Interview de Mme Élisabeth Borne, Première ministre, à France Inter le 20 décembre 2023, sur le vote, par le Parlement, du projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, après accord de la commission mixte paritaire.

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Média : France Inter

Texte intégral

NICOLAS DEMORAND
Et avec Léa SALAME nous recevons ce matin la Première ministre dans "Le Grand entretien" du 7/10, questions-réactions 01 45 24 7000 et sur l'application de France Inter. Elisabeth BORNE, bonjour.

ELISABETH BORNE
Bonjour.

LEA SALAME
Bonjour.

NICOLAS DEMORAND
Et bienvenue à ce micro. Le texte issu de la commission mixte paritaire a donc été voté hier au Sénat et à l'Assemblée, à l'Assemblée 349 voix pour, 186 contre, avec les voix du Rassemblement national et des LR. Marine LE PEN se félicite d'une "victoire idéologique", Bruno RETAILLEAU se réjouit lui d'un texte qui est, je le cite, "à 98 % LR". Madame la Première ministre, comment vous sentez-vous ce matin ?

ELISABETH BORNE
Écoutez, moi j'ai le sentiment du devoir accompli, on voulait faire voter un texte, sur des mesures utiles, efficaces, attendues par nos concitoyens, avec deux objectifs, éloigner plus rapidement, plus efficacement, ceux qui n'ont pas le droit d'être en France, et mieux intégrer ceux que nous choisissons d'accueillir, c'est ce texte qui a été voté hier et, je le dis, il a été voté sans les voix du Rassemblement national, c'est un principe que nous nous étions donné, que le texte soit adopté sans les voix du Rassemblement national, je les écarte, nous ne voulons pas de ces voix, sans les voix du Rassemblement national c'est 261 pour, 186 contre.

LEA SALAME
Madame la Première ministre, si le Rassemblement national avait voté contre, s'il ne s'était pas abstenu, dans ce cas-là le texte ne passait pas sans les voix du Rassemblement national, c'est arithmétique, c'était à quatre voix près.

ELISABETH BORNE
Mais, vous savez, la grosse manœuvre du Rassemblement national, Jordan BARDELLA était hier ici même, Jordan BARDELLA vous a expliqué que ce texte ça n'allait pas, que c'était un texte de "en même temps", précisément ce que j'ai évoqué, à la fois éloigner plus rapidement ceux qui n'ont pas être là, et mieux intégrer ceux que nous choisissons d'accueillir. Hier matin, ça ne lui convenait pas. Il nous avait expliqué que la mesure permettant la régularisation des travailleurs sans-papiers, qui sont depuis longtemps sur notre territoire, qui respectent nos valeurs, il n'en voulait pas, si le Rassemblement national fait la girouette, on ne va pas faire la girouette dans l'autre sens…

LEA SALAME
Le Rassemblement national se félicite, avec ce texte, d'une victoire idéologique de son camp.

ELISABETH BORNE
Non, mais attendez, c'est une manœuvre grossière, c'est ce que j'ai dit…

LEA SALAME
Où est la manœuvre ?

ELISABETH BORNE
La manœuvre grossière… le Rassemblement national veut démontrer qu'on ne sait pas répondre aux préoccupations des Français sur ce sujet, ils ont bien compris qu'on avait un texte qui avait été adopté en commission paritaire, sur lequel moi j'ai passé des heures à négocier avec les Républicains pour garder ce qui était utile, sortir ce qui n'était pas conforme à nos principes, ils ont vu que nous allions faire voter un texte et là ils font le coucou dans notre texte, on ne va pas changer de point de vue…

LEA SALAME
Donc vous ne demandez pas, à l'article 10, une deuxième délibération à partir du moment où si le Rassemblement national votait contre, il ne passait pas votre texte.

ELISABETH BORNE
Mais attendez, avec de si, vous savez, on refait l'histoire. Un certain nombre de nos députés ont été gênés…

LEA SALAME
Un quart.

ELISABETH BORNE
Que le Rassemblement national vienne voter ce texte, si le Rassemblement national n'avait pas voté ce texte, avait voté contre, je pense qu'on aurait eu des voix en plus, donc on ne va pas refaire l'histoire, ce que je peux vous dire aujourd'hui…

LEA SALAME
Donc pas d'article 10.

ELISABETH BORNE
C'est que je ne tiens pas compte des voix du Rassemblement national, sans ses voix ce texte a été adopté.

NICOLAS DEMORAND
On va essayer tout de même de comprendre ce qui s'est passé ces dernières heures. Le projet de loi immigration était un des textes les plus importants du quinquennat, vous le portez depuis 18 mois avec Gérald DARMANIN, et finalement ce n'est plus votre texte, mais celui réécrit et durci en commission mixte paritaire…

ELISABETH BORNE
Non, non, pas durci en commission mixte paritaire, c'est un texte qui a été voté au Sénat…

NICOLAS DEMORAND
Durci au Sénat.

ELISABETH BORNE
Qui a été durci au Sénat, et qui dans sa version issue du Sénat, comportait des mesures dont nous ne voulons pas, je vous cite un exemple, la suppression de l'Aide Médicale d'État. Du fait de la NUPES, du Rassemblement National qui, une fois de plus, ont uni leurs voix, il y a une motion de rejet qui a été votée au début de la semaine dernière, de ce fait il n'y avait pas de texte à l'Assemblée nationale, moi j'ai négocié pendant des heures pour garder les mesures importantes pour nous, je le dis, par exemple pouvoir éloigner les étrangers délinquants ou qui présentent une menace pour notre pays, garder la possibilité de régulariser, sans la demande de l'employeur, des gens qui sont en France depuis longtemps et qui travaillent…

LEA SALAME
Madame la Première ministre, sur tous ces points on va revenir, sur tout ce que vous dites, sur l'AME, sur les régularisations, on va revenir parce que, ils sont très, très loin aujourd'hui, dans le texte de la CMP, de ce que vous aviez proposé en conseil des ministres il y a quelques jours, on va y revenir, les uns après les autres, l'AME on en parlera dans un instant. Devant nous, à ce micro, il y a quelques semaines, vous étiez là, et vous nous aviez dit "je me porte garante, moi la Première ministre, de ne pas supprimer l'AME…"

ELISABETH BORNE
Eh bien c'est bien ce qu'on fait.

LEA SALAME
Vous vous êtes engagée par écrit, dans une lettre à Gérard LARCHER, à le réformer en janvier.

ELISABETH BORNE
Non, non, attendez… donc, on repart. Il y avait un texte au Sénat, durci, qui ne nous convenait pas, la négociation que j'ai menée ces derniers jours c'est de garder les mesures auxquelles nous tenions dans ce texte, et de sortir les mesures qui n'étaient pas conformes à nos principes, et d'en atténuer d'autres, donc c'est ce résultat. Il n'est pas question de supprimer l'AME, je le dis très clairement, il n'est pas question de supprimer…

LEA SALAME
Vous allez la réformer à partir de janvier ?

ELISABETH BORNE
Nous avons voulu poser les choses calmement, avec méthode, on a demandé un rapport à deux personnalités, une issue de la droite, une issue de la gauche, qui nous ont dit que l'AME…

LEA SALAME
Qui conclut que l'AME est nécessaire.

ELISABETH BORNE
Est un dispositif nécessaire, donc nous allons garder l'AME. Nous avons retiré du texte la mesure qui supprimait l'AME. Nous ne supprimons pas…

LEA SALAME
Mais donc, quand vous vous engagez à supprimer l'AME, Madame la Première ministre, ça veut dire que ça va devenir l'AMU ?

ELISABETH BORNE
Non, mais clairement, nous avons supprimé du texte du Sénat, la mesure qui faisait disparaître l'AME, au profit d'un dispositif qui ne nous convient pas, et le rapport sur lequel nous nous appuyons, ne propose pas de le faire, nous ne le ferons pas.

NICOLAS DEMORAND
Elisabeth BORNE, confirmez-vous qu'hier, en réunion à l'Elysée, vous avez plaidé pour ne pas voter le texte issu de la CMP, constatant que la majorité n'était pas unie derrière vous ?

ELISABETH BORNE
Ah non, mais je ne sais pas du tout qui dit ça. Je n'ai jamais dit ça. On a un objectif : faire voter un texte attendu par les Français, qui respecte les principes que j'ai évoqués, et avec le président de la République, bien évidemment on souhaite que ce texte soit voté rapidement. C'est maintenant le cas. On a d'autres sujets de préoccupation pour les Français, la santé. Il y a des choses qui me tiennent à cœur, vous savez, l'égalité des chances, la lutte contre les discriminations, la transition écologique. Donc maintenant, il faut qu'on passe à autre chose.

LEA SALAME
C'est inédit depuis l'arrivée d'Emmanuel MACRON au pouvoir, un quart de votre majorité n'a pas voté le texte que vous avez présenté. Est-ce que vous estimez que votre majorité a explosé, un quart des députés...

ELISABETH BORNE
Non mais je vous confirme. Vous savez, j'ai passé des heures avec notre majorité. Près de 80 % de nos députés ont voté ce texte. Et moi, je veux remercier ceux qui l'ont voté. C'est grâce à eux qu'on peut faire adopter un texte sans les voix du Rassemblement national. C'est grâce à eux qu'on n'est pas tombé dans le piège tendu par le Rassemblement national. Ensuite, je ne juge pas ceux qui n'ont pas voté ce texte. Vous savez, il faut être conscient de ce qu'on a demandé à nos députés. Après le vote de la motion de rejet, il n'y avait pas de texte, pas de texte qui a été débattu, et en quelques jours, en quelques jours, on a dû partir d'un texte du Sénat qui ne nous convenait pas, et le modifier profondément. On est sur des sujets extrêmement sensibles sur lesquels un certain nombre de députés avaient besoin de prendre un temps que nous n'avions pas. Donc, moi je dis à ces députés que nous allons évidemment nous parler et continuer à nous parler. Et surtout porter…

LEA SALAME
Il n'y a pas de crise aujourd'hui.

ELISABETH BORNE
... porter ensemble des combats.

LEA SALAME
Il n'y a pas de crise ?

ELISABETH BORNE
Vous savez, j'ai passé, je vous dis, des heures avec les députés, je peux vous assurer qu'il n'y a pas de crise dans la majorité. On souhaite avancer, continuer à avancer dans le cap fixé par le président de la République et continuer à apporter des réponses à notre pays et aux Français.

LEA SALAME
Aurélien ROUSSEAU, le ministre de la Santé a-t-il présenté sa démission dans la nuit et l'avez-vous acceptée ?

ELISABETH BORNE
Attendez, moi j'ai échangé très tard dans la nuit avec le président de la République qui n'a pas reçu la démission d'Aurélien ROUSSEAU. Donc c'est un non-sujet.

LEA SALAME
Aurélien ROUSSEAU, ni d'autres ministres n'ont pas démissionné à…

ELISABETH BORNE
Alors entendez, moi j'entends n'importe quoi sur ce sujet…

LEA SALAME
Eh bien justement, c'est pour ça qu'on vous demande de clarifier.

ELISABETH BORNE
On entend n'importe quoi. Moi, j'ai échangé avec des ministres qui sont concernés par les dispositions de ce texte, que j'ai associés au maximum. Forcément, il est légitime que les ministres se posent des questions. La ministre de l'Enseignement supérieur me dit qu'il y a des…

LEA SALAME
Sylvie RETAILLEAU.

ELISABETH BORNE
Qu'il y a des dispositions sur lesquelles, enfin, qui posent des problèmes. On va les regarder. Le cas échéant, on les adaptera. Le ministre du Logement me dit que le travail qu'on a fait pour ne pas retenir la version du Sénat sur les aides personnalisées au logement, il y a des choses qui nous ont échappé. On va le regarder, le cas échéant, on le corrigera. On est dans un rôle normal, dans une situation normale…

NICOLAS DEMORAND
Mais de démissions, il n'est pas question concernant ces gens.

ELISABETH BORNE
Non, mais attendez, je veux dire, on a encore échangé hier, avec notamment les deux ministres que je suis en train d'évoquer…

LEA SALAME
Vous n'avez pas reçu d'Aurélien ROUSSEAU, précisément, parce qu'Aurélien ROUSSEAU c'était au conditionnel, donc c'est pour ça que je vous pose la question.

ELISABETH BORNE
Mais, on va arrêter de commenter des choses qui n'existent pas. Maintenant, on a un texte qui est voté, on va passer aux autres dossiers qui préoccupent les Français.

LEA SALAME
En espérant qu'Aurélien ROUSSEAU clarifie ce qu'il a dit ou pas dit, dans les limites qui viennent…

ELISABETH BORNE
On aura l'occasion d'échanger, voyez, on a terminé tard hier, on aura l'occasion d'échanger. Concentrons-nous sur les sujets de préoccupation des Français.

LEA SALAME
L'un des députés Renaissance, qui n'a pas voté ce texte, Eric BOTHOREL, a déclaré hier pour expliquer qu'il voterait contre : "Quand il y a un texte sur l'immigration qui est voté par le RN, moi je m'inquiète." Pas vous ?

ELISABETH BORNE
Moi, je ne tombe pas dans les manœuvres du Rassemblement national. Le Rassemblement national a voté un certain nombre de textes depuis le début du quinquennat. Mon cap, ma ligne ne changent pas, parce que le Rassemblement national fait la girouette. C'est des manœuvres grossières. Je le disais, il était ici même Jordan BARDELLA, hier, à nous expliquer pourquoi jamais le RN ne voterait un texte qui contenait, qui inscrit dans la loi la possibilité de régularisation pour des gens qui sont sur notre territoire, qui travaillent depuis des années. Jordan BARDELLA nous a expliqué que c'était une ligne rouge. Si je change d'avis, mon cap reste le même.

NICOLAS DEMORAND
Convenez-vous qu'avec cet épilogue, c'est la fin du en même temps du dépassement macroniste, ou alors que "en même temps" est devenu "en même temps la droite et l'extrême droite" ? Je rappelle qu'Emmanuel MACRON, en 2017, avait pris l'engagement politique de faire baisser le FN. En 2022, il avait déclaré "Vous m'avez élu pour faire barrage à l'extrême droite. Ce vote m'oblige", et aujourd'hui vous votez une loi, on ne va pas y revenir…

ELISABETH BORNE
On vote une loi.

NICOLAS DEMORAND
… avec le RN qui revendique sa victoire idéologique.

ELISABETH BORNE
Non, vous ne pouvez pas dire ça.

NICOLAS DEMORAND
Non, mais juste la question...

ELISABETH BORNE
On ne vote pas une loi avec le RN. Le RN…

NICOLAS DEMORAND
Que dites-vous à ceux qui ont voté MACRON il y a un an et demi pour faire barrage à Marine LE PEN ?

ELISABETH BORNE
Qu'on continue à être déterminés à faire barrage à Marine LE PEN, en apportant des réponses aux préoccupations des Français. Vous savez, moi j'ai échangé avec la députée d'Arras. C'est une députée qui vient du Parti socialiste. Elle dit que sans état d'âme, elle vote le texte, parce qu'elle veut pouvoir rentrer dans sa circonscription en disant à ses électeurs qu'on va les protéger pour que plus jamais Arras, qu'on fait le maximum pour protéger les électeurs. Et ce texte, il comprend des mesures pour répondre à ces préoccupations. Donc, on va continuer à répondre aux préoccupations des Français. On veut le faire le plus efficacement possible. S'attaquer demain au problème du logement, répondre dans la durée aux préoccupations de nos concitoyens et de nos entreprises qui ont vu des flambées du prix de l'énergie. On répond aux préoccupations des Français. C'est comme ça qu'on combat le Rassemblement national et on garde notre cap. On garde nos principes, on garde nos valeurs.

LEA SALAME
Elisabeth BORNE, vous avez dit que la députée d'Arras venait de la gauche, vous également. Vous qui venez de la gauche, vous qui estimez que le Rassemblement national était l'héritier du pétainisme, est-ce qu'à un moment, ces derniers jours, vous avez pensez, vous-même à démissionner ?

ELISABETH BORNE
Absolument pas. Moi, j'ai un objectif : voter, faire voter un texte qui réponde aux préoccupations des Français. Et on ne va pas se déterminer en fonction des manœuvres de garçon de bain, du Rassemblement national.

LEA SALAME
Alors, il y a ce que vous appelez des manœuvres de garçon de bain du Rassemblement national. Il y a des mots, il y a des mots dans ce texte qui, et il y a des failles qui n'avaient pas, qui n'existaient pas dans notre République jusque-là et qui sont désormais inscrits dans l'esprit et dans le texte de cette loi. Jordan BARDELLA hier s'est réjoui d'y voir consacrer la préférence nationale. Le regroupement familial y est restreint. Vous ouvrez la voie à la déchéance de nationalité pour ceux qui commettent un crime contre les forces de l'ordre. Vous remettez en cause…

ELISABETH BORNE
Non mais attendez…

LEA SALAME
Attendez, vous remettez en cause... Non, non, je veux vous interroger, parce que ce sont ces mots-là qui, depuis trois jours font réagir votre majorité et en tout cas l'aile gauche. Vous remettez en cause le droit du sol, vous demandez aux étudiants…

ELISABETH BORNE
Mais tout ce que vous dites est faux ! Je suis désolée…

LEA SALAME
Vous demandez, alors on a y revenir, une caution…

ELISABETH BORNE
Tout ce que vous dites est faux.

LEA SALAME
Vous ne demandez pas aux étudiants une caution ?

ELISABETH BORNE
Non mais, tout ce que vous dites est faux. On ne remet pas en cause le droit du sol. Où y a-t-il dans le texte une remise en cause du droit du sol ?

LEA SALAME
Je vais vous le dire…

ELISABETH BORNE
Où y-a-t-il dans le texte... Non mais vous savez, c'est un texte…

LEA SALAME
Je vais vous le dire. Désormais... Madame la Première ministre, je vais vous répondre très simplement. Désormais, dans le texte, un jeune qui est né en France de deux parents étrangers, ne sera plus automatiquement français, comme c'est le cas aujourd'hui, c'est-à-dire le droit du sol. Désormais, il devra en exprimer le désir à la préfecture. Ça, c'est une remise en cause…

ELISABETH BORNE
Non, ça n'est pas une remise en cause du droit du sol.

LEA SALAME
Du droit du sol, non ?

ELISABETH BORNE
Nous avons changé le texte issu du Sénat, qui disait : ce jeune peut acquérir la nationalité française. Il est écrit dans notre version, ce jeune acquiert la nationalité française. Mais ce qu'on dit, c'est qu'aujourd'hui, vous voyez, après par exemple, ce qu'on a pu voir à Arras avec des personnes qui peuvent être installées sur notre sol, qui ne partagent pas nos valeurs, qui n'aiment pas la France, qui ne croient pas à la liberté d'expression, qui ne croient pas à l'égalité entre les femmes et les hommes, je pense que c'est important que on acquière la nationalité française en…

LEA SALAME
En la demandant.

ELISABETH BORNE
... en confirmant, en confirmant qu'on aime notre pays et qu'on croit à ces valeurs.

LEA SALAME
Sur la préférence nationale, puisque c'est le point d'achoppement, elle est désormais inscrite dans la loi concernant les allocations.

ELISABETH BORNE
Mais de quoi on parle ?

LEA SALAME
Les Français auront un avantage sur les étrangers en situation régulière ? C'est ça que demande le RN.

ELISABETH BORNE
Mais vous savez…

LEA SALAME
Pardon, je vous pose la question…

ELISABETH BORNE
Madame SALAME, est-ce que l'on peut dire que Michel ROCARD a fait la préférence nationale ? est-ce que François HOLLANDE a fait la préférence nationale ? pour bénéficier de la prime d'activité un étranger doit attendre cinq ans, est-ce que c'est ça la préférence nationale ?

LEA SALAME
Madame la Première ministre, désormais avec cette loi…

ELISABETH BORNE
Est-ce que François HOLLANDE et Michel ROCARD ont défendu la préférence nationale ?

LEA SALAME
Désormais, avec cette loi, les étrangers qui travaillent, les étrangers qui cotisent, qui sont en situation régulière, on ne parle pas des sans-papiers, devront attendre deux ans et demi pour toucher les allocations familiales contrairement aux Français qui les touchent immédiatement, convenez que ça change profondément les valeurs et les principes… vous pouvez l'assumer.

ELISABETH BORNE
Ce que nous avons… Nous sommes partis d'un texte qui ne correspondait pas à nos principes, qui disait que parce que vous étiez étranger on vous distinguait dans l'accès aux aides, des Français. Ce que nous avons transformé, dans le texte qui a pu être voté hier, c'est qu'on distingue les gens, non pas parce qu'ils sont Français ou étrangers, mais parce qu'ils viennent étudier chez nous, parce qu'ils viennent travailler chez nous, ou qu'ils ne travaillent pas, et pour nous c'est très important, voyez, ça correspond à ce qu'on porte, l'intégration par le travail, c'est ça qui es porté dans le texte.

NICOLAS DEMORAND
Une mère célibataire avec un enfant ne pourra pas toucher les allocations sociales avant deux ans et demi ?

ELISABETH BORNE
Alors, je vais vous dire, je ne vais pas rentrer dans le détail, parce que, vous voyez…

NICOLAS DEMORAND
Les détails sont importants quand même !

ELISABETH BORNE
Attendez… Moi je suis partie d'un texte, à cause de la NUPES et du Rassemblement national on n'a pas pu avoir le débat à l'Assemblée nationale, donc il n'y avait pas de texte de l'Assemblée nationale. Je vous ai dit, on a sorti des mesures dont on ne voulait pas, la fin de l'hébergement d'urgence pour des personnes qui n'ont pas le droit de se maintenir sur notre sol, on les héberge jusqu'à ce qu'elles soient éloignées, on a sorti la remise en cause de l'AME, il y a des mesures qu'on a adaptées, en quelques jours, s'il y a des situations qui sont mal prises en compte on va les évaluer et on les corrigera.

LEA SALAME
Oui. En tout cas, la préférence nationale dans ce cas-là, sur le cas des allocations…

ELISABETH BORNE
Vous ne pouvez pas appeler ça de la préférence nationale, où vous nous dites que Michel ROCARD et François HOLLANDE en donnant 5 ans pour bénéficier de la prime d'activité portaient la préférence nationale. Ce que nous nous portons, c'est qu'il peut y avoir des situations dans lesquelles, selon que vous travaillez ou que vous ne travaillez pas, selon que vous venez étudier Quand vous venez étudier, vous bénéficiez immédiatement…

LEA SALAME
Même quand vous travaillez, Madame la Première ministre, sur les allocations familiales même quand vous travaillez, il faut attendre deux ans et demi. C'est ça qui change dans le texte.

ELISABETH BORNE
Quand vous venez pour travailler dans notre pays, vous devez attendre pour faire le regroupement familial. Quand vous n'avez pas votre famille, vous n'avez pas les allocations familiales.

LEA SALAME
Oui mais quand vous cotisez.

ELISABETH BORNE
Quand vous… Mais si votre famille n'est pas là, vous ne touchez pas les allocations familiales. Je pense que c'est des débats qui sont compliqués. Ce que je peux vous dire, c'est que notre ligne elle est claire. Nous ne nous inscrivons pas dans les thèses du Rassemblement national. Comme Michel ROCARD, comme François HOLLANDE, il peut y avoir des distinctions entre les Français et les ceux qui ne le sont pas.

LEA SALAME
Il n'y a pas d'avantages aux Français.

ELISABETH BORNE
Mais on n'est pas…

LEA SALAME
Dans cette loi, il n'y a pas un avantage aux Français par rapport aux étrangers ?

ELISABETH BORNE
Est-ce que la prime d'activité au bout de cinq ans, deux personnes qui font le même métier, l'une qui la touche, l'autre qui ne la touche pas, vous appelez ça de la préférence nationale ?

LEA SALAME
Est-ce que les allocations familiales, il y a un avantage pour les Français par rapport aux étrangers ?

ELISABETH BORNE
Ce que je peux vous dire, c'est que nous sommes partis d'un texte en peu de temps, sur lequel nous avons supprimé ce qui ne correspondait pas à nos valeurs et nous avons atténué, et peut-être qu'on devra y revenir, les mesures du type de celles que vous évoquez, par exemple sur les aides personnalisées au logement.

NICOLAS DEMORAND
Alors il y a aussi la question de la caution demandée aux étudiants étrangers, caution donc qui leur est demandée et qui leur sera restituée au moment où ils s'en vont et quittent la France. Les présidents des grandes universités de notre pays ont dénoncé des mesures indignes. HEC, ESCP, ESSEC dénoncent un texte qui fait une croix sur l'apport de talents étrangers et menace gravement notre compétitivité nationale. La Sorbonne dénonce des mesures indignes, contraires à l'esprit des Lumières qui nuisent à l'ambition de l'enseignement supérieur. Que répondez-vous sur ce point ?

ELISABETH BORNE
Je réponds qu'ils n'ont sans doute pas eu le temps de lire le texte dans lequel nous disons très clairement qu'on peut dispenser de cette caution. Le ministre de l'Enseignement supérieur peut dispenser de cette caution des étudiants en fonction de leurs ressources, en fonction de leur parcours scolaire et universitaire. Est-ce que c'est le meilleur système ? Pas forcément. Est-ce qu'il faut y réfléchir ? Peut-être. Ce que je peux vous dire…

LEA SALAME
C'est-à-dire Pardon, je ne comprends pas bien. C'est-à-dire, cette caution va être mise en place ?

ELISABETH BORNE
Cette caution, elle n'est pas… Le ministre de l'Enseignement supérieur peut en dispenser des gens en fonction de leurs revenus ou en fonction… et en fonction de leur parcours méritant, scolaire ou universitaire. Et vous savez, moi j'entends effectivement les réactions. Quand on est en Allemagne, pour pouvoir faire ses études, on doit déposer 11 000 euros sur un compte bloqué, voilà. Donc est-ce que c'est le meilleur système ? Peut-être qu'on pourra en redébattre. En tout cas…

LEA SALAME
Vous semblez mal à l'aise avec cette disposition, la caution étudiante. Parce que vous dites vous-même "est-ce que c'est le même système ?"

ELISABETH BORNE
Léa SALAME, je vous le dis très clairement : on est en majorité relative. Le texte tel qu'il a été adopté hier, moi j'ai veillé à ce qu'il porte les mesures auxquelles nous tenions. Je l'ai dit, pouvoir éloigner des étrangers délinquants, des gens qui ne respectent pas nos valeurs, qui présentent une menace, pouvoir régulariser des personnes qui travaillent, qui s'intègrent dans notre pays. Ensuite, sur ce texte comme sur tous les textes, comme sur les près de 60 textes adoptés depuis le début du quinquennat, on doit trouver des compromis. Est-ce que c'est une bonne formule ? On va en reparler et on verra.

LEA SALAME
Elle sera de combien la caution ?

ELISABETH BORNE
Ça peut être 10 euros, 20 euros.

LEA SALAME
Vous avez écrit un texte pour une caution de 10 euros.

ELISABETH BORNE
Non. C'est renvoyé à un texte réglementaire, c'est renvoyé à un texte réglementaire.

LEA SALAME
Hier au Sénat, Gérald DARMANIN a déclaré que des mesures du texte étaient manifestement contraires à la Constitution.

ELISABETH BORNE
Oui, je vous confirme.

LEA SALAME
Lesquelles ?

ELISABETH BORNE
Par exemple, vous voyez, il est prévu que vous ne pouvez pas, si vous épousez demain matin un Canadien ou un Japonais, il ne peut pas rejoindre la France s'il ne parle pas bien français. Je pense que ça…

LEA SALAME
Ça ne passera pas au Conseil constitutionnel.

ELISABETH BORNE
On va interroger le Conseil constitutionnel. On a fait part de nos doutes, ou Les Républicains avec lesquels on a discuté. Donc le président de la République va saisir le Conseil constitutionnel, Conseil constitutionnel dira ce qu'il en est.

LEA SALAME
Mais donc, vous appelez vos députés à voter un texte qui a des dispositions qui ne sont pas constitutionnelles.

ELISABETH BORNE
Nous avons appelé nos députés à voter un texte parce que nous avons besoin de répondre aux préoccupations des Français. Il peut y avoir des dispositions sur lesquelles nous avons alerté sur nos doutes à deux titres, à la fois sur le fond et sur le fait que normalement, quand on débat un texte de loi, on ne peut pas y rattacher des amendements qui n'ont pas de rapport avec le texte. Nous l'avons dit, nous allons saisir le Conseil constitutionnel.

NICOLAS DEMORAND
Elisabeth BORNE, vous vouliez initialement régulariser tous les travailleurs dans les métiers en tension, les métiers où la main-d'œuvre manque.

ELISABETH BORNE
C'est bien ce qui est prévu dans le texte.

NICOLAS DEMORAND
Rien n'a changé ?

ELISABETH BORNE
La démarche n'est pas la même, mais pour la première fois dans la loi, la gauche ne l'a pas fait. Tous ceux qui sont en train de nous donner des leçons n'ont jamais inscrit dans la loi la possibilité de régulariser des travailleurs sans papiers. Tous ceux qui nous donnent des leçons n'ont jamais levé l'impossibilité de régulariser un salarié sans l'accord de son employeur.

NICOLAS DEMORAND
Entre l'article 3 du premier texte et le 4 bis et ce qu'il en est aujourd'hui…

ELISABETH BORNE
Attendez, ce n'est pas la même rédaction. Je note que jamais la gauche n'a inscrit dans un texte la possibilité de régulariser. Ça s'est fait discrètement dans une circulaire avec moins de garanties du coup pour les personnes concernées. Et je note qu'aujourd'hui, on ne peut pas régulariser un salarié, même s'il est depuis dix ans en France, même s'il a travaillé cinq ans, si son employeur ne le demande pas. Aujourd'hui ce n'est pas possible, demain ça le sera.

LEA SALAME
Aujourd'hui dans le texte, dans le nouveau texte, pas le texte initial que vous aviez écrit, que vous aviez présenté en Conseil des ministres, un nouveau texte, ce seraient des régularisations exceptionnelles au cas par cas sur décision du préfet. Pouvez-vous nous dire, parce que Gérald DARMANIN disait "grâce à cette mesure, on va doubler le nombre de régularisations dans les métiers en tension". Qu'en est-il ? Quel est l'ordre ? Il y aura combien…

ELISABETH BORNE
Il l'a dit hier. Il l'a dit hier dans les débats.

LEA SALAME
C'est quoi ? C'est 10 000 ?

ELISABETH BORNE
C'est 10 000 personnes…

LEA SALAME
Mais c'est 10 000 déjà aujourd'hui.

ELISABETH BORNE
Non, on va doubler, il y a les 10 000 d'aujourd'hui…

LEA SALAME
Donc ce sera 20 000.

ELISABETH BORNE
Et il y en aura 10 000 de plus.

LEA SALAME
Donc chaque année il y aura 20 000 régularisations.

ELISABETH BORNE
Et vous voyez, Jordan BARDELLA vous expliquait à quel point c'était insupportable pour lui, c'est dommage, ils ont voté le texte hier, on comprend bien leur manœuvre.

LEA SALAME
Madame la Première ministre, il n'y a pas eu un moment où vous vous êtes dit, après la motion de rejet, et si on retirait le texte et on revenait avec un autre texte, une page blanche, est-ce que ça ne serait pas mieux, est-ce que vous ne vous êtes pas posé cette question-là ?

ELISABETH BORNE
Mais, forcément, on se pose la question des différents chemins, ce qu'on s'est dit, avec le président de la République, c'est qu'il y a des mesures qui sont attendues par les Français, que ça fait un an qu'on parle de ce texte, qu'il faut qu'on puisse passer à autre chose, qu'il y a des sujets de préoccupation des Français dont on doit pouvoir s'occuper, et moi je suis contente aujourd'hui qu'on ait pu faire adopter un texte, qui sera amené à évoluer, peut-être, après l'examen du Conseil constitutionnel, dont on va regarder des mesures…

LEA SALAME
Vous vous en remettez au Conseil constitutionnel en fait.

ELISABETH BORNE
Non, pas du tout ; dont on va regarder chacune des mesures qui pourront être adaptées, le cas échéant, mais on a pu avancer et maintenant on va passer à autre chose.

NICOLAS DEMORAND
Il y a de la colère chez les auditeurs de France Inter ce matin, notamment sur l'application. Colette vous demande "comment avoir été de gauche et cautionner un tel projet, c'est incompréhensible." Elodie, "que répondre à ceux qui ont fait barrage en votant pour vous en 2017 puis en 2022 ? Le RN est fier de vous." Bernard, plus directement, "n'avez-vous pas honte Elisabeth BORNE ?"

ELISABETH BORNE
Attendez, je pense que beaucoup de vos auditeurs ne savent pas ce qu'il y a dans le texte. On a le Rassemblement national qui fait le tour des plateaux en disant "c'est notre texte", le même Rassemblement national qui expliquait hier pourquoi ce texte il ne pouvait pas le voter, donc je pense qu'il faut qu'on prenne le temps d'expliquer ce qu'il y a dans le texte. Je vous le dis très clairement, j'ai des valeurs, je suis profondément humaniste, je suis moi-même fille de quelqu'un qui est arrivé comme apatride dans notre pays, qui a acquis la nationalité française, c'est quelque chose qui me tient à cœur. J'ai veillé tout au long des discussions, et je peux vous assurer que j'ai mouillé la chemise pendant les dix derniers jours, j'ai veillé à ce que ce texte respecte nos valeurs. Le Conseil constitutionnel dira ce qu'il en est sur un certain nombre de mesures sur lesquelles nous avons alerté les Républicains, ce texte il protège les Français, il permet d'éloigner des gens qui représentent une menace pour notre pays, il permet de régulariser ceux qui le méritent, et c'est ce texte, que j'ai porté, que nous avons voté, ce n'est pas le texte que nous aurions fait en majorité…

LEA SALAME
Et vous assumez ce matin.

ELISABETH BORNE
Ce n'est pas le texte que nous aurions voté en majorité absolue, c'est le texte qui nous permettait d'avancer.

LEA SALAME
Gérald DARMANIN a présenté sa démission, Emmanuel MACRON l'a refusée, s'il vous l'avait présentée à vous, vous l'auriez acceptée ?

ELISABETH BORNE
Vous avez bien vu que nous avons avancé, nous avons passé quasiment tout notre temps ensemble, avec Gérald DARMANIN, nous avons pu, ensemble, faire bouger un texte, qui ne nous convenait pas, pour nous permettre de faire voter un texte qui répond aux préoccupations des Français.

LEA SALAME
La méthode DARMANIN elle a marché ?

ELISABETH BORNE
C'est clair que le vote de la motion de rejet ça a été une forme de détonation, il fallait sortir de cette impasse, j'ai mouillé la chemise, aujourd'hui nous avons un texte qui respecte nos principes.

LEA SALAME
Vous lui gardez votre confiance ?

ELISABETH BORNE
Je n'ai évidemment pas d'état d'âme, aucun doute sur le sujet, nous avons avancé avec Gérald DARMANIN, nous avons un texte qui a été voté, conforme à nos principes.

LEA SALAME
Merci Madame la Première ministre.

NICOLAS DEMORAND
Merci Elisabeth BORNE d'avoir été au micro d'Inter ce matin.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 20 décembre 2023