Interview de M. Manuel Valls, ministre d'État, ministre des outre-mer, à Sud Radio le 4 février 2025, sur le budget de l'État, les droits de douane supplémentaires entre l'Union européenne et les États-Unis, la reconstruction de Mayotte, l'immigration illégale, la proposition de loi visant à renforcer les conditions d'accès à la nationalité française à Mayotte et la situation en Nouvelle-Calédonie et dans les Antilles.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Sud Radio

Texte intégral

JEAN-JACQUES BOURDIN
Notre invité, Manuel VALLS, ministre des Outre-mer, numéro trois du Gouvernement, ancien Premier ministre, bonjour.

MANUEL VALLS
Bonjour, Jean-Jacques BOURDIN.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Merci d'être avec nous, Manuel VALLS. Budget général, budget de la Sécurité sociale. On parlera évidemment des Outre-mer tout à l'heure. Budget général, budget de la Sécurité sociale, double 49.3, adoption sans vote, motion de censure aussitôt déposée par LFI sur chacun des deux textes. Examen demain. Le PS ne s'y associe pas. Le RN hésite. Le Gouvernement BAYROU ne tombera pas. "Sans budget, la France était en danger", dit François BAYROU. Avec un budget, n'est-elle pas toujours en danger ?

MANUEL VALLS
Non, la ligne de crête est évidemment difficile, vu le niveau de déficit et de dette. Le projet de loi de finances qui va donc probablement être adopté – soyons prudents – jusqu'au bout réduit progressivement ce déficit, mais nous sommes sur une trajectoire qui sera évidemment longue, difficile et qui nécessite des efforts. Mais moi, je constate que – je l'espère – l'esprit de responsabilité s'impose, parce que la France a besoin d'un budget. Regardez, le seul fait que la Commission mixte paritaire, l'Assemblée, le Sénat ensemble, ait adopté le budget, a réduit la différence de taux d'intérêt entre l'Allemagne et la France. Donc, ça veut bien dire que sur les marchés internationaux, on a besoin que la France ait un budget et surtout, les Français – et les Français ultramarins, pardon de le rappeler – ont besoin d'une loi de finances qui les soutienne.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais un budget ne résout pas les problèmes économiques rencontrés par la France, Manuel VALLS ?

MANUEL VALLS
Non, mais l'absence du budget créerait les conditions, à mon avis, non seulement d'une crise politique, mais d'une crise financière. Donc, il vaut mieux un budget sur la base d'un accord et d'un esprit de responsabilité, en l'occurrence des socialistes dont je me félicite.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Des socialistes. Amère défaite pour Jean-Luc MELENCHON ?

MANUEL VALLS
Mais vous savez, moi, je suis au Gouvernement. Il m'est difficile désormais de commenter l'attitude des uns et des autres. Je vais vous dire les choses autrement. Il est normal que les forces politiques, en raison de leur positionnement – c'est le cas du Parti Socialiste – ne puissent pas voter un budget qui n'est pas le leur. Ils ont cependant participé à une négociation. Ils ont obtenu l'ouverture du débat sur les retraites, le fait qu'on ne supprime pas 4 000 postes dans l'Éducation nationale pour ne prendre que ces exemples, mais ils ne votent pas la motion de censure au nom de l'esprit de responsabilité et du fait qu'après ce que nous connaissons depuis la dissolution, le pays a besoin de stabilité pour toutes les raisons que nous avons dites. C'est une situation... Jean-Jacques BOURDIN, vous l'avez souvent commentée. Vous la commentez tous les matins, sans aucun doute, sur cette antenne. Nous n'avons pas connu ce type de situation d'instabilité politique depuis les débuts de la Cinquième République. Donc, il faut donner de la stabilité au pays, c'est nécessaire, je crois, pour le moral, en général, des Français, pour des catégories qui attendent des soutiens et des aides. Je pense aux agriculteurs. Je pense à Mayotte. Je pense à la Nouvelle-Calédonie, dont je m'occupe. Et il faut de la stabilité dans un moment de convulsion pour le monde, avec les conséquences de la victoire de TRUMP, avec ce qui se passe en Ukraine, avec ce qui se passe au Proche et au Moyen-Orient. On a besoin que la France, qui est un grand pays, ait les moyens de cette stabilité.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors j'allais en parler justement. Effectivement, en France, on discute d'un budget. Le budget sera probablement voté. Pendant ce temps-là, Donald TRUMP a décarré la guerre commerciale. Alors, il a un peu mis d'eau dans son vin avec le Mexique et le Canada, puisqu'il y a suspension de ses taxes douanières. Avec la Chine, ça va discuter. Quelle devrait être la réplique européenne si TRUMP tient parole et applique des droits de douane sur tous les produits européens ?

MANUEL VALLS
Nous restons le premier espace commercial du monde. Je parle évidemment de l'Europe, une puissance économique, industrielle, agricole, malgré tout, les analyses sur le déclin de l'Europe, etc. Mais c'est une puissance commerciale incontestable. Et donc, il devrait y avoir, évidemment, une réponse. Attendons ce que propose Donald TRUMP. On voit qu'il peut changer en plus d'avis, mais il faudra évidemment une réplique. D'ailleurs, regardez les autres pays où il négocie, où il réplique. La Chine réplique. Il y a des négociations entre les États-Unis, le Canada et le Mexique, mais qui participent du même espace commercial avec les États-Unis. Donc, il faudra évidemment une réplique. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der LEYEN, l'a dit hier et les chefs d'État et de Gouvernement étaient réunis. Mais d'une certaine manière, je rencontrais, il n'y a pas si longtemps Enico LETTA, l'ancien président du Conseil italien qui a participé au rapport DRAGHI, qui donne des indications essentielles pour l'Europe, c'est-à-dire que nous devons rattraper le retard en matière d'investissement, sur la recherche, l'innovation, l'université, l'intelligence artificielle que l'Europe a pris ces vingt dernières années par rapport aux États-Unis. Et il me disait – je crois juste – que l'élection de TRUMP nous oblige, nous, à réagir. Nous ne devons pas être uniquement dans le commentaire sur ce qu'est en train de faire TRUMP ou MUSK, sur ce qu'ils sont en train de faire, mais nous-mêmes, investir dans l'avenir, nous protéger davantage, avoir une défense... Pour défendre, notre défense, notre capacité de défense, même si nous sommes dans l'Alliance atlantique.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Faudra un jour que les Européens achètent du matériel européen, du matériel militaire européen. 80 % du matériel militaire acheté par l'Europe est acheté à l'extérieur de l'Europe.

MANUEL VALLS
Parce que c'est le fruit de l'Alliance atlantique. Mais regardez, un pays comme le Danemark, un des pays les plus ancrés dans l'Alliance atlantique depuis toujours, avec ce qu'il se passe, les menaces sur le Groenland, est obligé de réviser sa stratégie. Au fond, entre ce qui s'est passé en 2022, c'est-à-dire l'invasion de l'Ukraine par la Russie, ce qui s'est passé le 7 octobre avec l'attaque terrible du Hamas en Israël, l'élection de TRUMP, tout ça est en train de bouleverser le monde. Et donc ça nous oblige, nous, Européens et Français, à définir notre propre stratégie. Et s'il y a peut-être quelque chose qu'il faut copier de Donald TRUMP, si vous me permettez, c'est la défense de nos propres intérêts stratégiques. C'est vrai sur le plan économique, c'est vrai sur le plan commercial, et c'est vrai aussi sur le plan militaire de la défense. L'Europe et la France doivent défendre leurs intérêts stratégiques dans un monde, aujourd'hui, très instable.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors avant de partir pour Mayotte, vous en revenez. Vous êtes rentré samedi. Un mot quand même, quelques mots sur la guerre Ukraine-Russie avec les dernières propositions de Donald TRUMP qui dévoilent son plan par l'intermédiaire de son envoyé spécial : un cessez-le-feu, des élections présidentielles et législatives en Ukraine et ensuite des négociations. Il tord la main, il veut tordre la main à ZELENSKY.

MANUEL VALLS
Jean-Jacques BOURDIN, là, vous faites commenter tous les sujets.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Non.

MANUEL VALLS
Certes, je suis ministre d'État, numéro trois du Gouvernement. Vous l'avez rappelé.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, et vous vous intéressez beaucoup à l'Ukraine.

MANUEL VALLS
Oui, je m'intéresse évidemment à tous ces sujets, même si je suis évidemment concentré sur les Outre-mer, mais ça veut dire qu'il y a une négociation. Ça veut dire qu'on n'est plus dans l'idée qu'on fait la paix en 24 heures, comme l'avait annoncé l'actuel président américain. Donc, ça veut dire qu'il y a la voix, il y a un dialogue et qu'il y a peut-être une volonté aussi dans cette Administration américaine de ne pas faire confiance à Vladimir POUTINE et de soutenir l'Ukraine. En tout cas, je reviens à ce que je disais tout à l'heure. Cela veut dire que plus que jamais, l'Europe doit participer d'abord à cette discussion et doit soutenir l'Ukraine, qui est en première ligne, pour défendre nos valeurs.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous êtes rentré de Mayotte samedi après une nouvelle visite de trois jours, Manuel VALLS. Le bilan humain du cyclone Chido est-il définitif, 39 morts ?

MANUEL VALLS
Il est de quarante morts.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Quarante morts ?

MANUEL VALLS
Précision, 125 blessés graves.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui.

MANUEL VALLS
Et près de 5 000 blessés et graves. Oui, alors il peut y avoir peut-être des disparus, dont on ne connaît pas l'identité, notamment parmi l'immigration irrégulière, mais rappelez-vous qu'au début du désastre du cyclone Chido, on avait même parlé de 30 000, 40 000, 50 000 morts.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Bien sûr, oui, j'ai entendu ça.

MANUEL VALLS
Donc l'État, j'ai encore dit hier soir au Sénat, puisque nous sommes en train de discuter du projet de loi d'urgence sur Mayotte, l'État n'a rien à cacher. Pardon, de rentrer, ce matin, dans ces détails, mais par exemple la mer n'a rejeté aucun corps, on n'a pas découvert de charnier. Donc, je reste prudent, il y a peut-être quelques disparus, mais évidemment, on est sûr, heureusement, même si ce sont des morts de trop, nous en sommes à ce type de chiffre.

JEAN-JACQUES BOURDIN
L'eau, l'électricité, l'approvisionnement, tout est rétabli ?

MANUEL VALLS
Non, l'électricité est rétablie à 100 %, des clients alimentés, donc, on est revenu avant Chido, il peut y avoir des clients qui n'étaient pas à ce moment-là alimentés. Sur l'eau, elle arrive évidemment pratiquement dans tous les foyers, mais il y avait beaucoup de foyers qui n'étaient pas alimentés, il y a toujours des problèmes de production et de distribution, et donc là, dans le plan de reconstruction, de refondation de Mayotte, il faudra évidemment changer totalement cet aspect, c'est sans doute, Mayotte a connu en 2023 une crise très grave de l'eau, il peut y avoir une crise de la sécheresse, c'est toujours possible, donc il faut anticiper ces mouvements, la nourriture arrive bien évidemment, nous sommes en train, sur place, d'enlever les déchets ménagers, c'est-à-dire 6 000 tonnes, et ça devrait être réglé d'ici la fin du mois de février avec un effort vraiment de tous les services publics et privés sur place, les dispensaires, c'est un de mes engagements, sont en train d'ouvrir un peu partout pour soulager l'hôpital, et puis enfin, la rentrée scolaire a eu lieu dans des conditions difficiles, parce qu'on a à peu près 20 % des écoles et des classes qui ont été détruites, mais la rentrée a eu lieu, même si là aussi…

JEAN-JACQUES BOURDIN
Même si certaines écoles abritent des migrants, encore ?

MANUEL VALLS
Depuis hier matin, non.

JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est fini ?

MANUEL VALLS
Le dernier collège, le collège de Kwalé, a été évacué, il y avait 300 migrants, mais il y a encore moins de classes, il y a moins d'écoles, il y a des élèves qui vont en classe le matin et pas l'après-midi, donc le projet éducatif, il n'y a pas suffisamment de cantines scolaires, de repas, donc c'est tout le projet éducatif, au fond c'est tout le projet pour Mayotte que je présenterai avec une deuxième loi au mois de mars ou au mois d'avril, qui sera une loi-programme Mayotte-Debout pour reprendre…

JEAN-JACQUES BOURDIN
Mars-Avril ?

MANUEL VALLS
Mars-Avril, dès qu'elle sera prête, qui traitera des questions d'éducation, d'urbanisme, de développement économique et agricole, de reconstitution de la forêt, parce qu'elle a été à 70 % détruite, évidemment, d'immigration et de sécurité, donc sur tous ces sujets, au fond, vous savez, ce territoire que je connais bien, que je connaissais bien avant, qui est terriblement français, il y a une passion des Mahorais pour la France, mais il y a une forme de distance, un retard qui s'est créé dans le développement, et nous devons être à la hauteur de l'attente de nos compatriotes Mahorais.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors, la reconstruction, le temps et le coût ? Le temps ?

MANUEL VALLS
Alors, il y a une mission inter-inspections qui est en train d'évaluer le coût. Le coût, non pas de la reconstruction, mais des destructions, forêts, filières économiques et agricoles, bâtiments publics, on est autour de 3,5 milliards. Je rappelle que la Calédonie, après les émeutes, donc ce n'était pas un événement naturel, mais humain, le coût est d'un peu plus de deux milliards à part égale pour l'économie et pour les bâtiments publics, donc on a déjà débloqué beaucoup de fonds, on est autour de 1,5 milliard déjà de dépenses d'urgence, et la loi-programme va sur, c'est très difficile d'avoir du temps parce que ça dépend des choses, par exemple, la forêt et l'agriculture c'est évidemment plus long, les bâtiments publics, une partie peut être construite cette année, ensuite ou reconstruite cette année, donc allez, sur deux à cinq ans, je pense qu'on est capable non seulement de reconstruire Mayotte, mais de la refonder et de lui donner un projet qui passe aussi par une réflexion plus large sur l'idée que la France doit se faire sur la place de Mayotte dans l'océan Indien, dans son environnement. Le ministre de la Défense a annoncé la volonté du Gouvernement de faire de Mayotte aussi un élément important de notre défense dans cet espace, donc, je pense qu'on est en train de réfléchir aussi avec une cellule…

JEAN-JACQUES BOURDIN
Une base militaire ?

MANUEL VALLS
Une présence militaire.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Une présence militaire ?

MANUEL VALLS
Alors, c'est déjà le cas.

JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est déjà le cas.

MANUEL VALLS
C'est déjà le cas dans la reconstruction et d'une manière ou d'une autre, oui, il faut une présence plus forte de la France dans ce canal du Mozambique où il y a des enjeux considérables, et puis c'est vrai pour Mayotte, La Réunion et tous les territoires ultramarins, il faut qu'ils prennent une place plus importante dans les espaces régionaux, dans le Pacifique, dans l'Atlantique, dans l'océan Indien.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Bien, l'atoll ne sera pas en vente libre, ça, évidemment. Les bateaux comoriens continuent à arriver. J'ai lu les dernières déclarations qui vous ont répondu, d'ailleurs, du président comorien qui revendique toujours Mayotte, qui affirme qu'il refusera d'accueillir des clandestins expulsés par la France depuis Mayotte. Qu'est-ce que vous lui répondez, ce matin ?

MANUEL VALLS
Je pense qu'il faut un rapport de force avec les Comores.

JEAN-JACQUES BOURDIN
À la TRUMP, en quelque sorte, quoi. Bah non, je dis ça comme ça.

MANUEL VALLS
Invitez le président de la République et posez-lui la question.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, mais quel rapport de force ?

MANUEL VALLS
Il faut faire... Parce que Mayotte... Pardon. Les Comores bénéficient d'une aide de la France à travers l'AFD, l'Association française de développement…

JEAN-JACQUES BOURDIN
Est-ce qu'il faut suspendre cette aide ?

MANUEL VALLS
En tous cas de cause, il faut que le langage soit très clair vis-à-vis du président. Moi, je ne rentre pas dans ce débat. C'est vraiment de la responsabilité du président de la République et du ministre des Affaires étatiques.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous êtes favorable à la suspension de cette aide ?

MANUEL VALLS
Je suis favorable à un langage très clair, très net et rigoureux vis-à-vis des Comores. Ça ne peut plus continuer, parce qu'on va peut-être parler d'immigration, mais c'est vrai qu'on renvoyait jusqu'à il y a peu 25 000 immigrés illégaux. C'est à peu près, d'ailleurs, le chiffre de ces 25 000, 30 000 qui arrivent tous les ans ou qui repartent ensuite. Donc, ça veut bien dire que sur ce sujet-là, il faut que nous, on ait une politique de détection. Les radars ont été restaurés. Des moyens supplémentaires ont été donnés aux forces de sécurité pour procéder à la détection et ensuite à ces expulsions. Il faut détruire. Il faut en finir avec ces Kwassa-Kwassa.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Ces bateaux.

MANUEL VALLS
Ces usines, il y a aussi, d'ailleurs, à Mayotte, qui fabriquent illégalement ces bateaux qui mettent en danger les personnes, parce que c'est de la traite d'êtres humains. Donc, là-dessus, il faut être extrêmement clair, mais ça ne peut marcher, en effet, Jean-Jacques BOURDIN, que s'il y a un rapport de force très net vis-à-vis…

JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc, il faut établir un rapport de force avec les Comores ?

MANUEL VALLS
Donc, il faut nous, nous protéger. Il faut expulser…

JEAN-JACQUES BOURDIN
Et éventuellement suspendre l'aide apportée aux Comores ?

MANUEL VALLS
Dans un rapport de force, il y a une palette d'éléments qu'on peut parfaitement utiliser.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Bon, j'ai bien compris. Le droit du sol, dites-moi. Le droit du sol, Manuel VALLS. Il y a une PPL, une proposition de loi LR, jeudi qui arrive. Alors, deux parents sur le sol et présence régulière, depuis un an, pour obtenir la nationalité. C'est ça ?

MANUEL VALLS
Oui. C'est une restriction du droit du sol.

JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est une restriction du droit du sol.

MANUEL VALLS
Et il y en avait déjà eu une…

JEAN-JACQUES BOURDIN
Exact, en 2018.

MANUEL VALLS
En 2018, Gérard COLLOMB devait être ministre de l'Intérieur. Et ça avait été porté par Thani Mohamed SOILIHI, qui était sénateur Mahorais et qui est, aujourd'hui, membre du Gouvernement. Il a en charge les relations avec les pays, notamment en voie de développement. Et il connaît bien évidemment ses dossiers. Donc, là, il s'agirait d'aller un peu plus loin. Le Gouvernement y est favorable, la présidente de l'Assemblée nationale…

JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc pour obtenir... Pour résumer, pour que les auditeurs comprennent bien, pour obtenir la nationalité française, un enfant qui naît sur le sol français à Mayotte doit avoir deux parents présents sur le sol régulièrement. Présents régulièrement sur le sol français.

MANUEL VALLS
Depuis un an et donc, avant, c'était trois mois et un seul parent. Là, c'est douze mois et deux parents. Alors, il y a un débat juridique, parce qu'au fond, il ne s'agit pas d'une remise en cause du droit du sol, il s'agit d'une restriction du droit du sol. Donc, il y a un débat juridique, mais que ce soit Bruno RETAILLEAU, Gérald DARMANIN, le ministre de l'Intérieur, le garde des Sceaux et le ministre des Outre-mer que je suis, nous y sommes favorables.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Est-ce que ce qui est vrai à Mayotte pourrait être vrai sur les autres territoires français ? Je parle de la France métropolitaine ou d'autres départements ou territoires d'Outre-mer ?

MANUEL VALLS
D'abord, pour modifier le droit du sol partout en France, il faut une réforme constitutionnelle. Je ne vous fais pas un dessin. Ça me semble difficile. Et par ailleurs, moi, je ne suis pas favorable à la mise en cause du droit du sol sur le territoire national.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous n'êtes pas favorable à la restriction du droit du sol en France métropolitaine ?

MANUEL VALLS
Ça, c'est autre chose. On peut toujours, sur un certain nombre de sujets, avoir le débat, mais la mise en cause du droit du sol, je ne suis pas d'accord et reconnaissons très honnêtement que la situation que vivent les Mahorais, que vit Mayotte est de toute autre nature, c'est un territoire, allez, entre... Je ne veux pas me fâcher avec l'INSEE une nouvelle fois, mais entre 350 000 et 500 000 habitants. Il n'y a pas un maire qui me dit que les chiffres de l'INSEE sont justes dans sa commune. Ils sont 20 - 30 % plus importants.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, donc y 500 000 habitants, pas 350 000.

MANUEL VALLS
Ce qui pose d'ailleurs un problème, parce que du coup, l'aide, les dotations pour les communes ou le Conseil départemental, bref pour Mayotte, ne sont pas à la hauteur du nombre d'habitants et des investissements qui sont faits.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Dans le texte que vous présenterez en mars-avril, il y aura la restriction, cette nouvelle restriction du droit du sol, on est bien d'accord ?

MANUEL VALLS
On est bien d'accord.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Si elle est adoptée, oui.

MANUEL VALLS
Et qu'elle suit son cours au Sénat, ça ne sera pas utile, mais il y aura d'autres dispositifs, bien évidemment, mais qu'on est en train d'étudier.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Qui vont restreindre quoi ?

MANUEL VALLS
Je reviendrai sur votre…

JEAN-JACQUES BOURDIN
Restreindre le droit du sol ?

MANUEL VALLS
Non, qui peuvent d'ailleurs nous permettre de mieux lutter contre…

JEAN-JACQUES BOURDIN
L'immigration irrégulière ?

MANUEL VALLS
Oui. Par exemple, il y a la question des tests, les faux tests de paternité sur place. Donc, on peut donner un certain nombre de moyens supplémentaires, mais je reviendrai sur votre antenne quand tout cela sera prêt.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Bon, bon, bon, bon.

MANUEL VALLS
Mais c'est... Je dis un mot supplémentaire, parce que je pense que beaucoup de nos compatriotes et de vos auditeurs ont découvert peut-être la place de Mayotte sur une carte de géographie. Ce territoire mérite tout notre soutien et c'est pour ça que moi, je suis... Je réponds évidemment avec beaucoup de plaisir à vos questions sur d'autres sujets. Je suis très engagé pour Mayotte. Pour la Nouvelle-Calédonie, nous commençons les discussions cette semaine et puis évidemment, contre la vie chère dans tous les Outre-mer, parce qu'il y a ce sentiment profond d'inégalité qui touche nos compatriotes ultramarins.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Dites-moi, j'ai vu aussi une autre proposition de loi. Vous allez me dire ce que vous en pensez. Je vais revenir sur la Nouvelle-Calédonie. "Un étranger en situation régulière en France devra attendre deux ans avant de toucher l'allocation familiale, APL". Vous avez vu ça ?

MANUEL VALLS
Non, je n'ai pas vu, mais c'est une proposition de loi des LR, j'imagine.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, proposition de loi LR.

MANUEL VALLS
On l'examinera. Et le Gouvernement tranchera. Je ne l'ai pas en charge, ces dossiers.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Bon. Manuel VALLS…

MANUEL VALLS
Le Manuel VALLS, ce que vous avez en face, il est solidaire du Gouvernement.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais non, mais d'accord. Mais Manuel VALLS a été ministre de l'Intérieur, Premier ministre.

MANUEL VALLS
Et il connaît bien ces sujets.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc vous connaissez bien ces sujets. Je voudrais le rappeler, quand même.

MANUEL VALLS
Sur ces sujets, moi, il faut les traiter. Ne pas traiter les questions d'immigration n'aurait aucun sens, mais par exemple, pour Mayotte, on voit bien qu'il n'y a pas une mesure seule qui règle le problème. Il n'y a pas de mesure magique. C'est une mesure d'ensemble. Et pour l'immigration, il y a quand même... Sur ces 500 000 ou 350 000 habitants que nous évoquions, il y a 100 000 étrangers au moins. Bon. Non, pardon. La moitié de la population est étrangère.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, 50 %.

MANUEL VALLS
50 % et une part de cette population est irrégulière.

JEAN-JACQUES BOURDIN
En situation irrégulière.

MANUEL VALLS
Donc, on voit bien qu'on est dans une situation exceptionnelle qui nous oblige à un rapport de force avec les Comores, à agir pour empêcher l'immigration irrégulière d'arriver à Mayotte, à expulser entre 25 000 et 40 000 personnes par an et il y a une politique de reconstruction économique et sociale de ces territoires-là. C'est une politique d'ensemble.

JEAN-JACQUES BOURDIN
La Nouvelle-Calédonie, le dialogue, où en est le dialogue entre le FLNKS, les indépendantistes et les loyalistes ? Est-ce qu'on se dirige vers une fédération ? C'est ce que demandent les loyalistes.

MANUEL VALLS
Les loyalistes, les non-indépendantistes…

JEAN-JACQUES BOURDIN
Les non-indépendantistes.

MANUEL VALLS
… souhaitent qu'on donne plus de pouvoir aux provinces.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Une sorte de fédération…

MANUEL VALLS
La Nouvelle-Calédonie, c'est 230 000, 250 000 habitants, mais ce n'est pas ce qu'ils demandent. On ne va pas faire deux pays, deux États. Nous commençons les discussions aujourd'hui même, d'ailleurs, ce matin, avec les loyalistes. Et je verrai pendant toute cette semaine, sous la forme de bilatéral, que nous allons dialoguer l'ensemble des interlocuteurs. Je voudrais dire deux choses. D'abord, la situation économique, elle est extrêmement inquiétante. Vous avez pratiquement 15 à 20 % du PIB qui a été détruit. Vous avez 27 000 chômeurs, une situation très inquiétante. Il n'y a plus d'investissement. Donc, il faut reconstruire, là aussi, avec des réformes économiques, la Nouvelle-Calédonie, que je connais bien aussi et que j'aime tout particulièrement. Puis c'est toute une histoire, celle de Michel ROCARD et de Lionel JOSPIN, à laquelle, évidemment, j'ai participé. L'État a engagé 600 millions depuis le mois de juillet pour aider la Nouvelle-Calédonie. Il y a une garantie d'État d'un milliard pour un prêt de l'Agence française pour le développement. Dans la loi de finances, il y a 200 millions supplémentaires en subventions pour la reconstruction des écoles et des bâtiments publics. Donc, là, il n'y a pas de projet politique sans une économie viable. Il faut s'occuper du nickel. Il y a trois usines de nickel qui, aujourd'hui, sont à l'arrêt. Et donc, c'est tout l'avenir de la Calédonie qui est en cause. Et puis ensuite, il faut maintenant bâtir une solution politique et elle ne peut se passer que par le dialogue, par le respect des uns et des autres. C'est le fruit des accords de Matignon et de Nouméa. Ça nous renvoie à l'histoire, à 1988 et à 1998, mais dans la salle où nous allons nous réunir, il y aura notamment la photo de Jacques LAFLEUR et de Jean-Marie DJIBAHOU, la fameuse poignée de main. Il faut que tous les interlocuteurs, au-delà de leur position parfois très dure, se disent qu'au mois de mai et juin dernier, le sang a de nouveau coulé. Et il y a des ruptures, des fractures, notamment avec une partie de la jeunesse. Si on ne trouve pas la voie du dialogue, le chemin, l'affrontement, la guerre civile là-bas sont possibles. Donc nous avons tous, moi évidemment, mais chacun des interlocuteurs calédoniens, une sacrée responsabilité.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Avec un rôle d'agitateur joué par l'Azerbaïdjan.

MANUEL VALLS
Oui, qui surfe sur ces mouvements. C'est vrai en Calédonie, c'est vrai aux Antilles, en Guyane, c'est vrai d'ailleurs aussi à Mayotte ou contre les Mahorais. Et ce qui m'inquiète, c'est que non seulement, ils agissent ainsi, et je l'ai dénoncé, mais c'est qu'on trouve des responsables politiques et des élus sur place, pas à Mayotte d'ailleurs, mais ailleurs, qui participent de ce jeu-là. Donc, moi, je demande à chacun d'être très responsable. On ne peut pas être complice des agissements d'une puissance, d'une petite puissance, ou d'un pays par ailleurs aux valeurs démocratiques assez contestables, qui essaie de profiter de ces mouvements ou de ces situations politiques ou économiques pour essayer de déstabiliser la France.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Bien. Un dernier mot sur les Antilles. On est en retard, de grands groupes étouffent l'économie et le pouvoir d'achat aux Antilles, c'est ce que vous avez dit, notamment. Vous avez cité notamment un groupe. Comment faire et que faire ?

MANUEL VALLS
Il faut agir, parce qu'on a plus de 40 % de l'écart de prix sur l'alimentaire.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui. Entre la métropole et…

MANUEL VALLS
Entre la Métropole, l'Hexagone, comme on dit et ses territoires et les Antilles. Il y a une tendance à l'aggravation depuis 2015. Donc oui, il y a évidemment une responsabilité sur l'ensemble de la chaîne, sur les marges, sur les marges arrière. Donc, on agit par la loi. Il y a un texte de loi qui a été voté il y a quelques semaines, une proposition de loi d'ailleurs des socialistes que nous avons soutenus. Il faut que l'autorité de la concurrence ait davantage de moyens. Nous allons lui en donner pour agir. Et puis il faut revoir les marges arrières et toute la chaîne de production, c'est pour ça que je lancerai un Oudinot, c'est le siège du ministère du Pouvoir d'achat. Et puis il faut partout aussi... Parce que moi, je ne stigmatise pas des groupes qui créent de l'emploi et qui ont beaucoup d'employés, mais je leur demande…

JEAN-JACQUES BOURDIN
D'être responsables.

MANUEL VALLS
Oui, qu'il y ait une juste concurrence.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais il faut aussi que ces territoires aient de vrais projets économiques qui s'inscrivent dans leur espace régional.

JEAN-JACQUES BOURDIN
Merci, Manuel VALLS, d'être venu nous voir. Patrick ROGER, après les infos de 9 h.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 5 février 2025