Interview de Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre du travail et de l'emploi, à France 2 le 17 octobre 2024, sur le projet de budget 2025, les mesures pour l'emploi et les aides aux entreprises et les allègements de charge sur les bas salaires.

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Média : France 2

Texte intégral

JOURNALISTE
C'est l'heure de notre rendez-vous politique. Elle vient de s'installer, Julien, c'est Astrid PANOSYAN-BOUVET, pardon, ministre du Travail et de l'Emploi, qui est votre invité ce matin.

JULIEN ARNAUD
Oui, c'est particulièrement intéressant de vous recevoir ce matin parce qu'il y a plein de sujets qui sont liés à l'emploi et aux menaces qui, d'ailleurs, pèsent sur l'emploi, on va les évoquer. D'abord, il y a le débat sur le budget qui a commencé hier et évidemment vous le suivez de près. Il y a soixante milliards à trouver. On va voir que votre ministère est concerné, premier chef, et les entreprises comme les particuliers vont être très sollicités. Mais d'abord, votre réaction sur quelques-unes des discussions cette nuit, parce qu'on a appris que sur la taxe sur les hauts revenus, elle devait être limitée normalement à trois ans, les députés disent : "Non, on va la pérenniser". Alors, ce n'est pas évidemment l'intention du Gouvernement. Vous êtes d'accord avec ce changement ou pas vous ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Non, je pense qu'il faut vraiment montrer qu'on reste sur des hausses d'impôt qui sont ciblées, temporaires et exceptionnelles. Sinon, la France renoue avec cette maladie de l'impôt. On a quand même un pays qui a les taux de prélèvements obligatoires les plus élevés, en tout cas en Europe…

JULIEN ARNAUD
Et vous les comptez quand même ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
… Et avec des services publics qui ne sont pas nécessairement au rendez-vous. Donc eu égard à la situation de la dette, on les augmente, mais à condition pour qu'elle soit acceptable, que ce soit, concerne ceux qui peuvent se le permettre et de manière temporaire.

JULIEN ARNAUD
Il y a aussi la Flat Tax à 30 %, aujourd'hui, les députés disent 33 % là-dessus, oui ou non ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Moi, j'ai quelques réserves parce que la Flat Tax, ça touche aussi les revenus du capital. Et le capital, c'est un grand mot, mais c'est ce qui permet aussi d'investir dans l'outil productif des entreprises, donc, il faut faire très attention aux va-et-vient.

JULIEN ARNAUD
Alors, sur les entreprises, maintenant, tout ce que ça va changer pour elles, quelles seront les conséquences de ces décisions liées au budget ? Ça pourrait les menacer les entreprises, les menacer durement, même ? Vous avez vu l'étude de l'OFCE qui dit que 130 000 emplois pourraient pourrait être détruit à cause de ce budget. Est-ce que ce sont les chiffres que vous reprenez à votre compte ou pas ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Alors, d'abord, on ne va pas asséner à nos téléspectateurs avec des chiffres à 7h40 du matin.

JULIEN ARNAUD
Ce sont des chiffres, pardon, qui sont quand même très parlant, 130 000 emplois détruits, ça, on les comprend, ces chiffres-là.

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Ce que dit cette étude, ce n'est pas à cause de… D'abord, il y a plusieurs études, donc, il y a cette étude, mais ce n'est pas à cause du budget, c'est à cause aussi d'un contexte économique qui est en train de se tendre, et il faut bien se rendre compte que ce contexte économique se tend aussi, lié aux incertitudes de la situation financière du pays, parce qu'une crise financière, ce n'est bon pour personne…

JULIEN ARNAUD
Donc le budget, c'est-à-dire pour améliorer la situation financière ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
… Pour améliorer la situation financière, parce qu'une crise financière, si elle devait subvenir, ce n'est bon pour personne, pour les familles de condition modeste, pour les petits épargnants et pour les entreprises qui ont besoin de pouvoir emprunter pour pouvoir continuer à investir. Et donc c'est pour ça encore une fois, que dans ce budget, en tout cas dans cette première mouture qu'on a prise, parce qu'on va présenter au Parlement pour débat parlementaire, on est dans une réduction des baisses, une réduction de la dépense publique, mais on est aussi dans une augmentation des prélèvements obligatoires circonstanciels.

JULIEN ARNAUD
Mais est-ce que vous craignez, encore une fois, des conséquences sur l'emploi ? C'est ça, aujourd'hui, qui menace.

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
C'est pour ça qu'on va faire très attention, et donc typiquement, il y a un sujet emploi et salaire. Et donc on va, aujourd'hui, en ce qui concerne les aides aux entreprises, notamment sur ce que l'on appelle les cotisations patronales, il y a quand même des aides jusqu'à présent de 80 milliards d'euros, donc ça représente presque 2 % de la richesse nationale. Donc il faut, il faut encore une fois moduler, faire attention et sur ces sujets, y aller doucement pour éviter les effets de bord.

JULIEN ARNAUD
Alors, il n'y a pas que l'OFCE qui parle de destructions d'emplois, le MEDEF dit : "Avec ce budget, on va perdre plusieurs centaines de milliers d'emplois." Encore une fois, sur les chiffres…

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Oui. Le MEDEF reprenait en particulier cette étude, mais c'est pour cela qu'il faut faire attention, aujourd'hui. Prenons, par exemple, les allègements de charges et de contributions patronales, il y a trente ans, on a mis en place un dispositif d'allègement de charge pour ne pas pénaliser l'emploi peu qualifié qui étaient trop chers dans notre pays. Depuis trente ans, Gauche et Droite ont empilé ce genre de choses qui fait que cela a contribué à des trappes à bas salaires. Aujourd'hui, on a un tiers des personnes qui sont au SMIC qui le sont très durablement. Le SMIC, c'est devenu un salaire à vie pour beaucoup de nos compatriotes, ça, ce n'est pas acceptable et c'est pour ça qu'on veut commencer à lisser, pour éviter ces trappes à bas salaires, c'est important.

JULIEN ARNAUD
Il y a un procès en insincérité qui est fait au Gouvernement sur ce budget, parce que le budget se base sur une base de croissance de 1,1, sauf que les économistes, et notamment l'OFCE dit : "Non avec les mesures qui prennent, cela peut être 0,8". Et on voit bien ici les conséquences macroéconomiques qui vont se répercuter chez l'ensemble des Français.

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Tout à fait, mais alors procès en insincérité, c'est quand même, il faut faire attention aux mots. Je pense que ce sont des hypothèses qui sont travaillées avec les économistes avec différents instituts de recherche, mais c'est pour ça qu'effectivement, dans un modèle économique français qui reste très poussé par… Et la dépense publique et c'est peut-être le sujet d'ailleurs et par la consommation, il faut faire extrêmement attention à ce qu'on fait. Mais on est bien d'accord aujourd'hui que le rythme de dépenses publiques n'est pas soutenable. On ne peut pas continuer à financer notre modèle de protection sociale et nos investissements d'avenir par de l'endettement et par de l'emprunt. Ce n'est pas soutenable.

JULIEN ARNAUD
Mais vous dites et vous répétez : "Il faut faire attention à ce que l'on fait".

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Oui.

JULIEN ARNAUD
Mais comment on peut marcher sur les deux jambes ? Comment on peut couper les aides aux entreprises et en même temps ne pas les pénaliser pour leur développement ? Ça paraît compliqué quand même.

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Mais parce qu'on va continuer quand même sur des dispositifs aussi d'abord, parce que l'ensemble, beaucoup d'entreprises, l'essentiel du tissu productif ne sera pas concerné par ces hausses d'impôts et que les que l'aide à l'innovation va continuer et encore une fois, on parle de beaucoup d'argent. Et l'idée du lissage des aides aux entreprises, ce n'est pas pour couper les entreprises, c'est pour permettre de lisser les augmentations, de permettre des augmentations justement de salaire parce que beaucoup de gens sont tanqués dans les bas salaires à cause des effets non-incitatifs.

JULIEN ARNAUD
Alors vous dites qu'il n'y a que les grandes entreprises qui vont être concernées, mais ce n'est pas vrai, puisque les aides à l'apprentissage. Alors on va couper largement dans les aides apprentissage et ça concerne tout le monde. Il y a aussi…

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
On ne va pas…

JULIEN ARNAUD
… Des indemnités journalières qui vont être prises en charge par les employeurs. Même les petites entreprises disent : "Vous allez vous faire très mal" ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Sur l'apprentissage, il faut d'abord se rendre compte de la vraie révolution culturelle, c'est devenu une voie d'excellence pour tous les jeunes, là où, en France, on avait cette tendance à mépriser les métiers d'en haut, les métiers d'en bas, on n'est pas en train de couper le robinet de l'apprentissage, on est en train de recalibrer les aides…

JULIEN ARNAUD
Vous les resserrez, vous les resserrez…

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
… Recalibrer les aides pour les rendre à peu près similaires à ce qui existe en Allemagne et en Suisse, qui sont des modèles en la matière. Les indemnités journalières, là, moi, je veux bien reconnaître que ce sont des mesures court terme très paramétriques qui vont effectivement transférer le coût vers l'employeur et surtout, et surtout polariser le marché de l'emploi entre ceux qui sont protégés par les conventions collectives et ceux qui ne le sont pas. Et je pense qu'il y a une vraie réflexion à avoir dès janvier une fois l'épreuve budgétaire terminée. Sur la santé au travail, où on met tout : l'absentéisme, la santé, les conditions de travail, l'organisation du travail pour se demander pourquoi il y a aujourd'hui autant d'indemnités journalières ? Juste un point, on est passé, les indemnités journalières, ça a coûté 17 milliards d'euros à la sécurité sociale…

JULIEN ARNAUD
C'est des arrêts de travail en principe.

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Les arrêts de travail. Plus de dix milliards en dix ans. Il y a un vrai sujet, il faut y penser.

JULIEN ARNAUD
Il y a aussi un sujet sur la réforme de l'assurance-chômage, parce que le précédent Gouvernement avait mis dans les tuyaux cette réforme. Alors il ne l'a pas mis en oeuvre, sans doute pour ne pas en payer le prix politique lors des Européennes. Pourquoi est-ce que vous ne la repreniez pas à votre compte aujourd'hui ? Vous ne partagez pas cette philosophie parce que ça aura permis pas moins de quatre milliards d'euros d'économies ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Alors là aussi, on rentre dans une bataille des chiffres. Quatre milliards, c'est à cinq ans et la première année, c'était autour de, en tout, c'était autour de 500 millions d'euros d'économies. Ce qu'on souhaite avec le Premier ministre, c'est aussi relancer le dialogue social, parce que l'apaisement, ça a aussi une valeur et donc, ce que j'ai proposé avec le Premier ministre, c'est effectivement une relance de la réforme de l'assurance-chômage sur la base d'un accord qui avait été signé par l'ensemble du patronat, et trois organisations syndicales en leur demandant des économies supplémentaires. Mais ce qui est très important, c'est aussi de lier cette réforme de l'assurance-chômage à quelque chose qui est un vrai mal français, qui est la question du travail des seniors. Dans notre pays, qui fait que depuis des années, on se dit que passé cinquante ans n'a plus tout à fait notre place dans l'entreprise.

JULIEN ARNAUD
Et ça fait justement ça fait des années que tout le monde en discute et que les partenaires sociaux ont la main. On voit bien ça ne change pas. On a l'impression de se répéter depuis des décennies.

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Justement, je pense qu'il n'y a jamais eu dans notre pays une vraie volonté de s'atteler à la question du travail des seniors. La Finlande, la Suède, l'Allemagne, ils l'ont fait il y a vingt ans ; nous, ça fait depuis vingt ans qu'on traîne parce qu'il y a cette espèce d'habitude culturelle qui est de faciliter à la fois des employeurs en particulier.

JULIEN ARNAUD
Et quelles mesures nouvelles vous voulez prendre pour que ça change ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Il faut anticiper, ça veut dire que la question des fins de carrière, ça se regarde à partir de 45 ans pour pouvoir anticiper la deuxième partie de carrière, pour pouvoir envisager des reconversions pour les métiers qui sont pénibles, parce qu'il y a des métiers qui ne sont pas tenables toute une vie. Voilà ces genres de sujet qu'il faut regarder.

JULIEN ARNAUD
Un mot sur l'immigration parce que c'est un débat, enfin, c'est une question qui fait débat au sein même du Gouvernement avec la loi RETAILLEAU qui va arriver en début d'année prochaine. Vous vous situez comment, vous, dans ce débat ? On sait que votre collègue Agnès PANNIER-RUNACHER, par exemple, elle n'est pas très favorable à cette loi. Quel est votre point de vue à vous ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Moi, je la regarde aussi en tant que ministre du Travail et de l'Emploi…

JULIEN ARNAUD
Oui.

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
…Et je rejoins, moi, les propos d'un Patrick MARTIN, président du MEDEF, ou d'un François ASSELIN, président de la Confédération des PME, qui dit qu'il y a aussi une dimension économique de la question de l'immigration. On a aujourd'hui enfin, et puis il faut savoir de quoi on parle, on parle de 55 000 visas à titre économiques pour pourvoir des emplois dans les emplois à domicile, dans le bâtiment, dans des métiers qu'on considère comme essentiels.

JULIEN ARNAUD
Quand est-ce qu'on aura la liste ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Mais ça va aussi. On y travaille, on va y travailler avec Monsieur RETAILLEAU. Mais il faut voir aussi qu'un tiers de cette immigration économique, c'est des bac plus cinq. On a besoin de 20 000 ingénieurs dans notre pays, donc je pense qu'il y a aussi un besoin de nuance dans un débat, qui sinon peut aller dans un peu trop de facilité.

JULIEN ARNAUD
Et on voit que les arbitrages ne sont pas encore tout à fait rendus sur ces questions, notamment des aides aux entreprises. Le débat parlementaire fait son œuvre. Merci beaucoup.

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Merci à vous et bonne journée.

JULIEN ARNAUD
A vous aussi.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 18 octobre 2024