Interview de Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre chargée du travail et de l'emploi, à TF1 le 21 janvier 2025, sur la proposition du Sénat de travailler 7h de plus par an, la possibilité d'une taxe ou cotisation pour les retraités pour financer la protection sociale.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : TF1

Texte intégral

ADRIEN GINDRE
Bonjour, Astrid PANOSYAN-BOUVET

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Bonjour, bonjour à tous.

ADRIEN GINDRE
Faut-il travailler 7 h de plus par an sans gagner plus ? La mesure avait été votée au Sénat, cet automne. La censure a rebattu les cartes. Et ce week-end, votre collègue, Catherine VAUTRIN, expliquait que cela permettrait de rapporter 2 milliards par an. Est-ce que vous vous êtes favorable à ce que l'on travaille 7 h de plus par an ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Alors, c'est une proposition du Sénat, vous faites bien de le rappeler. Et c'est une proposition qu'il faut qu'on étudie dans le cadre du débat parlementaire. C'est vrai qu'il faut aussi regarder les choses en face. Il y a deux choses qu'il faut regarder en face. Première chose, c'est qu'on travaille 70 h de moins par an que les Allemands, 100 heures de moins que la moyenne de l'Union européenne. Et la deuxième chose, parce que ça pose, quand même, des questions, c'est que la protection sociale et le financement de la protection sociale est de plus en plus porté par le travail et donc par le salaire net des travailleurs. Et c'est pour cela que ces secteurs doivent financer, en tout cas, la proposition du Sénat, la branche autonomie, c'est-à-dire le maintien à domicile des personnes âgées, les EHPAD.

ADRIEN GINDRE
On en fait quoi de ces 2 milliards, si on n'a pas ces 2 milliards, qu'est-ce qui se passe ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Ça veut dire qu'il faut pouvoir trouver d'autres sources de financement. Parce que l'engagement, c'est quand même d'arriver à 5,4 % de déficit dans la trajectoire qui a été proposée par le Gouvernement.

ADRIEN GINDRE
Donc, pour vous, c'est une piste qu'il faut regarder…

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
C'est une piste qu'il faut regarder avec différents aménagements parce que ça peut porter, effectivement, sur les personnes qui travaillent, mais ça peut porter aussi sur les personnes retraitées qui peuvent se le permettre. Parce qu'encore une fois, on parle du financement de la branche autonomie, c'est-à-dire le maintien à domicile pour les personnes âgées, y compris les femmes.

ADRIEN GINDRE
Pour qu'on comprenne bien tous les deux, il n'y a pas que les 7 h. On peut aussi faire contribuer les retraités ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Les retraités qui peuvent se le permettre notamment.

ADRIEN GINDRE
De quelle manière ? Ce que vous proposez ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
C'est-à-dire qu'il y a différentes taxes et cotisations qui pourraient être envisagées pour les retraités, encore une fois, qui peuvent se le permettre parce qu'on est vraiment là sur une branche.

ADRIEN GINDRE
Ça veut dire quoi, qu'ils peuvent se le permettre, Astrid PANOSYAN ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
En fonction du niveau de pension, là, au niveau…

ADRIEN GINDRE
Concrètement, ce serait quoi votre proposition ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Ça, c'est justement des choses qu'il faut regarder avec parlementaires. Ça fera partie des discussions qu'on aura avec les parlementaires.

ADRIEN GINDRE
Et c'est une proposition que vous ferez.

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
En tout cas, je pense qu'il faut que ça se regarde parce qu'il ne faut pas… Je pense, encore une fois, que le financement de la protection sociale, aujourd'hui, il incombe trop aux entreprises et aux travailleurs. Il y a un moment donné où il faut que cette charge soit mieux répartie sur l'ensemble de la population. Surtout pour un risque qui est celui de la dépendance qui concerne très principalement les personnes âgées, celles qui vont rentrer en situation de dépendance et en perte d'autonomie…

ADRIEN GINDRE
Vous allez faire bondir une partie de votre électorat, aujourd'hui, les retraités qui va vous écouter avec beaucoup d'attention.

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Oui, mais je pense que c'est des sujets qui doivent être mis sur la table parce que cela veut dire, sinon, que c'est le coût du travail qui augmente en France et surtout le salaire net, celui que vous avez dans la poche qui arrive dans le compte en banque, chaque mois, qui est réduit d'autant parce que c'est le travail qui finance la protection sociale. Et ensuite les 7 h, je pense que c'est une chose qu'il faut qu'on regarde avec les partenaires sociaux parce que cela peut être dix minutes par semaine réparties sur une année.

ADRIEN GINDRE
Cela peut aussi être un jour férié, en moins par an.

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Je pense qu'il y a différentes applications en fonction.

ADRIEN GINDRE
Ça, c'est aussi sur la table, l'idée de se dire qu'on supprime un jour férié ou vous considérez que c'est définitivement écarté ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Non, je pense que c'est définitivement écarté, je pense que… Mais ce sont des sujets qu'il faut regarder, à la fois avec les parlementaires parce que je le rappelle que c'est une proposition de la Commission mixte paritaire. Et puis, je pense qu'on a eu différents enseignements, que ce soit sur le jour férié, que ce soit sur l'application des 35 h, il y a plus longtemps, sur le fait que les applications uniformes, ce n'est pas nécessairement la meilleure formule.

BRUCE TOUSSAINT
Je peux vous demander une précision. Vous dites, ce matin, au sujet d'un projet ou d'une perspective de cotisation pour les retraités. On est bien d'accord que ça ne concernerait pas tous les retraités. C'est le sens de ce que vous dites, ce matin.

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Ça, c'est une proposition que je fais, moi. Je pense que ça ne doit pas concerner, voilà.

BRUCE TOUSSAINT
C'est pour ça que je demande une précision.

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Une précision, c'est que ça ne doit pas concerner tous les retraités.

BRUCE TOUSSAINT
Genre quoi, la moitié ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Non, ça peut être, je ne sais pas, 40 % des retraités, voilà. Le sujet, c'est qu'il faut qu'on arrête de voir les retraités comme un bloc homogène. Les retraités, il y a autant de retraités qu'il y a des salariés.

ADRIEN GINDRE
Vous avez identifié quels retraités ? On pourrait cibler à partir de quel montant de pension ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Ça c'est des sujets qu'il faut discuter, ça peut-être 2 000 euros, ça peut-être 2 500 euros. Ça, ce sont des sujets qu'il faut discuter aussi en fonction des discussions avec les parlementaires. Ce n'est pas moi, ici, avec vous, qui va décider.

BRUCE TOUSSAINT
Quelle pourrait être l'appellation de cette cotisation. Vous avez une idée pour que ce soit plus clair, encore une fois ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
C'est une forme de contribution à l'effort national du financement pour, encore une fois, l'indépendance et la branche autonomie. Cela concerne, principalement, nos aînés qui ont besoin de vivre leurs vieux jours dans la dignité, que ce soit dans le maintien de…

ADRIEN GINDRE
Qui devrait générer, pardon, 2 milliards d'euros, Astrid PANOSYAN ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Deux milliards. Alors, ça, c'est deux milliards d'euros, en année pleine, ce sera 2,5 milliards d'euros. Parce que si on est sur un vote du budget, on est sur fin mars.

ADRIEN GINDRE
Jusqu'à l'objectif, le même que pour les 7 h, ça sera remplacé ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Par contre, si on rajoute, effectivement, une contribution des retraités qui peuvent se le permettre, on serait sur peut être 500 ou 800 millions d'euros de plus en fonction, justement, du seuil qui est décidé. Je pense que cela doit se regarder parce qu'il y a la solidarité intergénérationnelle, effectivement, entre les jeunes actifs et nos aînés. Mais il y a aussi la solidarité entre aînés, entre ceux qui peuvent se le permettre et ceux qui ne peuvent pas se le permettre, aujourd'hui, et pour lesquels une place en EHPAD coûte très cher.

BRUCE TOUSSAINT
Une contribution, une taxe, appelons ça comme vous voulez, c'est un taux. Donc vous avez une idée du taux ? C'est 2 % ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Non mais, moi…

BRUCE TOUSSAINT
Pour atteindre deux milliards, il faut qu'il y ait un taux.

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
J'aurais pu très facilement vous dire "Ça va rester que sur les actifs". Moi, je pense qu'il faut qu'on se pose la question et je souhaite que cette question soit posée dans le cadre du débat parlementaire.

BRUCE TOUSSAINT
Parce que ça vous intéresse que l'on vous pose des questions ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Et tout à fait, mais je pense que cette question doit être posée dans le cadre du débat parlementaire et sur le montant des capitaux et sur qui ça concerne. Mais en tout cas, il ne faut pas écarter cette question pour que l'effort ne porte plus que sur les actifs.

ADRIEN GINDRE
Puisqu'on parle justement des retraités et des partenaires sociaux, il y a une discussion à l'initiative du Gouvernement qui est ouverte sur la réforme des retraites qui avait été précédemment votée et qui portait l'âge de départ à 64 ans. À votre place, hier, l'ancien commissaire européen, Thierry BRETON, disait "On pourrait travailler, mais en différenciant". Marylise LÉON de la CFDT, la semaine dernière, disait aussi "L'âge pour tous, uniforme, c'est injuste". Est-ce que vous seriez pour un âge de départ qui serait individualisé, totalement différencié ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Alors je pense qu'il doit y a… Moi, vous me demandez à moi et je pense que 64 ans, mais pas pour tout le monde. Je pense qu'effectivement il y a, aujourd'hui, des métiers notamment pénibles, qui sont mal appréhendés parce qu'il faut admettre qu'il y a des métiers qui ne sont pas tenable toute une vie et qui font qu'il y a un tiers de nos ouvriers non-qualifiés dans la manutention, dans le BTP, même chose, 20 % de nos aides à domicile, aujourd'hui, qui ne peuvent pas aller jusqu'à 64 ans. Et donc, cela veut dire qu'il faut pouvoir aménager des fins de carrière différentes et pouvoir partir peut-être avant et, surtout, aménager des fins de carrière pour des postes différents. Je pense que c'est quelque chose qui peut être entendu par les Français pour, à la fois plus de justice, mais également une capacité à financer notre système de retraite, qui en a besoin.

ADRIEN GINDRE
D'un mot, Astrid PANOSYAN. Ce week-end, votre collègue de l'Intérieur était interrogé sur le questionnaire du recensement de l'INSEE, qui comporte cette question facultative "Où sont nés vos parents ?" Il s'est dit, cette occasion, favorable aux statistiques ethniques, mais il précise une condition, c'est qu'on ne les utilise pas pour la discrimination positive. Est-ce que c'est un point de vue que vous partagez ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Alors, elles ne doivent pas être utilisées ni pour la discrimination, ni pour la discrimination positive. Après, je pense qu'il ne faut pas se cacher de données qu'on peut avoir. Je pense que c'est intéressant d'avoir des données, notamment sur la domiciliation.

ADRIEN GINDRE
Sur l'origine des parents, également.

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
L'origine, en fait, c'est le lieu de naissance des parents. Ce sont des données qui existent, aujourd'hui, mais qui ne sont pas nécessairement, qui sont agrégées au niveau national, mais qui ne sont pas nécessairement au niveau local. Je pense que c'est intéressant. Il faut que cela ne se traduise ni par la discrimination positive, ni par de la discrimination, tout simplement. On est dans la République.

BRUCE TOUSSAINT
D'un mot, les NAO, les négociations salariales, vous en dites quoi alors ?

ASTRID PANOSYAN-BOUVET
Ça, c'est une des conséquences directes de la censure. Moi, je rencontre beaucoup de DRH, notamment, la semaine dernière, je rencontrais l'Association nationale des DRH. Pour certains, ils n'ont pas pu commencer les NAO car ils attendent un certain nombre de retombée du financement de la Sécurité sociale, sur les allègements généraux et donc, les exonérations de charges patronales qui vont, forcément, avoir un impact sur les NAO. Donc, ça, c'est une conséquence directe, sur le fait que des sujets qui sont, en général, discutés dans l'entreprise à la fin de l'année, justement appliqués pour le 1er janvier, rétroactivement pour le salaire du 1er janvier, ce n'est pas le cas.

BRUCE TOUSSAINT
Merci beaucoup, Astrid PANOSYAN-BOUVET. Merci à Adrien GINDRE.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 22 janvier 2025