Texte intégral
NICOLAS DEMORAND
Avec Léa SALAME nous recevons ce matin le ministre de la Justice dans " Le Grand entretien " du 7/10, questions-réactions amis auditeurs, amies auditrices, au 01 45 24 7000 et sur l'application de France Inter. Eric DUPOND-MORETTI, bonjour.
LÉA SALAME
Bonjour.
ERIC DUPOND-MORETTI
Bonjour.
NICOLAS DEMORAND
Et bienvenue à ce micro. On va revenir avec vous dans un instant sur l'inscription de l'IVG dans la Constitution que vous avez proposée en conseil des ministres mardi, mais d'abord le coup de tonnerre politique de la semaine avec cette motion de rejet adoptée dans l'hémicycle lundi en fin d'après-midi, qui vous empêche donc d'examiner le projet de loi immigration de Gérald DARMANIN, comme c'était prévu. Comment, appelez-vous ce qui s'est passé lundi, un camouflet, un désaveu, une claque ?
ERIC DUPOND-MORETTI
L'histoire n'est pas terminée encore.
LEA SALAME
Non, mais ce qui s'est passé mardi.
ERIC DUPOND-MORETTI
Eh bien écoutez, c'est la vie démocratique, elle est faite parfois de succès, les succès sont collectifs, et puis parfois la Constitution prévoit ce qui s'est passé, mais pour autant la question, de mon point de vue, c'est qui a gagné et qui a perdu ?
LÉA SALAME
Alors ?
ERIC DUPOND-MORETTI
Ceux qui ont gagné c'est les passeurs par exemple. Vous savez, il y avait dans ce volet de loi, porté par Gérald DARMANIN, le durcissement des pénalités contre les passeurs, j'ai souhaité en faire un crime, c'est le petit volet justice de ce texte. Ils doivent se frotter les mains ces gens, qui n'ont aucune considération pour la vie humaine, enfin la Méditerranée est un cimetière à ciel ouvert, ils prennent du pognon à des malheureux qui veulent quitter la misère qui est la leur, eh bien les passeurs ils se frottent les mains. Et puis qui a perdu ? eh bien ce sont ceux qui travaillent chez nous, qui sont étrangers, que l'on se proposait de régulariser. 60 % des gens qui travaillent dans le BTP en région parisienne sont étrangers, tous ne sont pas en situation irrégulière, mais certains d'entre eux le sont, et si l'on veut un instant imaginer la France sans cette main-d'oeuvre, je ne sais pas qui ramasse les fruits et légumes, je ne sais pas qui conduit les taxis, je ne sais pas qui fait la cuisine, je ne sais pas qui est dans le BTP, tous les métiers en tension ont besoin de cette main-d'oeuvre.
LEA SALAME
Justement Eric DUPOND-MORETTI, peut-être que ceux qui ont gagné, aussi, politiquement, c'est la droite et l'extrême droite, puisque maintenant le texte, qui va aller en commission mixte paritaire, c'est un texte qui sera durci, il y a quelques semaines Bruno RETAILLEAU, à la sortie du Sénat, disait « ce n'est plus le texte du gouvernement, c'est notre texte à nous maintenant, comme on l'a remanié il va en sortir cela », peut-être que c'est une victoire de LR et de RN ce qui s'est passé mardi.
ERIC DUPOND-MORETTI
Non, c'est une…
LEA SALAME
Et un échec, votre échec à vous aussi, parce que dans les perdants vous ne parlez pas du gouvernement, mais vous pouvez reconnaître, Gérald DARMANIN lui-même a reconnu que c'était un échec.
ERIC DUPOND-MORETTI
Oui, mais d'abord tout n'est pas terminé, et deuxièmement, les Français ont envie de ce texte, ils le disent dans tous les sondages, très très majoritairement, donc je ne suis pas convaincu, moi, que l'extrême droite sorte gagnante, que l'extrême gauche sorte gagnante, d'ailleurs ils ont poussé une espèce de cri de joie, mais ça s'arrête là, ils ne sont pas allés ensemble dans la même salle des fêtes, ils ne voulaient pas les mêmes choses, donc nous verrons. C'est à la fin du bal que l'on paie les musiciens, dit-on, moi, je vais vous dire, j'ai confiance dans le travail qui va être conduit devant la commission mixte paritaire et on va trouver une voie de passage qui permettra de durcir, contre ceux qui sont indésirables chez nous, tout en permettant de régulariser ceux qui participent à notre économie, qui sont parfaitement intégrés.
NICOLAS DEMORAND
Eric DUPOND-MORETTI, le président de la République a refusé la démission de Gérald DARMANIN, mais tout de même, n'est-ce pas un échec personnel pour le ministre de l'Intérieur ?
ERIC DUPOND-MORETTI
Pardon, mais, on ne peut pas résumer ça à une question de personne.
NICOLAS DEMORAND
Il a porté le texte, il l'a défendu depuis des mois, des mois, des mois…
LEA SALAME
Ça fait des mois et des mois qu'il négocie.
ERIC DUPOND-MORETTI
J'entends bien ce que vous me dites, moi je me félicite de pouvoir continuer à travailler avec Gérald DARMANIN, il ne ménage ni son temps, ni ses énergies, il est au service des Français, de leur sécurité. Et alors j'ai vu ce matin, je ne peux pas m'interdire de vous dire cela, même si ce n'est pas une question que vous m'avez posée, que Madame MELONI, qui est la référence, l'une des références importantes du Rassemblement national, fait appel à de la main-d'oeuvre étrangère dans les métiers en tension, non seulement elle s'est rapprochée de l'Europe, vous le savez, puisqu'à l'origine elle allait tout régler toute seule et le RN disait « voyez, en Italie, on ne va pas faire comme chez nous », non seulement elle s'est rapprochée de l'Europe, disais-je, mais elle fait appel aujourd'hui à des étrangers, parce que dans certains métiers en tension on en a besoin, voilà, je ferme cette parenthèse.
LEA SALAME
Eric DUPOND-MORETTI, puisque vous parlez du Rassemble national, Jordan BARDELLA demande la dissolution de l'Assemblée nationale, il dit que ce n'est pas possible de continuer à gouverner comme ça, soit à coups de motion de rejet, soit à coup de 49.3, il faut dissoudre l'Assemblée nationale, qu'est-ce que vous lui répondez ?
ERIC DUPOND-MORETTI
Moi je lui réponds qu'avec une majorité relative on a fait passer beaucoup de textes, beaucoup de textes, et des textes importants…
LEA SALAME
Pas les importants les retraites, l'immigration, le budget, passent par 49.3 ou par motion de rejet là.
ERIC DUPOND-MORETTI
Alors d'abord, Madame Léa SALAME, l'immigration ce n'est pas terminé, patientez un peu. Il y a des textes majeurs qui ont été passés, les textes sur la hausse des moyens pour la justice, une loi organique pour la justice, hausse des moyens pour les forces de sécurité intérieure, pour nos armées, ces textes sont…
LEA SALAME
Donc c'est tenable, sérieusement, c'est tenable pendant trois ans et demi encore de continuer comme ça ?
ERIC DUPOND-MORETTI
Pour ne rien vous cacher, quand on lit la Constitution de la Ve République, naturellement on préférerait avoir une majorité absolue, mais il n'en reste pas moins que 50 textes ont été passés, dans les conditions que nous savons, et avec le Parlement tel qu'il est, donc évidemment que c'est possible. Ensuite, ça dépend ce que l'on choisit, ou on choisit l'intérêt des Français, ou on choisit la petite politique politicienne, c'est ce que RN et l'extrême gauche ont souhaité faire sur ce texte…
LEA SALAME
C'est marrant, vous ne dites pas LR, alors que LR qui vous a lâchés, vous tapez sur le RN alors que c'est LR qui vous a lâchés.
ERIC DUPOND-MORETTI
Non mais LR, mais vous n'avez pas posé la question encore.
LEA SALAME
Non, parce que je vous entends depuis tout à l'heure, vous tapez sur l'extrême droite et l'extrême gauche, la politicaillerie de l'extrême droite à l'extrême gauche, certes, peut-être, mais LR c'est eux que vous essayez de convaincre, que Gérald DARMANIN essaie de convaincre depuis des mois et des mois, et qui l'ont lâché au dernier moment.
ERIC DUPOND-MORETTI
Alors, moi j'ai travaillé avec LR sur un certain nombre de textes, on a trouvé des compromis, j'ai travaillé avec les socialistes, mais on est évidemment sidéré, évidemment sidéré. L'extrême droite, l'extrême gauche, on en attend à vrai dire pas grand-chose, oui LR ça nous a surpris, mais le Sénat est aussi LR, pardon, et puis le texte est sorti du Sénat, donc moi je dis que la CMP devrait nous apporter la résolution de ces difficultés que vous évoquez.
NICOLAS DEMORAND
Lors d'une visite au Panthéon vendredi dernier Emmanuel MACRON a indiqué que le moment était venu d'un rendez-vous avec la nation au mois de janvier, il n'a pas dit de quoi il s'agissait exactement, il souhaite envoyer un message d'unité, il évoque la nécessité de rappeler la France à elle-même et à ce qu'elle est, à ce qui nous constitue en tant que peuple. Ça veut dire quoi, Eric DUPOND-MORETTI ?
ERIC DUPOND-MORETTI
Mais vous pensez que c'est moi qui va à cet instant faire les annonces que le président de la République fera en janvier ?
NICOLAS DEMORAND
C'est très philosophique, donc j'en appelle à vos qualités d'exégète.
ERIC DUPOND-MORETTI
Je ne suis pas le porte-parole d'une parole présidentielle qui n'a pas été prononcée, invitez-moi pour que je commente, le cas échéant, ce que le président de la République aura dit, mais il n'est pas dans mon rôle de…
LEA SALAME
Mais vous savez, vous, ce que c'est que rappeler à la France à elle-même, à ce qu'elle est, à ce qu'elle nous constitue ?
ERIC DUPOND-MORETTI
On a tous eu une idée de la France, de son universalité, des communautarismes qui nous rongent, un certain nombre de choses de cette nature, de la décivilisation, d'un certain nombre de phénomènes auxquels nous assistons, voilà. J'imagine, pardon, l'imaginaire étant le dernier refuge de la liberté, qu'il y aura sans doute ce souffle-là dans les annonces présidentielles, mais je ne peux pas vous en dire plus
LEA SALAME
Vous parlez de décivilisation ?
ERIC DUPOND-MORETTI
Mais Madame, on assiste…
LÉA SALAME
Vous parlez décivilisation, comme Emmanuel MACRON ?
ERIC DUPOND-MORETTI
C'est un mot qu'a utilisé le président de la République.
LEA SALAME
Vous parlez d'ensauvagement aussi ?
ERIC DUPOND-MORETTI
Oh, ça c'est une querelle sémantique qui m'opposerai…
LÉA SALAME
A Gérald DARMANIN.
ERIC DUPOND-MORETTI
Au ministre de l'Intérieur. Moi, je vais vous dire, j'ai la chance d'avoir un partenaire, qui est Gérald DARMANIN, et je pense que dans le domaine régalien, qui est le nôtre, on travaille parfaitement ensemble. Et je veux dire d'ailleurs que ça n'a pas toujours été le cas puisqu'on a connu des périodes où l'Intérieur et la Justice étaient, si j'ose dire, et si vous me permettez cette expression, à couteaux tirés, ce n'est pas le cas aujourd'hui.
NICOLAS DEMORAND
En tout cas cet épisode parlementaire a éclipsé ce qui devait être un moment important de la semaine, et un moment important tout court, avec la présentation en Conseil des ministres mardi du projet de loi constitutionnel qui va inscrire l'IVG, l'interruption volontaire de grossesse, dans notre Constitution. Un alinéa sera ajouté qui stipule que la loi détermine les conditions dans lesquelles s'exerce la liberté de la femme, qui lui est garanti d'avoir recours à une interruption volontaire de grossesse. Les mots sont importants. Pourquoi avoir retenu le mot liberté d'avoir recours à une IVG plutôt que le mot droit, pourquoi ne pas garantir un droit à l'IVG dans la Constitution ?
ERIC DUPOND-MORETTI
Vous savez déjà que le texte a fait l'objet d'un examen devant l'Assemblée nationale et devant le Sénat. Les deux assemblées ont voté pour une constitutionnalisation et je dis à cet instant de l'IVG. Ensuite les versions ont un peu divergé, liberté et droit. Donc nous avons travaillé, proposé un texte qui a été amodié légèrement d'ailleurs par le Conseil d'Etat et c'est une possibilité pour nous de présenter un texte équilibré qui devrait, je le dis au conditionnel parce que je ne veux pas, comment dirais-je, escamoter le travail parlementaire, mais qui devrait nous permettre de trouver les équilibres qui vont ultérieurement nous permettre d'avancer.
LEA SALAME
Pour avoir le vote du congrès.
ERIC DUPOND-MORETTI
Bien sûr parce que vous savez qu'il faut 3/5ème des parlementaires.
LEA SALAME
Pour changer la constitution.
ERIC DUPOND-MORETTI
Voilà pour changer la constitution.
LEA SALAME
Eric DUPOND-MORETTI, qu'est-ce que vous répondez à ceux qui disent qu'il n'était pas nécessaire de constitutionnaliser le droit à l'avortement, que la France n'est pas les Etats-Unis et que l'avortement n'y est pas menacé ?
ERIC DUPOND-MORETTI
Mais madame c'est une garantie pour l'avenir, voilà. Et ça n'est pas rien. Vous savez ce que les Polonais ont fait ancien régime si j'ose dire.
LEA SALAME
Avant la victoire de Donald TUSK.
ERIC DUPOND-MORETTI
Absolument. Quand une femme voulait avorter, on lui faisait entendre les battements de coeur de l'embryon qu'elle portait, c'est pour moi une torture, donc rien n'est jamais acquis en réalité. Et aux Etats-Unis vous savez après un demi-siècle de droits qui paraissaient absolument certains, la Cour suprême a rendu une décision qui évidement a mis en péril la liberté des femmes. Et puis la France, celle que nous aimons je pense, sera le premier pays au monde à inscrire cette liberté dans la Constitution et ce sont d'abord des droits, des libertés mais aussi des symboles qui sont très forts, que notre pays qui est le pays des lumières s'illustre de cette façon, moi je le dis ça emporte mon enthousiasme et je le dis avec modestie ma fierté.
Source : service d'information du Gouvernement, le 15 décembre 2023