Texte intégral
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous accueillons aujourd'hui M. François Rebsamen, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation, dans le cadre de nos travaux sur la proposition de loi visant à instaurer une trajectoire de réduction de l'artificialisation concertée avec les élus locaux (Trace). Nous examinerons ce texte en commission des affaires économiques le mercredi 19 février prochain ; il sera discuté en séance publique les 12 et 13 mars, comme vient de le confirmer la Conférence des présidents.
La commission des affaires économiques a nommé deux rapporteurs sur ce texte : Jean-Marc Boyer et Amel Gacquerre. La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, qui s'est saisie pour avis de l'ensemble du texte, a désigné comme rapporteur Daniel Guéret, qui est présent parmi nous. J'ai aussi tenu à associer à cette audition les auteurs de la proposition de loi, Ghislain Cambier et Jean-Baptiste Blanc, ainsi que l'ensemble des membres du groupe de suivi sur l'artificialisation des sols, dont ils ont été respectivement le président et le rapporteur.
Monsieur le Ministre, en acceptant de devenir, en décembre dernier, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation, vous avez hérité du dossier brûlant du " zéro artificialisation nette " (ZAN). Ce sujet, vous le savez, est devenu, depuis plusieurs mois, l'une des principales préoccupations des élus locaux.
Depuis 2021, le Sénat n'a cessé d'alerter sur les difficultés posées par la mise en oeuvre des objectifs de réduction de l'artificialisation fixés par la loi " Climat et résilience ", et par les modalités de répartition des enveloppes foncières entre les territoires. À la suite d'une première mission de contrôle, lancée sur l'initiative de la commission des affaires économiques, la loi du 20 juillet 2023, dite " ZAN 2 ", a apporté - après des discussions homériques - de premiers assouplissements. Cependant, force est de constater qu'ils n'ont pas été suffisants pour assurer une application sereine de cette politique de sobriété foncière dont nous partageons pourtant tous la philosophie générale. Le groupe de suivi sur l'artificialisation des sols en a dressé un constat sans appel, dans un rapport publié en octobre dernier. Depuis lors d'ailleurs, du secteur du logement à celui de l'industrie, chaque audition vient apporter de nouveaux témoignages montrant combien le ZAN est une pierre d'achoppement, voire un repoussoir, pour les élus locaux.
Par principe, nous ne sommes pas favorables à reprendre la plume sur un texte dont l'encre n'est pas encore sèche. Mais les blocages auxquels sont confrontés les territoires semblent aujourd'hui insolubles. C'est pourquoi le Sénat a choisi, en toute responsabilité, d'inscrire à l'ordre du jour de ses travaux la proposition de loi Trace.
Michel Barnier avait fait sensation au congrès des maires en affichant clairement le soutien de son gouvernement à la démarche du Sénat. Aujourd'hui, nous souhaitons savoir si vous vous inscrivez dans ses pas et recueillir votre analyse sur ce texte, article par article, et mesure par mesure. L'enjeu de cette audition est donc simple : vous demander comment travailler ensemble pour rendre soutenable, dans les territoires, la politique de réduction de l'artificialisation des sols. Sur quels sujets êtes-vous prêt à avancer ? Le Gouvernement soutiendra-t-il l'inscription de ce texte à l'ordre du jour des travaux de l'Assemblée nationale et, si oui, à quelles conditions ?
Voilà quelques-unes des questions que je souhaitais vous soumettre.
Je rappelle que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo et qu'elle est diffusée en direct sur le site du Sénat.
M. François Rebsamen, ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation. - Je suis très heureux de travailler à vos côtés sur la proposition de loi Trace.
J'étais, il y a deux mois encore, maire et président de métropole. Je connais donc bien le problème du ZAN, auquel j'ai été confronté dans l'exercice de mes mandats.
Je reviendrai d'abord sur la genèse de l'objectif ambitieux du ZAN, qui a d'ailleurs popularisé le terme d'artificialisation. Il répond aux engagements de la France d'agir face à l'urgence climatique, et pour la préservation de la biodiversité. La Convention citoyenne pour le climat (CCC) en avait formulé l'ambition, ce qui a inspiré la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, qui a inscrit dans notre droit la nécessité de réduire l'artificialisation des sols.
L'ensemble des élus locaux connaissaient de longue date la nécessité de la sobriété foncière. Mais ce seul principe, sans objectifs chiffrés et sans intégration dans des documents d'urbanisme, ne produisait pas d'effets, depuis son introduction dans loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU). Le législateur a donc fixé, dans la loi " Climat et résilience ", un objectif de " zéro artificialisation nette " en 2050 ainsi qu'un objectif intermédiaire de réduction de moitié de la consommation foncière pour la période 2021-2031 par rapport à la décennie précédente.
Le premier jalon de cette trajectoire nationale progressive, qui se situe dans la continuité de la tendance baissière de la dernière décennie, a été territorialisée en 2024 ou est en train de l'être, au sein des documents de planification régionaux - schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet), schéma directeur de la région d'Île-de-France (Sdrif), schémas d'aménagement régionaux (SAR) ultramarins, et plan d'aménagement et de développement durable de la Corse (Padduc) -, puis sera transcrite dans les documents d'urbanisme - schémas de cohérence territoriale (Scot) et plans locaux d'urbanisme intercommunaux (PLUi).
La loi du 20 juillet 2023 a apporté quelques clarifications qui étaient demandées et des ajustements nécessaires, tout en réaffirmant l'engagement d'atteindre l'objectif de " zéro artificialisation nette " en 2050. C'est notamment ainsi qu'a été octroyée la garantie de développement communal d'un hectare, et qu'un forfait national de 12 500 hectares a été prévu pour les projets d'envergure nationale ou européenne (Pene) et d'intérêt national majeur, afin de ne pas grever les enveloppes régionales et locales.
Ces textes traduisent une conviction forte : notre capacité à limiter l'artificialisation des sols est importante - essentielle, disent certains - pour protéger les terres agricoles et renforcer notre souveraineté alimentaire, préserver nos écosystèmes et anticiper les impacts du changement climatique, dont nous mesurons chaque jour les conséquences - et je veux ici assurer de notre soutien les communes et habitants des départements d'Ille-et-Vilaine, du Morbihan et de Loire-Atlantique qui, en ce moment même, subissent de fortes crues.
Cependant, il ne suffit pas de fixer des objectifs, encore faut-il se donner les moyens de les atteindre. Le cap est fixé à 2050, mais avec quelle trajectoire, et comment la respecter ? Procéder ? Nous y reviendrons. Gardons une trajectoire - même si j'entends que des ajustements sont possibles.
Les enjeux de l'artificialisation des sols sont multiples. Cette dernière ne constitue pas seulement une question environnementale, elle est aussi de nature à entraîner des déséquilibres sociaux, économiques et territoriaux.
Entre 2009 et 2023, le rythme moyen de consommation d'espaces artificialisés a été, en France, de 24 315 hectares par an, soit l'équivalent de la surface du Val-de-Marne ou de la Seine-Saint-Denis - cette donnée chiffrée, comme plusieurs de celles qui suivront, provient d'un rapport du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), publié en mai 2024. Ces espaces artificialisés se répartissent de manière stable entre trois grandes catégories : 66% pour l'habitat, 24% pour l'activité économique et 5% pour les infrastructures de transport, dont les routes.
Le rapport du Cerema montre que des progrès ont été réalisés, mais que la baisse tendancielle observée stagne : après une diminution importante sur la période 2009-2015, puis une augmentation entre 2015 et 2016, la consommation d'espaces se stabilise depuis 2019 entre 20 000 et 21 000 hectares par an. Ces chiffres nous rappellent l'ampleur du défi : à ce rythme, les impacts sur les terres agricoles et sur la biodiversité seront irréversibles.
L'artificialisation des sols est un accélérateur du changement climatique, en imperméabilisant des sols naturels ou agricoles et en contribuant à l'augmentation des émissions de gaz à effet de serre. En effet, les sols naturels jouent un rôle clé dans le stockage du carbone et la régulation des températures, ils permettent de lutter contre les phénomènes d'îlots de chaleur urbains et, par leurs capacités d'absorption, ils limitent les risques d'inondations.
L'étalement urbain lié à l'artificialisation engendre des déséquilibres croissants en matière de mobilités, en favorisant une dépendance accrue à la voiture individuelle. Les zones périurbaines et rurales voient leur population augmenter sans que les infrastructures de transport en commun soient adaptées - et pour cette raison, je pense qu'il faut développer ces infrastructures. Aujourd'hui, encore 61,3% de la consommation d'espaces est localisée dans les communes de la zone " détendue " (c'est le zonage " C ") - et 7 820 communes perdent des ménages tout en consommant de l'espace. Enfin, on observe que le phénomène est très concentré : 5% des communes sont concernées par 37,4% de la consommation d'espaces ; ce sont des communes situées principalement en bordure des aires urbaines et sur les littoraux atlantique et méditerranéen.
Ce déséquilibre aggrave les inégalités d'accès aux services publics, au marché de l'emploi ainsi qu'à une mobilité durable, et a un impact social significatif. Vous le savez, une artificialisation mal maîtrisée contribue à la fragmentation des territoires, entre lesquels elle creuse des écarts significatifs, et à l'éloignement des services essentiels, comme les écoles, les commerces ou les centres de santé pour les habitants les plus modestes.
Enfin, parallèlement à l'artificialisation de nouveaux espaces en périphérie, de nombreux centres-villes - surtout dans des villes moyennes - souffrent de phénomènes croissants de vacance des locaux. En 2022, près de 10% des logements étaient vacants en France, une proportion qui atteint même 20% dans certains bourgs-centres. Cette dynamique accentue l'éparpillement des activités et la désertification des coeurs de ville, au détriment de la cohésion sociale ; l'activité économique s'en ressent également.
La proposition de loi Trace vise une trajectoire maîtrisée et repose sur le principe fondamental d'associer les élus locaux à la définition de cette trajectoire, dans un esprit de concertation. Cela est essentiel, car ce sont eux qui devront mettre en oeuvre cette trajectoire. Il faut donc d'abord les écouter, les comprendre et dialoguer avec eux ; il s'agit non pas de leur imposer des contraintes descendantes et extérieures - qu'elles soient européennes, nationales ou régionales -, mais de construire des solutions adaptées à chacun de leurs territoires.
Avant que nous n'échangions sur les cinq articles de cette proposition de loi, j'insisterai sur deux aspects qui me paraissent essentiels.
Premièrement, fixer un point d'étape à mi-parcours est indispensable. Nous devons en effet évaluer objectivement nos avancées, identifier d'éventuels écarts dans un sens ou dans un autre par rapport à nos objectifs et, le cas échéant, rectifier notre trajectoire sans attendre 2050. Ce mécanisme doit permettre d'instaurer un suivi régulier et transparent ainsi qu'à chaque collectivité de se situer.
Cependant, je suis favorable à décaler le jalon intermédiaire, initialement prévu à l'issue de la période d'observation 2021-2031, à l'issue de la période 2024-2034, car, en pratique, les collectivités, entre 2021 et 2024, n'étaient pas en mesure de maîtriser leur trajectoire de consommation foncière, en l'absence de dispositions législatives claires et d'outils de pilotage.
Deuxièmement, la coopération à l'échelle des territoires, où les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) et les Scot auront un rôle déterminant à jouer, doit permettre de mutualiser les efforts et d'adapter les trajectoires de réduction de l'artificialisation en fonction des besoins spécifiques de chaque bassin de vie.
Aussi, je propose, d'une part, que la mutualisation de l'" hectare communal " puisse s'opérer non seulement à l'échelle des EPCI, mais aussi à celle des Scot, et, d'autre part, que la " conférence régionale de gouvernance du ZAN " puisse décider de s'affranchir, si elle le souhaite, du caractère prescriptif des Sraddet,
En conclusion, il me semble essentiel que nos débats sur cette proposition de loi nous conduisent à réaffirmer collectivement l'objectif de parvenir au ZAN en 2050. C'est la raison pour laquelle je demeure aussi convaincu de la nécessité de maintenir un point d'étape pour avoir un regard objectif sur notre progression. Nous en enquérir au dernier moment nous ferait courir le risque de ne pas atteindre notre objectif à l'horizon 2050. Ce point d'étape ne correspondra pas à des sanctions ou à la mise en place de nouvelles contraintes.
Le ZAN n'est pas forcément un obstacle au développement de nos territoires ; il apporte aussi une garantie en termes de préservation de l'environnement et de souveraineté agricole, de même qu'il peut être un moyen de réduire notre vulnérabilité aux risques naturels qui deviennent de plus en plus marqués.
Cette proposition de loi doit être un outil pour mieux accompagner les territoires, mieux suivre notre trajectoire et mieux répondre aux défis environnementaux, économiques et sociaux qui se posent à nous.
Plusieurs autres travaux sont en cours ou sur le point de s'engager sur les outils et la mise en oeuvre du ZAN : une mission d'information de l'Assemblée nationale et une mission d'inspection sur la fiscalité de l'artificialisation. Il serait judicieux de prévoir de s'appuyer sur leurs conclusions pour enrichir le texte qui émanera du Parlement.
Mme Amel Gacquerre, rapporteure. - J'associerai à mes propos Jean-Marc Boyer, qui n'a pas pu être présent.
Lorsque vous étiez élu local, à Dijon, vous avez ferraillé contre certaines rigidités du ZAN. Vous comprenez donc parfaitement la difficulté à laquelle sont aujourd'hui confrontés les maires qui veulent développer leur territoire, qui y ont lancé des projets, en ont favorisé l'attractivité, et qui se trouvent aujourd'hui devant un " mur normatif " érigé par la loi " Climat et résilience ". Nous savons cependant que lorsque l'on passe " de l'autre côté du miroir ", les perspectives et les points de vue peuvent parfois changer.
J'évoquerai tout d'abord la question de la territorialisation.
La loi " Climat et résilience " prévoit que les Sraddet intègrent l'objectif de réduction de moitié de l'artificialisation sur la décennie 2021-2031 par rapport à la décennie précédente, en répartissant cet objectif entre les grands ensembles infrarégionaux. Les modalités de concertation mises en place jusqu'à présent pour associer les élus locaux à cette répartition n'ont pas bien fonctionné, ou en tout cas pas partout. Au cours des discussions sur la loi ZAN 2, nous avons pourtant ajouté des critères de territorialisation, fait préciser dans les décrets l'obligation de prendre en compte les équilibres territoriaux, les enjeux de revitalisation, les contraintes des communes littorales et des communes de montagne ainsi que les enjeux de maintien et de développement des activités agricoles. Mais rien n'y fait : on déshabille les communes rurales pour nourrir l'appétit de foncier des métropoles. C'est toute la ruralité qui est mise sous cloche.
L'intitulé de votre portefeuille ministériel nous donne pourtant un espoir : et si la question de la lutte contre l'artificialisation n'était plus pensée seulement comme un impératif intangible de la transition écologique, mais aussi comme un véritable levier d'aménagement du territoire ? Si l'on donnait plus à ceux qui ont moins consommé, à ceux qui se démènent pour attirer de jeunes ménages et des industries, après des décennies d'exode rural ou de désindustrialisation ? Si l'on aidait ceux qui ont des friches à les requalifier ? Cette France des sous-préfectures à laquelle il ne serait pas bon que seuls Jérôme Fourquet et des partis extrêmes s'intéressent.
Comment, selon vous, peut-on retravailler les modalités de territorialisation des objectifs de réduction de l'artificialisation pour aider la ruralité ? Cela pourrait-il passer par des bonifications des enveloppes foncières et, dans l'affirmative, sur quels critères ? Êtes-vous prêt à garantir aux petites communes non pas un hectare dont, parfois, elles ne savent que faire, mais un réel « droit au projet » ?
Nous avons aussi besoin, pour une territorialisation réussie, de susciter le dialogue au sein des régions. C'est ce à quoi tend l'article 5 de cette proposition de loi, avec ses " conférences du ZAN " rénovées. Pensez-vous que le prisme de la région soit le seul pertinent pour aller vers plus de sobriété foncière ? Quel rôle pourraient concrètement jouer les départements ?
La commission des affaires économiques a soutenu, à l'occasion du projet de loi de simplification de la vie économique et du projet de loi relatif au développement de l'offre de logements abordables, des exemptions ciblées et temporaires pour la réindustrialisation et pour le logement social. La solution pourrait-elle, selon vous, passer davantage par une généralisation de ces exemptions, en cohérence avec les priorités des politiques publiques, que par le déplacement des curseurs nationaux ?
Ne faudrait-il pas plutôt se donner les moyens de procéder à une analyse beaucoup plus fine des besoins des territoires pour adapter les enveloppes foncières aux projets de développement des territoires, dans une logique ascendante ? C'est ce que nous réclament nombre d'élus, et nous les comprenons. Nous comprenons également que, si l'on veut conserver des objectifs nationaux de baisse de l'artificialisation, il faudra à un moment un " juge de paix ". Est-ce le préfet qui doit jouer ce rôle, la région ou la conférence des communes prévue à l'article 5 de la proposition de loi ? Dans ce cas, comment organiser la discussion pour que chacun y trouve son compte ?
J'en viens à la nécessité de faire de la politique de réduction de l'artificialisation un levier de l'aménagement du territoire. Elle n'est aujourd'hui perçue, par nombre de nos maires, que comme une contrainte.
Nous sommes à la croisée des chemins, car les objectifs fixés par la loi " Climat et résilience ", dans leurs modalités d'application actuelles, ne sont tout simplement pas soutenables.
Si l'article 3 de la proposition de loi prévoit de repousser - pour la troisième fois en quatre ans ! - la date d'intégration des objectifs de réduction de l'artificialisation dans les documents de planification et d'urbanisme, c'est tout simplement, en désespoir de cause, parce que les élus rencontrent des difficultés pour concilier ces objectifs avec le développement de leurs territoires.
L'article 2 supprime, quant à lui, le jalon de 2031 parce que ces mêmes élus ont l'impression qu'on les a abusés en leur promettant des assouplissements qui n'ont jamais été réellement mis en oeuvre.
Ce que nous voulons à présent, c'est avancer sans dogmatisme, de manière pragmatique et en toute responsabilité, pour trouver les moyens de concilier la protection de l'environnement et de la biodiversité, qui est absolument fondamentale, et le développement de nos territoires.
Très concrètement, que pensez-vous de la suppression de l'objectif de réduction de moitié de l'artificialisation à l'horizon 2031 ? Vous y avez déjà en partie répondu en vous disant favorable au report de cette échéance à 2034. D'autres assouplissements sont-ils envisageables ? Nous pourrions, par exemple, imaginer de rendre l'objectif de réduction de la consommation foncière à l'horizon 2031 un peu moins ambitieux - en l'abaissant à -40% ou -30%.
L'exclusion des Pene du décompte de l'artificialisation, prévu à l'article 4 de la proposition de loi, revient également dans les faits à abaisser l'objectif national de réduction de l'artificialisation ; quelle est votre position précise sur cet article ?
M. Daniel Guéret, rapporteur pour avis de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. - La rapporteure de la commission des affaires économiques vient d'esquisser un panorama étayé des interrogations que suscite de la mise en oeuvre de la stratégie de sobriété foncière. Je m'inscrirai dans la continuité de son intervention.
Avec le ZAN, nous sommes en présence d'un objectif politique paradoxal. Un grand nombre d'élus locaux partagent la nécessité de la sobriété foncière, mais dès qu'il s'agit d'en définir les modalités, la trajectoire et les critères d'équité territoriale à appliquer, nous faisons face à une pluralité d'opinions et à la diversité marquée des solutions proposées, d'ailleurs souvent incompatibles entre elles. Pour paraphraser saint Augustin, si personne ne me demande ce qu'est la sobriété foncière, je le sais, si l'on me le demande et que je veuille expliquer comment y parvenir, je ne le sais plus.
La poursuite d'une trajectoire de réduction du rythme de l'artificialisation est pourtant une nécessité. Les scientifiques et les experts des milieux naturels nous alertent quant aux multiples effets délétères de l'imperméabilisation des sols en matière de régulation du cycle de l'eau, d'absorption du carbone ou de perte de biodiversité.
Ne l'oublions pas quand nous nous intéressons à ce sujet : outre l'utilité de cette stratégie pour promouvoir de nouvelles formes d'aménagement du territoire, il existe également de bonnes raisons environnementales d'accroître nos efforts en faveur de la sobriété foncière.
En premier lieu, j'aimerais vous interroger à propos de la méthode de comptabilisation de la trajectoire et de l'atteinte des objectifs aux niveaux national et territorial, fondamentale à mes yeux. Deux méthodes coexistent et n'aboutissent pas, à territoire équivalent, aux mêmes surfaces consommées : la consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers (Enaf) et l'artificialisation effective des sols. En l'état actuel du droit, nous comptons en consommation d'Enaf pendant la première décennie, avant de changer de métrique en 2031 et d'utiliser le décompte des surfaces effectivement artificialisées.
Au cours des auditions que nous menons avec les rapporteurs de la commission des affaires économiques, certains acteurs plaident pour le maintien de la première méthode, bien appréhendée par les élus locaux - c'est d'ailleurs ce que souhaitent les auteurs de la proposition de loi. D'autres défendent, au contraire, la mesure de l'artificialisation effective, au motif qu'elle est plus précise et conforme aux stratégies européennes relatives aux sols. Quelle est votre appréciation, monsieur le ministre, sur ce sujet ?
Un autre sujet qui suscite de fortes attentes de la part des élus locaux a trait à la prise en compte des dynamiques territoriales et des efforts passés, ainsi qu'au souhait de ne pas remettre en cause des discussions régionales qui ont déjà abouti à l'intégration d'une trajectoire territorialisée au sein du Sraddet.
Je suis attentif à ce que l'instabilité normative du cadre législatif issu de la loi " Climat et résilience " ne pénalise pas ceux qui ont pris les devants. Si la modification des règles du jeu en cours de route présente l'avantage de remédier à des malfaçons et de répondre à certaines attentes, elle est également susceptible de créer de l'insécurité juridique pour les collectivités.
Le Sénat est animé du souci de trouver une méthode qui ne désespère pas les territoires et évite de remettre sans cesse les documents d'urbanisme sur le métier, car les révisions de ce type mobilisent le temps des élus et les moyens humains des collectivités, sans parler des coûts afférents. Êtes-vous sensible à cette problématique ?
Quelles sont, par ailleurs, vos propositions pour favoriser la pédagogie autour d'une stratégie complexe à appréhender au sein des territoires, qui plus est dans un cadre normatif à ce point fluctuant ?
En outre, les référents du ZAN au sein des préfectures sont méconnus et font partie d'un dispositif qui n'est manifestement pas à la hauteur des enjeux. Comment comptez-vous promouvoir un accompagnement individualisé des collectivités, notamment les plus rurales, qui ne disposent pas des moyens humains en interne pour appréhender les enjeux et la technicité de ce sujet ?
Enfin, je tiens à évoquer un sujet qui dépasse le champ de cette proposition de loi, mais que nous devons prendre en compte si nous voulons réussir la sobriété foncière, à savoir les leviers fiscaux. La fiscalité locale encourage fortement l'artificialisation dans la mesure où il est bien moins onéreux de réaliser un projet en consommant des espaces agricoles plutôt qu'en réhabilitant une friche ou en rénovant le bâti existant.
Les incitations fiscales et le financement de nouvelles manières d'aménager restent à inventer. Déterminer une trajectoire prescriptive dans la loi est une chose : mettre en conformité notre système fiscal au regard de nos ambitions en est une autre, cette démarche me paraissant bien plus efficace pour diminuer le rythme de l'artificialisation. Les agents économiques sont en effet rationnels et adaptent leur comportement aux incitations fiscales et financières mises en place par les pouvoirs publics.
Quelles pistes privilégiez-vous pour mettre en oeuvre un cadre fiscal et des modalités de financement plus favorables à la sobriété foncière ?
M. François Rebsamen, ministre. - Madame la rapporteure, nous ne souhaitons pas mettre la ruralité sous cloche. Contrairement à ce que l'on peut penser, la consommation d'espaces est plus forte dans les zones rurales en décroissance que dans les zones urbaines en expansion.
Vous proposez vous-même de donner davantage à ceux qui ont moins ou mieux consommé. J'ai rencontré l'Association des maires ruraux de France (AMRF), divisée au sujet de la règle du " un hectare " attribué à chaque commune. De nombreuses communes ne savent pas toujours comment utiliser cet hectare. Je proposerai donc un assouplissement, sur la base du volontariat : dans le cadre d'un EPCI, certaines communes pourraient ainsi considérer que l'une d'entre elles joue un rôle moteur - ne serait-ce que parce qu'elle a conservé une activité économique - et l'autoriser à utiliser les hectares disponibles dans chacune des communes membres - ou, à l'inverse, choisir de n'en utiliser aucun. Il s'agit de redonner de la souplesse et des marges de manoeuvre à l'échelon local, en adoptant une approche plus fine que vous appelez de vos voeux.
La difficulté, pour mettre en oeuvre cette analyse plus fine, est que les Sraddet ont déjà presque tous été modifiés, ajoutant bien souvent une couche de complexité à une couche de complexité nationale, voire européenne. Seul l'horizon de 2050 n'est contesté par personne, sans doute parce qu'il est fort lointain.
Nous pourrions donc réviser les Sraddet, tâche qui pourrait d'ailleurs être confiée à la conférence régionale de gouvernance qu'il est envisagé de créer dans l'article 5 de la proposition de loi - même si sa composition semble complexe.
S'agissant de la méthode de calcul, je suis favorable au maintien du référentiel des Enaf, les élus étant habitués à faire des calculs sur cette base.
Sur un autre point, les surfaces représentées par les Pene, soit 12 500 hectares ; ces surfaces pourraient être mises à disposition des régions, ce qui permettrait de mener à bien des projets actuellement bloqués par le manque d'hectares.
Avec tous ces éléments, je vous confirme la volonté du Gouvernement de lancer un dialogue nouveau, basé sur l'écoute des grands élus que sont les sénateurs, ainsi que des élus locaux.
M. Frédéric Buval. - Monsieur le ministre, les territoires ultramarins se caractérisent par des contraintes géographiques, environnementales et économiques spécifiques, dont une forte pression foncière, des risques naturels accrus et une biodiversité exceptionnelle, mais ont également des besoins importants en termes d'infrastructures et de logements.
L'application du ZAN dans ces territoires, où le foncier disponible est limité et où l'artificialisation répond souvent à des impératifs de développement, suscite des interrogations. Comment le Gouvernement entend-il adapter les objectifs du ZAN aux réalités ultramarines, afin de concilier la préservation de fragiles écosystèmes avec les besoins de développement de ces territoires ? Des dispositifs spécifiques - tels que des dérogations ou des assouplissements - sont-ils envisagés ?
M. Philippe Grosvalet. - Le Sénat discute actuellement de la question de la lutte contre le narcotrafic. Quel rapport, me direz-vous ?... Il existe un lien avec une certaine addiction qui a marqué notre pays et qu'ont décrit Olivier Bouba-Olga et Michel Grossetti avec l'acronyme Came (Compétitivité, attractivité, métropolisation, excellence). Cette addiction a frappé les élites politiques et administratives françaises et correspond à une vision plutôt libérale selon laquelle tous les territoires sont en compétition permanente dans le cadre de la mondialisation, d'où la nécessité de les faire se développer. C'est oublier cependant que la France n'est pas seulement métropolitaine.
Je n'ai jamais partagé ce point de vue et ai toujours plaidé - notamment dans mon département - en faveur de l'interdépendance entre les territoires, afin que leur diversité soit prise en compte. Après une pause dans ma carrière politique, quelle a été ma surprise, à moi qui avais plaidé en sa faveur alors que tous s'y opposaient et qui avais convaincu les maires de s'engager dans cette voie sans attendre qu'une loi vienne leur imposer, en voyant que le ZAN avait été inscrit dans la législation.
Comment expliquer qu'un si bel objectif débouche sur des aberrations ? N'a-t-il pas été influencé par la pensée dominante des élites françaises que j'évoquais ? Ces dernières voudraient imposer un choix identique partout alors que la France est tout sauf uniforme : ma propre ville, Saint-Nazaire, a ainsi besoin d'espaces considérables pour développer son industrie et loger ceux qui viendront construire le nouveau porte-avions.
Comment expliquer que tous les maires, urbains comme ruraux, soient vent debout contre le ZAN ? Quelles sont vos propositions pour remédier à cet état de fait ? Quelle vision portez-vous, monsieur le ministre, afin de ne pas abandonner cet objectif de sobriété foncière, tout en tenant compte de la diversité des territoires ? Je me réjouis de voir revenir dans l'intitulé de votre ministère le mot décentralisation.
Mme Marie-Lise Housseau. - Ma question ne concerne pas le ZAN. Le transfert des compétences eau et assainissement est prévu au 1er janvier 2026, les agences de l'eau anticipant largement cette échéance en refusant désormais de subventionner les projets des communes qui n'ont pas procédé audit transfert, ce qui les met en grande difficulté.
Au moment où une proposition de loi visant à assouplir la gestion des compétences eau et assainissement vise à rendre ce transfert facultatif, et alors que vous avez vous-même évoqué la différenciation territoriale lors de la séance de questions au Gouvernement, ne pensez-vous pas qu'il serait temps d'inciter ces agences à faire preuve d'un moindre zèle ?
M. François Rebsamen, ministre. - Monsieur Buval, je tiens à réaffirmer mon attachement à la forte diversité qui caractérise la France et suis favorable à une adaptation des lois aux réalités locales. En tout état de cause, aucun contrôle n'est prévu avant 2050 pour les outre-mer, et il appartiendra aux collectivités de déterminer une méthode de suivi.
Monsieur Grosvalet, je suis persuadé que les élus ont conscience de la nécessité absolue de la sobriété foncière, mais que l'administration européenne, française et régionale complexifie la tâche en restreignant l'initiative et la réflexion des élus locaux, qu'ils appartiennent ou non à un EPCI. Les EPCI couvrent d'ailleurs l'ensemble du territoire, et il est faux de dire que le Sénat s'oppose à ces structures ; les communes doivent mener des projets en commun, sur la base qu'elles choisissent. Ces derniers se déploient de manière plutôt satisfaisante quand on connaît la réalité des intercommunalités.
Je suis tout à fait favorable à l'idée de redonner du pouvoir à l'échelon local, y compris pour ce qui concerne le ZAN, en tâchant d'injecter de la souplesse sans nier l'objectif de sobriété. À l'évidence, une ville portuaire telle que Saint-Nazaire a des besoins bien distincts de ceux d'une ville de la même taille au centre de la France. C'est ce que les administrations doivent comprendre.
S'y surajoute le poids des agences, dont celles qui sont chargées de l'eau. Ces agences donnent des consignes qui leur semblent pertinentes sur la base de la réglementation existante et devront s'adapter, si cette dernière venait à évoluer. En contrepoint, n'oublions pas que les communes n'ont que rarement les moyens d'entretenir elles-mêmes leur réseau d'eau : il ne faudrait pas que celles qui refusent tout transfert concèdent, cinq à dix ans après, qu'elles n'étaient pas en mesure d'assurer l'entretien du réseau.
De manière générale, je souhaite accorder plus de liberté et plus de facilités aux communes, tout en conservant les objectifs de sobriété.
J'en reviens à la conférence régionale de gouvernance, qui devra être simplifiée et qui devra pouvoir apporter des modifications ou s'opposer au Sraddet lorsque la territorialisation réalisée par ce dernier est injuste - ou perçue comme tel.
Les Sraddet peuvent d'ailleurs entrer en compétition, par exemple dans le cas de deux communes voisines situées dans deux régions différentes. La compétition peut alors devenir sauvage entre ces deux communes qui s'entendaient très bien jusqu'alors, si l'un des Sraddet autorise le développement de la collectivité, mais pas l'autre. Voilà un cas de figure que nous devons être en mesure de corriger - si les élus le souhaitent, bien sûr. Tâchons de simplifier tout ce qui peut l'être.
Concernant l'industrie, les besoins sont estimés à 22 000 hectares à l'horizon 2030, dont 8 500 hectares en artificialisation nouvelle. Dans cette optique, il est envisageable de mobiliser des friches ou alors de consommer de nouveaux espaces naturels, agricoles et forestiers, dès lors que la mise en oeuvre du ZAN n'implique pas leur rétrozonage.
Le Cerema estime qu'il existe environ 170 000 hectares de terres en friche à l'échelle du pays. Ces friches sont d'ailleurs détenues en grande partie par des entreprises comme que la SNCF, et il n'est pas toujours facile pour les collectivités de les mobiliser.
Certains projets industriels ont été identifiés comme des Pene ; d'autres seront déployés dans des zones d'aménagement concerté (ZAC). Un assouplissement a déjà eu lieu, puisque les surfaces occupées par des ZAC ne seront pas décomptées des enveloppes foncières si les travaux ont été engagés avant 2021. Il faut bien évidemment veiller à être en mesure d'accueillir des investisseurs qui ne sont guère nombreux.
M. Bernard Buis. - Vous soulignez régulièrement l'importance de renforcer le dialogue entre l'État et les collectivités locales pour une meilleure efficacité des politiques publiques.
Dans cette perspective, quels moyens comptez-vous mettre en oeuvre afin de simplifier les procédures administratives et d'améliorer la gouvernance territoriale, notamment en ce qui concerne la répartition des compétences entre les différents échelons locaux ?
M. Franck Montaugé. - La méthode de distribution des surfaces entre communes est, selon moi, un point central. Dit autrement, la question du " comment " me paraît primer la question du " quoi ", c'est-à-dire les objectifs. Certains territoires se sont inscrits dans cette démarche : c'est le cas de mon département, le Gers, à partir du Scot de Gascogne, dont la surface géographique recouvre quasiment celle du département, ce qui est assez rare.
La méthode de calcul que nous avons employée a été développée à partir d'une typologie des communes. Vos services pourraient adopter une démarche de parangonnage leur permettant de comparer les différentes expériences départementales et s'inspirer des méthodes qui fonctionnent. Je suis à votre disposition pour vous présenter plus avant l'exemple gersois.
M. Daniel Fargeot. - Monsieur le ministre, vous avez été mandaté en 2021 par le Premier ministre Jean Castex pour identifier les moyens de relancer la construction. La même année, la loi " Climat et résilience ", qui entérine les objectifs du ZAN, a été promulguée : comment expliquez-vous que des dynamiques à ce point contradictoires trouvent leur place dans l'action gouvernementale ?
Dans le contexte politique précaire que nous connaissons, comment rendre compatible la stratégie de réduction de l'artificialisation avec les grands défis écologiques, économiques et sociaux, notamment la crise du logement, et l'enjeu de la réindustrialisation ?
Puisque nous sommes encore en janvier, je formule le voeu suivant : que les élus locaux se voient accorder votre confiance pour adapter ces dispositions de réduction de l'artificialisation et de sobriété foncière, monsieur le ministre.
M. François Rebsamen, ministre. - Monsieur Buis, je ne peux pas vous présenter dès à présent l'ensemble des projets de simplification que j'entends mener. Comme je l'ai déjà indiqué, je souhaite renforcer l'administration territoriale de la République et éviter la multiplication d'agences, qui est source d'incompréhension.
Un titre de la presse locale de mon département a d'ailleurs récemment attiré mon attention : il était question des remerciements adressés par une commune de 12 000 habitants au fonds vert, mais le fonds vert, c'est l'État. Nous sommes confrontés à un problème de perception et d'identification de l'action publique, certains directeurs d'agences étant plus connus que les élus pour une simple raison : ils distribuent des crédits.
Je suis, pour ma part, favorable à ce que l'action de l'État passe le plus possible par les préfectures, en lien direct avec les élus. Je n'ignore ni les obstacles ni les puissances auxquels je vais me heurter, mais il me semble que les opérateurs ne peuvent pas s'exonérer de l'effort budgétaire que l'État est contraint d'accomplir.
Monsieur Montaugé, mes services vous contacteront afin d'étudier la démarche que vous décrivez.
Enfin, monsieur Fargeot, je suis tout à fait d'accord pour faire davantage confiance aux élus locaux. La tâche n'est pas aisée : par exemple, encourager de nouvelles modifications des documents d'urbanisme qui ont déjà été adoptés recréerait une forme d'instabilité pour les élus, même pour ceux qui étaient opposés à leur modification.
M. Sébastien Fagnen. - Monsieur le ministre, je rejoins les interrogations de MM. Guéret et Montaugé : au-delà des enjeux autour de la trajectoire - qu'il s'agisse de supprimer l'étape intermédiaire, comme le prévoit la proposition de loi, ou de suivre une trajectoire constante -, une question reste entière, celle de l'ingénierie.
Cet enjeu n'est en effet pas traité dans cette proposition de loi. Les ZAN dans les départements ne sont pas suffisants pour permettre aux élus de relever le défi de la sobriété foncière, a fortiori dans les communes rurales n'ayant pas les moyens de faire appel à des bureaux d'études. En outre, l'ingénierie proposée par l'EPCI s'avère parfois insuffisante au regard de la taille de l'intercommunalité.
Il y a donc matière à s'interroger sur le renforcement des services déconcentrés de l'État, tout particulièrement à l'échelle départementale : je pense bien sûr aux directions départementales des territoires (DDT) et aux directions départementales des territoires et de la mer (DDTM).
Comment envisagez-vous, quelle que soit la trajectoire retenue, de renforcer l'accompagnement des élus locaux, notamment des élus ruraux, de manière qu'ils puissent mener une politique de sobriété foncière ? La question se pose en particulier en matière de construction de logements, très consommatrice d'espaces. Or de nouveaux modèles d'habitats nécessitent un accompagnement particulièrement fin et durable, qui ne saurait se réduire à des appels à projets.
M. Fabien Genet. - Je suis ravi de vous retrouver, monsieur le ministre, afin d'évoquer ce sujet que nous avions abordé à l'occasion de l'élaboration du Sraddet de Bourgogne-Franche-Comté, dans le cadre de vos fonctions passées. Je suis très heureux d'entendre le positionnement que vous avez exprimé aujourd'hui, même s'il devra être confirmé par les avis que vous donnerez sur les différents amendements que nous pourrons proposer sur la proposition de loi Trace.
Sans être provocateur, pourriez-vous me citer l'exemple d'un pays qui appliquerait le ZAN et qui s'en porterait mieux ?
Vous avez également rappelé l'origine du ZAN, via la Convention citoyenne pour le climat et la loi " Climat et résilience ", sans réelle étude d'impact. Dans ces conditions, pensez-vous vraiment que l'objectif du " zéro " artificialisation nette à l'horizon 2050 doive réellement être poursuivi ? Ce simple intitulé peut susciter la crainte d'une décroissance imposée et du gel total de tout développement. Or retirer tout espoir à des territoires en déclin explique une grande partie des tensions que nous vivons sur le terrain.
À titre d'exemple, je rappelle que le Sraddet impose au Scot dijonnais 55% d'efforts, contre 70% pour la Bresse bourguignonne : c'est bien ce déséquilibre dans la répartition des efforts qui allume le feu dans nos campagnes, en créant le sentiment que ceux qui ont déjà bénéficié du développement continuent à y avoir droit, tandis que les territoires accusant du retard sont contraints de fournir davantage d'efforts.
Si nous partageons tous les objectifs de sobriété foncière et de préservation de l'environnement, la méthode consistant à utiliser un tableau Excel afin de parvenir absolument à un " zéro net " est-elle adaptée ? Ne vaudrait-il pas mieux partir des réalités du terrain et s'assurer que chacun - dans son EPCI ou son Scot - fasse de son mieux, sans forcément comptabiliser chaque effort ?
M. Daniel Gremillet. - Le ZAN passe aussi par le traitement des bâtiments en ruine, en milieu rural ou en milieu urbain, car ils occupent des surfaces considérables. Sans politique fiscale offensive et sans accorder un réel pouvoir d'intervention aux maires à l'égard de ces " verrues ", la démarche " ZAN " sera vaine.
M. François Rebsamen, ministre. - Monsieur Fagnen, il est bien question d'autoriser la construction de nouveaux logements, tout en limitant leur impact foncier, par exemple en utilisant les " dents creuses " en milieu rural. De la même manière, des constructions en hauteur telles que des tours limitent la consommation d'espace : il est d'ailleurs possible de parler de densité heureuse et de qualité, et il convient d'envisager toutes les solutions.
Le parc de logement social est ainsi déjà sobre en termes d'utilisation du foncier, puisqu'il est composé à 85 % de logements collectifs, qui entraînent moins de consommation de terrain que d'autres types d'habitats. Or nous manquons de logements sociaux et pourrions les développer.
Pour ce qui concerne l'objectif fixé à l'horizon 2050, monsieur Genet, le ZAN n'est pas synonyme de décroissance puisque nous continuerons à mener des opérations telles que la transformation de bureaux en logements. Je ne suis pas un décroissant et je crois que la science, si elle n'apporte pas de réponse à tous les problèmes, est un élément sur lequel l'écologie doit pouvoir s'appuyer.
C'est grâce à cette articulation que nous pourrons aller vers une croissance sûre, fondée sur des industries décarbonées, et il convient de combattre les thèses décroissantes selon lesquelles il ne faut plus consommer le moindre mètre carré pour sauver l'humanité.
Monsieur Gremillet, je partage complètement votre point de vue : avançons ensemble pour déconstruire une machinerie complexe et une " suradministration " qui ne laissent pas suffisamment de place à l'initiative locale - que l'on se trouve en milieu urbain ou en milieu rural. Prenons l'exemple des directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) : si elles n'étaient pas uniquement chargées de contrôles tatillons, elles pourraient mieux coopérer avec les élus locaux, afin de les accompagner.
De la même manière, le contrôle de légalité, instauré à l'époque de la première étape de la décentralisation, en 1982, en raison de la crainte des administrations centrales de perdre tout pouvoir sur les élus locaux, et qui ne s'applique pas uniformément sur tout le territoire, pourrait désormais évoluer : ne serait-il pas plus utile de travailler à accompagner les élus locaux ?
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je vous remercie de nous avoir présenté votre vision pragmatique, nourrie par votre expérience d'élu local.
Source https://www.senat.fr, le 5 février 2025