Déclaration de Mme Marie Lebec, ministre déléguée, chargée des relations avec le Parlement, sur le bilan de l'application des lois, au Sénat le 28 mai 2024.

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Intervenant(s) : 
  • Marie Lebec - Ministre déléguée, chargée des relations avec le Parlement

Texte intégral

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle le débat sur le bilan de l'application des lois (rapport d'information n° 624).

(…)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie Lebec, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée des relations avec le Parlement. Madame la présidente, madame la présidente de la délégation du Bureau, madame, messieurs les présidents de commission, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d'abord de saluer la qualité du rapport présenté par Mme la présidente Vermeillet et des contributions des commissions permanentes, ainsi que l'importance de ce débat, qui constitue un temps fort du calendrier de suivi de l'application des lois.

Au 31 mars 2024, hors mesures différées, le taux d'application des lois publiées entre octobre 2022 et septembre 2023 était de 69 %, contre 74 % à la même date l'an passé.

Ce taux a toutefois connu une nette amélioration ces dernières semaines, car, en prenant en compte les textes réglementaires adoptés depuis la fin de mars, il atteint désormais 75 %, contre 78 % à la fin du mois de mai 2023, soit un écart réduit à trois points.

Malgré cette forte accélération, je partage, madame la présidente, le constat que ce taux global doit continuer à progresser, et que les mesures d'application de certaines lois tardent à être prises. Nous aurons sans doute l'occasion de revenir sur plusieurs d'entre elles dans la suite du débat.

Le retard observé s'explique en partie par l'augmentation tendancielle des renvois au règlement introduits au cours de la navette, qui représentent désormais plus de la moitié des mesures à prendre, ainsi que par la concentration des mesures d'application sur un nombre réduit de ministères.

En effet, le ministère du travail, de la santé et des solidarités, le ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique ainsi que le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires représentent à eux trois 80 % de l'ensemble des mesures réglementaires à prendre.

Je constate par ailleurs, comme vous, un écart important des taux d'application entre les lois d'origine gouvernementale et les lois d'origine parlementaire.

Toutefois, en examinant dans le détail l'origine des renvois à des mesures réglementaires, toutes lois confondues, nous constatons que l'écart est seulement de quatre points entre ceux d'origine gouvernementale et ceux d'origine parlementaire. Il n'y a donc bien sûr aucune forme de discrimination de la part du Gouvernement, dans l'application des lois, en fonction de l'origine des mesures.

Quant à la remise des rapports, elle reste non satisfaisante, car le taux de réponse aux demandes formulées par le Parlement est de 35 % pour la session 2022-2023, contre 43 % pour la session précédente. Je connais la parcimonie de votre assemblée en la matière, et me tiens à la disposition du Sénat pour alerter les ministres sur les rapports spécifiques pour lesquels les travaux d'élaboration doivent être priorisés.

Concernant les ordonnances prévues à l'article 38 de la Constitution, le Gouvernement a considérablement réduit le nombre de demandes d'habilitation, conformément aux engagements pris à l'été 2022. Ainsi, alors que 353 ordonnances avaient été prises au cours de la XVe législature, seulement trente-neuf ont été publiées depuis le début de cette législature, en majorité pour transposer des dispositions européennes d'ordre technique.

Enfin, comme le Gouvernement s'y était engagé devant vous l'an passé, et à la suite de l'annonce faite par le ministre chargé des relations avec le Parlement lors du dernier comité interministériel de l'application des lois, le secrétariat général du Gouvernement a engagé une démarche de suivi des arrêtés pris pour l'application des lois, lorsqu'ils sont directement mentionnés par celles-ci.

Cette évolution répond à une demande ancienne et légitime du Sénat, qui permettra à terme de rendre compte de l'application des lois de manière encore plus exhaustive et de mieux piloter la mise en œuvre de ces textes par les ministères.

En réponse à votre requête, madame la présidente de la délégation, je vous confirme que nous pourrons présenter au Sénat un taux d'adoption des arrêtés, lors du prochain débat, incluant l'ensemble des lois promulguées depuis le début de la législature.

Voici les éléments dont je souhaitais vous faire part en introduction. Je conclus mon propos en remerciant les services du secrétariat général du Gouvernement pour leur engagement et le travail considérable qu'ils effectuent au quotidien afin de coordonner l'application des lois au niveau interministériel.


- Débat interactif -

Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au débat interactif. Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum, y compris l'éventuelle réplique. Le Gouvernement dispose pour répondre d'une durée équivalente.

Je vais tout d'abord donner la parole aux représentants des commissions.

La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires économiques.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente de la commission des affaires économiques. Madame la ministre, cinq ans après la publication de la loi du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat, qui prévoyait l'adoption d'une loi quinquennale sur l'énergie devant fixer les objectifs et les priorités d'action de notre politique énergétique nationale avant le 1er juillet 2023, force est de constater que celle-ci n'a toujours pas vu le jour.

Pis, le Gouvernement a successivement annoncé renoncer à légiférer, non seulement sur le projet de loi de souveraineté énergétique en mars, mais également sur toute programmation énergétique en avril.

Décider une programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) et une stratégie nationale bas-carbone (SNBC) par décret, alors que les objectifs législatifs nationaux, datant de 2019, sont obsolètes et n'intègrent pas les règlements et les directives issus du paquet européen Ajustement à l'objectif 55 de 2023, serait contraire à la volonté du législateur et aux engagements qui avaient été pris. Cela serait même très périlleux sur le plan juridique, mais aussi, bien sûr, sur le plan politique. Voilà qui exposerait ces textes à des critiques et, surtout, à des contentieux, en raison de leur articulation avec le cadre légal ou européen.

Madame la ministre, comment intégrez-vous ce risque juridique et politique ? Entendez-vous les critiques faites sur ce point par le Sénat ? Entendez-vous qu'il est nécessaire de légiférer sur nos objectifs énergétiques ? Soutenez-vous la proposition de loi déposée en ce sens par le groupe Les Républicains, qui sera débattue en séance publique à partir du 11 juin ? (M. Philippe Mouiller applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée, pour répondre à ces excellentes questions. (Sourires.)

Mme Marie Lebec, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée des relations avec le Parlement. Madame la présidente Estrosi Sassone, en matière de politique énergétique, le Gouvernement a un impératif, celui qui consiste à donner de la visibilité aux acteurs économiques et à accélérer notre dynamique économique et industrielle face à l'urgence climatique. Vous partagez ces mêmes préoccupations et je tiens à saluer l'investissement des sénateurs Gremillet et Chauvet, qui sont particulièrement impliqués.

Face à l'urgence d'agir, nous sommes malheureusement confrontés à une forme de guerre de religion, si vous me permettez l'expression, entre les pronucléaires et les pro-énergies renouvelables. Le Gouvernement, face à une telle situation, a fait le choix du pragmatisme. (M. François Bonhomme ironise.) Il souhaite définir une programmation énergétique qui nous permette à la fois de sortir des énergies fossiles, de développer en priorité l'atome et de nous appuyer sur les énergies renouvelables. Je sais que vous partagez ces ambitions sur le fond.

Pour ce faire, et pour mettre en œuvre cette programmation énergétique, nous allons lancer une consultation nationale d'ici à l'été au travers de la Commission nationale du débat public…

M. François Bonhomme. Un numéro vert !

Mme Marie Lebec, ministre déléguée. … et, à l'issue de ce débat, les objectifs et les moyens seront fixés.

Le Gouvernement prévoit par ailleurs de proposer prochainement des mesures législatives de protection des consommateurs, pour tirer toutes les leçons de la crise énergétique.

Ensuite, nous souhaitons renforcer notre filière hydroélectrique, pour relancer les investissements et libérer les potentiels, en surmontant le contentieux en cours au niveau européen. Le Parlement sera bien sûr étroitement associé à ce travail.

Enfin, concernant l'initiative parlementaire sur laquelle vous m'avez posé une question, le débat aura lieu dans l'hémicycle le 11 juin prochain. Le ministre délégué chargé de l'industrie et de l'énergie vous fera alors part de l'avancée des travaux en la matière.

M. François Bonhomme. Belle information !

Mme la présidente. La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires économiques, pour la réplique.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente de la commission des affaires économiques. Madame la ministre, vous parlez de pragmatisme, mais vous avez souhaité, une nouvelle fois, contourner le Parlement. Le fait que vous ne vouliez pas inscrire un tel débat à l'ordre du jour le démontre.

Nous n'hésiterons pas à vous prendre à contre-pied, et nous débattrons de tous ces sujets ô combien importants, ici même dans l'hémicycle. J'espère que le Gouvernement saura se saisir du fond et de la forme de cette proposition de loi, à la fois sur la programmation et sur la simplification. (Mme Béatrice Gosselin applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. le vice-président de la commission des affaires étrangères.

M. Philippe Paul, vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le bilan de l'application des lois pour notre commission repose sur deux lois principales.

D'abord, ce bilan s'intéresse à la loi de programmation militaire pour les années 2024-2030. Elle connaît, à ce jour, un taux d'application de 30 %, avec neuf décrets d'application publiés. Il reste à ce jour au Gouvernement vingt-trois mesures réglementaires d'application à prendre.

Selon le calendrier communiqué, certaines auraient dû être prises depuis décembre ou février derniers. Il s'agit notamment de mesures relatives au renforcement du lien entre la Nation et ses armées : mesures liées à la réserve opérationnelle, mesures sur la modernisation des réquisitions ou encore mesures relatives à la crédibilité stratégique ou à la sécurité des systèmes d'information.

Vu l'évolution défavorable du contexte géopolitique, notre commission souhaite que les autres mesures d'application soient prises dans les meilleurs délais.

Notre commission souhaite être informée des travaux préparatoires à ces mesures d'application, en particulier en ce qui concerne les mesures relatives à l'industrie de défense.

La LPM contient une autre innovation, à savoir la commission parlementaire d'évaluation de la politique du Gouvernement d'exportation de matériels de guerre et de matériels assimilés, de transfert de produits liés à la défense ainsi que d'exportation et de transfert de biens à double usage, prévue à l'article 54 de la loi. Ses membres ont été désignés. Ils devraient se réunir rapidement pour examiner pour la première fois le rapport annuel sur les exportations d'armement.

En matière d'aide publique au développement, la loi du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, est, depuis l'exercice précédent, totalement applicable, d'autant que nous venons d'adopter la loi du 5 avril 2024 relative à la mise en place et au fonctionnement de la commission d'évaluation de l'aide publique au développement, qui devrait permettre la mise en place rapide de ce nouvel organisme.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie Lebec, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée des relations avec le Parlement. Monsieur le vice-président Paul, la loi de programmation militaire pour 2024-2030 permet de porter une ambition financière sans précédent et donc de faire de notre pays une puissance militaire de premier plan. Nous avons pour objectif d'assurer une application pleine et entière de ce texte majeur, qui a été publié en août dernier.

De nombreux décrets d'application de cette loi ont d'ores et déjà été publiés concernant les dispositions sur le renforcement des liens entre la Nation et les armées. Je vais vous citer quelques exemples de décret : le décret du 20 décembre 2023 sur la carte du combattant, le décret du 28 décembre 2023 relatif au recrutement des anciens militaires d'active et au maintien en service des militaires ayant atteint la limite d'âge ou la limite de durée des services, ou le décret du 21 décembre 2023 relatif à la promotion fonctionnelle du personnel militaire. Le décret sur la réserve opérationnelle est en cours de finalisation ; les derniers arbitrages devraient être rendus prochainement.

En ce qui concerne les mesures de modernisation des réquisitions, la loi indique que le Gouvernement doit publier les décrets d'application avant le 1er août 2024. Nous avons la ferme volonté de faire aboutir ces travaux dans les meilleurs délais.

Certaines mesures réglementaires ont d'ailleurs déjà été prises en matière d'économie de défense, comme le décret du 28 mars 2024 relatif à la sécurité des approvisionnements des forces armées et des formations rattachées.

En ce qui concerne les dispositions relatives à la crédibilité stratégique et à la sécurité des systèmes d'information, la majeure partie des mesures d'application ont été publiées. Il reste deux décrets qui sont attendus sur les articles 60 et 61 ; ils devraient être publiés très prochainement.

Enfin, la transmission des rapports du bilan d'exécution de la LPM pour la période 2019-2023, prévue à l'article 9, a été effectuée le 26 mars 2024. Les rapports présentant un bilan sur la mise en place du service national universel (SNU) et sur l'exécution de la programmation militaire devraient être publiés dans les prochains jours.

Enfin, le rapport sur les enjeux et les principales évolutions de la programmation budgétaire de la mission "Défense" et celui sur la mise en œuvre des articles 47 à 51 portant sur l'économie de défense devraient être publiés dans les délais fixés par la loi, c'est-à-dire respectivement avant le 30 juin et le 30 septembre.

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.

M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales. Madame la ministre, notre temps étant limité, mon propos s'intéressera aux retards d'application dont souffrent trois lois principales, retards emblématiques de la manière de légiférer en matière de santé sous l'actuelle législature.

Je pense en particulier à la proposition de loi de Mme Fadila Khattabi visant à améliorer l'encadrement des centres de santé, dont M. Jean Sol était le rapporteur pour le Sénat. Nous avions alors subi de fortes pressions pour que notre assemblée adopte ce texte conforme, afin d'en assurer une promulgation rapide. Pour autant, aucune des cinq mesures d'application de cette loi n'avait été prise le 31 mars dernier.

Je pense aussi à la proposition de loi portant amélioration de l'accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé, dite loi Rist 2. Seules six des vingt mesures d'application avaient été prises à la fin de mars, soit un taux d'application de 30 % seulement.

J'ajoute à cette liste la loi du 27 décembre 2023 visant à améliorer l'accès aux soins par l'engagement territorial des professionnels, issue de la proposition de loi de l'actuel ministre Frédéric Valletoux, qui semble suivre le même chemin, avec un taux d'application de 8 % à ce jour. Je pense pourtant que notre rapporteure, Mme Corinne Imbert, se souvient bien que le Gouvernement avait refusé de reporter l'examen de ce texte au Sénat en octobre dernier, en dépit de la tenue concomitante de négociations conventionnelles, du fait de l'urgence des mesures qu'il contenait.

En conclusion, madame la ministre, il me semble que le Gouvernement ferait mieux d'arrêter ce flot quasi continu de propositions de loi, afin de proposer une véritable stratégie en matière de santé et, dans un premier temps, d'appliquer ce que le Parlement a voté et qui reste trop souvent lettre morte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Marie Mercier. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie Lebec, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée des relations avec le Parlement. La question de l'accès aux soins est une priorité du Gouvernement, et je sais que la commission des affaires sociales la partage. Je tiens d'ailleurs à saluer le travail qui est mené par les sénateurs qui en sont membres.

Au sujet de la loi portant amélioration de l'accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé, différents décrets sont attendus. À ce titre, je vous confirme que les décrets relatifs aux diététiciens, aux opticiens et aux orthèses plantaires et le décret relatif à la commission d'assistants de régulation médicale devraient être publiés prochainement. C'est une question de jour pour plusieurs d'entre eux.

S'agissant des autres textes, la préparation du décret simple mettant en place notamment l'expérimentation relative aux infirmiers en pratique avancée a mis en lumière la nécessité de prendre un décret en Conseil d'État complémentaire. L'Académie nationale de médecine doit d'ailleurs rendre un avis d'ici à la mi-juin.

Pour ce qui est enfin des travaux relatifs au décret définissant les conditions de la prise en charge par les infirmiers de la prévention et du traitement de plaies, il nous faut un nouveau vecteur législatif pour pouvoir avancer sur le sujet. Il en est de même pour le décret relatif aux modalités d'exercice de la profession d'assistant dentaire.

Concernant le décret d'application de la loi visant à améliorer l'encadrement des centres de santé, nous attendons un avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil), qui devrait être rendu le 6 juin prochain ; il sera soumis à relecture en vue d'une publication qui devrait avoir lieu d'ici à la fin du mois de juin. Le délai d'adoption de ce texte s'explique par le grand nombre de concertations et de consultations qui ont dû être menées auprès d'une quinzaine, au bas mot, d'organismes représentatifs du secteur de la santé.

Monsieur le président Mouiller, vous l'avez compris, nous sommes conscients de vos attentes sur ces différents textes réglementaires ; le Gouvernement travaille à publier l'ensemble des décrets attendus dans les meilleurs délais.

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales, pour la réplique.

M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales. Madame la ministre, mon sentiment est que nous n'avons pas la même définition de la notion d'urgence en matière de santé. Quant à nous, nous voyons que notre système est en grande difficulté, que des promesses sont faites aux professionnels et aux patients et que, des mots aux actes, l'application tarde.

Permettez-moi un simple conseil : pour éviter une trop longue attente en matière de publication des décrets, déposez des projets de loi plutôt que d'en passer par des propositions de loi ; l'obligation d'y joindre une étude d'impact vous fera gagner du temps à l'autre extrémité du parcours législatif.

Mme la présidente. La parole est à M. le vice-président de la commission de l'aménagement du territoire.

M. Didier Mandelli, vice-président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Madame la ministre, le bilan de l'application des lois revient à l'ordre du jour avec une régularité métronomique et les constats que nous dressons à cette occasion se caractérisent, hélas ! par une monotonie confinant bien souvent à la litanie. La démonstration par le législateur de sa capacité à élaborer des normes dans des délais contraints par la procédure accélérée est rarement suivie de la même célérité du côté de l'autorité réglementaire. Le fait est connu et souvent déploré dans cet hémicycle.

Emblématique de cette situation est la loi du 24 juillet 2019 portant création de l'Office français de la biodiversité. Promulguée depuis quatre ans, elle prévoit la prise d'un décret relatif aux modalités de constitution et de mise à jour du fichier national du permis de chasser. Oui, mes chers collègues, vous avez bien entendu : quatre ans et demi après le vote de cette loi, ce dispositif reste lettre morte ! Voilà qui pousse à s'interroger sur la capacité de l'État à mener à bien la fonction régalienne qui lui revient au titre de la police de la chasse et sur sa capacité à piloter les opérateurs chargés de cette mission. La commission n'a cessé de déplorer cette situation, rapport après rapport.

Mais, cette année, nous pouvons compter sur un allié de poids pour appuyer nos demandes pressantes : le Conseil d'État. Celui-ci a en effet enjoint au Gouvernement de prendre ce décret dans un délai de six mois, sous peine d'astreinte de 200 euros par jour de retard. Dans ses considérants, le juge administratif a fort pertinemment indiqué que "l'exercice du pouvoir réglementaire comporte non seulement le droit, mais aussi l'obligation de prendre dans un délai raisonnable les mesures qu'implique nécessairement l'application de la loi".

Ma question est donc simple, madame la ministre : quand paraîtra ce décret, qui est réclamé à la fois par une assemblée législative et par l'autorité judiciaire ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie Lebec, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée des relations avec le Parlement. Monsieur le vice-président Mandelli, vous m'interrogez sur le retard observé concernant la publication du décret relatif aux modalités de constitution et de mise à jour du fichier national du permis de chasser prévu par l'article 13 de la loi du 24 juillet 2019 portant création de l'Office français de la biodiversité, modifiant les missions des fédérations des chasseurs et renforçant la police de l'environnement.

Le Conseil d'État a en effet enjoint au Gouvernement d'avancer rapidement sur ce sujet, mais je me dois de dresser, à ce propos, un historique des faits : le 2 décembre 2019, un premier projet de décret avait fait l'objet d'un avis favorable de la part du Conseil national de la chasse et de la faune sauvage (CNCFS), ce qui démontre la volonté du Gouvernement d'avancer en la matière. Mais la Cnil avait quant à elle formulé des réserves et demandé la réalisation d'une étude d'impact relative à la protection des données. Par ailleurs, la création du fichier national du permis de chasser exigeait une mise à jour de deux fichiers centraux constitutifs.

Le Gouvernement s'est donc attelé à cette tâche tout en veillant à répondre à la demande de la Cnil. Un nouveau projet de décret a ainsi été proposé. Cette nouvelle mouture n'a cependant pas recueilli l'aval du CNCFS. À l'issue d'échanges supplémentaires, un projet de décret modifié a finalement fait l'objet d'un avis favorable émis à l'unanimité par les membres de cette dernière instance au début du mois de mai.

Le Gouvernement a ensuite très rapidement saisi de nouveau la Cnil, celle-ci disposant d'un délai de trois mois pour se prononcer sur le projet de décret. S'il recevait un avis favorable de la Cnil, il serait bien sûr publié dans les meilleurs délais.

Mme la présidente. La parole est à M. le vice-président de la commission de l'aménagement du territoire, pour la réplique.

M. Didier Mandelli, vice-président de la commission de l'aménagement du territoire. Je vous remercie de cette réponse, madame la ministre. Je reprendrai attache avec vous au début du mois de septembre pour vérifier que les dispositions dont il est question sont bien mises en œuvre.

En tout état de cause, je veux saluer la jurisprudence du Conseil d'État, qui ne fait que rappeler la position qui est celle du Sénat depuis des décennies : le pouvoir réglementaire est tenu de prendre dans un délai raisonnable les mesures qu'implique nécessairement l'application de la loi. Il est toutefois regrettable que les mises en garde du Sénat ne suffisent pas et qu'il faille un jugement pour que le Gouvernement prenne les mesures appropriées. Je le rappelle : voilà quatre ans et demi que nous attendons !

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission de la culture.

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport. Madame la ministre, aux yeux de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et – désormais – du sport, le bilan de l'application des lois tel que l'on peut l'établir au 31 mars 2024 est contrasté.

Si l'applicabilité de certains textes s'avère satisfaisante – je pense notamment à la loi relative à la restitution des biens culturels ayant fait l'objet de spoliations dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées entre 1933 et 1945, texte adopté par notre assemblée en première lecture au mois de mai dernier, et à la loi du 2 mars 2022 visant à démocratiser le sport en France –, les mesures réglementaires attendues pour d'autres textes peinent à voir le jour.

Dans le temps qui m'est imparti, je voudrais insister, madame la ministre, sur trois d'entre elles.

Je commencerai par évoquer l'une des mesures réglementaires prévues par la loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance. Je souhaiterais m'assurer de l'intention du Gouvernement de publier enfin le décret mentionné à l'article 30 de ce texte promulgué à l'été 2019, qui prévoit l'élaboration de conventions de coopération entre établissements médico-sociaux et établissements scolaires pour la scolarisation des élèves en situation de handicap.

L'an dernier, votre prédécesseur nous assurait que la publication de ce décret interviendrait à la suite de la Conférence nationale du handicap, soit avant la fin de l'année 2023. Il n'en a rien été !

Alors que la prise en charge du handicap à l'école fait partie des sujets sur lesquels notre commission a pris de nombreuses initiatives, il me semble que cette mesure pourrait contribuer à faire avancer significativement les choses en ce domaine.

Ma deuxième interrogation concerne la loi du 24 décembre 2020 de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030, qui se caractérise au demeurant par un excellent taux d'application. Cependant, deux décrets manquent toujours à l'appel. Madame la ministre, pourriez-vous non seulement nous préciser le calendrier de publication de ces mesures, mais aussi et, peut-être, surtout nous dire à quelle échéance le Gouvernement souhaite mettre en œuvre la clause de revoyure prévue par ce texte en 2023 ? Voilà qui nous permettrait d'établir un premier bilan de ce texte essentiel pour la recherche française.

Je conclurai mon propos en évoquant le cas de la loi du 19 octobre 2020 visant à encadrer l'exploitation commerciale de l'image d'enfants de moins de 16 ans sur les plateformes en ligne. En effet, l'absence de publication de la seule mesure réglementaire du texte rend malheureusement celui-ci inopérant. Je souhaite savoir si la mise en œuvre de cette loi, fruit d'une initiative parlementaire bienvenue, demeure d'actualité ou est définitivement abandonnée par le Gouvernement.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie Lebec, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée des relations avec le Parlement. Monsieur le président Lafon, pour ce qui est de la loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance, deux mesures relatives à la prise en charge du handicap restent en effet à prendre.

Concernant la coopération entre les écoles et les établissements sociaux et médico-sociaux, premièrement, les dernières orientations nationales prévoient d'inscrire la mise en œuvre de cette mesure au sein des pôles d'appui à la scolarité, dont la création a été annoncée lors de la Conférence nationale du handicap du 26 avril 2023.

Si la préfiguration de ce dispositif doit se faire à droit constant dans quatre départements à la rentrée prochaine, la mise en œuvre complète de la réforme appelle un texte législatif, comme l'a annoncé le Gouvernement. L'objectif est que nous soyons fixés à la rentrée scolaire de 2025.

Concernant le contenu du cahier des charges du dispositif intégré destiné à accompagner les personnes présentant des difficultés psychologiques dont l'expression perturbe gravement la socialisation et les apprentissages, deuxièmement, le texte d'application a fait l'objet d'une importante concertation avec les associations. Toutes les consultations ont désormais été réalisées ; la synthèse des demandes de modification est en cours et sera finalisée d'ici à la fin du mois de juin, pour une publication du décret dans la foulée.

Pour ce qui est de la mise en application de la loi du 19 octobre 2020 visant à encadrer l'exploitation commerciale de l'image d'enfants de moins de 16 ans sur les plateformes en ligne, des difficultés ont en effet été rencontrées.

Deux difficultés majeures ont été identifiées.

Premièrement, la frontière entre les deux régimes définis par la loi est difficile à établir. Deuxièmement, le régime d'autorisation préalable est complexe à mettre en œuvre, car l'identification du lieu de diffusion et d'enregistrement des vidéos, donc de contrôle du respect de ses obligations par l'auteur de ces vidéos, est particulièrement difficile à assurer.

Pour ce qui est de la loi de programmation de la recherche, une seule mesure reste à prendre sur un total de trente-cinq, celle qui a trait à l'extension du dispositif des chaires de professeur junior (CPJ) aux personnels enseignants et hospitaliers. L'application de cette mesure se heurte à un problème de fond, à savoir l'absence de véritable vivier. En réalité, ce que nous observons, c'est que l'objectif consistant à faire émerger des professeurs des universités-praticiens hospitaliers (PU-PH) à haut potentiel scientifique pourrait être atteint de façon plus simple via des mesures ciblées dont certaines sont déjà en cours de mise en œuvre.

Enfin, vous avez évoqué la clause de revoyure de cette loi. C'est ma collègue ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche qui est la plus à même de vous répondre ; nous lui transmettrons donc votre demande.

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des finances.

M. Claude Raynal, président de la commission des finances. Madame la ministre, pour ce qui concerne la commission des finances, le taux de mise en application des lois est en légère baisse de six points, 81 % des textes prévus ayant été adoptés, hors mesures différées.

Je ferai toutefois deux remarques positives : d'une part, les délais moyens de publication des mesures attendues continuent de diminuer, près de trois quarts d'entre elles ayant été publiées avant le délai de six mois ; d'autre part, la quasi-totalité des mesures attendues issues d'une initiative sénatoriale ont été adoptées.

Parmi les lois récentes qui attendent d'être pleinement appliquées, je note que la loi de finances initiale pour 2023 comptait encore, à la fin du mois de mars, quatorze mesures d'application non prises. Par ailleurs, 50 % des mesures réglementaires de la loi du 18 juillet 2023 visant à donner à la douane les moyens de faire face aux nouvelles menaces restent attendues ; tel est notamment le cas pour la mise en place de la réserve douanière. Quand ces textes seront-ils pris ? Je rappelle que le Gouvernement avait justifié la création de cette réserve par l'organisation des jeux Olympiques : il est donc plus que temps !

Pour ce qui est du décret prévu pour permettre l'application de l'article 26 de la loi organique du 28 décembre 2021 révisant la loi organique relative aux lois de finances (Lolf), qui habilite le président et le rapporteur général des commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat à accéder à l'ensemble des informations relevant de la statistique publique ainsi qu'à des données fiscales éventuellement couvertes par le secret statistique ou fiscal, je constate qu'il n'a toujours pas été pris et que les conditions expresses permettant cet accès spécifique n'ont donc toujours pas été définies. Pourtant, il semblerait que le Gouvernement considère que ledit article est mis en œuvre, estimant – on peut l'imaginer – que les règles de droit commun s'appliquent. Pouvez-vous nous en dire davantage ?

Enfin, je reviens sur un sujet à propos duquel j'ai déposé des amendements dont certains ont d'ailleurs été suivis d'effets par le passé : plusieurs dispositions anciennes, qui ont plus de dix ans, restent dans le stock de la commission des finances. Le Gouvernement compte-t-il mener une revue de ces mesures d'application inutiles ? Ne faudrait-il pas les abroger lorsqu'elles n'ont plus à être mises en œuvre ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie Lebec, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée des relations avec le Parlement. Monsieur le président Raynal, en ce qui concerne l'application de la loi du 18 juillet 2023, il reste cinq textes à prendre ; deux devraient être publiés prochainement, l'un sur la réserve opérationnelle, l'autre sur l'expérimentation pour trois ans des lecteurs automatisés des plaques d'immatriculation.

Pour ce qui est du décret sur la réserve opérationnelle de l'administration des douanes, ce sujet soulève d'importants enjeux de formation et de recrutement ; des échanges sont en cours entre les douanes et la police nationale. Des précisions doivent par ailleurs être apportées sur les pouvoirs et habilitations des réservistes ainsi que sur la notion de "position d'accomplissement des activités dans la réserve opérationnelle".

Pour ce qui est de l'accès aux informations relevant de la statistique publique ainsi qu'aux données fiscales éventuellement couvertes par le secret, l'article 57 de la Lolf autorisait déjà l'administration fiscale à transmettre aux commissions des finances des assemblées les données couvertes par le secret fiscal et, comme vous le savez, la direction générale des finances publiques (DGFiP) répond déjà aux questions provenant des rapporteurs généraux à ce sujet. L'analyse du Gouvernement est que les articles 14 à 18 du décret du 20 mars 2009 relatif au Conseil national de l'information statistique (Cnis), au comité du secret statistique et au comité du label de la statistique publique permettent déjà d'assurer l'application pleine et entière de cet article de la Lolf sans qu'il soit besoin de textes supplémentaires.

Enfin, nous souscrivons pleinement à votre ambition de simplification et d'abrogation des dispositions anciennes qui restent inappliquées. Une étude doit être menée par le secrétariat général du Gouvernement pour identifier les dispositions inappliquées depuis plus de cinq ans. Une fois ce travail réalisé, l'abrogation des mesures concernées pourra être proposée via un véhicule législatif adapté.

Mme la présidente. La parole est à M. le vice-président de la commission des lois.

M. Christophe-André Frassa, vice-président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la ministre, permettez-moi, tout d'abord, de souligner une évolution positive : au 31 mars 2024, nous constatons une légère amélioration, à hauteur de six points, du ratio entre le nombre de mesures d'application attendues et le nombre de mesures prises, pour ce qui est des textes relevant de la commission des lois. Nous nous en réjouissons.

Concernant les mesures réglementaires restant à prendre, je souhaite néanmoins attirer votre attention sur le caractère souvent erroné, sinon trompeur, des délais annoncés par le Gouvernement dans les échéanciers et rapports communiqués au Parlement, faussant toute visibilité quant à leur publication.

Ces retards se doublent d'une certaine imprévisibilité dans la programmation de l'application des lois par le Gouvernement.

Prenons la loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, dite loi 3DS.

Selon l'échéancier transmis au Parlement et mis en ligne sur Légifrance, le décret relatif à l'administration de l'île de La Passion - Clipperton devait être publié à la fin du mois de juillet 2022. Or il n'a été effectivement publié qu'en décembre 2023, accumulant ainsi dix-sept mois de retard par rapport à la date initialement prévue.

L'article 11 de cette même loi renvoie à un décret en Conseil d'État la fixation des modalités d'application d'une disposition relative à l'encadrement des jours et des heures d'ouverture au public de certains établissements commerciaux en cas de déséquilibre du tissu commercial de proximité. Très attendu par les élus locaux, ce décret n'a toujours pas été pris, alors qu'il était annoncé pour la fin du mois de juillet 2022.

Concernant la loi du 25 mai 2021 pour une sécurité globale préservant les libertés, dite loi Sécurité globale, le décret relatif au port d'arme hors service des agents des forces de l'ordre dans les établissements recevant du public, prévu pour novembre 2021 selon l'échéancier en ligne, n'a été publié que le 25 octobre 2023, soit avec deux ans de retard sur les prévisions initialement portées à la connaissance du Parlement.

Madame la ministre, l'absence de prévision fiable laisse le Parlement, mais plus encore les citoyens et les acteurs économiques, dans une incertitude dommageable. Comment expliquez-vous les incohérences observées ? Que proposez-vous pour affiner vos prévisions et annoncer des délais de publication réalistes ?

Une mise à jour régulière des programmes prévisionnels d'application serait à tout le moins une première étape : on regrettera par exemple qu'il continue d'apparaître sur l'échéancier en ligne d'application d'une disposition de la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, dite loi Silt : "Publication envisagée en juin 2018"…

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie Lebec, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée des relations avec le Parlement. Monsieur le vice-président Frassa, dès la promulgation d'une loi, le SGG établit une programmation des mesures d'application, des échéances de publication étant fixées en réunion interministérielle, puis publiées en ligne et transmises au Parlement. Des réunions de suivi sont régulièrement convoquées pour faire un point d'étape sur l'avancement des mesures de chaque loi et rappeler aux administrations concernées la nécessité de prendre celles qui sont manquantes dans un délai raisonnable. Des bilans sont également réalisés pour l'ensemble du Gouvernement chaque semestre et un comité interministériel est convoqué chaque année en septembre pour accélérer sur les mesures manquantes.

Le Gouvernement se fixe pour objectif de publier les textes d'application dans un délai de six mois à compter de la publication de la loi, à l'exclusion, bien sûr, des mesures différées.

À considérer l'ensemble des lois de la XVIe législature, 77 % des mesures ont été prises dans un délai de six mois, et 12 % dans un délai de plus d'un an, ce qui témoigne de notre volonté de respecter les échéanciers.

J'en viens aux quelques exemples plus précis sur lesquels vous avez sollicité le Gouvernement.

L'échéancier de la loi du 27 juillet 2023 visant à protéger les logements contre l'occupation illicite a été récemment mis en ligne sur Légifrance, avec – vous avez raison – un peu de retard, les échéanciers étant habituellement plutôt publiés deux à trois mois après la publication de la loi.

Concernant les mesures d'application que vous évoquez se rapportant à des lois plus anciennes, je vous confirme que nous continuons de suivre la mise en œuvre des lois de la XVe législature, dont certaines appellent encore, en effet, de telles mesures.

Après analyse, il s'avère que les dispositions de l'article 11 de la loi 3DS, relatives à l'ouverture des centres commerciaux, sont contraires au droit de l'Union européenne. Le décret attendu ne pourra donc être pris. Je rappelle que cette loi appelait soixante-quinze mesures réglementaires, dont 93 % sont d'ores et déjà appliquées.

Pour ce qui est de l'article 14 de la loi Silt, qui est appliquée à 88 %, une réflexion est en cours afin de regrouper son application avec celle de l'article 57 de la loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, qui porte sur le même sujet.

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. Madame la ministre, je voudrais profiter de ce débat sur l'application des lois pour aborder deux sujets majeurs : celui du suivi des résolutions européennes du Sénat et celui du recours aux ordonnances pour transposer les directives européennes.

Pour ce qui est du suivi des résolutions européennes, la commission des affaires européennes a présenté au début du mois un bilan relatif à l'impact du Sénat sur l'élaboration des textes européens. Ce rapport démontre la réelle influence du Sénat à Bruxelles, mais également la nécessité d'une poursuite de notre engagement pour consolider cette influence européenne.

Sur la base des textes européens reçus, dix-huit résolutions européennes ont été adressées par le Sénat au Gouvernement en application de l'article 88-4 de la Constitution. Le bilan est positif : dans plus de la moitié des cas, ces positions exprimées par le Sénat ont été prises en compte en totalité ou en majorité.

Nous sommes reconnaissants au secrétariat général des affaires européennes (SGAE) d'établir une fiche de suivi pour chaque résolution européenne du Sénat, ce qui nous est précieux pour dresser ce bilan. Cette année, le SGAE a transmis à la commission des affaires européennes la quasi-intégralité des fiches attendues et nous saluons la grande qualité des informations qui nous sont communiquées.

Après les félicitations, j'en viens à une préoccupation récurrente de notre commission, celle qui a trait à l'information du Parlement sur les ordonnances de transposition de directives européennes en droit national.

Vous le savez, madame la ministre, le règlement du Sénat a investi la commission des affaires européennes d'une mission de veille en matière de surtransposition. Il s'agit d'identifier les dispositions que le Gouvernement propose et qui vont au-delà de nos strictes obligations européennes, puis d'évaluer si elles sont justifiées, tant ce zèle risque de nuire à la compétitivité de l'économie française. Encore faut-il pour ce faire disposer, de la part du Gouvernement, de toute l'information nécessaire quand ces transpositions sont effectuées par le biais d'ordonnances.

Nous réitérons donc notre demande déjà formulée en 2022 et en 2023 : lors des demandes d'habilitation, le Gouvernement peut-il s'engager à systématiquement fournir la liste des directives qu'il envisage de transposer par ordonnance et préciser leur périmètre et leur date de publication ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie Lebec, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée des relations avec le Parlement. Monsieur le président Rapin, le recours aux ordonnances de l'article 38 de la Constitution représente environ 3 % des mesures de transposition des textes européens : le Gouvernement veille à n'y recourir que pour des mesures essentiellement techniques, en privilégiant l'inscription "en dur" des mesures de transposition ; tel est précisément l'objet des projets de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne (Daddue).

Le recours aux habilitations est encadré par mon ministère, par le SGG et par le SGAE dans le cadre de la réunion de préparation de ces textes.

Nous veillons à ce que les demandes d'habilitation soient systématiquement justifiées et bien définies et que la durée des habilitations soit directement proportionnée à la complexité du sujet. Il a d'ailleurs été demandé aux ministères de présenter aux rapporteurs les projets d'ordonnance envisagés lors de l'examen d'une demande d'habilitation, afin d'éclairer au mieux la décision qu'ont à prendre les parlementaires.

La durée d'habilitation fixée par la loi impose de fait une échéance pour l'adoption des ordonnances ; il n'est pas toujours aisé de préciser plus avant le calendrier de publication lors des demandes d'habilitation, mais il revient aux ministères de veiller à informer les commissions compétentes, en particulier la vôtre, monsieur le président Rapin, quant à l'avancement des travaux.

Je conclus en soulignant les efforts engagés par les différents ministères, sous l'égide du SGAE, en matière de transposition. Je tiens à le préciser, ces efforts ont permis d'atteindre un déficit de transposition particulièrement faible, de 0,1 % seulement ; nous pouvons nous en réjouir collectivement.

Mme la présidente. Dans le débat, la parole est désormais aux représentants des groupes, selon les mêmes règles que pour les représentants des commissions.

La parole est à Mme Marianne Margaté.

Mme Marianne Margaté. Madame la ministre, chaque année le Parlement s'exprime sur ce bilan de l'application des lois, et chaque année nous sommes amenés à dresser le même constat : les procédures accélérées sont légion, injustifiées, et ne permettent pas un travail législatif de qualité.

Il en est de même du recours désormais systématique aux ordonnances. Les membres du Gouvernement ne cessent de nous rabâcher leur souci d'"efficacité", mais la réalité est tout autre : ce recours abusif souligne l'incapacité du Gouvernement à proposer des textes clairs ainsi que sa crainte du contradictoire.

Pour ce qui est de la protection du pouvoir d'achat, malgré la loi du 30 mars 2023 tendant à renforcer l'équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs, dite loi Descrozaille, la grande distribution organisée en centrales d'achat décentralisées à l'étranger continue de contourner la réglementation nationale. Pis, le rapport sur l'évaluation de la construction des prix de vente des denrées alimentaires, qu'aux termes de ce texte le Gouvernement doit remettre au Parlement avant le 1er octobre de chaque année, n'a toujours pas connu sa première édition.

Quant à la loi portant mesures d'urgence pour lutter contre l'inflation concernant les produits de grande consommation, votée en urgence en novembre dernier afin d'avancer le calendrier des négociations commerciales, elle n'a pas endigué la vie chère. Les denrées alimentaires sont toujours vendues à des prix records. Ce phénomène est d'autant plus marqué en zone urbaine dense, même si toute la France, métropole et territoires dits d'outre-mer, est concernée.

De plus, faute de sanctions, les lois Égalim, qui créent une obligation de contractualisation censée garantir aux agriculteurs un prix de vente qui couvrirait au minimum leurs coûts de production, ne sont toujours pas appliquées dans les faits.

Vous concevez et faites adopter par le Parlement des lois inutiles : inutiles, car sans dispositifs réellement contraignants ; inutiles, car l'information qu'elles sont censées apporter reste lettre morte ; inutiles, car hors délais ; inutiles, car non appliquées ; inutiles, car inefficaces.

Madame la ministre, quand allez-vous prendre la mesure de la détresse de nos concitoyens face à la vie chère et faire appliquer les lois que nous avons votées en procédure accélérée ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie Lebec, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée des relations avec le Parlement. Madame la sénatrice Margaté, vous m'interrogez sur la loi Égalim 3, la loi tendant à renforcer l'équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs, et sur les mesures qui concernent la lutte contre l'inflation.

Depuis 2018, les lois Égalim permettent progressivement de rééquilibrer les relations entre les fournisseurs et les distributeurs via par exemple le plafonnement des promotions sur les produits alimentaires, illustration forte de l'action menée par le Gouvernement pour promouvoir un tel rééquilibrage et permettre à nos agriculteurs de retrouver des marges économiques.

Je tiens d'ailleurs à saluer les précieux travaux du groupe de suivi sénatorial sur cette thématique et la contribution d'Anne-Catherine Loisier, de Daniel Gremillet et de votre ancien collègue Michel Raison au traitement de la question.

La loi Égalim 3 a été promulguée, comme vous le savez, le 30 mars 2023 ; elle s'inscrit totalement dans la vision que je viens d'esquisser. Elle est pleinement appliquée depuis l'entrée en vigueur de l'arrêté du 31 juillet 2023 fixant la liste des produits agricoles et alimentaires exclus de la clause relative aux modalités de renégociation des prix, tels que les céréales ou certains vins.

Deux mesures réglementaires mentionnées dans cette loi n'ont pas été prises, faute de besoins constatés : premièrement, la possibilité de fixer par arrêté la liste de certains produits pour lesquels la majoration du seuil de revente à perte est applicable ; deuxièmement, la possibilité de suspendre par décret, en cas de situation exceptionnelle, l'application des pénalités logistiques prévues dans les contrats conclus entre les fournisseurs et les distributeurs. Ces deux situations n'ont pas été constatées à ce jour.

J'en viens aux rapports prévus dans la loi.

Le rapport sur le dispositif de majoration de 10 % du seuil de revente à perte (SRP+10) est en cours d'élaboration par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) ; le rapport sur la mise en place d'un encadrement des marges des distributeurs a été remis au Parlement ; le rapport annuel évaluant l'effet de l'encadrement des promotions, que vous évoquiez, doit être remis avant le 1er octobre 2024.

Comme vous le savez, des travaux de préparation d'une loi Égalim 4 sont en cours. Des échanges ont lieu en ce moment même entre les parties prenantes, et les parlementaires seront bien sûr pleinement associés à ces travaux.

Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Delattre.

Mme Nathalie Delattre. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, ce débat annuel est l'occasion de souligner, d'encourager ou de dénoncer certaines pratiques qui entourent le travail parlementaire, et je souhaiterais profiter de cette intervention pour saluer la qualité du rapport de notre collègue Sylvie Vermeillet.

Ce débat, disais-je, est tout d'abord l'occasion de dénoncer la systématisation du recours à la procédure accélérée. Si elle est censée optimiser le temps parlementaire, celle-ci limite en vérité la réalisation de travaux sereins, approfondis et minutieux.

Cette remarque vaut aussi pour notre assemblée : cédant à la pression, jamais nous ne retenons le délai normal de quinze jours entre l'examen du rapport en commission et la séance publique.

Pour ce qui est ensuite du devenir des textes une fois ceux-ci adoptés, on peut dresser, à partir du bilan de l'application des lois pour l'année 2024, un état des lieux en trompe-l'œil : la baisse du nombre de lois étudiées s'assortit d'une stabilisation de leur taux d'application, alors que leur diminution quantitative aurait dû permettre une augmentation qualitative du point de vue de leur application.

Corrélativement, les mesures réglementaires d'application tendent à être publiées dans un délai raisonnable, inférieur à six mois. Nous ne pouvons qu'encourager le Gouvernement à poursuivre dans cette tendance, et même à accélérer autant que possible la publication des décrets d'application.

Reste que, derrière cette normalité, certains textes sont bloqués et l'exécutif s'offre une trop grande marge de manœuvre.

Par exemple, en février dernier, la présidente de notre groupe, Maryse Carrère, ici présente, a été à l'initiative d'une proposition de loi tendant à préserver l'accès aux pharmacies dans les communes rurales. Je ne détaillerai pas le fond du dossier – nous avons examiné ce texte il y a quelques semaines et notre assemblée l'a adopté à une large majorité. Mais, en l'espèce, il s'agit de contraindre le Gouvernement à publier avant la fin de 2024 un décret nécessaire à l'application d'une ordonnance datant de 2018 et ratifiée en 2019, qui faisait écho à une proposition de loi que j'avais moi-même déposée à l'époque !

Voilà une spirale mortifère que l'on ne saurait encourager ; madame la ministre, que faire pour l'éviter ? (Applaudissements sur des travées du groupe RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie Lebec, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée des relations avec le Parlement. Madame la sénatrice Delattre, je n'ignore pas l'engagement de votre groupe, qui est crucial, sur les enjeux d'accès aux soins, et l'inscription à l'ordre du jour du Sénat, dans le cadre de son espace réservé, le 11 avril dernier, de la proposition de loi de la présidente Carrère en a d'ailleurs témoigné.

Les décrets d'application de l'ordonnance n° 2018-3 du 3 janvier 2018 doivent permettre de définir les territoires dits "fragiles" au sein desquels l'accès aux médicaments en France n'est pas toujours assuré de manière satisfaisante pour la population. Leur mise en œuvre a été interrompue par la crise sanitaire liée à l'épidémie de covid-19.

Par ailleurs, l'élaboration de ce texte s'est heurtée à des demandes divergentes d'acteurs de terrain. Un travail réalisé avec la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) a établi deux critères d'identification, partagés avec les agences régionales de santé (ARS), permettant d'apprécier la densité de l'implantation des officines ainsi que la difficulté d'accès à une officine.

De plus, il a été proposé un processus d'identification des territoires fragiles en deux étapes : la première consiste à déterminer les parts de la population régionale concernées par ces critères ; la seconde à fixer au sein de ces parts une liste des territoires identifiés comme fragiles. Néanmoins, plusieurs ARS nous ont signalé un risque de rigidité de cette seconde étape et, parallèlement, les représentants de la profession se sont exprimés défavorablement sur cette première version.

La méthodologie de détermination des territoires a donc été retravaillée pour tenir compte de ces différentes observations. Le Gouvernement veillera à ce que cet outil puisse être rapidement mobilisé afin que les territoires fragiles et isolés en bénéficient.

Je vous sais particulièrement attentive, madame la sénatrice, au sort de ces communes – je pense, notamment, à Saint-Quentin-de-Baron, dans votre département –, aux côtés desquelles vous n'avez cessé de vous investir.

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Buis.

M. Bernard Buis. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le sujet de l'artificialisation des sols est explosif dans notre assemblée, mais il n'en reste pas moins nécessaire de le traiter pour notre environnement, pour la biodiversité et, plus largement, pour notre société.

S'il y a consensus sur l'objectif, reste néanmoins la question de la mise en œuvre du "zéro artificialisation nette" (ZAN). Traduite concrètement par la fixation de l'objectif en 2050 dans le cadre de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite loi Climat et Résilience, la mise en œuvre du ZAN a été complétée sur l'initiative du Sénat par la loi du 20 juillet 2023 visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de lutte contre l'artificialisation des sols et à renforcer l'accompagnement des élus locaux.

Face aux multiples inquiétudes, l'objectif de ce texte était de préciser les dispositions initiales afin de renforcer l'accompagnement des élus locaux dans la mise en œuvre du ZAN sur le terrain, une mise en œuvre qui implique de repenser notre modèle d'aménagement territorial reposant sur une approche coopérative et coordonnée entre collectivités.

Afin de mieux concilier logique de sobriété foncière et soutien au développement des espaces dans le but de réduire les inégalités territoriales, l'État doit être au rendez-vous de l'accompagnement des élus locaux pour éviter les fractures et les crispations paralysantes. Il doit également continuer de leur donner la visibilité nécessaire afin de mieux anticiper leurs projets économiques.

Madame la ministre, si le Gouvernement a publié trois décrets d'application, le 27 novembre 2023, pour tenir compte des dernières évolutions législatives, quelles suites réglementaires envisage-t-il sur la question du ZAN, notamment pour ce qui concerne le calendrier ?

Au-delà du fait que la commission régionale de conciliation puisse associer d'autres acteurs que les représentants de la région ou de l'État à titre consultatif, que peut-on envisager de plus pour faciliter demain la coordination entre acteurs économiques et élus locaux ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie Lebec, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur Buis, vous m'interrogez sur les mesures que nous avons prises pour répondre aux inquiétudes des élus locaux au sujet du ZAN. Nombre d'entre eux se posent en effet des questions, j'en ai moi-même rencontré beaucoup qui s'interrogent à ce sujet…

Je salue le travail mené au Sénat autour de Valérie Létard et du rapporteur Jean-Baptiste Blanc, qui a permis la promulgation de la loi du 20 juillet 2023, avec le soutien du Gouvernement.

Nous avons publié dès le mois de novembre dernier trois décrets d'application importants pour répondre aux demandes des élus.

Le premier concerne la définition des seuils de référence permettant la qualification des surfaces artificialisées ou non artificialisées, et réglant ainsi le sort des pistes cyclables, des infrastructures d'énergie renouvelable ou encore des jardins publics. Les modalités de révision des documents d'urbanisme ont été précisées, prenant notamment en compte les spécificités de chaque territoire, à l'image de la problématique du trait de côte pour les territoires littoraux.

L'introduction dans les documents d'urbanisme d'un critère de territorialisation pour le maintien et le développement des activités agricoles, souhaité par les sénateurs Anglars et Delcros, a été saluée dans les territoires ruraux.

Enfin, vous avez évoqué la question de la composition des commissions régionales et de conciliation, qui a été précisée à la demande du Sénat ; c'est le troisième point évoqué. Ces commissions se réunissent d'ores et déjà afin de trouver des accords dans chaque territoire, vous le savez certainement.

Ces différents décrets ont donc permis d'apporter des réponses concrètes et opérationnelles à nos élus locaux. Ils étaient attendus pour relever le défi du ZAN – dont nous partageons l'objectif –, qui est une problématique centrale pour de nombreuses politiques publiques, à l'image de la réindustrialisation des territoires ou de la relance de l'offre de logements.

Nous sommes conscients qu'il reste beaucoup à faire. Le Gouvernement se tient à la disposition du Sénat pour continuer d'avancer sur ce sujet majeur.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marion Canalès.

Mme Marion Canalès. Madame la ministre, la procédure accélérée déclenchée par le Gouvernement sur les textes est quasiment devenue la norme. Pourtant, force est de constater que les mises en œuvre et les textes d'application ne suivent pas, comme si ce que nous défendons ici n'était pas le reflet d'attentes fortes méritant une réponse au moins aussi rapide que la procédure que l'on nous impose…

Ainsi, en matière de protection de l'enfance, au cours du débat sur l'application des lois de l'an dernier, Mme Deroche, alors présidente de la commission des affaires sociales, déplorait qu'à peine 37 % des mesures d'application de la loi, dite Taquet, du 7 février 2022 relative à la protection des enfants aient été prises. Notre commission a ensuite produit un rapport sur ce texte et le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain a saisi le Conseil économique, social et environnemental (Cese) de ce point. Nous nous interrogeons en effet : comment cette loi est-elle appliquée ? Car, une fois les décrets d'application publiés, encore faut-il pouvoir les déployer dans les territoires, afin qu'ils soient véritablement mis en œuvre au profit des enfants protégés.

Aujourd'hui encore, tous les textes réglementaires ne sont pas publiés. Le Gouvernement s'était engagé avant l'été 2023 à ce que 74 % d'entre eux le soient, mais cela n'a pas été le cas.

La procédure accélérée a été aussi au cœur de l'examen d'un autre texte, lors de la session parlementaire 2022-2023. Je veux parler, évidemment, du texte relatif à la réforme des retraites. Le Gouvernement a été beaucoup plus prompt à appliquer l'article 1er, donc à supprimer par exemple les régimes spéciaux, qu'à appliquer l'article 24 visant à instaurer une bonification pour les sapeurs-pompiers volontaires. Madame la ministre, combien faudra-t-il encore de questions écrites, de questions orales et d'interpellations émanant de toutes les travées de cet hémicycle pour qu'enfin le décret d'application soit pris au profit des sapeurs-pompiers volontaires de nos territoires ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie Lebec, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée des relations avec le Parlement. Madame la sénatrice, vous m'interrogez sur l'application de la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants. Je connais l'engagement de votre groupe sur ce sujet, comme en témoigne la saisine récente du Cese.

Au printemps 2023, la secrétaire d'État chargée de l'enfance, Charlotte Caubel, s'était engagée à publier 75 % des décrets d'application dans les meilleurs délais. Cet engagement a été respecté puisque le taux d'application actuel de la loi est de 78 %, avec dix-huit mesures prises sur vingt-trois.

L'un des derniers décrets restant à publier est prévu à l'article 30. Il doit fixer le délai d'opposabilité du retrait d'agrément et les modalités d'échanges d'informations entre les départements par l'intermédiaire du groupement d'intérêt public (GIP) France enfance protégée (FEP). Il nécessite préalablement la mise en place d'une base nationale sur les agréments, qui doit être encore constituée par ce GIP.

Afin de finaliser ce texte, la saisine pour avis du Conseil national de la protection de l'enfance devrait intervenir avant le 31 mai, donc d'ici à quelques jours, et être suivie de la publication du décret, après consultation de la Cnil.

Par ailleurs, pour ce qui est de la mise en œuvre de l'article 32, sur les services de la protection maternelle et infantile (PMI), le Gouvernement fait le choix d'attendre les travaux préparatoires aux assises de la pédiatrie et de la santé de l'enfant, et leurs conclusions. La feuille de route 2024-2030, présentée le 24 mai dernier, a permis au Gouvernement de réaffirmer le rôle et de renforcer les moyens des services de la PMI. Un projet de décret en ce sens est en cours de préparation, avec un objectif de publication fixé au dernier trimestre de cette année.

Le deuxième aspect de votre question concernait le décret d'application de l'article 24 de la loi du 14 avril 2023 de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 détaillant les conditions et limites selon lesquelles les années de service en qualité de sapeurs-pompiers volontaires sont prises en compte pour le calcul des pensions de retraite. Comme l'a indiqué Gérald Darmanin lors de la séance des questions d'actualité au Gouvernement devant l'Assemblée nationale le 5 mars 2024, il n'y a pas de décret au rabais. La loi de la République sera appliquée. Des discussions interministérielles sur ce projet de décret sont en cours entre le ministère de l'intérieur et le ministère du travail et de la santé, pour une adoption dans les meilleurs délais.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marion Canalès, pour la réplique.

Mme Marion Canalès. Certes, la plupart des décrets d'application de la loi Taquet ont été pris, mais il s'agissait des plus "faciles", si j'ose dire. En tout état de cause, il aura fallu beaucoup de drames pour que ces décrets soient publiés ; je pense à la publication à la hâte, un soir, après de nombreuses questions d'actualité pour interpeller le Gouvernement, d'un décret pour interdire les placements de mineurs à l'hôtel.

Évidemment, la mise en œuvre de la loi avance, mais ce texte a été adopté il y a plus de deux ans et demi : pendant ce temps, les enfants protégés attendent toujours…

Mme la présidente. La parole est à Mme Muriel Jourda.

Mme Muriel Jourda. Madame la ministre, nous avons adopté, il y a quelque temps, un texte relatif au contrôle de l'immigration et à l'amélioration de l'intégration.

Si ce texte a été très largement dépecé par le Conseil constitutionnel à la demande du précédent gouvernement, il en reste quand même quelque chose. Si j'en crois le site extrêmement sérieux Légifrance, un certain nombre de décrets seraient encore attendus, dont au moins une dizaine doivent être publiés en avril et en mai. Le mois d'avril est écoulé et le mois de mai est en passe de l'être : où en sommes-nous dans la publication de ces décrets ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie Lebec, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée des relations avec le Parlement. Madame la sénatrice, vous m'interrogez sur l'application de la loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, dont le sénateur Philippe Bonnecarrère et vous étiez corapporteurs.

La loi ayant été adoptée le 26 janvier 2024, le délai de six mois pour prendre les textes d'application n'est pas encore échu. Je peux toutefois vous indiquer que la loi comporte vingt-trois mesures d'application, trois mesures éventuelles et quatre mesures différées.

Les arrêtés d'application relatifs à des points importants pour votre assemblée ont été publiés très rapidement. Ils précisent les modalités de l'expérimentation sur l'instruction "à 360 degrés", insérée sur votre initiative, mais également la liste des départements soumis à une pression migratoire particulière dans lesquelles l'obligation prévue à l'article L. 812-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile peut s'appliquer.

Les travaux d'élaboration des décrets d'application sont en cours, notamment les principaux textes que vous évoquez. Ils devraient être publiés d'ici à la fin de l'été.

Un travail considérable a d'ores et déjà été réalisé sur les décrets relatifs aux contrats d'engagement et au respect des principes de la République ; le Gouvernement connaît l'attachement du Sénat à ces dispositions.

Quant aux décrets relatifs aux amendes administratives, à l'expiration de la peine d'interdiction du territoire français, à l'assignation à résidence ou au placement en rétention, mais également au délai de signature de l'obligation de quitter le territoire français (OQTF) à l'encontre d'une personne déboutée du droit d'asile, ils sont en cours de rédaction et devraient être publiés sous peu. Le décret sur les chambres territoriales de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) devrait également être publié d'ici au mois de juillet prochain.

Nous avons pleinement conscience des attentes du Parlement et de nos concitoyens sur ces questions. Le Gouvernement est pleinement mobilisé afin de donner rapidement une portée concrète aux réformes portées par la loi.

Mme la présidente. La parole est à Mme Muriel Jourda, pour la réplique.

Mme Muriel Jourda. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre.

Je n'ignore pas que le délai de six mois n'est pas encore écoulé, mais je me fiais au terme que le Gouvernement s'était lui-même fixé pour publier ces décrets d'application. Je prends bonne note de l'état d'avancement de ces derniers.

Je l'ai souligné, il ne reste plus, dans ce texte, grand-chose qui ressemble à une politique migratoire, mais le peu qu'il en reste, de grâce, hâtons-nous de l'appliquer !

Mme la présidente. La parole est à M. Aymeric Durox.

M. Aymeric Durox. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous voilà réunis pour un débat légitime. S'il appartient au Parlement de voter la loi et de contrôler l'action du Gouvernement, il lui revient également de se pencher sur la réalité de l'application des normes que nous adoptons.

Notre pays se distingue par une production normative importante, d'aucuns diraient "gigantesque". S'il nous faut sans cesse adapter la loi à des réalités changeantes et mouvantes, cette inflation, loin de permettre une adaptation législative rapide et souple, dégrade sans cesse la compétitivité de nos entreprises et abîme le lien normalement automatique entre le vote d'une loi et son application effective dans la réalité concrète de la vie de nos compatriotes.

Sur ce sujet comme sur d'autres, le Gouvernement, sous ses atours de représentant du "nouveau monde", a perpétué les pires travers de l'ancien. Les chiffres sont éloquents : le stock de lois, en nombre de mots, a progressé de 98 % depuis 2002, pour atteindre un total de 45 millions de mots !

Si l'on apprenait jadis à l'école républicaine que "nul n'est censé ignorer la loi", ce beau précepte est aujourd'hui devenu un mirage, tant l'inflation normative a profondément dégradé la qualité et l'effectivité de nos textes.

Nos collectivités territoriales en sont le malheureux exemple : il n'est plus un projet, plus une décision qui ne termine dans les rets d'une argutie juridique devenue au fil du temps plus bloquante que protectrice.

Ce problème est au cœur du débat qui nous occupe : comment appliquer pleinement la loi quand les textes sont sans cesse plus nombreux et plus complexes ? L'ajout du droit européen, loin d'harmoniser nos normes à l'échelle du continent, a encore dégradé notre compétitivité normative. Les agriculteurs, qui criaient leur colère dans nos rues il n'y a pas si longtemps, pourraient en témoigner. La surtransposition des normes, fierté française ou du moins fierté du macronisme, étrangle davantage nos entreprises, sans permettre une régulation commune ou une concurrence plus loyale.

Madame la ministre, ma question est simple : comment mieux appliquer la loi sans en créer sans cesse de nouvelles ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie Lebec, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, vous avez évoqué les grandes lignes du bilan de l'application des lois. J'ai pu d'ores et déjà apporter des réponses dans mon intervention liminaire.

En ce qui concerne le taux général d'application des lois, le Gouvernement s'efforce d'accélérer ses efforts, afin d'atteindre un taux de 75 %, qui serait en phase avec celui de l'année passée. Ce taux ne nous amène pas à écarter le retard pris pour l'application de certaines lois, y compris anciennes ; mais, dans le détail, vous le savez, certaines mesures peuvent prendre plus de temps à être adoptées, pour toute une diversité de motifs. De fait, la nécessité de procéder à des concertations supplémentaires et la hausse du nombre de consultations rendues obligatoires avant la publication de la loi allongent le calendrier initialement prévu.

Par ailleurs, des difficultés imprévues peuvent également survenir dans l'application de certaines dispositions, lorsque la loi est renvoyée à des éléments techniques essentiels au niveau réglementaire.

Le Gouvernement s'attache toutefois à ce que les ministères respectent leurs engagements de publication. Je veillerai, lors de la prochaine réunion du comité, à ce que les lois en retard puissent faire l'objet d'un rattrapage rapide et effectif.

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Marc.

M. Alain Marc. Depuis plus de cinquante ans, le bilan de l'application des lois constitue, au Sénat, un exercice annuel essentiel, car, une fois la loi adoptée, le législateur doit s'assurer qu'elle est applicable.

Je tiens à remercier notre collègue Sylvie Vermeillet de son rapport, qui s'inscrit dans la continuité du travail du législateur. Ce bilan, comme plusieurs orateurs l'ont souligné, fait état d'un taux d'application de 64 % des mesures attendues. Il s'agit d'un niveau pratiquement identique à celui de l'an dernier. Aucun progrès n'est donc constaté.

En moyenne, le Gouvernement a mis cinq mois et vingt-trois jours pour publier les mesures réglementaires après la promulgation d'une loi. Ce délai correspond à celui qui était observé lors de la session précédente, qui s'établissait à cinq mois et vingt jours.

Je souhaite aborder plus particulièrement la question de l'application des lois adoptées après engagement de la procédure accélérée, procédure imposée de façon massive par le Gouvernement, puisqu'elle a concerné vingt-six lois sur quarante-quatre. Paradoxalement, le délai moyen de publication des textes d'application n'est pas plus rapide : il s'établit à six mois et dix-sept jours, dépassant le délai de six mois prévu depuis 2008 et réaffirmé en 2022.

Ainsi, en moyenne, les lois examinées en procédure accélérée font l'objet de mesures d'application beaucoup plus tardivement que les lois examinées selon la procédure normale. Madame la ministre, pouvez-vous nous apporter des éclaircissements concernant cette contradiction ?

Une autre donnée du rapport montre une situation très insatisfaisante : seulement 50 % des mesures d'application des lois adoptées après engagement de la procédure accélérée ont été prises, contre 63 % lors de la session précédente. Là encore, madame la ministre, pouvez-vous nous donner des éléments qui expliquent cet écart ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie Lebec, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, vous avez évoqué dans votre question le recours à la procédure accélérée, également mentionnée par Mme Sylvie Vermeillet dans son propos liminaire.

L'engagement plus fréquent de la procédure accélérée sur les projets de loi est en effet une réalité, mais c'est une évolution de long terme. Cette procédure, prévue à l'article 45 de la Constitution, permet de déroger aux délais prescrits par l'article 42 entre le dépôt ou la transmission d'un texte et son examen en séance par chaque assemblée. Elle permet également de convoquer une commission mixte paritaire dès la fin de la première lecture. Elle s'applique de droit aux lois de finances, aux lois de financement de la sécurité sociale. En revanche, elle est exclue pour les révisions constitutionnelles.

Depuis juin 2022, le Gouvernement a essentiellement recouru à la procédure accélérée pour pouvoir réunir une commission mixte paritaire dès la fin de la première lecture. Le Gouvernement veille à préserver des délais raisonnables entre le dépôt ou la transmission des textes et leur examen en séance. Ce point fait d'ailleurs l'objet de débats réguliers en conférence des présidents.

J'ajoute que l'engagement de la procédure accélérée répond aussi à une attente fréquente des parlementaires afin que certaines propositions de loi puissent être adoptées dans des délais maîtrisés. Ainsi, sur cinquante-sept lois d'initiative parlementaire promulguées depuis le début de la législature, trente-trois ont fait l'objet d'une procédure accélérée, soit près de 60 %. Au total, près de 80 % des lois promulguées ont fait l'objet d'une procédure accélérée, qu'il s'agisse d'un projet de loi ou d'une proposition de loi.

En ce qui concerne, enfin, les efforts engagés pour l'application des lois, le Gouvernement, je l'ai rappelé, ne distingue pas les textes ayant fait l'objet d'une procédure accélérée de ceux qui ont été adoptés selon la procédure normale. Dans un cas comme dans l'autre, l'exigence est la même de les voir appliquer dans des délais raisonnables.

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Cadic. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Olivier Cadic. Madame la ministre, le groupe Union Centriste s'associe aux remerciements de l'ensemble de nos collègues pour la qualité du travail de Mme Sylvie Vermeillet, dont nous nous réjouissons.

J'ai deux questions concernant l'application de la loi du 1er août 2023 relative à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense (LPM).

D'abord, l'enveloppe de la LPM 2024-2030 prévoyait 4 milliards d'euros de besoins programmés pour le cyber, contre 1,6 milliard d'euros dans la LPM précédente. Allez-vous clarifier l'échelonnement annuel de cette enveloppe de 4 milliards d'euros avant l'examen du projet de loi de finances pour 2025 afin de nous permettre de mesurer l'impact des réductions budgétaires sur le volet cyberdéfense de la LPM ? Ces moyens seront-ils sanctuarisés du fait de la menace accrue des cyberattaques ?

Par ailleurs, la LPM a pour objectif d'atteindre 5 000 cybercombattants en 2025. Nous avons remarqué que sur un total de 4 600 postes en 2023, seuls 3 502 postes étaient comptabilisés comme "armés", ce qui représentait en 2023 un déficit de près de 1 100 emplois non pourvus. Ces postes seront-ils pourvus en 2024 ?

Ensuite, la recrudescence des incidents observés en mer de Chine méridionale et dans le détroit de Taïwan depuis un an révèle la volonté de Pékin de s'approprier cet espace maritime international. Un amendement adopté dans le cadre de la LPM visait à rappeler que la France, seul pays européen présent dans l'Indo-Pacifique, devait contribuer à la défense du droit à la circulation maritime dans cette région, notamment dans le détroit de Taïwan. Peut-on évaluer la mise en œuvre de cette disposition et l'action de la marine française sur place ?

Jeudi dernier, Pékin a militairement encerclé Taïwan en guise de punition contre les propos du nouveau président Lai, au prétexte que celui-ci avait promis de défendre la démocratie de l'île. Les "séparatistes" de Taïwan finiront "dans le sang", a commenté le porte-parole de la diplomatie chinois.

La France dispose-t-elle d'un plan d'intervention maritime sur zone dans l'éventualité où la Chine ferait le blocus de Taïwan, violerait le statu quo et menacerait nos intérêts ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie Lebec, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur Cadic, la première partie de votre question concerne les enjeux financiers.

Vous l'avez souligné, le cyber est un axe fort et majeur de la LPM, qui est passé de 1,6 milliard d'euros sur sept ans dans la précédente loi à 4 milliards d'euros dans l'actuelle LPM. L'échelonnement de ces 4 milliards sera réparti sur sept ans, dans une logique de montée en puissance dès 2024. L'effort, il convient de le souligner, est dès à présent important puisque 330 millions d'euros ont déjà été consacrés au cyber, soit une hausse de 33 %. L'augmentation des crédits sera encore plus forte en 2025. Le projet de loi de finances vous apportera toutes les précisions nécessaires à cet égard.

En matière de ressources humaines, les effectifs cyber augmenteront de 20 % pendant la durée de la LPM. En 2024, la priorité en matière de recrutement est donnée aux segments qui permettent de faire face dès maintenant aux nouvelles menaces, à commencer par le cyber.

Vous évoquez également la présence française dans la zone indo-pacifique. Notre volonté est effectivement très claire : la France agit pour garantir la pleine liberté de la navigation. En mer de Chine méridionale, nous participons ainsi à la préservation de la liberté de navigation de tous. Des unités ont été déployées dans la région. Elles proviennent des forces de souveraineté présentes dans nos territoires d'outre-mer, mais également des moyens déployés depuis l'Hexagone. Je pense, par exemple, aux frégates multi-missions de la marine nationale ou aux missions de projection de l'armée de l'air.

Concernant le détroit de Taïwan, des bâtiments français le franchissent régulièrement. À titre d'exemple, la frégate de surveillance Prairial y est passée en avril 2023. L'action de la France dans la zone est prévisible et conforme au droit international. Ses franchissements sont menés de manière indépendante, sans implication d'un partenaire ou d'un allié.

Nous sommes donc pleinement investis dans la zone, conformément à l'esprit de l'amendement que vous avez déposé dans le cadre de la LPM. Nous continuerons à œuvrer dans cette voie.

Mme la présidente. La parole est à M. Ronan Dantec.

M. Ronan Dantec. Mme Vermeillet l'a souligné dans son propos liminaire, parmi les lois les moins déclinées figure la loi relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables, appliquée à seulement 26 % quinze mois après sa promulgation…

Pourtant, ici même, la ministre Agnès Pannier-Runacher avait dramatisé l'enjeu en rappelant que les nouveaux EPR (European Pressurized Reactors, ou réacteurs pressurisés européens) attendus pour 2040 ne seraient pas en mesure de répondre à nos besoins d'électricité en 2030, et que nous aurions alors besoin de nous appuyer sur des éoliennes et des panneaux photovoltaïques en quantité.

Face à cette urgence, une forme d'"union sacrée" avait même émergé au Sénat pour répondre à cet appel, la mobilisation des territoires étant essentielle en l'espèce. Le rapport de Didier Mandelli avait donc peaufiné un ensemble équilibré de mesures – zones d'accélération et d'exclusion – et prévu un mécanisme de partage de la valeur, afin d'intéresser et de mobiliser les territoires, dans le respect de la préservation de la biodiversité, comme s'en souvient sans doute Sophie Primas.

Je souligne d'ailleurs qu'au Sénat cette loi a été votée à la fois par Les Républicains et par les écologistes ; c'est dire le caractère exceptionnel de cette union sacrée, même si je ne suis pas certain que nous puissions de nouveau parvenir à une telle entente lors des prochaines lois sur l'énergie…

Or, malgré l'urgence dont avait fait état Mme la ministre à l'époque, nous ne voyons malheureusement pas venir le décret d'application. Pourtant, après l'adoption du texte, des réunions de travail avaient été organisées pour discuter de la forme que prendrait ce décret ; un consensus avait même semblé se dessiner.

Madame la ministre, ma question est simple : pouvez-vous nous rassurer en nous garantissant que le décret sur le partage de la valeur sera publié très rapidement ?

Mme la présidente. Je vous confirme, mon cher collègue, que je me souviens très bien de cet épisode.

La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Marie Lebec, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, vous m'interrogez sur la loi du 10 mars 2023, notamment sur le partage territorial de la valeur des énergies renouvelables, dont l'un des objectifs est d'améliorer l'acceptabilité des projets d'énergie renouvelable et de mieux les ancrer dans la vie locale.

Le dispositif de partage de la valeur prévu par le projet de loi initial avait connu de profondes évolutions, notamment sous l'impulsion du Sénat. Je sais votre engagement de longue date, monsieur le sénateur, sur ces sujets et votre contribution à ce dispositif. Vous avez notamment souhaité qu'il permette de soutenir les plans d'action défendus par l'Office français de la biodiversité (OFB).

La loi promulguée prévoit une obligation de financement par les lauréats d'une mise en concurrence ou d'un appel d'offres en matière d'installation de production d'électricité d'origine renouvelable des projets favorables à la biodiversité et des projets portés par la commune ou l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre d'implantation du projet en faveur des domaines limitativement énumérés dans la loi.

Les installations concernées ainsi que les modalités de financement des projets doivent être précisées par décret. Un premier projet de décret, élaboré en 2023, a fait l'objet d'un avis de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) en janvier 2024 et du Conseil national d'évaluation des normes (CNEN) en février 2024.

Le processus a néanmoins été suspendu afin de réexaminer certaines modalités, notamment la multitude des formes de financement envisagées initialement, avec l'éventualité d'un financement plus direct de certaines actions en faveur des collectivités ou de la biodiversité pour chercher à être plus efficaces.

Le budget du dispositif est également en cours de réexamen par rapport à la proposition initiale, qui était de fixer le montant des contributions à 17 500 euros par mégawatt installé. Compte tenu de l'impact de cette contribution sur le budget de l'État via les charges de service public de l'énergie et des efforts budgétaires engagés pour l'ensemble du ministère, les travaux d'élaboration du décret pourront donc reprendre dès que ces questions auront été tranchées.

Je précise enfin que le taux global d'application de la loi relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables est de 46 %, même si je partage le constat qu'il faut progresser sur ce sujet.

Mme la présidente. La parole est à M. Ronan Dantec, pour la réplique.

M. Ronan Dantec. Madame la ministre, votre réponse relativement précise ressemble à un enterrement de première classe…

Les COP (conférences des parties) régionales sont en train de prendre du retard. Mais quand le décret sur le partage de la valeur n'est pas publié, quand le fonds climat territorial, dont la mise en place était prévue dans le cadre du fonds vert pour le début de l'année 2024, n'est finalement annoncé que pour la fin de l'année, comment s'étonner que les territoires ne se mobilisent pas ?

Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur le bilan de l'application des lois.


Source https://www.senat.fr, le 11 juin 2024