Texte intégral
Je suis heureux de présenter aujourd'hui le projet de loi visant à autoriser la ratification de la résolution qui porte amendement de l'article 6 du protocole de Londres de 1996. Ce protocole complète et modifie la convention de 1972 sur la prévention de la pollution des mers résultant de l'immersion de déchets et autres matières. Cette résolution autorise l'échange transfrontalier de dioxyde de carbone. Elle permettrait à la France d'exporter le CO2 capté sur son territoire et de le stocker de manière sécurisée dans des formations géologiques sous-marines relevant d'Etats partenaires disposant de capacités opérationnelles.
Sa ratification est essentielle pour atteindre nos objectifs climatiques fixés notamment lors de la COP21. En effet, l'accord de Paris de 2015, dont la négociation et l'adoption par 195 États ont été un tour de force de la diplomatie française, engage le monde entier à contenir le réchauffement climatique à un niveau bien inférieur à 2 degrés Celsius et invite à poursuivre les efforts pour le limiter à 1,5 degré. Pour prendre leur part à cette ambition, la France et l'Union européenne se sont fixé des objectifs clairs et ambitieux : réduire nos émissions de gaz à effet de serre de 55% d'ici à 2030 par rapport à 1990 et atteindre la neutralité climatique en 2050.
Si la réduction rapide des émissions de gaz à effet de serre reste une priorité, la France doit pouvoir recourir, parallèlement, à des techniques de capture et de stockage de carbone. Dans la plupart des scénarios du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec), l'atteinte de la neutralité climatique requiert en effet la poursuite de ces deux objectifs.
L'utilisation de ces techniques de capture et de stockage restera mesurée. En effet, l'objectif n'est pas de reporter sur d'autres pays les efforts auxquels nous ne serions pas prêts à consentir nous-mêmes. Cette résolution doit plutôt nous donner les moyens adéquats de remplir nos objectifs de décarbonation.
Certaines émissions d'origine industrielle ne pourront pas être entièrement évitées, même en recourant aux meilleures technologies disponibles. C'est le cas, par exemple, dans l'industrie cimentière : la réaction chimique qui constitue la base du procédé de fabrication produit inévitablement du CO2. Dans ce cas de figure, comme dans d'autres, la capture et le stockage du CO2 représentent une solution incontournable et complètent nos efforts réalisés en matière de réduction des émissions.
Les puits de carbone naturels, tels que nos forêts, sont évidemment à privilégier et doivent constituer la plus grande partie de nos capacités d'absorption et de stockage du CO2 nécessaires pour atteindre la neutralité climatique d'ici à 2050. Toutefois, ils pourront utilement être complétés par des solutions technologiques qui permettent la capture et le stockage du carbone. Dans le cadre de notre stratégie industrielle et de décarbonation française de long terme, plusieurs projets devraient ainsi voir le jour dès 2028 pour capturer une partie du CO2 produit par notre industrie. À partir de 2030, nous pourrons capturer entre 4 et 8 millions de tonnes de CO2 par an, notamment au niveau des hubs industriels portuaires du Havre, de Dunkerque, de Saint-Nazaire et de Fos-sur-Mer.
Or, à cet horizon, nos capacités nationales effectives de stockage géologique seront largement insuffisantes pour accueillir tout le CO2 capté. L'accès aux sites de stockage en mer du Nord ou en Méditerranée, bientôt opérationnels chez nos voisins européens, s'avère donc crucial pour nous permettre de respecter nos engagements climatiques. Ces sites sont par ailleurs relativement peu nombreux au regard des besoins et font face à une forte demande.
Le texte qui vous est proposé est par ailleurs cohérent avec l'approche et la législation de l'Union européenne. En effet, le règlement pour une industrie "zéro net" publié en juin 2024, fixe un objectif de 50 millions de tonnes de capacité opérationnelle annuelle d'injection de CO2, d'ici à 2030, à l'échelle de l'Union. Cette dynamique traduit une montée en puissance de cette technologie, étant entendu que l'Union pourrait avoir à capter jusqu'à 550 millions de tonnes de CO2 par an d'ici à 2050 pour atteindre l'objectif "zéro net".
À ce jour, douze Etats ont ratifié la résolution dont l'adoption est soumise à votre examen. Nous sommes donc encore loin de la ratification nécessaire des deux tiers des cinquante-cinq parties de la convention de 1972. Mais la résolution de 2019 nous permet d'en appliquer les dispositions de manière provisoire et nous n'aurons donc pas à attendre d'autres signatures pour pouvoir l'appliquer immédiatement. Cette application rapide est attendue par nos partenaires. Elle est indispensable pour que nos entreprises puissent dès maintenant réserver des capacités de stockage dans les pays voisins -? capacités aujourd'hui limitées et très demandées.
Telles sont, mesdames et messieurs les députés, les principales observations qu'appelle la résolution portant amendement à l'article 6 du protocole de Londres, dont la ratification est aujourd'hui soumise à votre autorisation.
(...)
Nous avons entendu certaines réserves sur le texte qui vous est soumis. Je rappelle que la capture de carbone, dans tous les scénarios, restera une exception et que notre approche de la transition écologique s'appuie sur deux fondations, les seules susceptibles de nous permettre d'atteindre nos objectifs en matière de décarbonation et de préservation de la biodiversité.
La première fondation, c'est de toujours s'appuyer sur la science. Or, de ce point de vue, la quasi-intégralité des scénarios du Giec repose pour partie sur de la capture de carbone. On peut être d'accord ou ne pas être d'accord avec les prescriptions du Giec, mais si on est d'accord avec elles, on est obligé d'accepter le principe selon lequel, par exception, et de façon minoritaire, la capture de carbone vient compléter la palette de nos outils.
La deuxième fondation de notre approche en matière de décarbonation, c'est qu'il faut tenir compte des réalités et qu'on ne peut pas imposer des obligations ou des pénalités lorsqu'il n'existe pas d'alternative. Il y a, mesdames et messieurs les députés, dans certaines de vos circonscriptions, des entreprises qui n'ont pas de solution pour atteindre les objectifs de décarbonation, ce qui les assujettit -? et c'est bien normal - à des pénalités, au titre du marché du carbone, par exemple.
Que va-t-il se passer pour ces entreprises, pour ces usines qui, dans le secteur de l'industrie ou de la chimie, n'ont pas de solution alternative à la capture du carbone ? Elles vont être obligées de payer de lourdes pénalités, qui vont ensuite peser sur leur capacité à maintenir l'emploi sur les sites industriels.
Vous voulez opposer l'emploi et la transition écologique, alors que ce protocole nous offre une solution complémentaire qui s'ajoute, par exception, à tous nos efforts en matière de décarbonation. Parce que nous pensons que la seule solution pour atteindre nos objectifs de décarbonation, c'est de suivre les prescriptions de la science, nous suivons les prescriptions du Giec.
J'ai parlé du Giec, mais j'aurais pu parler aussi du Haut Conseil pour le climat (HCC), qui reconnaît lui-même qu'une partie, certes minoritaire, de capture de carbone sera nécessaire. Et parce que notre approche repose aussi sur l'accompagnement des filières, lorsque celles-ci n'ont pas de solution, nous retenons cette option qui vient compléter, par exception, la palette de nos outils pour réduire nos émissions de carbone dans l'atmosphère, donc les conséquences dramatiques du dérèglement climatique, qui touchent désormais toutes les circonscriptions, qui peuvent être dévastatrices et qu'il est de notre obligation morale de minimiser.
J'ai entendu aussi qu'il serait inacceptable que notre action contre le dérèglement climatique puisse se manifester et s'organiser à l'extérieur de nos frontières, mais je m'inscris en faux contre cet argument. Lorsqu'avec notre aide publique au développement, nous réduisons les émissions de gaz à effet de serre de 13 millions de tonnes par an, soit l'équivalent des émissions de la métropole de Lyon, nous agissons à l'extérieur des frontières nationales au service de la lutte contre le dérèglement climatique. Il n'y a pas d'incompatibilité entre l'action qui est la nôtre à l'international et l'atteinte de nos objectifs en matière de lutte contre le dérèglement climatique.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 avril 2025