Déclaration de M. François Bayrou, Premier ministre, en réponse à des questions des groupes et des organisations, relatives à la feuille de route du Gouvernement dans l'hémicycle du Conseil économique, social et environnemental, Paris le 1er avril 2025.

Prononcé le 1er avril 2025

Intervenant(s) : 

Texte intégral

M. le Président. Nous en venons maintenant aux réactions et demandes d'intervention.

La secrétaire de séance, Mme Bernadette Groison, a identifié trois grands blocs de questionnement : un premier bloc autour des questions d'économie et d'agriculture, un deuxième autour des questions d'environnement et de démocratie, un troisième bloc autour des questions sociales et éducatives. Il ne va pas être possible de donner la parole à tout le monde. Je propose de commencer par le bloc économie et agriculture, de prendre cinq prises de parole, puis une réponse, monsieur le Premier ministre. Je procéderai de la même manière pour les deux autres blocs, et s'il nous reste un peu de temps, je vous inviterai à des questions complémentaires.

M. Bayrou, Premier ministre. Monsieur le Président, le temps est forcément limité à une vingtaine de minutes, car je dois accueillir à l'Hôtel de Matignon le roi du Danemark, et je ne peux pas faire faux bond, d'autant que le roi du Danemark est doublement descendant de Béarnais ! Son père, Henrik de Monpezat, était Béarnais et son aïeul, Bernadotte, était, lui aussi, né à Pau. Pardon de cette intervention sur l'histoire lointaine et proche dans vos débats !

M. le Président. La parole est à M. Amir Reza-Tofighi de la CPME, puis à M. Cyril Chabanier de la CFTC.

M. Reza-Tofighi (CPME). Merci, monsieur le Président. Monsieur le Premier ministre, monsieur le Président du CESE, mesdames et messieurs,

"Non-assistance à pays en danger", c'est le constat fort que vous avez posé, monsieur le Premier ministre, et à la fin de votre discours, vous avez évoqué le surendettement de la France. Mais ce sujet ne peut plus être relégué à la marge. C'est l'une des conditions de notre souveraineté, parce qu'un grand pays ne vit pas à crédit. Un grand pays ne laisse pas aux générations suivantes le poids des renoncements d'aujourd'hui.

Alors, il faut en effet se poser cette question essentielle : sommes-nous encore ce grand pays que nous pensons être ? Le fait même de devoir poser la question en dit long. Parce qu'un grand pays ne laisse pas son école décliner, comme vous l'avez dit. Il ne regarde pas le travail avec suspicion. Il ne traite pas l'entreprise comme une variable d'ajustement fiscal et, surtout, il ne laisse pas l'individuel effacer le sens du bien commun.

Mais ce déclin n'est pas irréversible. Nous pouvons redevenir ce grand pays à condition de remettre le travail au centre, comme levier d'émancipation, de cohésion, de reconstruction collective, et l'entreprise comme une alliée, une force de terrain, d'engagement et d'innovation.

Vous avez annoncé, monsieur le Premier ministre, un travail pour réfléchir à ce qu'est aujourd'hui "être Français". Permettez-moi de donner une première réponse : être Français, c'est croire dans le travail, dans la valeur de l'effort, dans le dépassement de soi au service de quelque chose de plus grand que soi. C'est faire sa part pour le bien commun. Nous, entrepreneurs, sommes prêts à porter cette vision, où il faut du courage. Nous sommes prêts. Où il faudra des efforts partagés. Nous sommes prêts.

Monsieur le Premier ministre, êtes-vous prêt, vous aussi, à remettre le travail, l'entreprise et l'intérêt collectif au cœur du projet national ?

M. Bayrou, Premier ministre. Si je vous répondais non, franchement, je serais à côté de l'intérêt immédiat que nous devons défendre ensemble ! Mais je vous répondrai après.

M. Chabanier (CFTC). Monsieur le Premier ministre, monsieur le Président du CESE, alors que le monde traverse déjà un moment qui est plutôt populiste, et que certains en France cherchent à effacer les corps intermédiaires, parfois même à supprimer le CESE ou les CESER, votre choix de présenter la feuille de route du Gouvernement devant le CESE est évidemment à saluer.

Nous partageons, à la CFTC, vos quatre priorités qui sont évidemment pour nous aussi des priorités, mais j'ajouterai une cinquième thématique, qui est : avoir un emploi, avoir de la reconnaissance et avoir un salaire digne. Il serait bien que ces trois choses soient également une priorité.

Le CESE et les CESER sont loin d'être inutiles ; ils sont même parfois utilisés par ceux qui voudraient les supprimer. Ils les citent quand cela les arrange, et citent leurs travaux quand ils ont besoin de se montrer proches des Français et proches de leurs préoccupations. D'ailleurs, ils devraient le faire un peu plus souvent.

Supprimer le CESE ou les CESER, c'est prendre à l'envers la problématique, car ce n'est pas en réduisant les corps intermédiaires et les lieux d'expression de contre-pouvoirs que l'on redonnera confiance à la capacité de la démocratie à résoudre les différents défis d'aujourd'hui.

Nous comptons donc sur vous pour mettre fin à ceux qui souhaitent la mort rapide de ces différentes institutions. Merci beaucoup.

M. le Président. Merci. La parole est à M. Samuel Tual du MEDEF.

Samuel Tual (MEDEF). Monsieur le Premier ministre, monsieur le Président du CESE, mesdames et messieurs, merci pour votre invitation aujourd'hui à porter la voix des entreprises de France dans un moment qui appelle plus que jamais à l'unité et à la défense "coûte que coûte" des valeurs qui nous unissent. C'est cela, de notre point de vue, qu'être Français.

Nous avons pour intime conviction, au MEDEF, et je sais que vous la partagez, monsieur le Premier ministre, que la réussite des entreprises de France est un préalable essentiel à la réussite de notre pays. Faire réussir nos entreprises, c'est faire réussir la France. En sommes, ce sont les entreprises qui participent à l'unité de notre pays, à sa capacité à relever les grands défis, à briller à l'international et à préserver les liens entre les générations.

Ce pays que nous aimons est confronté à des menaces d'une ampleur considérable. Outre les grandes mutations écologiques, numériques, démographiques, pour ne citer qu'elles, nous sommes confrontés à un désordre international.

La souveraineté, ce n'est pas le protectionnisme ni le repli sur soi, c'est être maître de notre avenir, réduire notre dépendance stratégique, accroître notre autonomie.

Être Français, aujourd'hui, monsieur le Premier ministre, c'est accepter que les dividendes de la paix se soient taris au fil du temps et que, désormais, la paix, la préservation de nos valeurs appellent à l'action, à la préparation et à la montée en charge de notre économie. Les menaces qui pèsent sur nos intérêts sont bien réelles.

Les entreprises de France qui appartiennent au premier cercle de la Défense, les 4 000 entreprises membres de la base industrielle et technologique de Défense, mais plus largement toutes les forces vives de notre économie, ne demandent qu'à contribuer plus encore au renforcement de l'autonomie de la France. La montée en charge de notre industrie, la préservation de nos intérêts stratégiques, c'est également la préservation de la sécurité des Français, mais cela demande que l'on garantisse aux entreprises les moyens de notre ambition : compétitivité, stabilité, notamment réglementaire, simplification, vous l'avez évoquée, et préférence nationale et européenne en matière de commande publique.

Monsieur le Premier ministre, comment pouvons-nous assurer aux entreprises que l'État sera à leurs côtés et que les solutions françaises et européennes seront privilégiées ?

M. le Président. Merci. Je prends encore trois interventions rapides. Pour la CGT, M. Emmanuel Vire.

M. Vire (CGT). Bonjour, monsieur le Premier ministre.

J'excuse Mme Sophie Binet qui ne pouvait être avec nous aujourd'hui. J'ai bien entendu ce que vous avez dit quand elle était intervenue lors de votre arrivée à Matignon et je lui en ferai part.

Nous partageons évidemment beaucoup de vos constats concernant les souffrances, les difficultés des habitants de notre territoire, et particulièrement notre jeunesse, son sentiment de déclassement, sa paupérisation, avec des services publics rendus exsangues, comme l'éducation, la santé, mais aussi les inquiétudes sur l'état de notre planète, l'urgence écologique et une démocratie attaquée.

Vous avez évoqué rapidement la situation de notre appareil productif. Vous le savez, depuis plus d'un an, la CGT alerte sur la situation critique de l'industrie sur plusieurs dossiers emblématiques : Chapelle-Darblay, Vencorex ou les Fonderies de Bretagne. C'est l'État qui détient aujourd'hui les clés pour garantir l'avenir de ces outils industriels stratégiques, et le compte n'y est pas.

Monsieur le Premier ministre, face à la désindustrialisation de notre pays, il est crucial aujourd'hui de définir une politique industrielle ambitieuse et tournée vers l'intérêt général. Il y a urgence. Préserver les emplois, c'est aussi garantir des salaires pour vivre dignement, et le financement d'une protection sociale de qualité pour répondre aux besoins de toutes et tous. Je vous remercie.

M. Le Président. Merci. La parole est à M. Olivier Guivarch pour la CFDT.

M. Guivarch (CFDT). Monsieur le Premier ministre, je parle au nom de Mme Marylise Léon qui est excusée.

La CFDT salue le message que vous envoyez en vous rendant au CESE au moment où, plus que jamais, notre pays a besoin d'un dialogue entre démocratie sociale et démocratie politique.

À quelques semaines de la parution du décret-sanction à l'encontre des bénéficiaires du RSA, quel pacte républicain voulez-vous faire respecter alors que nos concitoyens les plus vulnérables en sont déjà exclus ?

M. le Président. Merci. Je propose un dernier intervenant, M. Thierry Coué pour la FNSEA.

M. Thierry Coué (FNSEA). Monsieur le Premier ministre, monsieur le Président, messieurs les conseillers, depuis la crise du Covid qui a fait rejaillir les risques de rupture dans la chaîne alimentaire, après la guerre en Ukraine, qui montre combien l'alimentation peut être une arme utilisée par des pays belligérants, la notion de souveraineté alimentaire que la FNSEA porte depuis 2019 est d'une importance capitale pour la souveraineté de notre pays et de l'Europe, et vous en faites le constat.

Dans ce contexte, il nous apparaît capital de défendre l'autonomie stratégique alimentaire au niveau européen, c'est-à-dire défendre une stratégie nous permettant de choisir nos dépendances, nos indépendances et nos interdépendances. Une stratégie qui permet de positionner la production alimentaire comme prioritaire.

La loi d'orientation récemment adoptée pose le cadre juridique de cette notion ; il est maintenant essentiel de la traduire dans les cours de ferme pour redonner de la lisibilité aux agriculteurs.

Comment le Gouvernement entend-il mettre en œuvre cette concrétisation qui passe par le respect des engagements pris à l'issue des mobilisations de 2024, notamment l'adoption de la loi sur les contraintes dont nous aimerions connaître la date de passage à l'Assemblée, après des semaines de recul, puisque vous aviez annoncé au Salon de l'agriculture une date qui, visiblement, ne tient plus ?

M. le Président. Monsieur le Premier ministre ?

M. Bayrou, Premier ministre. Monsieur le Président de la CPME, je vais vous raconter quelque chose : le mot que j'entends le plus souvent depuis que j'ai été nommé dans cette fonction, c'est "courage". Et mes interlocuteurs me prennent par le bras, en serrant mon bras, manière de me manifester leur empathie. Je comprends très bien ce qu'ils veulent dire. Dans une situation qui paraît impossible, en effet, il faut s'armer intérieurement pour affronter les difficultés. Je sais très bien l'ampleur des difficultés. J'ai essayé de le dire dans mon propos introductif.

Si nous voulions faire des statistiques, la tâche à laquelle nous nous sommes attelés serait certainement impossible. Cependant, nous sommes obligés d'entreprendre l'effort nécessaire. Il n'y a aucune possibilité d'attendre.

Il est donc tout à fait juste, comme vous le dites, que le Gouvernement considère que l'entreprise est un des lieux, une des forces, une des capacités de la Nation pour relever ces défis.

Il y a deux sortes de difficultés par rapport à l'entreprise et, probablement, monsieur Tual partagera ce sentiment.

Il y a les difficultés inéluctables, qui tiennent au contexte international et à un certain nombre de nos faiblesses. Ces difficultés, il faut les affronter en se serrant les coudes.

Il y a un deuxième ordre de difficultés, celles que nous avons créées nous-mêmes, les difficultés qui tiennent à la bureaucratisation de la société, à l'imposition de contraintes administratives, bureaucratiques, qui prennent un temps absolument infini, un temps d'autant plus infini que vous êtes petit par la taille. Si vous avez des services entiers consacrés aux contacts avec l'administration, à déjouer ce que vous ressentez comme des pièges, à persuader, vous pouvez affronter tout cela. Mais si vous êtes une entreprise qui commence, si vous êtes une entreprise au moment de son épanouissement, alors là, cela devient terriblement difficile.

C'est la raison pour laquelle votre appel au travail, à l'effort, est aussi un appel à simplifier les relations entre les administrations publiques et les entreprises, entre les administrations publiques et ces secteurs de naissance de l'activité. C'est donc pour moi évidemment très important.

Cyril Chabanier m'a interrogé sur la nécessité de la reconnaissance dans l'emploi. L'emploi est une reconnaissance en lui-même. Il m'a interrogé aussi sur cette volonté diffuse, très présente, hélas, dans le monde politique, depuis 230 ans, qui est de réduire les corps intermédiaires. Un certain nombre d'intervenants majeurs du monde politique considèrent que la représentation des corps intermédiaires est de trop. Ils considèrent que la seule légitimité qui compte, c'est la légitimité entre le pouvoir politique et les citoyens de base. Et ils croient qu'ils expriment, ce faisant, une considération actuelle, contemporaine, d'aujourd'hui. En réalité, c'est l'inspiration de la loi Le Chapelier, qui, il y a 230 ans, a décidé que moins il y aurait d'organisations entre le pouvoir politique au sommet et le citoyen à la base, mieux la démocratie fonctionnerait. Je crois exactement le contraire. Selon moi, la France étant le pays où les corps intermédiaires sont le moins représentés, on ne peut pas prétendre que ce modèle soit le plus fructueux pour une société, pour une Nation et pour un pays.

Si l'on devait juger l'arbre à ses fruits, cette volonté d'effacement des corps intermédiaires, y compris dans les domaines qui sont de leur responsabilité, est, à mon sens, nocive.

Est-ce que tout va bien dans l'expression des corps intermédiaires ? Est-ce que tout va bien dans l'idée que les corps intermédiaires se font d'eux-mêmes ? Comme le sait M. Cyril Chabanier et quelques autres ici, au Plan, j'ai eu beaucoup de contacts avec les représentants des organisations syndicales, et à tous, je demandais : "Êtes-vous satisfaits du fonctionnement de la démocratie sociale ?" Je n'ai jamais eu une réponse positive, à juste titre, et peut-être aussi parce que c'est une interrogation ontologique. Chacun s'interroge sur lui-même et sur la place qu'il pourrait avoir.

Je veux vous dire pourquoi je pense que la légitimité des corps intermédiaires doit être reconnue. Je l'ai esquissé dans le discours, mais je veux le redire devant vous. C'est parce que, si l'on croit que les problèmes si multiples et si graves dans lesquels nous sommes plongés, pour une société comme la société française, peuvent se résoudre uniquement dans la discussion parlementaire, et dans les discussions entre le Gouvernement et le Parlement, on se met le doigt dans l'œil jusqu'à l'omoplate.

Je pense que ce n'est pas possible, pour une raison très simple : si tout est résumé dans l'univers assez souvent conflictuel – j'ajoute "assez souvent artificiellement conflictuel" – que représentent les Assemblées, le monde parlementaire, le gouvernement, alors, vous ne laissez aux citoyens que deux attitudes possibles : ou bien l'attitude de soumission ou bien l'attitude de révolte. Alors, on met le pays en rideau. On considère, et non sans raison, que seul le blocage est capable de faire entendre la voix de la base. Je pense que c'est une erreur. Mais je vous rassure, je suis minoritaire ! Mais j'ai assez souvent eu l'habitude d'être minoritaire, je pense aussi qu'on peut être minoritaire et avoir raison.

C'est donc une très grande question : pouvons-nous redonner de la légitimité à la représentation des corps intermédiaires et de la société civile organisée ?

Ne croyez pas que le débat sur les CESER soit un débat marginal. Un très grand nombre de forces politiques considèrent que, puisqu'il faut faire des économies, on a là un secteur d'économie. Ils donnent des chiffres précis. J'avais des discussions ce matin autour de ce sujet. Et si vous faisiez voter les citoyens, je ne suis pas sûr qu'il y aurait de grandes vagues pour défendre la réalité que vous représentez.

Pour tout vous dire, c'est pour cela que je suis venu ici, monsieur le Président ! C'est parce que nous sommes devant une dimension de nos institutions qui est si profondément discutée, qu'il convient de savoir si nous considérons, nous, qu'elle doit être défendue. C'est-à-dire si nous sommes capables de formuler en termes nouveaux l'intérêt, la nécessité, le besoin d'avoir une démocratie sociale vivante. Mais cela ne surprendra pas Cyril Chabanier que je pense cela.

Monsieur Tual, vous avez absolument raison de dire, et je crois que le Président de la République a aussi utilisé cette expression, que "nous sommes à la fin de l'exploitation des dividendes de la paix". À une date très précise, en février 2022, au moment précis où Poutine a déchaîné sur l'Ukraine le feu de sa si puissante armée conventionnelle, nous sommes passés d'un temps où nous avons tous cru, au lendemain de la Guerre, que c'était la loi qui devait s'imposer, la loi internationale, le respect des frontières, le respect du multilatéralisme, qu'il y avait au-dessus des institutions, une loi fondamentale et qu'elle nous garantissait, en tout cas les grandes puissances, mais nous avons découvert en trois ans que les trois garants principaux de cette loi internationale, la Russie, membre permanent du Conseil de sécurité, la Chine, membre permanent du Conseil de sécurité, les États-Unis, membre permanent du Conseil de sécurité, tous les trois avaient décidé de s'abstraire, de s'éloigner du respect de cette loi fondamentale qui permettait aux Nations de vivre ensemble, dans tous les domaines, pas seulement militaires, mais le domaine commercial, par exemple, le domaine industriel, le domaine de la domination par une capacité financière et de très grandes entreprises, du monde de la recherche et de la technologie. C'est cela le monde dans lequel nous sommes entrés.

Dans ce monde-là, notre vision européenne et française, comme vous l'avez évoqué, n'est pas seulement en danger, elle est immédiatement menacée. Demain, nous aurons de nouveaux tarifs, de nouveaux droits de douane. Qu'est-ce que nous sommes capables de faire ? C'est une grande question européenne. Qu'est-ce que nous sommes libres de faire ? Nous avons un continent européen – la France, heureusement, n'a pas été dans ce sens – qui s'est armé au moins aux deux tiers, France exceptée, aux trois quarts, aux quatre cinquièmes si la France est exceptée, auprès de l'industrie américaine.

Est-ce qu'il existe des menaces sur l'indépendance dans l'usage de ces moyens militaires ? C'est une très grande question, non totalement élucidée, on va dire cela entre nous.

Je pense donc que c'est un basculement de monde. Et je pense, vous y verrez un effet de mon optimisme, que ce basculement de monde ne nous est pas nécessairement défavorable. C'est-à-dire l'idée que la France a portée, d'une autonomie européenne, pas seulement en matière de défense, mais en matière de politique industrielle, en matière de politique environnementale, avec un marché de 500 millions de personnes ; on n'est pas nécessairement sans atout. Encore faut-il que nous retrouvions cette inspiration et que, de nouveau, nous soyons en situation de défendre le destin européen de notre pays. Beaucoup de gens ne sont pas favorables ou ne croient pas à cette idée.

Je partage donc votre préoccupation.

Monsieur Vire, vous avez approché ce qui est pour moi le sujet essentiel. Je vais dire les choses aussi simplement que je les pense : nous nous sommes laissé appauvrir. La France produit aujourd'hui 15 % de moins que ses voisins immédiats, 15 % de moins que l'Allemagne, 15 % de moins que la Belgique, 30 % de moins que les Pays-Bas. Et si ces 30 % de richesses produites par an étaient partagés avec les citoyens, celui qui a un salaire de 1 900 euros aujourd'hui aurait un salaire de 2 500 euros. Ce n'est pas la même chose. Avec un modèle social absolument exceptionnel, et le seul modèle construit sur l'idée (c'est le Conseil national de la résistance) du "tous pour un". Tous les autres pays ont peu ou prou construit leur modèle sur le "chacun pour soi". "Je paye pour les études de mes enfants, je les envoie dans les meilleures écoles, les meilleures universités, c'est moi qui assure cette charge, c'est moi qui m'assure contre le chômage et c'est moi qui m'assure pour la retraite", retraite par capitalisation. "Donc, il peut y avoir des crises, mais si j'ai fait ce qu'il faut, ma famille est à l'abri".

Nous, nous avons choisi un autre modèle – c'est les jours heureux, comme nous le savons tous – qui est le modèle du "tous pour un". L'école, c'est la collectivité qui la prend en charge ; la santé, c'est la collectivité qui la prend en charge ; la retraite, c'est la collectivité qui la prend en charge. Et le chômage est organisé de la même manière.

Ce modèle est terriblement ambitieux et désormais terriblement fragile, parce qu'il dépend du rapport numérique entre la base solidaire et chacun de ceux qui exigent, demandent, attendent la solidarité.

Or, notre démographie – je dis cela devant le Conseil économique, social et environnemental, et ce n'est pas la première fois que je le dis devant vous – ne nous permet plus d'imaginer que ce modèle sera durable.

Pouvons-nous imaginer des réorientations, une dynamique nouvelle, une vitalité nouvelle de notre pays autour de ce modèle social ? En octobre, c'est le 80ème anniversaire de la Sécurité sociale. Pouvons-nous imaginer sauver cette Sécurité sociale ? C'est cela, les débats que nous allons vivre dans les semaines et les mois qui viennent. Comme vous le savez, monsieur Vire, ce ne sont pas des petits débats. Ce ne sont pas des débats où nous pourrons imaginer que chacun d'entre nous regarde les choses de l'extérieur en pensant qu'il n'est pas engagé dans cette affaire.

Vous avez donc eu tout à fait raison de poser le problème sous cet angle. Et je dis avec vous que, oui, la question de la production nationale est une question centrale de survie du pays. Si nous rencontrons des difficultés budgétaires, c'est du même ordre que les difficultés familiales. C'est parce que nous sommes un pays qui s'est laissé appauvrir au travers du temps. Il faudrait un long débat pour savoir... J'évoquais la campagne présidentielle de 2007 que j'ai faite sur la dette et le déficit, mais celle de 2012, je l'ai faite sous deux verbes : produire et instruire. Je pense que ce sont exactement les questions que nous avons à traiter, et je vous remercie de l'avoir dit.

Monsieur Guivarch, nous devons traiter la question du RSA en nous posant celle de l'insertion. Nous avons abandonné l'idée qu'il s'agissait d'une procédure d'insertion, ce qui était porté dans le nom de ce qui précédait le RSA, qui était le RMI. La question de l'insertion, je pense que vous serez d'accord avec moi pour dire qu'elle est insuffisamment résolue dans l'organisation actuelle.

Je suis donc d'accord avec vous. Vous avez dit qu'il y a des citoyens exclus ; je suggère que l'on dise qu'il y a des citoyens à inclure, exactement sur cette question-là.

Enfin, Monsieur Coué, oui, des engagements ont été pris et, oui, ces engagements ont été respectés jusqu'à ce jour. Y a-t-il des engagements complémentaires à respecter, notamment dans toutes ces questions de simplification et d'égalité des chances devant la concurrence ? Oui, bien sûr.

Comme vous l'avez compris, ce n'est pas le Gouvernement qui est maître de l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. Il est maître d'une toute petite partie. Ce mois-ci, le Gouvernement est maître de l'ordre du jour sur une semaine. J'avais obtenu un échange de semaine pour que le texte auquel vous faites allusion vienne devant l'Assemblée nationale (la proposition de loi du Sénat), puis le bureau de l'Assemblée nationale a dit : "Non, on n'intervertit pas les semaines".

Tous ceux qui me connaissent savent que j'ai une marotte : je pense que le règlement intérieur de l'Assemblée nationale n'est pas adapté aux temps que nous vivons parce qu'il ne permet d'examiner qu'un seul texte à la fois. Et vous voyez la multiplicité de textes que nous avons devant nous et qu'il serait impératif d'examiner ! J'ai proposé souvent, trop souvent, très souvent, depuis longtemps, une évolution du règlement intérieur de l'Assemblée pour que, comme au Parlement européen, on puisse examiner plusieurs textes en même temps et, quand on vote, on vote en une seule demi-journée bloquée pour que chacun puisse s'exprimer sur tous les textes et tous les amendements.

C'est ma réponse. Pour moi, les engagements pris doivent être tenus. Cela ne veut pas dire que le Parlement ira nécessairement dans le sens des textes, comme ils ont été écrits. Ça, c'est la vie parlementaire.

M. le Président. Merci. Je propose de faire deux blocs en un, avec quelques interventions rapides pour que M. le Premier ministre puisse réagir une deuxième fois. Nous allons donc parler de démocratie, d'environnement, de questions sociales.

La parole est à Claire Thoury, pour le Monde associatif.

Mme Thoury (Groupe Associations). Bonjour, monsieur le Premier ministre.

Quand rien ne va ou que tout se fissure, heureusement qu'il y a le tissu associatif. À vous entendre, monsieur le Premier ministre, j'ai l'impression que l'on va en avoir bien besoin.

Les associations, c'est une grande fierté, une immense richesse nationale, on en a 1,4 million en France. Vous nous compariez avec l'Allemagne et la Belgique il y a quelques instants. En Allemagne, il y en a 600 000, en Belgique, 140 000. C'est donc une immense fierté nationale. Sans elles, cela ne tiendrait pas : lutte contre la pauvreté, lutte contre l'exclusion, aide aux plus vulnérables. Mais c'est aussi grâce à elles que cela va bien. Je pense au sport, à la culture, l'éducation populaire, etc.

Pourquoi est-ce que je vous interpelle maintenant ?

Les associations sont dans une immense tension financière et en matière de liberté. Vous évoquiez Le Chapelier. Ensuite, il y a eu Waldeck-Rousseau et la loi de 1901, qui ont établi un droit individuel en consacrant le droit d'association.

Il me semble qu'il reste un impensé. Une question subsiste, celle de savoir quelle place la société veut donner au tissu associatif et au monde associatif. Autrement, comment faire en sorte de garantir ses financements et ses libertés en matière d'accès aux financements pour qu'il puisse agir parce que l'on considère d'un point de vue démocratique que, oui, le pouvoir du peuple est fondamental, qu'évidemment l'état de droit l'est tout autant, tout comme les institutions, mais que l'on a absolument besoin d'un corps social puissant, c'est-à-dire un corps social qui a les moyens d'agir.

Je vous le demande, monsieur le Premier ministre, comment peut-on travailler ensemble avec votre Gouvernement pour permettre aux associations de continuer d'agir et de faire ce qu'elles font le mieux, à savoir faire que la société tienne bien ensemble ?

M. le Président. Merci. Pour le groupe FO, Mme Patricia Drevon voulait revenir sur les CESER que vous avez un peu évoqués, monsieur le Premier ministre.

Mme Drevon (CGT-FO). Merci. Je vous remercie de bien vouloir excuser mon secrétaire général, M. Frédéric Souillot, qui est retenu sur un déplacement en Italie.

Ma question portait effectivement sur les CESER. Je vais rejoindre Cyril Chabanier. Les CESER, c'est l'expression des corps intermédiaires, de la société civile. Quand on voit un amendement qui est voté en commission, qui les supprime, on a quand même un sentiment d'effroi, car la société civile, les corps intermédiaires, c'est un lieu d'expression et de travail, de remontées des revendications et des problématiques de terrain. Vous l'avez dit, nous sommes les plus proches des problématiques des salariés au niveau des entreprises et des conditions de travail. Nous sommes donc très attachés aux CESER, à ces lieux d'expression et de remontée de démocratie sociale.

Nous voulions donc nous assurer auprès de vous que nous pouvons avoir l'appui du Gouvernement que ce projet de loi de simplification n'ait pas un écho plus abouti.

M. le Président. Pour le groupe Environnement et nature, je donne la parole à M. Pascal Mayol.

M. Mayol (Groupe Environnement et nature). Bonjour, monsieur le Premier ministre. J'interviens donc au nom de mon groupe et je commence par dire que nous sommes solidaires des deux questions qui viennent de vous être posées.

Permettez-moi de faire part de notre inquiétude sur le sujet que vous proposez, de soumettre au CESE "qu'est-ce qu'être Français ?".

Vous avez dit que le choix serait notre décision. Effectivement, nous en parlerons, mais nous espérons, dans ce cadre, que nous pourrons discuter de la question elle-même, car, telle que formulé et malgré vos précisions, elle porte en elle, nous semble-t-il, le risque de légitimer des idées d'extrême droite, et de générer plus de clivage encore dans un moment qui implique de penser ce qui nous rassemble.

Une autre approche pourrait être : qu'est-ce qu'être citoyen ? Une formulation qui nous paraît plus fédératrice et plus en phase avec nos objectifs communs de défense de la démocratie et de la République.

J'en viens à ma question : les responsables politiques remettent en cause plusieurs instances fondamentales de notre démocratie. Ces attaques ciblent surtout l'action sociale et environnementale, et elles s'accompagnent d'un détricotage du droit de l'environnement.

Tout en vous remerciant pour l'intérêt que vous nous dites porter à notre assemblée, force est de constater que la crise environnementale ne fait partie de vos quatre domaines. Vous en avez parlé, mais à la marge.

La dette économique vous préoccupe, mais elle sera immensément décuplée par la dette écologique.

Monsieur le Premier ministre, que portez-vous pour cesser l'érosion en cours des politiques environnementales et engager la co-construction d'une véritable bifurcation juste et écologique de notre système économique et social ? Merci beaucoup.

M. le Président. Merci. Nous passons à quelques questions plutôt sociales, éducatives. Pour notre groupe Alternatives sociales et écologiques, et pour la FSU, la parole est à Caroline Chevé.

Mme Chevé (FSU). Monsieur le Premier ministre, vous l'avez dit, la formation des enseignants est un enjeu considérable, mais il est indissociable de l'attractivité des métiers de l'éducation.

La formation initiale était déjà bien maigre, elle est squelettique désormais, rabotée par l'incapacité d'assurer les remplacements des enseignants qui partent eux-mêmes en formation.

La crise des recrutements incite le Gouvernement à trouver des solutions techniques pour recruter davantage d'enseignants au plus vite, et à reprendre le dossier de la réformation de la formation initiale, abandonné en 2024.

Nous alertons sur les décisions à court terme qui conduiraient à mettre devant les élèves des enseignants insuffisamment formés, c'est-à-dire formés à la prise en charge immédiate des classes de 2027 et non pour enseigner pendant plus de 40 ans et être les professeurs de 2050 ou 2060. Le calendrier annoncé est intenable, notamment pour les maquettes de formation des universités. Nous sommes inquiets de l'absence d'écoute qu'il pourrait induire à l'égard de l'expertise des acteurs et actrices de la formation.

L'école a besoin d'un nouveau souffle. Il ne se fera pas sans agir sur l'attractivité. Vous avez évoqué le temps des écoles normales, c'était le temps où les meilleurs étudiants se dirigeaient vers les concours parce que les métiers et les carrières étaient attractifs et socialement valorisés. Ce n'est plus le cas et cela ne sera pas le cas tant que la revalorisation salariale et l'amélioration des conditions de travail ne seront pas sur la table.

C'est vrai dans l'éducation et dans toute la fonction publique.

C'est pourquoi la FSU, la CGT, l'UNSA et Solidaires appellent à une première journée de mobilisation le 3 avril. Ma question est simple : quelle réponse apportez-vous aux justes revendications de celles et ceux qui portent les services publics à bout de bras ? Merci.

M. le Président. Merci. Une question de notre groupe Organisations étudiantes et mouvements de jeunesse, notamment la FAGE et l'UNEF, sur les politiques de jeunesse.

Mme Nizan (FAGE). Monsieur le Premier Ministre, monsieur le Président du CESE, mesdames et messieurs, cette question a été coécrite par l'UNEF et la FAGE, les deux organisations représentatives étudiantes représentées au CESE.

Face aux crises climatiques et démocratiques que nous connaissons aujourd'hui, alors que la pauvreté frappe de plein fouet la jeunesse, notre génération est aujourd'hui dans l'impossibilité de se projeter sereinement dans son avenir, ni même à la fin du mois.

Vous parliez tout à l'heure de seconde chance pour les étudiants face aux situations de vie que nous connaissons, mais avec le sous-financement des universités, aujourd'hui, beaucoup de jeunes n'ont même pas de première chance.

En plus de cela, notre génération est souvent pointée du doigt comme étant désintéressée et désengagée, les jeunes ne trouvant que rarement grâce aux yeux des politiques. Et pourtant, loin de la vision qui est présentée, nous n'avons en réalité jamais été aussi engagés, mais nos formes d'engagement évoluent via des modes d'action plus directs.

Si nous perdons peu à peu foi en nos décideurs politiques et nos institutions, c'est principalement parce que ces décideurs ne cherchent pas à s'adresser à nous. La construction de la société de demain ne pourra se faire sans une écoute des attentes et besoins des jeunes.

Vous présentiez la réforme de la formation des enseignants comme une priorité. Les annonces de la semaine dernière ont encore une fois été faites sans concertation des premiers concernés : les étudiants et étudiantes.

Mépriser le dialogue social, mépriser les mobilisations ne fera qu'accroître la défiance des jeunes envers les institutions, nourrir la crise démocratique actuelle et finalement développera les peurs et haines permettant l'accession au pouvoir de l'extrême droite.

Aujourd'hui, nous attendons des réponses. Les jeunes attendent des politiques publiques qui leur parlent, qui leur soient destinées à elles et eux et non à leurs parents ou grands-parents par calcul électoral.

Alors, monsieur le Premier ministre, nos questions sont les suivantes : comptez-vous enfin tenir vos engagements d'une réforme systémique des bourses étudiantes, promise à plusieurs reprises ? Comptez-vous enfin faire de la jeunesse, l'avenir de notre société, une priorité pour votre Gouvernement ? Merci.

M. Bayrou, Premier ministre. Vous avez parlé si vite que je ne suis pas sûr d'avoir tout compris !

M. le Président. Je prends une dernière intervention sur la situation des personnes en situation de handicap.

M. Deniau (Groupe Associations). Monsieur le Premier ministre, je vous interroge aujourd'hui comme membre du groupe des Associations du CESE, mais aussi comme membre du Collectif Handicaps que je représente ici.

Il y a quelques semaines, la loi du 11 février 2005, qui promettait l'égalité des chances et des droits, la participation et la pleine citoyenneté des personnes handicapées, a eu 20 ans, mais le cœur n'était pas à la fête. De nombreux citoyens et acteurs de la société civile ont critiqué le bilan mitigé de l'application de cette loi, que ce soit lors du colloque organisé au CESE ou lors du grand rassemblement citoyen organisé par le Collectif Handicaps. Des milliers de personnes ont dénoncé les discriminations qu'elles ou leurs proches subissent tous les jours.

Hélas, les annonces issues du Comité interministériel du handicap, que vous avez présidé le 6 mars, ont été loin de répondre à l'urgence ! Pire, le chantier annoncé sur l'accès aux droits, notamment, semble se mettre en place sans les personnes concernées.

Vous vous exprimez ici dans une maison qui prône la prise en compte de l'avis des citoyens, de "tous" les citoyens. Aussi, ma question sera simple : comment comptez-vous associer directement les associations des personnes concernées à la construction et au pilotage de votre politique, dont vous avez abordé tout à l'heure dans votre discours un point important ?

M. le Président. Monsieur le Premier ministre, avant que vous répondiez, je voudrais vous donner la liste des questions que l'ensemble des membres avait envie de vous poser.

Le groupe Environnement et Nature avait envie de vous interroger sur l'éducation à l'environnement, et sur les questions de dette. Le groupe des Associations, sur les questions de simplification, de démocratie, d'Europe. Le groupe des Entreprises voulait vous interroger sur la commande publique et l'autonomie stratégique. Les entreprises de l'économie sociale et solidaire voulaient savoir ce que vous envisagiez pour soutenir et développer ce secteur. Les jeunes agriculteurs avaient envie de vous questionner sur l'installation et la transmission des exploitations. Le groupe des Associations, sur la relance du pouvoir d'investissement des communes. Le Centre français des fonds et fondations voulait vous interroger sur le rôle politique des fondations. Le groupe des Associations sur les mesures envisagées pour favoriser la mixité à l'école. Le groupe des Familles voulait vous questionner sur la protection de l'enfance, la justice des mineurs. Le groupe de l'UNSA sur les inégalités territoriales en matière de démographie et de vieillissement. Le groupe des Familles voulait aussi vous interroger sur le congé parental.

La Chambre nationale des professions libérales voulait évoquer les inégalités d'accès aux soins. Le groupe des jeunes, la santé mentale. Le groupe Santé et citoyenneté voulait évoquer les questions d'accessibilité et de handicap. La Confédération paysanne voulait évoquer l'assassinat du syndicaliste Pierre Alessandri. Enfin, le groupe des Associations voulait savoir comment le Gouvernement entendait réunifier la lutte contre le racisme et l'antisémitisme en une seule convergence plutôt que de les segmenter. Et il y avait une interrogation du groupe Agir autrement pour l'innovation sociale et environnementale sur la question de l'égalité des chances, au moment où nos valeurs républicaines font l'objet d'un véritable assaut et où l'administration américaine menace les entreprises françaises de représailles en cas d'application des politiques contre les discriminations.

Voilà, monsieur le Premier ministre, la liste des questions que les présents voulaient vous poser. Vous êtes désormais maître de votre temps pour répondre en fonction de votre agenda.

M. Bayrou, Premier ministre. Une question en facteur commun, et pardon de la franchise qui sera la mienne : on n'a pas assez de sous.

La situation du secteur que nous représentons ici est telle que nous aurions besoin d'un très important investissement, d'une politique décidée pour améliorer la situation de telle ou telle catégorie.

J'ai été un enseignant, un ministre de l'Éducation nationale, j'ajoute "heureux", ce qui n'est pas souvent le cas, je sais très bien ce que vous évoquez, madame Chevé, sur la situation des enseignants. J'ai quatre enfants enseignants, je sais exactement quelle est la situation. Et puis, ce n'est pas seulement ça, beaucoup d'autres ont indiqué que, dans leur secteur, il y avait des manques, des demandes, des attentes considérables qui n'étaient pas satisfaites. Pour chacun de ces secteurs, c'est la vérité. Mais si nous ne sommes pas capables de prendre la question à la racine, comme je l'indiquais tout à l'heure à M. Vire, qui est la question de la capacité pour notre pays à produire des richesses, des biens, des services, des démarches intellectuelles, de la recherche, si nous n'en sommes pas capables, toutes ces interrogations seront vouées à l'échec.

Je vous assure qu'il n'y a pas de situation moins inconfortable que celle d'un chef de gouvernement qui répond à une grande organisation syndicale sur ce sujet. Il faut prendre la question à la racine. Cela ne signifie pas qu'il n'y a pas d'autres améliorations. Je suis persuadé qu'il y en a, mais si l'on parle seulement d'amélioration numéraire, je suis sûr que ceux qui feront des promesses, ce seront des promesses mensongères. Je suis donc prêt à tout regarder, notamment le problème de la formation, que vous évoquez. Je l'ai énoncé, allant plutôt dans le sens de ce que votre organisation a demandé à certaines époques.

Je suis donc tout à fait acquis à cette idée. Mais le temps dans lequel nous allons devoir vivre – je suis désolé de le dire aussi brutalement – est le temps du rééquilibrage de nos finances publiques si l'on veut échapper au surendettement. Le surendettement d'un État, c'est comme le surendettement d'un ménage : c'est une atteinte à son indépendance, à sa liberté. Je connais l'extrême difficulté, cela fait depuis 1974 que la France n'a pas eu un budget en équilibre, pas un ! Comme je le disais, au tournant de l'an 2000, nous étions mieux placés que ne l'était l'Allemagne. Et puis, la courbe se casse brutalement. Je comprends vos interrogations, votre perplexité sur le sujet. Ce sera le cadre de notre vie en commun. Est-ce que le pays y adhérera ? Je ne sais pas. Mais s'il n'y adhérait pas, on irait droit vers la falaise.

Madame Thoury, je pense que votre intervention décrit exactement la réalité de la société française. J'en parle en tant que maire. Dans les temps que nous vivons, qu'est-ce qui permet à la société de tenir ? Ce sont les associations, car elles accueillent, elles organisent les activités, elles organisent les réponses. J'ai mis en place dans ma ville un plan anti-solitude. C'est une des grandes questions du temps que nous vivons. 200 associations y ont participé, des associations culturelles, sportives, d'animation de quartier, etc. Qu'est-ce qui tient les associations ? Presque rien ou pas grand-chose… Dans les catastrophes, il y a l'État. Quand vous avez un incendie, un tremblement de terre, un grand accident, l'État est là et personne ne peut le remplacer. Mais l'État, en temps de catastrophe, en temps ordinaire, l'État est une sorte d'organisation de freinage et d'enlisement. Les associations sont le tissu qui permet à la société de tenir.

Donc, quelle place pour les associations ? Si je suis devant vous, c'est parce que je crois à la société civile qui s'organise, ce qui n'est pas autre chose que les associations. La loi Waldeck Rousseau, c'est, bien sûr, une partie de la France, de "qu'est-ce qu'être français ?".

Vous posez ensuite des questions de financement ; nous les traiterons au mieux, avec exactement la contrainte que je décrivais tout à l'heure. Mais la reconnaissance de l'indépendance des associations, j'en suis le garant.

Madame Drevon, vous aurez le soutien actif du Gouvernement. Depuis ce matin, j'ai rencontré les protagonistes du débat, cela ne sera pas un débat facile, mais je vous garantis l'engagement du Gouvernement.

Monsieur Mayol, je suis en désaccord avec vous sur un point : la question "être Français" ne se résume pas à la question "être citoyen", car il y a une vision française de la citoyenneté, qui n'est pas du tout la même que les autres. Votre présence elle-même montre que l'idée que nous nous faisons depuis la guerre, depuis le Conseil national de la Résistance, n'est pas la même vision que les autres. Ce n'est pas la même vision en matière sociale, en matière d'engagement, en matière civique, comme on le voit dans beaucoup de pays qui nous entourent.

Je ne dis pas que nous sommes radicalement opposés, mais il y a une vision française qui s'est construite dans la Résistance, dans des temps plus éprouvants que les nôtres, d'abord parce que beaucoup de Français avaient fait un autre choix, au contraire de la légende, ceux qui étaient membres du Conseil national de la Résistance, et j'ai eu la chance et l'honneur d'être l'ami de plusieurs d'entre eux, malgré de notre grande différence d'âge, mais, quand on milite très jeune, on rencontre des gens plus expérimentés. Il y a donc une vision française qui s'est forgée dans le creuset de la Résistance. Il est intéressant de pouvoir la découvrir et l'explorer ensemble.

Vous demandez si l'on peut interroger la question ? Oui, j'ai dit qu'il y aurait des textes que l'on serait libre de déposer, et j'espère bien que vous le ferez.

Y a-t-il une érosion en cours de l'action environnementale ? Il y a une érosion planétaire de l'attention au sujet environnemental. Il y a eu les COP, le gouvernement indien a dit : "Ne comptez pas sur nous pour renoncer au charbon". Il y a des efforts du gouvernement chinois, sont-ils à la dimension des nôtres ? Il y a une mise en cause par le gouvernement américain, dont vous connaissez l'ampleur, la puissance, le caractère systématique, pour ne pas dire systémique. Donc, oui nous sommes devant une telle érosion, et la France doit tenir bon et résister, mais elle doit aussi regarder la pertinence des choix qui sont faits. C'est ce à quoi nous allons nous attaquer. Mais c'est l'un des cadres majeurs des choix français, qui ne sont pas partagés par tout le monde, y compris en Europe.

Cette bifurcation, ce moment que nous vivons est, en effet, un moment crucial.

Il me reste à répondre à Maëlle Nizan, qui a parlé très vite. Est-ce que les étudiants ont leur place dans cette réflexion ? Oui. J'ai été ministre de l'Éducation pendant des années, je vous assure que tous vos grands devanciers ont participé à cette réflexion et à cette vision. Je suis tout à fait prêt, la ministre de l'Éducation est tout à fait prête à discuter avec vous de ces grands enjeux.

Enfin, sur le handicap, j'ai essayé d'exposer devant vous une méthode. Cette méthode se résume en une phrase : c'est ceux qui sont sur le terrain qui sont légitimes à parler des évolutions qu'ils doivent voir arriver.

Je vous donne donc mon engagement : les associations qui s'intéressent aux personnes en situation de handicap seront évidemment autour de la table lorsque les décisions seront prises. Je m'en porte garant ! Et si quelqu'un vous oppose un non ou une indifférence, vous me l'envoyez !

Merci à tous.

(Applaudissements.)


Source https://www.lecese.fr, le 24 avril 2025