préconisations et instructions que vous donnerez à l'issue de cette commission.

M. Jean-Michel Arnaud. - Vous avez indiqué, en cours d'audition aujourd'hui, sur la demande de l'USEPPM : "je n'ai passé aucune commande de faire passer le dossier".

Vous avez ensuite indiqué, lors d'un communiqué de presse, le 7 avril 2023, que sur toutes les candidatures reçues dans le cadre de l'appel à projets du Fonds Marianne, dix-sept ont été retenues par un comité de sélection, dont "le choix s'est fait via l'administration" – je vous cite – "à la manœuvre dans le respect de toutes les procédures".

Enfin, cela a été rappelé par le président, le préfet Jallet a confirmé "un arbitrage défavorable de la ministre concernant l'association SOS Racisme".

Je comprends la difficulté du sujet et vos explications. Ceci étant dit, les faits sont là, et il y a des contradictions majeures dont notre commission a révélé les circonstances.

S'il y a une un point sur lequel j'attends des mots de votre part, c'est sur le fait d'assumer votre responsabilité. Il y a eu manifestement des difficultés de gestion dans ce dossier, des imprécisions dans la méthodologie et des implications à divers degrés, y compris politiques. Il serait bon que ce soit dit clairement, ne serait-ce que par respect pour la famille de Samuel Paty et pour la cause que nous défendons tous ici, qui est la défense des valeurs de la République, quel que soit le banc où nous siégeons.

M. Daniel Breuiller. - L'assassinat de Samuel Paty nous a tous bouleversés, parce que la République et ses valeurs sont notre bien commun. J'ai entendu vos propos sur la différence entre le rôle d'un ministre et le rôle d'un cabinet ou d'une administration, et je les comprends.

Je ne comprends toutefois pas qu'un ministre ne cherche pas à entraîner la totalité de la société française dans un combat aussi symbolique. Il y a une incohérence dans le fait que vous décidiez de ne pas attribuer de subvention à SOS Racisme et validiez des associations dont la fragilité est avérée, voire qui sont créées pour cela.

Pour le coup, c'est le rôle d'une ministre, je pense, que d'entraîner tout le monde, et je ne comprends pas ce choix.

M. Thierry Cozic. - Depuis le début de l'audition, vous avez fait état du fait que vous n'avez pas ou peu participé au processus de sélection des associations. Par contre, j'ai noté dans vos réponses un certain nombre de contradictions. Lorsque vous dites que 300 000 euros, c'est trop – et je crois que vous l'avez écrit –, c'est que, factuellement, vous participez à la décision. Idem pour l'arbitrage sur la subvention de 100 000 euros pour SOS Racisme.

Dans la sélection des associations, la transparence et la délibération sont des piliers, me semble-t-il, au cœur de votre fonction, à la fois en tant que membre du Gouvernement luttant contre la défiance institutionnelle et en tant qu'ancienne ministre déléguée à la citoyenneté.

Cependant, et ce sera peut-être une forme de conclusion, comment pouvez-vous ne pas vous interroger et être alertée par l'absence de critères explicites de sélection des associations par votre cabinet ? J'ai le sentiment qu'aujourd'hui, on est dans un processus qui s'apparente à une véritable chimère. J'aurais souhaité avoir votre sentiment.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je souhaite vous faire deux ou trois observations qui se traduisent en questions.

Un certain nombre de questions, me semble-t-il, même après votre audition, restent en suspens. Vous êtes à l'initiative, dans les conditions qu'on a évoquées, de la création de ce Fonds. Vous avez été responsable de la mise en œuvre des projets. Est-ce que, à ce stade, vous pensez que le projet devenu Fonds Marianne a rempli pleinement ses objectifs ? Est-ce que vous pensez qu'il a été à la hauteur des ambitions fortes affichées et affirmées par le Gouvernement, je le rappelle, dans un contexte inédit et particulièrement grave ?

Est-ce que vous considérez que les procédures ont bien été respectées, qu'elles sont en tous points conformes à une gestion saine et rigoureuse des fonds publics ?

Est-ce que vous pensez que le Fonds Marianne a bien été utile dans l'expérience nouvelle de liens portés par les associations, soutenues par le Gouvernement, pour lutter contre les discours séparatistes ?

Permettez-moi, madame la ministre, une question plus personnelle, parce que j'ai le sentiment, au long de cette audition, que vous vous êtes mise en quelque sorte en porte-à-faux par rapport au projet du Fonds Marianne. Vous avez passé beaucoup de temps, à travers de nombreuses réponses, à expliquer que vous vous étiez tenue à distance. Avant la création du Fonds, vous n'avez pas d'amis – j'ai compris que c'était une réponse à la presse, pour le dire simplement. Au moment de la création du Fonds, vous le validez, puis vous vous tenez à nouveau à distance. Vous ne vous y intéressez pas.

Vous reconnaissez qu'il y a quand même eu une intervention défavorable vis-à-vis de SOS Racisme. Ensuite, il y a plus de communication. Est-ce que je me trompe ? Aurais-je mal compris ?

M. Claude Raynal, président. - Si l'on reprend les choses, on voit que nos travaux ont montré qu'il y avait eu des contacts, en amont de la création du fonds, avec différents acteurs. L'appel à projets n'a pas consisté à susciter des candidatures mais, en amont, à préparer certaines candidatures. C'est d'ailleurs ce qui rend la notion d'inéquitable tout à fait juste dans l'appréciation de l'IGA.

Des associations ont donc été sélectionnées, quelquefois avant l'ouverture de l'appel à projets, sans prendre de précautions minimales, qu'on demande toujours à une association, et encore plus quand il s'agit d'une subvention de nature exceptionnelle. Une somme de 300 000 euros à 350 000 euros, c'est exceptionnel dans ce milieu, et cela suppose des garanties.

Les procédures de sélection ont été à géométrie variable, c'est le moins qu'on puisse dire – c'est une manière délicate de dire les choses –, en fonction des acteurs. L'IGA dit des choses tout à fait claires.

Des décisions ont été prises ou modifiées en aval du comité de sélection, y compris directement par vous, madame la ministre, sous réserve de vos appréciations bien entendu. Cela nous a été confirmé par votre directeur de cabinet, nous l'avons dit.

Un appel à projets s'est fait sans grille d'analyse, sans objectivation des candidatures. Est-ce que vous ne pensez pas que la politique de lutte contre les discours séparatistes méritait un peu mieux ?

Ne pensez-vous pas qu'une action qui entendait répondre à un assassinat horrible perpétré en octobre 2020 méritait une mise en œuvre, une attention, un suivi précis, sérieux, continu ?

Au-delà des responsabilités d'un secrétaire général, qui sont pointées par l'IGA, et d'un cabinet, continuez-vous vraiment à rejeter toute responsabilité dans ce fiasco ? Il a fallu que je vous interroge sur ce point précis pour que vous reconnaissiez un bout de responsabilité.

Je parle de fiasco parce qu'il concerne l'action de deux associations qui ont été encouragées, montées spécifiquement pour cela, alors que d'autres travaillaient déjà avec le secrétariat général. Tout ce qui a été tenté en termes "innovants" s'est un peu cassé la figure. C'est dû à la vitesse, sans doute, à l'impréparation, sûrement, à la volonté de communiquer rapidement. C'est presque une maladie gouvernementale. Je ne parle pas de ce Gouvernement, mais de manière générale : un événement, une réponse, une communication, c'est vieux comme la politique. C'est ancien comme méthode de faire, mais est-ce aujourd'hui pertinent ?

Ces nouveaux acteurs n'ont pas été encadrés et sont aujourd'hui finalement mis en cause par ceux-là mêmes qui les ont créés, d'une certaine façon. C'est quand même dur ! Un article 40 pour l'une, une demande de remboursement pour la deuxième. Sur quelle base ? On ne sait pas trop. C'est quand même le signe d'une grande difficulté.

Je l'ai dit, vous auriez pu vous contenter d'amener les associations déjà connues sur le terrain à s'intéresser à votre projet et à le développer. Je pense que le résultat aurait sans doute été meilleur.

J'en reviens à votre propos introductif. Vous avez dit : "je salue le travail de la majorité des associations, qui font un bon boulot et qui travaillent bien dans ce domaine". Je partage votre avis. Nous en avons croisé quelques-unes. Elles nous ont toutes envoyé leur production, de manière à ce qu'on puisse regarder concrètement les choses. Il y a des productions et des projets associatifs tout à fait intéressants mais, en pratiquant ainsi, par cet appel à projets mal géré, mal suivi, et à cause de lui, j'ai l'impression que vous avez surtout fragilisé cette chaîne d'acteurs qui travaillent à dénoncer des discours séparatistes depuis des années, en le faisant souvent sous l'angle de l'explication, du travail consciencieux sur le terrain, en faisant avancer des idées, en luttant contre les discours séparatistes, ce qu'elles font fort bien.

Est-ce que vous avez conscience que cette opération de Fonds Marianne fragilise terriblement cette chaîne de compétences associative, qui a mis du temps à se mettre en place et qui est une base extrêmement forte ?

Comme notre collègue le disait, il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain. Vous avez repris cette expression, je la reprends à mon compte également mais, malheureusement, le mal est fait, même si on espère que, le temps passant, on puisse remonter les choses.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - D'abord, pour vous répondre globalement, je redis ce que j'ai dit depuis le début sur ce sujet : je prends absolument toute la responsabilité qui est la mienne, c'est-à-dire la responsabilité politique. Je ne m'en suis jamais dédouanée. J'ai toujours assumé les décisions, les lignes politiques, les commandes politiques passées. Je l'ai dit à de nombreuses reprises.

Pour citer les grands auteurs, "un chef, c'est fait pour cheffer". J'endosse donc la responsabilité de mes décisions, mais aussi celle de mon directeur de cabinet, qui a délégation de ma signature, avec qui j'ai travaillé en parfaite symbiose et en confiance dans les décisions qu'il a pu prendre en mon nom. Il y était fondé.

J'ai dit aussi que je prenais toute ma responsabilité et rien que ma responsabilité. Je ne crois pas, je le redis rapidement, qu'on puisse imputer à un dirigeant public ou un responsable politique la malversation interne d'une structure à laquelle il fait confiance, quand il n'a pas de raison à ce moment-là de ne pas le faire.

Je répète que, sur l'attribution des subventions, je n'avais pas d'implication personnelle et que je n'ai pas soutenu de dossiers en particulier. Je le redis très clairement. Je n'ai pas pris de décision de soutien à un dossier pour quelques raisons personnelles que ce soit. J'ai en revanche rendu un avis quand on est venu le solliciter.

Sur la question du suivi, il y a des communications qui sont adressées, des bilans en conseil des ministres, notamment en février dernier. Il y a un suivi étroit de ce dossier. Ne pas aller dans l'ingénierie du suivi des subventions et ne pas contrôler personnellement le travail mené par les associations ne signifie pas qu'il n'y ait pas de suivi du projet.

Tous les mois, j'ai rendu compte de la lutte contre le séparatisme et vous avez eu, monsieur le président, la gentillesse de le rappeler : c'est un sujet qui me tient à cœur de longue date, avant même d'être chargée de la question de la citoyenneté. C'est un sujet qui, pour moi, est intrinsèquement lié à la question de la liberté des femmes et de la protection des femmes. On voit trop souvent, dans trop d'actualité dans le monde, à quel point les femmes sont les premières victimes de cette idéologie séparatiste et islamiste qui menace encore notre sol à l'heure où nous sommes en train de parler.

Il a été fait mention – et j'en avais fait moi-même mention – de l'attentat odieux commis contre le professeur Samuel Paty. J'en garderai toute ma vie le souvenir. C'est moi qui ai ouvert la Cellule interministérielle de crise (CIC). Je suis allée avec le Président de la République et le ministre de l'intérieur sur place. Tous ceux qui ont été en responsabilité, quel que soit leur degré de responsabilité au moment d'attentats terroristes, n'oublieront jamais ce qu'ils ont vu, senti et entendu sur place, quand ils s'y sont rendus. Bien évidemment, et comme chacun ici, je trouve que c'est une lutte prioritaire et qui doit continuer à être menée.

Dans les réponses que j'ai pu apporter, j'ai insisté sur le rôle que j'avais ou que je n'avais pas, parce que ce sont des réponses aux questions, mais aussi parce que j'ai pu être mise en cause à tort, par voie de presse, à propos de faits que vous n'avez pas rapporté ici. Je distingue bien sûr les deux. Je n'ai pas voulu répondre à la presse par l'intermédiaire de la commission, mais j'ai voulu être factuelle et claire pour vous donner tous les éléments sur ces sujets.

Je veux redire, parce qu'on est passé rapidement sur ce sujet, que je n'ai pas non plus financé de contenu politique en période électorale – la question n'a pas été posée ici –, contrairement à ce qui a été écrit dans la presse à un moment. Il est aujourd'hui démontré que c'est faux, et d'autres articles sont venus l'infirmer. Je le dis après avoir été successivement accusée d'un peu tout et son contraire dans la presse, y compris de délits, et alors qu'il est démontré semaine après semaine que ce n'est pas du tout la question qui est posée. Ce n'est pas la même chose de se demander si un appel à projets est assez long et assez bien ficelé ou s'il y a délit. Ce sont des choses différentes.

Il a été indiqué qu'il restait des questions en suspens. C'est juste. Je suis moi-même très preneuse des réponses à ces questions. Je ne suis pas omnisciente. Il y a votre commission d'enquête. Il y a un deuxième rapport de l'IGA qui doit être rendu. Il y a une instruction du PNF ouverte sur une association en particulier.

Eu égard à la séparation des pouvoirs, je ne suis pas fondée à commenter cette instruction, qui relève exclusivement de la justice pour une affaire en cours, mais je veux dire, et ce sera ma conclusion, qu'il y a eu cinq mois de travail pour aboutir au Fonds Marianne, que l'impulsion politique qui est donnée est par nature contestable. Nous sommes en démocratie. Elle peut l'être, elle l'est et a parfaitement le droit de l'être. La méthode, au-delà de l'impulsion, peut parfaitement être remise en cause, améliorée et clarifiée. Elle le sera, je n'en doute pas.

Personnellement, quelles que soient les responsabilités que j'ai ou que j'aurai ou non à occuper dans l'avenir, je mettrai en œuvre les recommandations qui seront indiquées en matière de liens sur la question des subventions.

En conclusion, je veux très simplement redire – d'autres l'ont dit et je l'avais fait également précédemment – le soutien que j'apporte à toutes les personnes qui sont aujourd'hui des combattantes et des combattants de la lutte contre l'islamisme radical en France et dans le monde. Toute personne qui prend la parole publiquement pour contredire et pourfendre l'idéologie de l'islamisme le fait au péril de sa vie, et on voit bien aujourd'hui à quel point des lauréats du Fonds Marianne, qui ont mené une action remarquable et avaient parfois une antériorité d'actions bénévoles pendant des années pour apporter un discours face à la radicalisation des jeunes le font sous le coup de menaces pour eux et pour leurs proches, d'insultes permanentes, de cyberharcèlement. Je tiens ici à leur apporter très clairement et très fermement mon soutien le plus absolu et le plus inconditionnel.

M. Claude Raynal, président. - Merci, madame la ministre.


Source https://www.senat.fr, le 27 juin 2023