Texte intégral
JEAN-REMI BAUDOT
Bonjour Aurore BERGE.
AURORE BERGE
Bonjour.
JEAN-REMI BAUDOT
Vous assistez tout à l'heure, aux côtés d'Emmanuel MACRON, à la cérémonie de scellement, la liberté garantie aux femmes d'avorter est désormais inscrite dans la Constitution. Reste désormais à faire de cette liberté garantie une liberté réelle. Est-ce qu'aujourd'hui une femme en France a accès à l'IVG comme elle le souhaite ?
AURORE BERGE
Déjà, c'est quand même une grande journée. C'est une grande journée, on est le 8 mars, Journée internationale des droits des femmes. Et en ce jour, la France va être le premier pays au monde à inscrire l'IVG, la liberté d'accès à l'IVG dans sa Constitution. Je crois que déjà, ça, ça peut nous réjouir. Ça ne veut pas dire qu'il ne faille pas garantir l'effectivité des droits, c'est même ce qu'il y a de plus important.
JEAN-REMI BAUDOT
Parce que ça fait partie des questions qui sont posées désormais, c'est : et après ? Et maintenant ?
AURORE BERGE
Et maintenant ? Qu'est-ce qu'on fait ? On essaie de faire monter en compétence d'autres professions médicales, pour garantir que partout sur le territoire, les femmes aient accès évidemment à ce qui est maintenant donc une liberté inscrite dans la Constitution. C'est notamment la question des sages-femmes, de manière à ce que les sages-femmes puissent pratiquer non seulement les IVG médicamenteuses, mais aussi les IVG chirurgicales, puisque vous savez qu'il y a deux méthodes, évidemment, sur l'accès à l'IVG. On a élargi aussi les délais d'accès à l'IVG chirurgicale. On est passé de 12 à 14 semaines. Et puis évidemment, l'accompagnement de toutes les femmes de manière systématique.
JULIE MARIE-LECONTE
Mais 17 %, Aurore BERGE des femmes qui doivent changer de département pour pouvoir avorter. Est-ce qu'il faut des unités dédiées ? Peut-être des moyens dédiés, voire sanctuarisés dans les hôpitaux ?
AURORE BERGE
Les moyens y sont dédiés. Le sujet qu'on a, c'est un sujet général dans notre pays…
JULIE MARIE-LECONTE
Alors, les sages-femmes, les infirmières, racontent que souvent elles sont réquisitionnées sur d'autres missions, précisément des missions qui bloquent, parfois.
AURORE BERGE
Ce sont des missions qui sont impérativement prioritaires. Après, vous avez deux méthodes pour recourir à l'IVG, soit une méthode médicamenteuse, que vous pouvez prendre évidemment, soit à votre domicile...
JULIE MARIE-LECONTE
Là, je parlais des…
AURORE BERGE
... soit, si vous préférez rester d'ailleurs dans un contexte médical à l'hôpital, vous pouvez rester à l'hôpital et avoir recours à l'IVG médicamenteuse. Et puis, en fonction de la santé des femmes, en fonction parfois des délais, l'IVG chirurgical, et donc il y a besoin évidemment d'un bloc. C'est une opération simple. C'est une opération qui prend à peu près 1 heure à être réalisée. Ce qui se passe, c'est quoi ? C'est qu'on a un sujet de démographie médicale sur cette profession, comme sur beaucoup de professions médicales, que ce soit les gynécologues obstétriciens ou les sages-femmes. Donc, ce qu'on fait, c'est on essaie de faire monter en compétence, encore une fois, c'est ce qu'on a fait avec les sages-femmes, pour se dire, il n'y a pas que les gynécologues obstétriciens qui peuvent pratiquer l'IVG, ils sont à peu près 5 600 dans notre pays. Il y a aussi justement les sages-femmes qui sont, elles, près de 25 000 dans notre pays, qui vont pouvoir le faire. Donc, ça veut dire que là, ça n'était pas possible...
JEAN-REMI BAUDOT
À quelle échéance ?
AURORE BERGE
Là, les décrets sont en train d'être finalisés par la ministre de la Santé. Normalement, à la fin du mois. Donc, ça veut dire que vous passez d'un potentiel de 5 600 gynécologues obstétriciens qui pratiquait les chirurgicales à 25 000 sage-femmes, qui évidemment en lien avec un médecin si jamais il y avait des moindres complications évidemment, vont pouvoir le pratiquer. Donc ça change aussi...
JULIE MARIE-LECONTE
... ils étaient trois jusqu'à présent.
AURORE BERGE
C'était trois, voire même quatre, donc c'était très très très encadré. Trop. C'est d'ailleurs contraire à la volonté des législateurs, puisque ça avait été une disposition parlementaire qu'on avait souhaité introduire, je l'avais votée, on a été nombreux à avoir initié cette disposition. Donc, vous voyez qu'on élargit ses possibilités. Donc, ça veut dire qu'on a un maillage aussi sur notre territoire pour garantir partout, évidemment, l'accès aux soins.
JEAN-REMI BAUDOT
Donc, ce sera, si je comprends bien, à partir du mois d'avril, si c'est à la fin du mois…
AURORE BERGE
La ministre de la Santé est en train de travailler sur la finalisation des décrets pour que ce soit effectif.
JEAN-REMI BAUDOT
Question très concrète : est ce que les sages-femmes auront aussi droit à une clause de conscience ?
AURORE BERGE
C'est déjà le cas. Il y a une clause de conscience générale qui existe de toute façon dans notre droit, qui fait qu'évidemment on n'obligera jamais un praticien, quel que soit ce praticien, une infirmière aussi, psychologue, même une secrétaire d'ailleurs. Enfin bref, il y a une clause de conscience qui fait que si vous ne souhaitez pas pratiquer cet acte médical, eh bien on ne va pas évidemment tordre le bras d'un praticien pour le faire. En revanche, je le rappelle aussi, si vous êtes un médecin, que vous refusez de pratiquer cet acte, vous devez immédiatement réorienter la patiente, immédiatement la réorienter, pour qu'elle ait accès à un praticien qui, lui, accepte de pratiquer, pour que vous ne vous retrouviez par justement hors délai, en vous mettant évidemment en risque.
JULIE MARIE-LECONTE
Donc sur les 25 000 sages-femmes, est-ce qu'on a le moyen de savoir combien pratiqueront l'IVG ?
AURORE BERGE
Là, je ne sais pas vous dire, mais je crois que vu les discussions qu'on a avec l'Ordre national des sages-femmes, qu'il y a un engagement très clair des sages-femmes qui sont le premier recours de santé des femmes dans notre pays et qui souhaitaient avoir cet accès facilité, parce qu'elles voyaient bien au quotidien que des femmes pouvaient être entravées dans leur accès au droit et leur accès à cette liberté.
JULIE MARIE-LECONTE
La loi de 2022, elle prévoyait que les ARS mettent à disposition des femmes, des répertoires, un répertoire des praticiens, quand elles veulent avorter. Alors j'ai cherché sur les sites des ARS, je n'en ai trouvé que trois qui proposent ce répertoire. Qu'est ce qui se passe ? Pourquoi est-ce que la loi n'est pas respectée ?
AURORE BERGE
Eh bien il faut garantir qu'elle le soit, évidemment partout. Mais je crois que l'objectif c'est...
JULIE MARIE-LECONTE
Il faut mettre la pression sur les Agences régionales de santé ?
AURORE BERGE
Mais les Agences régionales de santé, elles font vraiment leur travail, vraiment.
JULIE MARIE-LECONTE
Mais non, il n'est pas fait.
AURORE BERGE
Mais après, on peut le renforcer évidemment et garantir l'effectivité. Mais notre enjeu, c'est quoi ? Notre enjeu, c'est qu'une jeune femme, une jeune fille, une femme, qui souhaite avoir accès à l'IVG, doit avoir un parcours qui soit simplifié. Aujourd'hui, les premières recherches que vous faites sont souvent sur Internet, et là, c'est déjà un problème. Pourquoi ? Parce que vous avez des entraves qui existent, malgré la loi, parce que vous avez des référencements de tous les sites qui veulent culpabiliser les femmes, désinciter les femmes, désinformer les femmes, qui sortent très en tête. Donc moi je vais rencontrer tous les moteurs de recherche aussi sur ce sujet, pour garantir qu'à un moment ce soit d'abord de l'information, avant de la désinformation. Ensuite, il y a tout ce qu'on fait pour le soutien à ceux qui sont aussi les centres de premiers recours et d'information des femmes, je pense notamment à nos centres de planning familial qui vont accueillir les femmes, qui vont orienter, parfois aussi des jeunes filles qui juste ne savent pas du tout comment cet accès va se passer et qui les reçoivent de manière anonyme, de manière confidentielle, et qui vont pouvoir les accompagner dans leur accès aux droits. Et puis évidemment, il y a le recours que vous avez, soit en libéral, parce que vous allez voir notamment une sage-femme, soit le recours que vous avez à l'hôpital. Bref, l'objectif, c'est de simplifier le parcours des femmes, pour qu'encore une fois, partout sur le territoire, en Hexagone comme en Outre-mer, les femmes aient accès au respect de leurs droits.
JEAN-REMI BAUDOT
Le Planning familial, qui réclame l'autorisation de pratiquer des IVG instrumentales dans les centres de planification et les centres de santé sexuelle, est-ce que vous êtes pour ?
AURORE BERGE
Ça, c'est une discussion qu'on doit avoir avec le ministère de la Santé. Il faut toujours garantir, évidemment la sécurité du parcours d'accès à l'IVG, notamment instrumentale, parce que ça reste un acte chirurgical qui est réalisé, et je crois que l'élargissement aux sages-femmes est déjà une garantie supplémentaire extrêmement importante de l'effectivité de ce droit.
JEAN-REMI BAUDOT
Et peut être juste un dernier mot, est-ce que vous avez des remontées de la part de médecins et peut être de praticiens, diverses, de dire : on a aussi des pressions dans certains milieux pro-vie, des gens qui viennent nous embêter parce que nous on pratique des avortements ?
AURORE BERGE
Mais les entraves, elles n'ont jamais arrêté. Elles n'ont jamais arrêté. Encore cette semaine, le centre de planning familial de Strasbourg a été attaqué, a été graffé, etc.
JEAN-REMI BAUDOT
Est-ce que c'est pour ça qu'on n'a pas un répertoire exhaustif des praticiens qui pratiquent l'IVG ?
AURORE BERGE
Non, mais ce qu'il faut, c'est évidemment, nos praticiens, nos médecins, nos sage-femmes qui pratiquent les IVG, ne sont pas des cibles et ne doivent en aucun cas évidemment être pris pour cible. Ce qu'on doit en revanche aux femmes qui souhaitent avoir accès à l'IVG, c'est que ce soit simple, c'est que ce soit simple parce que c'est un acte médical et c'est un acte médical qui est maintenant en plus inscrit dans notre Constitution, et donc qui doit être partout protégé, préservé et garanti.
JEAN-REMI BAUDOT
Aurore BERGE, on se retrouve dans un instant, juste après le Fil Info de Mathilde ROMAGNAN à 08h40.
Le Fil Info
JEAN-REMI BAUDOT
En raison d'un appel à la grève de la CGT Radio France déposé dans le cadre de la Journée internationale de lutte pour le droit des femmes, nous ne sommes pas en mesure de diffuser l'intégralité de nos programmes habituels. Nous vous prions de nous en excuser.
JULIE MARIE-LECONTE
Aurore BERGE, la prochaine étape c'est l'inscription du droit à l'avortement dans la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. C'est en tout cas ce que souhaite Emmanuel MACRON. Est-ce que ce n'est pas un vœu pieux, sachant que pour réviser cette Charte des droits fondamentaux, il faut l'unanimité des 27 pays ?
AURORE BERGE
Je crois que c'est un enjeu majeur, notamment des élections européennes qu'on va avoir. Qui on veut envoyer notamment au Parlement européen ? Quelle démocratie on veut au sein de l'Union européenne ? Est-ce qu'on veut des pays qui soient justement progressistes sur la question des droits des femmes ? Et en général derrière les droits des femmes, il y a souvent les droits LGBT qui sont remis en cause. Où est-ce qu'on veut, au contraire, des pays qui restreignent les droits et les libertés ? Et je crois que ça, c'est un enjeu assez décisif de quelle Europe on veut. Moi la semaine dernière, je rencontrais toutes mes homologues européennes, quelques hommes aussi mais au Ministère de l'Égalité, il y a quand même beaucoup de femmes, notamment la ministre polonaise. Vous savez qu'en Pologne, les choses ont un peu changé. Le gouvernement a changé et aujourd'hui, ils n'ont pas de majorité au Parlement pour réviser justement et garantir cette capacité d'accès des femmes à l'IVG. Et justement, elle espère énormément de l'impulsion qui va ou pas exister au moment des élections européennes, le 9 juin prochain, pour se dire : est-ce que oui ou non, on a une force progressiste qui à un moment emporte l'Union européenne et qui va garantir plus de droits, plus de libertés, mieux les protéger ? Ou à l'inverse, est-ce qu'on a une force réactionnaire au sein de l'Union européenne qui pourrait progressivement rogner sur des libertés et des droits fondamentaux ? Donc c'est aussi un des enjeux majeurs de cette élection.
JULIE MARIE-LECONTE
Quand vous entendez Joe BIDEN cette nuit devant le Congrès américain faire du droit de choisir l'un des axes de son discours et un des axes de sa campagne présidentielle, c'est pour vous une source d'espoir ?
AURORE BERGE
Oui, mais je crois que c'est important que tous les pays se réveillent, j'allais dire, sur cette question-là. Parce qu'encore une fois, vous savez, quand j'avais déposé cette proposition de loi, il y a ceux qui disaient "Ça n'aboutira pas" – on a donné une réponse très claire – puis il y a ceux qui disaient "De toute façon, ça ne sert à rien". Ça ne sert pas à rien de protéger au plus haut niveau une liberté qui est une liberté fondamentale des femmes. Parce qu'encore une fois, on le voit des États-Unis à la Hongrie, à la Pologne, on a des attaques pourtant dans ce qui est considéré comme étant des démocraties occidentales avancées, notamment les États-Unis. Des femmes qui, dans certains États américains, même en ayant été violées, même en cas d'inceste, risquent aujourd'hui la prison. Donc il faut un réveil des consciences, des peuples et pour ça on a un bulletin de vote. On a un bulletin de vote le 9 juin prochain pour savoir aussi quels hommes et quelles femmes on veut envoyer au Parlement européen pour défendre des principes qui sont pour nous essentiels.
JEAN-REMI BAUDOT
On reviendra dans quelques instants sur la campagne européenne, Aurore BERGE, mais l'IVG étant désormais gravée dans le marbre de la Constitution, il reste beaucoup d'autres combats, avec en tête évidemment l'égalité salariale. À quand, Aurore BERGE, de vraies sanctions contre les entreprises qui payent les femmes moins que les hommes ? Rappelons qu'à temps de travail et poste identique, l'écart de salaire selon l'INSEE est de 4 %.
AURORE BERGE
Déjà ce qui est bien, c'est qu'il y a une moyenne nationale d'écart salarial qui est à 24 % quand on est à travail égal et à temps de travail égal…
JEAN-REMI BAUDOT
Mais ce n'est pas du temps…
AURORE BERGE
C'est à 4 %, ce qui veut dire plusieurs choses. Ce qui veut dire que les femmes continuent à subir beaucoup de temps partiel, parce que ce n'est pas nécessairement et systématiquement un choix. C'est d'abord souvent parce qu'elles subissent du temps partiel, donc forcément ç'a des conséquences sur leur carrière.
JULIE MARIE-LECONTE
Justement ce temps partiel, Aurore BERGE, est-ce qu'il faut l'interdire ?
AURORE BERGE
En tout cas, ça veut dire qu'on a un engagement qui doit être beaucoup plus fort des organisations syndicales et patronales sur cette question-là, des entreprises sur ces enjeux-là, parce qu'il y a une surreprésentation des femmes dans le temps partiel, ce qui veut dire que tout au long, toute la construction de leur carrière va se faire avec des salaires en deçà évidemment de ceux des hommes jusqu'évidemment à leur retraite. Tous les débats qu'on a eus sur la retraite, c'est évidemment la conséquence d'abord de votre carrière. Donc qu'est-ce qu'on fait ? On a été les premiers à mettre en place un index. Ce que je note aujourd'hui…
JULIE MARIE-LECONTE
Il ne marche pas.
AURORE BERGE
Alors attendez. Ce que je note aujourd'hui, c'est que plus personne ne remet en cause le fait qu'on ait un index égalité qui mesure si oui ou non, dans les entreprises de plus de 50 salariés, on a des écarts, et ç'a permis de faire bouger les choses. Pourquoi ? Parce qu'on a mesuré année après année. Et année après année, on a vu que la notation, elle progressait. Pourquoi ? Parce qu'on a des entreprises qui sont sincèrement engagées puis parce qu'on en a d'autres, peut-être moins sincèrement engagées, mais qui se sont dit qu'en termes d'image, en termes commercial, en capacité d'avoir à un moment des collaborateurs qui ont envie de les rejoindre, être mal noté sur les enjeux d'égalité, ce n'était pas une bonne chose pour elles. Est-ce qu'on doit aller plus loin ? Oui, et on va le faire. On a décidé que toutes les entreprises qui soit n'avaient pas mis en place cet index, soit n'avaient pas publié leur score – sans doute parce qu'il n'est pas assez bon –, soit parce qu'ils ont des scores systématiquement en dessous de la moyenne, c'est-à-dire 75 sur 100, vont être exclues de tous les marchés publics de l'État. Donc ça, c'est quand même une mesure très forte. C'est des milliards d'euros chaque année, les marchés publics de l'État.
JEAN-REMI BAUDOT
À quelle échéance Est-ce que ça aussi ça peut être mis en place ?
AURORE BERGE
À ce stade, on avait dit 2027. Est-ce qu'il faut accélérer ? C'est un des débats qu'on va avoir puisque la ministre du Travail va réunir justement toutes les organisations syndicales et patronales. Et s'il faut accélérer, moi j'ai toujours dit en tant que ministre de l'Egalité entre les femmes et les hommes, s'il faut aller plus loin sur les enjeux de sanction, je pense qu'il ne faut pas avoir de tabou en la matière.
JEAN-REMI BAUDOT
La maternité reste par ailleurs un obstacle dans la carrière des femmes, même si les deux tiers des pères prennent aujourd'hui leur congé paternité qui a été porté à 28 jours. Où on est exactement le congé de naissance annoncé par Emmanuel MACRON ? C'était au mois de janvier.
AURORE BERGE
Alors déjà, nous, on a renforcé le congé paternité et c'est une bonne chose non seulement pour les enfants et les pères, mais c'est aussi une bonne chose en matière d'égalité entre les femmes et les hommes, évidemment. Et donc on a 7 jours obligatoires et jusqu'à 28 jours. Là encore, des entreprises souvent vont plus loin, compensent jusqu'à 100 % de manière à encourager. Je note que oui, il y a de plus en plus de pères qui ont recours à ce congé paternité, mais qu'on a aussi des écarts très importants en fonction des types de métiers. En gros, plus vous êtes cadre, plus vous allez utiliser avoir recours à votre congé paternité parce que c'est plutôt bien valorisé. Quand vous êtes plutôt employé, ouvrier, vous n'allez pas forcément demander au-delà des 7 jours qui sont obligatoires.
JEAN-REMI BAUDOT
Ce n'est pas forcément une histoire de salaire derrière en fait, de rentrée d'argent pendant cette période-là.
AURORE BERGE
C'est aussi une question de perception et là encore de stéréotypes. De comment, dès le plus jeune âge, on doit travailler sur des stéréotypes de genre qui sont très installés, sur ce qu'on attend ici des petites filles et des petits garçons et qui continuent tout au long de la vie.
JULIE MARIE-LECONTE
Le congé naissance justement…
AURORE BERGE
Déjà, ça change la perception des employeurs. Enfin, combien de femmes entre 25 et 35 ans ont eu une question de leur futur employeur qui était de dire "est-ce que vous avez des enfants ou est-ce que vous envisagez d'en avoir ?" C'est une question illégale. Mais moi, je l'ai eue cette question, sans doute vous aussi.
JEAN-REMI BAUDOT
Question qui n'est pas posée aux hommes.
AURORE BERGE
Sans doute que dans toutes nos carrières… Étonnamment, c'est une question qui n'est pas posée aux hommes. Mais si maintenant on dit "écoutez, entre 25 et 40 ans, un homme et une femme qui souhaitent avoir des enfants au cours de leur vie, les deux vont pouvoir s'arrêter". Les deux vont pouvoir s'arrêter plusieurs mois, et on va faciliter le fait qu'ils puissent s'arrêter parce que ça va être bien mieux indemnisé qu'aujourd'hui. C'était 429 euros le congé parental, ça va passer à 1 800. Ça change le regard aussi que les employeurs vont être obligés quelque part de porter sur la parentalité, sur le fait d'être un homme et de devenir père, sur le fait d'être une femme et de devenir mère. Ce qui est certain, c'est qu'aujourd'hui, quand vous devenez père, c'est un accélérateur en termes de carrière ; quand vous devenez mère, ça plombe potentiellement votre carrière. Et on a des femmes qui renoncent au fait d'être mère, qui reportent leur projet parce qu'elles ont peur que ce soit leur mort sociale et leur mort professionnelle. Et ça, ce n'est pas acceptable.
JULIE MARIE-LECONTE
Donc là, le congé de naissance, ce serait 50 % du salaire. C'est ça les arbitrages qui sont rendus ?
AURORE BERGE
Alors, c'est ce qu'on est en train de finaliser. Ce sera un plafond jusqu'à 1 800 euros, là où aujourd'hui c'était 429 euros le congé parental.
JULIE MARIE-LECONTE
1 800 euros, ce serait quoi ? 50 % du salaire ?
AURORE BERGE
C'est ça qu'on est en train de finaliser et de définir. Mais en tout cas, le plafond aujourd'hui, c'était 429 euros. Là, ça va être des indemnités journalières, ce ne sera pas une indemnité comme c'était aujourd'hui organisé. Mais surtout de 429, vous passez à 1 800, donc ce n'est pas la même chose sur la capacité que vous avez potentiellement à vous arrêter et à engager ce congé de naissance qui repose évidemment sur la liberté. Moi je pense que ça, c'est important aussi. Liberté des femmes et des hommes d'avoir recours ou pas à ce congé. Mais je crois que ça change la donne, notamment en matière d'égalité.
JEAN-REMI BAUDOT
Et là encore, l'adoption à quelle échéance ?
AURORE BERGE
Pour le projet de loi de financement de la Sécurité sociale, puisque ça doit être intégré dans ce dispositif-là, donc automne 2024 pour que ça puisse être effectif dès 2025. Donc ceux qui nous écoutent, qui envisagent d'avoir des enfants, eh bien c'est le moment, s'ils le souhaitent, évidemment. Mais en tout cas, ils auront accès à un nouveau droit et une nouvelle liberté.
JEAN-REMI BAUDOT
Attendez déjà la fin de l'interview. Aurore BERGE, ministre déléguée chargée de l'Egalité entre les hommes et les femmes, on se retrouve juste après le Fil Info de Mathilde ROMAGNAN.
Le Fil Info
JULIE MARIE-LECONTE
Aurore BERGE, en dénonçant les rapports parfois toxiques entre les réalisateurs et leurs comédiennes, Judith GODRECHE a déclenché en France une nouvelle vague #MeToo. Vous, vous lancez une nouvelle mission sur les mécanismes à l'œuvre partout où s'exerce une domination hiérarchique. Vous pensez qu'on ne les connaît toujours pas, ces mécanismes-là?
AURORE BERGE
Je pense que, surtout, il faut qu'on détermine non pas forcément les mécanismes à l'œuvre, mais les contrepouvoirs et les régulations qu'on doit mettre en place. Judith GODRECHE, elle a alerté sur un univers avec un univers dans lequel, évidemment, il peut y avoir parfois une toute puissance, toute puissance du réalisateur sur son actrice ou sur ses acteurs, puisqu'on a aussi ce mouvement #MeToo Garçons qui est, je crois, très important pour notre société qui s'est lancé. C'est ce qu'on a vu aussi dans le sport. Sarah ABITBOL avait été une des premières à décrire ce qu'elle avait pu subir et dans un certain nombre de fédérations, on a bien vu aussi des mécanismes qui pouvaient exister. C'est le cas aussi dans d'autres secteurs évidemment d'activité. C'est-à-dire que quand on a une domination hiérarchique telle qui s'installe mais qu'on n'a aucun contrepouvoir, eh bien à un moment, on a le risque que les personnes qui sont les plus vulnérables, les plus fragiles, qui ont peur pour leur avenir, pour leur carrière, qui ont peur tout simplement, en vérité, ne puissent pas agir, n'aient pas les moyens d'agir. Donc c'est cela qu'on doit garantir. Donc on le fait, ministère de la Justice, ministère des Sports, ministère de la Culture, ministère de la Fonction publique aussi de manière à garantir que partout, partout où il y a cette domination, ce pouvoir hiérarchique existe, eh bien, on a aussi en face des contre-pouvoirs. Ce qu'on a fait, par exemple aussi dans le monde de la politique. Quand vous êtes un parlementaire et que vous avez un assistant ou souvent une assistante parlementaire, vous voyez bien que le pouvoir n'est pas à égalité. Et donc vous avez besoin d'avoir – ce qu'on a fait aussi – des cellules dédiées de lutte contre le harcèlement, des endroits où, si vous vous sentez que la relation est en train de prendre une tournure qui est détestable, de violence éventuellement qui peut s'installer, d'agressions, d'atteintes sexuelles, eh bien qu'évidemment, au-delà du travail nécessaire, police, justice, vous avez aussi des outils de régulation internes vers lesquels vous pouvez vous tourner.
JULIE MARIE-LECONTE
Cette mission, elle va durer quoi? Trois mois?
AURORE BERGE
L'idée, c'est d'aller vite, mais d'être très efficace.
JULIE MARIE-LECONTE
Et elle aboutit sur des mesures, un plan avec des moyens ?
AURORE BERGE
Oui, des moyens. Mais surtout, c'est au-delà des moyens parce que ce n'est pas tant des moyens budgétaires là en l'espèce qu'imposer … que dans toutes ces organisations-là, on ait des règles claires. Il se passe quoi quand on a une jeune fille avec un entraîneur sportif ? C'est quoi la règle qu'on doit mettre en place quand vous devez partir en tournoi à travers la France ou à travers le monde ? Il se passe quoi entre un réalisateur sur un plateau de tournage et des acteurs ou des actrices?
JULIE MARIE-LECONTE
Judith GODRECHE reçu des milliers de témoignages. Vous allez les étudier ?
AURORE BERGE
Si elle y donne accès, mais c'est des gens qui lui ont écrit parce qu'ils faisaient confiance à elle ; si elle le souhaite et si ces personnes souhaitent témoigner, oui. Nous, on va demander, on va créer un appel à témoignages. Si des personnes veulent pouvoir témoigner – alors je dis là on leur publiera, c'est temoignages-efh@pmgouv.fr. Toutes celles et ceux qui veulent témoigner, y compris de manière totalement anonyme, évidemment et confidentielle, leurs témoignages ne seront pas révélés, sauf s'ils le souhaitent, pourront le faire. C'est aussi comme ça qu'on arrive à construire, je crois, des politiques publiques efficaces.
JULIE MARIE-LECONTE
Ils seront lus par qui ces messages-là ?
AURORE BERGE
Par moi, notamment par des fonctionnaires qui travaillent et qui nous accompagnent sur cette mission évidemment qui sont ici des avocats, ici des magistrats. Et encore une fois, je pense que c'est aussi comme ça qu'on a une révélation de ce qui se passe. Regardez la CIIVISE, ce sont des milliers et des milliers de témoignages et c'est aussi comme ça qu'on a pris conscience de l'ampleur du phénomène et des mécanismes à l'œuvre.
JEAN-REMI BAUDOT
Aurore BERGE, LA FRANÇAISE DES JEUX veut que les bureaux de tabac ( 29 000 points de vente) puissent devenir des refuges pour les femmes. Est-ce que c'est vraiment le rôle d'un bureau de tabac d'accueillir des femmes qui pensent être victimes ou qui se savent victimes de harcèlement dans la rue ?
AURORE BERGE
Je crois que c'est le rôle de toute la société. J'ai rencontré la créatrice, on était hier dans un bureau de tabac. Vous savez comment l'idée lui est née ? L'idée lui est née parce qu'elle était dans la rue un soir et qu'elle a un homme qui a tenté de l'agresser sexuellement. Et ce qu'elle a fait, c'est qu'elle a voulu trouver un refuge et que le vigile à l'entrée lui a dit "vous êtes gentille, mais vous n'avez pas la bonne tenue, vous n'êtes pas invitée, donc vous passez votre chemin. Je n'ai pas à vous accueillir." Donc à un moment, c'est aussi une mobilisation de toute la société de se dire : je suis une femme, je suis une jeune femme, une jeune fille, je suis seule dans une rue et il y a quelqu'un qui a tenté de m'agresser, il y a quelqu'un qui presse le pas. J'ai peur. Eh bien, je sais qu'il y a des lieux d'accueil, de refuge dans lesquels je peux aller. Et l'avantage de ces lieux notamment, ces bureaux de tabac, c'est qu'ils sont ouverts très tôt le matin. Ils sont ouverts souvent tard le soir et donc ça permet aussi …
JEAN-REMI BAUDOT
Ça veut dire que c'est une forme de manque de civisme. Enfin, je suis désolé, mais quand quelqu'un se fait agresser dans la rue, on ne lui ouvre pas la porte, c'est non-assistance à personne en danger au minimum ? !
AURORE BERGE
Je le sais bien. Mais combien de femmes dans le métro ont subi des attouchements, ont subi des agressions, subi des atteintes sexuelles dans une indifférence assez générale de celles et ceux qui pouvaient les entourer ? ! Je ne connais pas une femme qui a subi moi-même, je pense, toutes les femmes ont subi ce genre d'atteintes sexuelles, d'agressions. Ça se voit pourtant. Donc c'est à un moment une mobilisation de toute la société. Au premier rang, c'est l'État, c'est l'État qui doit le garantir. C'est ce qu'on fait sur la police, sur la justice, sur les moyens qu'on y met, évidemment. Mais après, c'est évidemment toute la société qui doit se sentir concernée quand une femme est potentiellement en danger parce qu'il y a malheureusement un certain nombre de prédateurs, et donc encore une fois, c'est cette société qui doit se réveiller. Et donc tant mieux si la mobilisation …
JULIE MARIE-LECONTE
Aurore BERGE, vous parlez des moyens, Bercy va amputer vos moyens justement de 7 millions d'euros, vous allez les prendre où ces 7 millions ?
AURORE BERGE
C'est une discussion qu'on est en train d'avoir. Moi, de manière très claire, je l'ai dit, je l'ai réaffirmé, et je l'ai dit au ministre de l'Economie qui est évidemment d'accord, il n'y a pas un euro qui sera pris sur la question de la lutte contre les violences faites aux femmes, sur le planning familial …
JULIE MARIE-LECONTE
Mais la question, c'est : qu'est-ce que vous êtes prête à sacrifier ?
AURORE BERGE
Pour l'instant, pas grand-chose.
JULIE MARIE-LECONTE
7 millions quand même !
AURORE BERGE
Donc c'est une discussion, c'est une discussion qu'on est en train d'avoir pour garantir encore une fois l'effectivité des droits des femmes, sachant que pour la première fois aussi, on a demandé, c'était d'ailleurs le ministre des Comptes publics de l'époque, aujourd'hui Premier ministre que dans chaque ministère, et bien il nous dise concrètement quel est le budget en faveur de l'égalité entre les femmes et les hommes qu'il mette en place. Donc ça veut dire qu'à l'automne prochain. Parce que vous savez, on a un automne budgétaire dans chaque ministère – Police, Justice, Santé, Logement, Education, Enseignement supérieur –, partout, on saura le budget que la France consacre aux enjeux d'égalité.
JEAN-REMI BAUDOT
Merci beaucoup, Aurore BERGE, ministre déléguée chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes et aussi de la Lutte contre les discriminations, merci beaucoup d'avoir été l'invitée du "8 :30 franceinfo" ce matin.
AURORE BERGE
Merci beaucoup !
Source : Service d'information du Gouvernement, le 11 mars 2024